samedi 30 novembre 2024

Le poison de l'idéalisme

Il est souvent très difficile de se connaitre soi-même.

Pour beaucoup de gens (la plupart sans doute), il y a l'image que l'on se fait de soi, et la réalité, les deux pouvant être très éloignées.

C'est vrai dans plusieurs sens d'ailleurs: on peut se surestimer ou se sous-estimer sur tel ou tel plan, ou encore se raconter des mensonges, tout en y croyant.

Je pense même que se mentir est parfois nécessaire, la réalité n'étant pas toujours très flatteuse pour l'ego, et se regarder en face pouvant être très douloureux.

Certains disent qu'on va mieux quand on se connait bien, j'en doute un peu.

En ce qui me concerne, à l'approche de la cinquantaine j'ai fini par identifier une façon de fonctionner qui me caractérise et que je n'aime pas.

Pour parodier le titre d'un vieux film de Pierre Richard je suis un incurable idéaliste, même si je me soigne.

Je pourrais résumer ce fait par des attentes démesurées vis-à-vis du monde, que je vois tel qu'il devrait être au lieu de le voir, et surtout de l'accepter, tel qu'il est.

Avec pour corollaire une certaine naïveté qui a pu me faire naviguer d'une idée à l'autre entre deux déceptions.

Est-ce mon caractère ou mon éducation?

Je pense que la deuxième a été très importante, surtout dans son aspect religieux. Une partie de ma famille était en effet très croyante, dans la version engagée plutôt que contemplative, et j'en ai gardé une profonde marque.

Ainsi j'ai longtemps cru très fort en Dieu, en sa bonté et à sa venue prochaine qui renverserait tout, à sa victoire qui changerait enfin le monde en Bien, et que je devais apporter ma contribution à l'avènement de son royaume.

Mais en grandissant j'ai constaté que les gens qui le suivaient étaient très souvent à des kilomètres de ce qu'on m'avait vendu.

Il est clair que la foi est aussi question de pouvoir, de conventions sociales, et que les croyants ne sont pas meilleurs que les autres.

Beaucoup sont même hypocrites et se parent des masques du bien et de la vérité pour se valoriser, pour rejeter les autres et pour s'adonner aux mêmes mesquineries qu'eux.

Devant ce constat et l'accumulation de déceptions associées, j'ai progressivement perdu la foi et rejeté ce passage de ma vie.

J'en ai gardé une rancune solide envers les bigots de toutes les religions, en même temps qu'une nostalgie pour ce rare moment de ma vie où les choses étaient claires.

En même temps que chrétien, j'étais de gauche, vers laquelle je me suis encore plus tourné après mon apostasie - toute relative car je ne vivais pas non plus dans un monastère ou dans une secte - m'identifiant aux valeurs d'humanisme, d'accueil, de tolérance et de partage qu'ils promouvaient.

Quelque part j'y projetais mon précédent idéal, sous une forme moins fermée et orientée que le christianisme, plus concrète également car elle faisait partie de ce monde.

Mais en fait, rebelote : je retrouvais rapidement chez les gens de gauche l'hypocrisie qui m'avait dégouté des chrétiens, ainsi qu'une bonne dose de sectarisme et surtout de mépris social.

Je réalisai ce dernier point en arrivant à la fac, moment important de ma vie où je me suis rendu compte que mes parents n'étaient vraiment pas riches.

Le milieu étudiant progressiste où j'atterris était un monde de gens faussement désintéressés, ambitieux et mesquins, âpres à défendre leur bout de gras à tout prix tout en prétendant le contraire.

Je découvris que beaucoup n'étaient généreux qu'avec l'argent des autres, et toujours prêts à donner des des leçons et lancer des idées à condition qu'elle soient appliquées le plus loin possible de leur petit univers bourgeois.

Et je ne parle même pas de l'extrême gauche et des syndicats étudiants, largement peuplée de fils à papa et maman qui se la racontaient en touchant la rente.

J'étais ulcéré de les voir critiquer tout ce que l’État faisait de bon (bourses, cité U, resto U, tarif étudiant...) et pour lequel j'étais personnellement très reconnaissant : tout en en profitant largement ils étaient dans une permanente surenchère et semblaient prêts à détruire ce qui avait été mis en place.

Tous ces gens m’écœurèrent, peut-être encore plus que les bigots de ma vie précédente, sans doute parce que contrairement aux chrétiens dont l'heure était passée, les gens de gauche triomphaient dans ma jeunesse, dominant les média, l'université et la politique.

Par réaction, je virais brutalement à droite.

Après tout, peut-être bien que le Saint Marché ferait sauter toutes les baronnies et toutes les niches qui permettaient à ces révolutionnaires de salon, hypocrites et indûment protégés, de diffuser leur venin tout en tirant la couverture à eux, et surtout en refilant les problèmes (insécurité, grèves à outrance, etc) à ce qui restait du vrai prolétariat.

Ces derniers auraient enfin leur chance dans une société privatisée au maximum, garantissant que la réussite serait enfin basée sur le mérite.

