mardi 30 avril 2024

Réflexions sur l'école: publique ou privée?

Quand j'étais enfant mon village possédait encore deux écoles, toutes les deux avec un effectif ridicule (une vingtaine d'enfants maximum toutes classes confondues pour chacune d'entre elles).

Moi et mes frères allions à l'école publique, d'autres enfants à l'école "libre".

Ce qualificatif m'intriguait beaucoup: sachant qu'il s'agissait d'une école privée catholique, je ne voyais pas pourquoi on la qualifiait de libre plutôt que la nôtre.

Je n'ai jamais mis les pieds dans ce bâtiment, mais il avait pour moi une aura vaguement menaçante, et je me souviens que tous les midis lorsque rentrant manger chez mes parents je croisais les enfants de cette école marchant vers la cantine, j'avais un petit frisson...

Chez moi on était laïcards et républicains, résolument contre la calotte, épousant la vieille dichotomie qui coupait la France en deux depuis les débuts de la République.

J'étais trop jeune lors des spectaculaires manifestations contre le projet de loi Savary qui visait à intégrer l'école privée dans le giron de l'Etat pour m'en souvenir.

Mais j'ai su que ces mouvements firent date, qu'ils contribuèrent à la chute du gouvernement et le projet fut abandonné. Je n'en ai jamais parlé mais je suppose que ma famille était pour la réforme et que je l'aurais sans doute été.

De fait, toute ma jeunesse j'avais une mauvaise image de l'école privée, repaire de perfides catholiques revanchards et lieu de relégation des élèves à problème virés d'ailleurs pour y être remis dans le droit chemin.

Puis j'ai quitté les bancs de l'école.

L'école libre de mon village ferma la première, suivie quelques années plus tard par l'école publique. Aujourd'hui la première a été rachetée par un Britannique et la seconde est louée par un retraité, la page est tournée.

J'ai ensuite quitté ma région, commencé à fréquenter des parents avant de le devenir moi-même et la question de l'école privée est revenue sur le tapis.

Je réalisai même avec stupeur que c'était un point central, et qu'il n'avait rien à voir avec le cléricalisme ou l'esprit républicain.

En France les enfants sont affectés dans les établissements scolaires en fonction de leur lieu de résidence, sauf s'ils vont dans le privé.

Quiconque habite près d'une cité à problèmes dépend donc d'établissements où ses enfants côtoieront ceux de ladite cité, et donc plus de cas sociaux, d'islamistes, de non francophones et d'autres pauvres que dans des quartiers plus bourgeois.

Enormément de parents cherchent à éviter ça. Pour cela il y a plusieurs méthodes.

On peut préparer très tôt son rejeton à une option rare (musique, enseignement d'une langue peu répandue, comme le russe, discipline artistique, etc.) dont on s'assure qu'elle est disponible dans un autre établissement meilleur que celui qu'on cherche à éviter. L'enfant aura donc une dérogation pour y aller.

On peut aussi mentir sur l'adresse de résidence, en utilisant celle d'une connaissance complice, celle des grands-parents ou autre, pour que l'enfant soit sectorisé dans une meilleure zone.

Si l'on ne peut pas échapper à l'établissement, on va s'arranger pour que son enfant y suivent les options qui lui permettront d'être au moins dans une meilleure classe: classe CHAM, latiniste ou bilangue allemand par exemple.

Ou alors, on vise le graal: l'inscrire dans le privé.

A ma grande stupeur, j'ai vu ces calculs chez un panel de gens impressionnant de diversité: du gauchiste militant au musulman pratiquant en passant par la mère chinoise parlant à peine français mais demandant à tout parent BBR comment faire pour que sa fille y aille.

On est définitivement très très loin de la vieille famille catholique pratiquante de mes souvenirs.

Habitant un temps dans une ZEP, je suis moi-même passé par ces questionnements désagréables.

La vision de mon fils ethniquement et religieusement minoritaire dans sa maternelle et les bruits venant de son futur collège (où il y eut entre autres un meurtre d'honneur entre gamins) me mirent brutalement le nez dans le sujet.

