mardi 27 février 2024

Chanson (2): Je vole

Je ne me souviens pas de quand j'ai entendu pour la première fois le titre Je vole de Michel Sardou (chanteur que j'évoquais dans un post plus ancien), mais c'est sûrement il y a longtemps vu que j'avais trois ans à sa sortie.

Ce titre m'avait accroché l'oreille par l'émotion et la tristesse qu'il dégage, et par cette alternance de chanté et de parlé qui le rend spécial.

Il était rangé dans un coin de ma tête avec les mille et un souvenirs de ma jeunesse lorsque des années plus tard j'entendis une petite fille le chanter au karaoké d'un village de vacances.

J'en fus extrêmement surpris, avant d'apprendre que ce titre avait été repris par la jeune Louane dans le film La famille Bélier (qu'il va falloir que je vois un jour).

L'histoire de Je vole est celle d'un enfant, dont on ne sait l'âge mais qu'on suppose plutôt jeune homme (il fait référence à des soirées d'où il rentrait tard) qui vit encore chez ses parents, que visiblement il aime beaucoup.

Il parle à la première personne et raconte son départ de la maison familiale, départ qu'il a pris soin de cacher à ses parents même si ceux-ci semblent à moitié dupes.

Après avoir parlé de sa dernière soirée, il décrit comment il s'en va sans bruit pour un voyage vers la gare, puis vers l'Atlantique, puis on ne sait pas.

Il évoque ses sentiments, parle de regrets poignants, d'une boule dans la poitrine, etc. et de l'impossibilité du retour.

Cette description alterne avec un refrain chanté où le personnage dit qu'il vole, sans avoir besoin de drogue pour cela, qu'il ne s'enfuit pas et qu'il aime toujours ses parents.

Ce titre, très années 70, a toujours résonné curieusement en moi, comme si un message s'y trouvait caché, un message un peu dramatique, et cela sans que je puisse dire quoi.

Il y  quelques années j'ai mis le doigt dessus: Michel Sardou disait en effet que la chanson ne racontait pas une fugue, mais un suicide, et qu'elle lui avait été inspirée par l'enfant d'amis qui avait effectivement mis fin à ses jours.

Avec Je vole il évoquait métaphoriquement cet acte douloureux dont j'ai déjà parlé dans un précédent post.

La mort est une séparation, LA séparation par excellence puisqu'au moins sur cette terre on est certain qu'on ne reverra plus celui qui décède.

La prise de conscience qu'on mourra tous, qu'on "arrive", est une étape majeure de l'existence, douloureuse et indispensable.

Je me souviens du moment où j'ai réalisé que les gens que j'aimais allaient disparaitre: ce fut une angoisse terrible dont j'ai retrouvée les échos lorsque mes fils sont passés par le même moment.

Ce constat révoltant peut amener sinon à franchement souhaiter la mort, du moins à espérer partir avant ceux que l'on aime, comme le chantait Daniel Balavoine dans le titre curieusement prémonitoire Partir avant les miens, qui reste une de ses chansons qui me touchent le plus.

Je peux en effet comprendre ce désir de "ne pas hériter de la flemme qui s'éteint".

Tout comme je peux aussi comprendre cette envie du grand départ définitif, évoquée subtilement dans Je vole et comme une lutte épouvantable dans une autre chanson, déchirante, de Lynda Lemay, Chaque fois que le train passe.

Mais hâter cette séparation, comme le malheureux protagoniste de la chanson est un événement inimaginable dont je ne sais pas comment les proches peuvent se remettre.

Je me souviens d'un ami de ma femme qu'un fils avait quitté de la sorte et qui s'effondra un soir après avoir bu, et de deux autres dont le père s'était également suicidé, laissant une cicatrice.

Je ne sais pas si ces malheureux ont volé ou volent quand ils sont passés de l'autre côté, mais j'espère qu'ils ont trouvé la paix.

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