vendredi 1 mars 2024

Cinéma (25) : Le sixième sens, et la vie avec les morts

Des années après tout le monde, j’ai vu l’émouvant film Le sixième sens, où Bruce Willis montrait qu’il savait jouer autre chose que les John McClane.

[SPOILER alerte] Je vais dévoiler dans ce post le point essentiel de l’intrigue. Si vous voulez voir ce film, ne me lisez pas. [/SPOILER alerte]

Le héros du film est un petit garçon qui a l’étrange faculté de voir les morts après leur décès, lorsque ceux-ci errent parmi nous, tourmentés pour une raison x ou y.

Cela m’a fait repenser à la mort, cette inexorable niveleuse qui fait que tout le monde finit son passage ici-bas de la même façon, l’âge et les modalités variant mais pas la chose en elle-même.

Quand on est petit, la mort est tout d’abord une abstraction, une autre forme de l’absence. Mes premiers morts ne m’ont guère marqué, me laissant quelques images fugaces en tête, un peu comme un film une fois qu’il est terminé.

Puis lorsqu’on grandit et qu’elle frappe dans le noyau dur des proches, la Camarde devient plus concrète et cruelle.

Pour moi, le premier vrai deuil fut la perte d’un grand-père que je connaissais finalement assez peu et qu’un infarctus a emporté quand j’avais 11 ans.
 
Quand j’y repense aujourd’hui, je ressens encore la douleur, la révolte et la peur qui m’avaient saisies et je me souviens de la très longue période dont j’avais eue besoin pour me remettre.

Enfin, avec le temps la mort commence à faire partie de notre univers, elle devient presque une familière malgré les fois où un trépas nous blesse ou nous révolte plus que d’autres.

Le décès d'un frère quadragénaire il y a bientôt dix ans a ainsi été une épreuve majeure pour moi.

Avant cela, à l’adolescence, j’ai été marqué par la chute fatale d’un collégien dans les escaliers de sa maison, puis par l’accident de voiture qui avait emporté l’épouse et la fille unique de mon professeur de sciences naturelles au lycée.

J’ai été aussi bouleversé par la fin d’une collègue alcoolique et dépressive, décédée d’un accident cardiaque sur mon lieu de travail et par la leucémie d’un animateur du centre de mes enfants.

Mais au fond vieillir c’est connaitre de plus en plus de morts, au fur et à mesure qu’on avance et que les générations s’effacent.

Aujourd’hui tous mes grands-parents, qui seraient maintenant centenaires (ma dernière aïeule est morte à 99 ans), ne sont plus de ce monde.

Dans ma famille il y a déjà beaucoup de « trous », dans les amis et collègues également. 
 
Beaucoup de connaissances personnelles sont parties, mais aussi des artistes, des hommes politiques ou des personnalités dont j’ai connu l’apogée.

Devant certains décès, on se surprend à être complètement indifférent, pour d’autres on se dit « Tiens, ça y est », il arrive même qu’on ait cru la personne décédée depuis longtemps.

Il y a des morts qu’on culpabilise d’avoir « ratées », qu’on n’a pas notées, occupés qu’on l’était par nos vies.

Parmi ces départs certains se font en quelque sorte en catimini, ils ne changent pas la vie ou la face du monde.

A l’inverse, d’autres sont des tremblements de terre, dans le sens où la personne qui part était un élément central de son époque, une grande figure, un point de référence.

Je sais avoir été marqué par la fin de Nelson Mandela, qui pour moi représentait une sorte d’espoir et une sagesse inégalée.
 
Dans un autre ordre d’idée, la mort de Johnny Hallyday, m'a fait sentir que la génération de mes parents commençait à passer la main.

Plus récemment le décès récent de la reine d’Angleterre est aussi une page de notre monde qui se tourne.

Contrairement à la plupart des gens de ma génération, j’ai vu très tôt la mort puisque j’ai grandi dans un milieu d’éleveurs.
 
Chaque année plusieurs bêtes mourraient et, passant du temps dans les abattoirs ou chez les équarrisseurs, j’ai vite su ce que cela signifiait concrètement.

J’ai également vu mes grands-parents, chez qui j’habitais, décliner, s’éteindre et mourir, loin du déni et de la dissimulation de la mort propres à notre époque.

Je ne sais pas si ça me donne un avantage ou si ça m’aidera quand l’heure viendra, mais j’ai une vision sans doute un peu plus fataliste et clinique de la fin que beaucoup.

Selon le cliché, les gens ne sont pas complètement morts tant qu’ils vivent dans le cœur de quelqu’un.

Moi je ne vois pas les morts comme le héros de Sixième sens, mais ils me sont de plus en plus familiers et ils reviennent régulièrement hanter mes rêves.

Je ne sais pas encore réellement ce qu’est la vieillesse, mais je suppose que peu à peu ces disparus deviennent omniprésents, qu’on les sent parfois plus proches que les vivants et que quelque part c’est peut-être eux qui nous emmènent quand on baisse la garde.

Que se passe-t-il ensuite ?
 
Les morts poursuivent-ils une forme d’existence comme nous le clament tant de religions ? 
 
Nous voient-ils, nous entendent-ils, dorment-ils en attendant le Jugement Dernier, reviennent-ils en se réincarnant ou sous forme d’esprits ?
 
Ou bien pourrissent-ils seulement, comme tout autre créature vivante ?

Certains sont convaincus qu’on ne disparait jamais.
 
D'autres disent communiquer avec les morts, que ce soit par transe ou spiritisme.
 
D’autres ressentent la présence permanente d’un cher défunt à leurs côtés, défunt parfois plus réel pour eux que leur contemporains.

Je sais avoir été interloqué par une dame qui parlait à Baudelaire en arrosant les fleurs sur sa tombe, par la rencontre avec des tourneurs de table certains d’être entrés en contact avec leurs ancêtres ou des célébrités, ou encore par ces veuves d’artistes affirmant haut et fort qu’ils leur parlaient encore.

Personnellement je doute, même si j’ai tendance à penser qu’une fois finie, la vie est bien finie, aussi dure l’idée soit-elle. Encore que la pensée que tout finira peut aussi être rassurante par certains aspects.

Je ne les vois pas, mais dans mon cœur et mon esprit, dans mes souvenirs et dans mes rêves, « mes morts » sont présents, certains me manquent, d’autres s’effacent lentement.

Que je les rejoigne un jour ou non, j’ai cependant une certitude, c’est que mon tour viendra.

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