Et du coup, rhabillant mes convictions, j'ai pris contact avec l'école catholique de la commune, avant de réussir à déménager dans une ville plus bourgeoise et plus calme où l'école publique était comme nous l'espérions.

Pour le collège, que comme beaucoup je considère comme le "maillon faible" de la scolarité et dont j'avais gardé un mauvais souvenir, mon aîné a été dans un établissement public, et mon second dans le privé.

Finalement, j'ai donc pu voir de l'intérieur le deuxième type d'école, repoussoir de ma jeunesse, et constater de visu les différences et les ressemblances.

Je précise qu'il s'agisse d'un établissement sous contrat, c'est-à-dire qui respecte le même programme que l'enseignement public, je ne connais donc pas les hors contrat.

Premièrement, j'ai constaté que l'aspect religieux est finalement anecdotique.

L'école possède certes une chapelle, propose des messes et des catéchèses, mais tout est facultatif, et très peu d'enfants y adhèrent.

Il y a aussi un cours d'instruction religieuse, qui aborde toutes les religions, mais c'est un enseignement marginal, et qui ne pose problème à personne.

Enfin il y a des crucifix, certes discrets, dans les salles. Mais c'est à peu près tout ce qui rappelle qu'il s'agit d'un établissement catholique.

Deuxièmement, je me suis rendu compte à ma grande surprise que les profs y sont exactement les mêmes que dans le public.

J'ai retrouvé des deux côtés la sensibilité de gauche majoritaire chez cette CSP, parfois tout aussi pesante et prosélyte dans le privé que dans le public.

Il y a aussi le même degré de féminisation et les mêmes enseignants étrangers au français parfois limite (la pénurie se fait sentir partout).

Et pour moi le niveau n'était ni meilleur ni pire dans le privé que dans le public.

En vérité, la seule vraie différence que j'ai notée, mais elle est de taille, ce sont les parents.

Dans le privé, ceux-ci sont en effet uniformément très impliqués dans les études de leurs enfants, qu'ils contrôlent énormément. Ils sont tous ultra investis dans tout ce qu'offre le collège, poussent et tiennent leur progéniture de toutes leurs forces.

En clair, les parents démissionnaires, violents ou problématiques sont absents de l'école.

Cela est dû au fait que, contrairement au public, celle-ci a le droit de choisir qui vient et qui ne vient pas.

Cette différence est essentielle.

Alors que le collège public doit supporter et gérer les brutes qui tabassent les petits dans la cour, les racistes qui martyrisent les "babtous fragiles" (j'ai été effrayé du racisme décomplexé de certains), les religieux tarés, les enfants de familles à la dérive et ceux qui sont très mauvais ou en complet décrochage, le privé peut les virer à volonté, et surtout s'en prémunit en n'acceptant pas leurs dossiers.

Je me suis rendu compte que ce n'était même pas qu'une question de moyens, puisque mon enfant côtoie aussi des enfants de HLM et d'immigrés pauvres, mais que c'était bien ce filtrage qui permettait aux profs de vraiment faire leur travail.

Dans le privé, les enfants sont globalement respectueux et concernés, ils font leurs devoirs car les parents sont derrière et ont tous en tête leur futur et la nécessité de faire des études. 

Petit revers, ils sont aussi globalement plus conformistes, immatures et gamins, car plus protégés (les réunions avec les parents de 4e me rappellent celles que j'ai vécues en maternelle!).

Quoi qu'il en soit, ce matériau humain fait que l'ambiance est bien plus au travail, et les résultats s'en ressentent fatalement.

Si je devais résumer mon expérience, je pourrais dire que l'école privée c'est un peu l'école telle qu'on aimerait qu'elle soit, finalement, mais ce n'est pas le fait du caractère religieux, très relatif, de son personnel, mais bien du tri qui est fait sur les élèves.

C'est un assez triste constat, mais c'est la réalité.

Et le rush de demandes que ces écoles connaissent dit assez à quel point ce constat est partagé, et à quel point la confiance en l'état et la société est entamée.

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