Je vais parler aujourd'hui d'un morceau de Georges Brassens qui, pour faire partie de ses plus courts (moins de deux minutes), n'en est pas moins marquant. Il s'agit de Pauvre Martin.
Comme beaucoup de ses chansons, elle est construite sur un enchainement d'accords jazzy à la guitare, avec la fameuse "pompe" auquel il est souvent associé, sur un tempo plutôt rapide.
Et comme beaucoup de ses titres, ce sont surtout les paroles qu'il faut écouter.
Cette fois-ci il se contente de narrer la vie de Martin, un journalier agricole que sa bêche fait vivre.
Elle le fait d'ailleurs plutôt survivre puisqu'il nous explique que toute la journée, pendant de longues heures et quel que soit le temps, il va retourner la terre de ses employeurs, lui-même ne possédant rien.
En quelques mots, Brassens insiste à la fois sur le dénuement de son personnage, sur son mérite et sur son acceptation d'un sort injuste.
Il n'a en effet "ni l'air jaloux ni l'air méchant" malgré la dureté de ce métier précaire, et lorsque vient l'heure de mourir, il creuse lui-même sa tombe et s'y allonge dans la solitude, pour ne pas déranger les autres.
Cette histoire émouvante rappelle le sort d'une grande partie de l'humanité, dont la vie est limitée et difficile, et pour qui les questions matérielles, à commencer par manger, restent centrales et vitales au sens propre du terme.
A chaque fois que j'écoute Pauvre Martin, je pense à mon arrière-grand-père maréchal ferrant qui, perclus de rhumatismes, continua à travailler jusqu'à la fin parce qu'il n'avait pas le choix, comme tant de gens à l'époque.
Je pense aussi aux témoignages de ces anciens employés des mines d'uranium du Limousin que l'on peut voir dans l'intéressant musée de Bessines-sur-Gartempe. Beaucoup d'entre eux expliquaient pudiquement en être venus à cette extraction parce qu'ils n'arrivaient pas à assumer financièrement leur famille.
Je pense encore au touchant livre Le cheval d'orgueil, de Pierre-Jakez Hélias, qui raconte une enfance bretonne du début du vingtième siècle, et plus précisément à ce que son grand-père appelait "la chienne du monde", c'est-à-dire la misère, que les plus pauvres tentent par une lutte quotidienne de tenir à distance le plus possible.
Je pense également aux romans de Panait Istrati, lorsqu'il décrit les dockers de Braïla, se battant pour travailler à la journée.
Plus près de nous, je revois également les migrants africains, maghrébins ou est-européens qui hantent les parkings des Ikéa et des Leroy-Merlin de l'Ile-de-France, en quête de clients prêts à les embaucher à la tâche.
Nous oublions trop souvent à quel point notre société occidentale, si elle n'est évidemment pas parfaite, est incroyablement généreuse.
Nous avons des bourses, des hôpitaux, des retraites, des aides sociales, des infrastructures, des milliers d'oeuvres et d'association. Ici le chemin pour tomber au plus bas est plus long qu'ailleurs et la liste des garde-fous bien plus importante.
Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que c'est à nos portes que le monde entier se presse: nous avons là un trésor qu'il faut préserver, et qui est très neuf au regard de l'histoire.
En résumé, Pauvre Martin est une chanson très émouvante et un véritable remède contre l'auto-apitoiement.
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