Devenu salarié, je changeais à nouveau de milieu, et là aussi je revis ma copie.

La droite n'est pas différente de la gauche.

Moins véhémente sous nos cieux, elle n'en est pas moins corporatiste, attachée à ses privilèges et menteuse sur le fond.

Le Marché et le ruissellement sont des escroqueries: on est surtout riches parce que ses parents sont riches et qu'on a un capital social et/ou économique.

Et puis les diplômes prestigieux, qui sont de plus en plus chers, ne garantissent pas l'excellence qui leur est associée. En réalité, ils sont surtout un ticket d'entrée dans un club de gens qui dirigent, se cooptent et gardent jalousement leurs prérogatives.

Enfin et surtout, le monde du privé n'est pas forcément plus efficace et certainement pas plus responsable que la fonction publique (j'ai travaillé dans les deux).

Les abus sautent peut-être moins aux yeux dans le privé, mais ils sont plus importants au fur et à mesure que l'on monte dans la hiérarchie, et le traitement des "gens qui font" par les "gens qui font faire" et encore par plus les gens qui possèdent (régulièrement les mêmes) est souvent aussi arbitraire que dégueulasse.

Les gens qui fantasment sur Musk ou Bezos sont aussi menteurs et hypocrites que ceux pour qui être fils d'immigré vaut sanctification, et le monde que ces génies nous organisent ressemble un peu trop à celui du 19ième siècle pour être bon.

Ce passage idéologique fut le plus court.

Dans ma quête de la société idéale, j'ai aussi eu ma période tiers-mondiste (définitivement enterrée par un passage en banlieue et par la découverte du pays de ma compagne), j'ai fantasmé sur les Indiens d'Amérique, sur les communautés hippies ou les phalanstères du 19e, etc.

Au niveau des idées elles-mêmes, j'ai également beaucoup lu et cherché, m'enthousiasmant puis étant généralement déçu par un point de divergence plus ou moins grand avec les auteurs: ce fut le cas avec Titiou Lecoq, Leonora Miano, Christophe Guilluy, etc.

J'ai fini par prendre conscience de ces espèces d’enthousiasmes et de déceptions successifs, qui peuvent être épuisants et déprimants, et surtout stériles, et ils m'ont fait réfléchir sur moi-même.

En fait je n'ai jamais été vraiment engagé ni activiste (mes allégeances se situaient au niveau des idées, je n'ai jamais agi pour faire avancer une cause, tracté, collé des affiches ou cotisé à un parti.), sauf peut-être quand j'étais jeune et chrétien.

Et encore étant d'une confession ultra minoritaire j'ai toujours fréquenté des gens autres dont je n'ai jamais considéré qu'ils ne valaient rien et qu'il fallait les fuir.

Néanmoins je pense avoir hérité de cette formation chrétienne une idée de perfection, de société idéale, qui doit forcément exister quelque part, en opposition avec la souillure, le péché ou l'injustice.

C'est un tort et une erreur, une tendance que je dois combattre.

Dans tous les mouvements que j'ai approchés ou étudiés, dans tous les groupes que j'ai côtoyés, et toutes les sensibilités que j'ai connues il y avait des gens bien, raisonnables, constructifs et aussi intègres qu'il est possible de l'être.

Des gens de bonne volonté, en somme, qui étaient aussi prêts à écouter d'autres opinions que la leur et à collaborer si cela faisait avancer.

J'ai aussi croisé des cyniques, des je m'enfoutiste, des gens ancrés exclusivement dans le réel, dans leur monde, et qui pouvaient être sympathiques, équilibrés et en tout cas pas pires que les croyants en tout genre.

Ce genre de détachement m'est impossible, mais m'a toujours fait envie.

Parce qu'au final, la vérité c'est que la vérité n'existe pas.

Il n'y a pas de système parfait, parce que le monde est imparfait et que l'homme est imparfait. Il ne pourra jamais être réduit à une seule facette, à un seul régime et aucune société ne peut être 100% harmonieuse et sans tare.

Les totalitarismes, qu'ils s'agissent du nazisme, des dictatures communistes ou des régimes islamistes, ne sont que des machines à broyer et ne marchent pas parce qu'elles ne peuvent pas marcher.

Le capitalisme débridé est tout aussi destructeur, l'être humain n'étant pas réductible à sa seule valeur marchande, et le vent qui souffle aujourd'hui dans ce sens un peu partout fera lui aussi bien des victimes.

En fait, l'idéalisme est un poison.

On ne doit jamais renoncer à rendre nos société meilleures, plus justes, plus sûres, mais il ne faut pas s'imaginer qu'il existe une recette magique pour cela.

Selon le pays et le contexte, selon l'époque et les circonstances, il faut passer par le sale boulot de la conciliation, du compromis, des sacrifices demandés aux uns puis aux autres, des changements de position quand il le faut, car rien n'est jamais écrit dans le marbre.

Être pragmatique et bosser, humblement, avec le souci de ses proches et du bien commun devrait être le seul idéalisme.

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