vendredi 5 février 2016

Avoir faim...

J'ai passé le réveillon du nouvel an dans une fête semi-privée, avec repas et DJ, dont les invités étaient des Roumains d'âges variés, tous issus de la classe moyenne de leur pays.

En les observant, j'ai noté une différence très nette de comportement entre les générations.

D'un côté, les jeunes dansaient mollement et s'arrêtaient fréquemment pour regarder leurs téléphones, discuter, boire un verre et vaguement s'ennuyer.

De l'autre, les gens un peu plus âgés dansaient comme si leur vie en dépendait, souvent en couple ou en groupe, riant aux éclats et donnant l'impression de profiter ensemble de chaque seconde.

Les premiers avaient grandi dans plus ou moins le même monde que leurs homologues de France ou d'Allemagne.

Les seconds étaient enfants ou adolescents à la fin du régime de Ceausescu, dans les années les plus noires, celles où tout manquait, et ils avaient fini leur apprentissage de la vie pendant la terrible période "de transition", quand plus rien n'était sûr, que la monnaie s'envolait (avec des prix qui doublaient du jour au lendemain) et qu'il était plus question de survie que de vie.

J'ai rencontré pas mal de gens de cette génération et j'ai toujours été justement frappé par leur ambition, l'espèce de boulimie de vie qui les habitait, ce désir de tout faire, tout goûter, tout voir, tout tenter...

Chez nombre d'entre eux j'ai trouvé le même cocktail bizarre, mélange de complexe d'infériorité, de frustration, d'envie et d'hostilité par rapport aux Occidentaux.

Et aussi et surtout une volonté confinant à la rage de combler l'écart, de faire mieux que nous, de prendre une revanche si possible éclatante.

Concrètement, cela se traduisait par une détermination inébranlable à ne laisser passer aucune occasion, à empiler les cours, les visites, les activités de loisir, les voyages, les repas sans renoncer à rien, quitte à rogner sur le sommeil et à tout faire dans n'importe quelles conditions.

Ce farouche appétit se retrouvait aussi quand il s'agissait de faire la fête, même si celle-ci consistait en trois chips et deux bières + un radio-cassette à quinze dans un studio.

Ce côté festif et collectif est également très marqué chez leurs parents et grands-parents, dont l'énergie à guincher dans les mariages m'a impressionné (je me souviens d'un ami français trentenaire qu'une grand-mère avait épuisé en le faisant tourner pendant des heures !).

J'ai retrouvé ce même allant un peu rageur chez un ami fils de boat people. Arrivé à dix ans en France sans connaitre la langue et sans sa mère, il avait lutté pied à pied pour parvenir à être le meilleur scolairement (et il y était arrivé).

C'est encore le cas chez une dame séfarade de mes connaissances, qui avait dû quitter la Tunisie dans des conditions plus que précaires à son adolescence et se battre pour se reconstruire une situation en France.

L'intégration des Pieds-Noirs en France est d'ailleurs pleine d'exemples de ce genre, comme celle des Arméniens ou des Russes blancs.

Je crois que le point commun de tous ces gens, en plus d'un certain niveau socio-culturel, est d'avoir connu un grand chambardement dans leur existence, une destruction de leur monde d'origine ou de celui de leurs parents, un déclassement.

Cela leur a donné une espèce de frustration interne qui, transformée en énergie, constitue un moteur essentiel. Puisqu'ils ont déjà perdu, ils savent qu'on s'en remet, et qu'ils ont tout à gagner et à prendre.

Quand je les compare à l'Occidental (en l'occurrence le Français) moyen, je suis frappé par le fait qu'on leur donne une impression de mollesse, de satisfaction, de simple envie de durer, d'un but qui se limite à maintenir nos acquis de la manière la plus confortable possible.

Le fait que les jeunes Roumains convergent avec nous sur ce point montre bien qu'il y a un lien entre les conditions d'origine et l'état d'esprit que je décris.

Ceux qui craignent l'immigration devraient penser à ces gens et à ce que leur appétit peut apporter à notre pays.

Bien sûr, tous les migrants, loin s'en faut, ne sont pas dans cette configuration. Bien sûr, selon les origines, la force du clan, la coutume, l'éloignement du pays d'accueil, tous n'amèneront pas la même chose.

Mais les pays qui savent récupérer ce genre de profil font assurément une bonne affaire.

Et l'une des forces majeures des États-Unis est qu'eux savent justement très bien attirer les gens du monde entier qui, comme les Roumains qui m'ont inspiré ce post, ont "faim", et en faire des Américains qui tireront sans cesse leur pays vers le haut.


(Je dédis ce post à Thanh Nanh, à Mme Sonia, à Florin, aux Raluca, aux Octavians, à Irina, à Oulaya et à tous ceux que j'ai croisés et qui m'ont donné cette leçon).

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