mardi 27 octobre 2020

Livres (31): Une si jolie petite guerre, métissages interdits et erreurs de l'histoire

Je viens de lire la bédé autobiographique en deux tomes de Marcelino Truong Une si jolie petite guerre suivie de Give peace a chance.

Cet homme, fils d'un Vietnamien chrétien et d'une Française, a eu une vie particulière, notamment parce que son père a travaillé des années pour le gouvernement d'un pays qui n'existe plus, le Vietnam du sud.

Ce pays, issu du partage en deux du Vietnam à la fin de la guerre d'Indochine, fut bien réel pendant vingt ans, constituant une sorte de RDA dans l'autre sens.

Patronné par les Américains et dirigé par une succession de généraux dictateurs dont le plus célèbre, Diem, s'appuyait sur  la minorité catholique, il finit par être englouti par le nord communiste, qui sut gagner la bataille des médias et profiter de ses mentors soviétiques et chinois pour s'imposer.

Aujourd’hui tout le monde a oublié le Vietnam du Sud.

Le père de Truong travaillait donc pour son gouvernement, et l'enfant grandit dans le Saïgon de cette époque.

Une si jolie petite guerre commence par raconter son enfance
dans cette mégapole jeune et animée, entre les bombes, les GIs, la chaleur, et les mille et une petites histoires de ses habitants.

Il quitte ensuite le Vietnam et passe son adolescence d'abord en Angleterre, puis en Bretagne où il devient étudiant.

Dans ces livres il décrit le parcours de son père, un démocrate pieux, humble et gros bosseur, qu'on voit de plus en plus désespéré devant la tournure des événements dans son pays.

Il nous montre également celui de sa mère, Française au caractère fragile et dont le choix de vie est rien moins qu'évident à l’époque, celui, tragique, de son grand frère et enfin ceux de ses deux soeurs.

Il raconte son incrédulité et parfois sa colère devant les opinions sans nuance des Européens, généralement d'un parti pris débile en faveur du régime dictatorial d'Ho Chi Minh, qui ne valait pas mieux que les dictatures du sud.

On le voit enfin réagir aux différents chocs des cultures et à sa position parfois inconfortable de métis et d'immigrant partout.

Dans ce livre, où la petit histoire rencontre la grande, j'ai eu le sentiment que cet homme faisait partie de ces gens qui sont en quelques sortes des accidents de parcours de l'Histoire, dans le sens où ils témoignent d'épisodes niés ou condamnés ultérieurement par les opinions publiques.

Plus que les populations effacées ou expulsées (communautés blanches des empires européens, Allemands des pays de l'est après la seconde guerre mondiale, Grecs d'Anatolie...) qui furent légion au 20e siècle et dont j'ai parlé dans ce post, je pense à certains métis.

Un expulsé appartient à une communauté, même déplacée, un métis non. Qu'il arrive d'un côté ou de l'autre, il porte dans ses gènes le rappel de son ascendance, de ce qui est arrivé, surtout quand cela n’aurait pas dû arriver.

Les métis coloniaux et post-coloniaux, ainsi que ceux dont l’existence est le témoignage d'une occupation ou d'un conflit furent -et sont- très nombreux à vivre ça, certains plus difficilement que d'autres.

Dans le magnifique livre Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur de Harper Lee, un des petits héros explique à son ami ce que sont les métis, ajoutant qu'ils sont toujours tristes, car ni blancs ni noirs, ils sont rejetés par les deux communautés du sud ségrégationniste où se déroule l'action.

En étudiant l'Algérie coloniale, j'ai souvent été surpris par l'absence d'une classe métisse. Malgré l'importance du nombre d'Européens présents (10%), l'ancienneté de cette présence et le relatif mélange géographique des populations, pas de signares à la Sénégalaise ou d'Eurasiens à l'Indochinoise.

En fait il semble bien qu’il y en ait eu un certain nombre, mais du fait de la proximité physique des populations, ces métis étaient tenus de choisir un camp, dans lequel ils se hâtaient de disparaitre ou étaient sommés de le faire, comme l'explique ce texte

Le stigmate et le tabou des unions franco-maghrébines est d’ailleurs toujours d’actualité (les artistes Alain Bashung, Jacques Villeret et Daniel Prévost ont en commun d’avoir un père algérien méconnu), surtout de l’autre côté de la Méditerranée, notamment vis-à-vis de la loi.

Nous avons eu la même histoire cruelle avec ce qu'on a tristement appelé les enfants de boches, rejetons des histoires d'amour nées pendant l'Occupation nazie.

A la chute d'Hitler, tous les gouvernement d’Europe ont essayé de faire disparaitre ces malheureux enfants, qui furent l'objets de brimades constantes, de mises à l'écart voire de déportation, comme ces enfants que la Suède voulait envoyer en Australie.

En France, on essaya même d'empêcher les retrouvailles post 1945, la loi d'accouchement sous X initiée par Vichy, permettant un blackout complet.

Avec le temps quelques-uns de ces parias l'assumèrent au grand jour et luttèrent pour retrouver la part manquante de leur généalogie.

Certains d'entre eux étaient célèbres, comme le chanteur Gérard Lenorman, qui est un de ces enfants de boche ou Anni-Frid Lyngstad, chanteuse du groupe ABBA issue d'un lebensborn scandinave, ces espèces de haras humains où les nazis voulaient produire des petits Aryens en masse.

Il y eut également le cas inverse, de petits Allemands nés de parents alliés suite au découpage de l'Allemagne après-guerre, mais ils n'eurent guère plus de chance que les enfants de boches (ICI ou ICI).

En Occident aujourd'hui la mode est officiellement au métissage, qui nous sauvera tous. En réalité, il n'est pas toujours si facile d'en être un, notamment dans le cas où l'un des parents est musulman ou issu d'une culture qui se vit ou qu'on voit comme opposée à celle des dominants.

Loin de la célébration neuneu, des artistes en parlent avec intelligence, comme Disiz la peste quand il souligne à quel point le fait qu'on lui demande de choisir un camp le fatigue, comme Sonia Rolland quand elle parle du Rwanda de sa mère ou encore comme Sarah Bouyain qui dans son livre Métisse façon ausculte sans pitié le statut d'écartelé que peut vivre un métis franco-Africain sur les deux continents.

Tous ces gens sont les témoins que l’espèce humaine est Une, que partout et toujours des hommes et des femmes s’attirent et font des enfants, enfants qui sont d’autres humains tout aussi respectables et légitimes que leurs parents, même s'ils n'entrent pas dans les cases prédéfinies
de la Sainte Identité.

Que leur naissance soit le fruit d’un amour, d’un viol ou d’un accident, ils ne devraient jamais avoir à se justifier d’être ce qu’ils sont, et choisir eux-mêmes ce qu’ils font de leur héritage.


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