mardi 17 décembre 2024

Vie professionnelle (6): larbin

J'ai été inspiré pour mon post d'aujourd'hui par le mot larbin, ce qualificatif qu'on entend souvent balancé par les grandes gueules, les fortes têtes, comme une insulte.
 
Qu'est-ce qu'un larbin?
 
On désigne par ce mot une personne obéissante, servile, suiveuse, qu'on imagine sans volonté propre, voire sans dignité.
 
Çà renvoie au pire à l'idée d'esclavage, de domesticité, a minima à la domination et au suivisme, quelque chose d'éminemment péjoratif aujourd'hui.
 
Est-ce pourtant toujours aussi clair? Est-ce que les larbins sont forcément nuisibles ? Est-ce qu'être un larbin n'est pas aussi un choix qu’on doit respecter ?
 
En effet, être le subordonné dévoué de quelqu’un de plus puissant/compétent/riche garantit un certain confort matériel, une protection.
 
Dans certaines circonstances, cela peut être utile et une stratégie intelligente.
 
C’est notamment le cas dans des pays ou des époques sans garde-fous sociaux, où la naissance, la richesse et le rang conditionnent la vie de manière exclusive.
 
Les écuyers, les bonnes ou majordomes, voire les esclaves de maison jouissaient de privilèges qui peuvent faire ricaner aujourd’hui mais n’étaient pas négligeables pour autant.
 
Ils étaient parfois même une question de survie, conditionnant l’accès à des choses aussi basiques que se nourrir ou se loger.
 
Et à rebours de ce qu’on imagine parfois dans nos visions romantiques des classes sociales, la quête de ces privilèges peut faire l’objet de lutte impitoyable et ceux qui y aspirent être totalement dénués de scrupule.
 
Je me souviens d'un personnage de Yasmina Khadra, un boxeur je crois, qui était devenu garde du corps/homme à tout faire pour l'un de ces fils de révolutionnaires/militaires corrompus qui possèdent au sens propre l'Algérie depuis 1962.
 
Sauvant son maitre de la vengeance d'une de ses anciennes victimes, il assénait à celle-ci avec un cynisme tranquille: "Tu ne le toucheras pas, ce maitre c'est le mien, je me suis battu pour l'avoir et tu ne m'en priveras pas."
 
On peut aussi penser à l’esclave joué par Samuel L. Jackson dans Django Unchained, plus effroyable avec ses pairs que ne l'était son propre maître.
 
Sans aller jusqu’à ces extrêmes, un larbin peut l’être devenu pour jouir d’un pouvoir ou d’une position enviable à son niveau.
 
Songeons au pouvoir des secrétaires de direction ou des chambellans, que leur rôle d’interface permanente rend incontournables pour qui veut approcher leurs maîtres.
 
Je parle ici d’aspects matériels et/ou de distinction, mais il n’y a pas forcément que ça qui peut motiver ce choix.
 
On peut aussi apprécier le confort intellectuel que donne le fait de laisser un autre décider ou prendre les initiatives à sa place.
 
Se cantonner aux tâches dites "de merde" et laisser au maître/supérieur les combats sur les grands sujets, les responsabilités ou les initiatives peut être un choix.
 
Au risque de choquer, je pense que les couples dits traditionnels et heureux qui existent et ont existé sont souvent ceux dans lesquels il y avait ce partage assumé entre l'intendance et la stratégie, si l'on peut dire.
 
J’ai pu constater cela de nombreuses fois, avec un homme faisant carrière en se reposant intégralement sur sa femme pour la gestion de la maison et de la famille, tout en respectant ce rôle, en partageant les revenus et en consultant son épouse pour les grandes décisions.
 
C’est plus rare dans l’autre sens, mais je connais un homme qui ne se sentait jamais aussi bien que lorsqu’il se trouvait dans cette configuration d’homme au foyer.
 
Je ne dis pas que c’est bien ou mal, mais que certains et certaines choisissent cette configuration et s’y trouvent bien. Ce choix est aussi respectable qu’un autre.
 
Pour en revenir au monde professionnel, on trouve derrière la plupart des leaders une personne pas forcément aussi visible et connue, un homme ou une femme à tout faire qui lui est intégralement dévoué et s’active à concrétiser les choses dans l’ombre.
 
Sans elle ou sans lui, le leader se retrouve pollué par les problèmes annexes, et à l’inverse cette personne ne saurait ou ne voudrait pas prendre la place du leader.
 
J’en viens à la dernière idée : au final, les larbins ne sont-ils pas indispensables ?
 
Dans le couple comme dans le travail, il est absurde de vouloir que tout le monde décide et tout aussi absurde de mépriser ceux qui exécutent ou mettent en œuvre, avec un mépris proportionnel au zèle mis dans cette exécution.
 
Il me semble crucial de réhabiliter les bons exécutants, qui sont indispensables à tout projet, toute communauté.
 
Il n’y a rien de déshonorant à suivre quelqu’un, à être celui qui fait au lieu de celui qui dit quoi faire.
 
Il n’y a rien d’humiliant à être celui qui gère le quotidien.
 
Pourvu que chacun soit reconnu et qu’il y ait un équilibre, ça n’a rien de méprisable.
 

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