Le post que je commence aujourd'hui m'a été inspiré par une expérience professionnelle récente.
Elle m'est plutôt désagréable, même si elle est en fait assez banale, même si j'en ai déjà précédemment vécue de similaires et même si j'en revivrais sans doute bien d'autres avant d'arriver à la retraite.
Je la trouve typique de notre époque, où le directif et l'autoritaire sont décriés et où l'on veut absolument prétendre que toute décision fait consensus, que ce soit le cas ou non.
Le point de départ en est un questionnement sur le futur d’un domaine d’activité de mon employeur. Dans mon cas, il s'agit du système d'informations, mais cela peut être n'importe quoi d'autre.
Ce genre de questionnement est normal : pour durer, toute entreprise doit en effet s’adapter et évoluer, anticiper les choses et définir des stratégies à moyen et long terme.
Elle doit suivre les marchés dans lesquels elle s’inscrit, tenir compte de la réglementation et du climat politique du moment, de l’état de ses fournisseurs, etc.
De ces réflexions découlent des choix et des arbitrages. Pour que ceux-ci soient pertinents, il faut bien sûr étudier, réfléchir, demander conseil, se poser, et rassembler toutes les billes de façon à pouvoir trancher impartialement.
Chez mon employeur le contexte était le suivant.
Un processus métier était géré par deux équipes, chacune maitrisant une partie du secteur sur lequel on réfléchissait. L’idée était de rationnaliser au maximum la gestion de ce processus.
Un chantier a donc été lancé pour remettre à plat l'existant et redéfinir les besoins des utilisateurs: le but était de voir ce que l'on devait garder de chacune des deux parties, ce qui devait être mis en commun et/ou modifié, et comment envisager au mieux et de façon impartiale les orientations futures dudit processus.
Sauf que l’une des deux équipes, qui avait pour ambition déclarée de se positionner comme point central, refusa cette démarche.
Elle rejeta ainsi l'étude et l'arbitrage, avec d'autant moins de scrupules que son responsable était ami avec la personne qui allait trancher.
Par copinage donc la messe était déjà dite. Comme très souvent, c'est le mieux placé et pas forcément le plus compétent qui avait gagné.
Sauf qu'on ne peut pas acter ce genre de choses comme ça et qu'à l'heure du dialogue, de la bienveillance et la co-construction il faut toujours un consensus, ou a minima l'apparence d'un consensus.
En clair, il ne suffisait pas de virer l’arbitre et d’annuler l’étude originelle, il fallait aussi mettre en place un "contre-séminaire" pour aller dans le sens préalablement choisi.
Bien entendu, on a exclu dudit séminaire toutes les voix discordantes et fait venir une majorité de béni-oui-oui acquis à la cause.
Bien entendu aussi, les sujets qui auraient pu apporter une contradiction ou une remise en cause n'ont pas été abordés ou ont été repoussés à une hypothétique session ultérieure (dont on s'assura qu'elle n'aurait jamais lieu).
Bien entendu enfin, le compte rendu, déjà écrit, est resté à la main des organisateurs qui en ont enlevé toute opinion divergentes ou toute question qui fâche.
Ledit compte rendu a évidemment amené à la conclusion arbitrée au départ (avec une petite promotion pour ses instigateurs au passage).
C’est là que je me pose la question : pourquoi faire semblant ? Pourquoi ce jeu du débat faussé ? Quel besoin de lancer ce séminaire aussi crédible que des élections chez Poutine ou Maduro ?
Est-ce qu’on se dit que dans les cinq ou dix ans, si ça tourne mal on pourra se référer au séminaire en affirmant que la décision avait fait consensus ?
Est-ce une façon de se donner bonne conscience à l’heure où le rapport de force n’est plus une valeur acceptable en soi ?
Est-ce une forme de "washing" ? Comme on a le greenwashing. ou le pinkwashing par exemple, on a aussi le "consensuswashing" ?
Est-ce que finalement (et c'est déprimant) ce genre de théâtre fonctionne auprès des gens, surtout s'ils ne sont pas directement dans le sujet ?
Je n’en sais au final rien, mais je sais que cette hypocrisie me dégoûte presque plus que le côté arbitraire des choix.
Il faut cependant croire qu’elle a une utilité, puisqu’on s’astreint toujours et à tous les niveaux à "faire comme si".
J'ai beau le savoir, je crois néanmoins que je préfère encore un système militaire où l'on ne ferait pas semblant.
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