lundi 11 novembre 2024

Livre(38): Enquête sur un crucifié

J’ai déjà évoqué Jean Lartéguy dans un ancien post.

Cet écrivain journaliste au passé militaire était un représentant de l’aventurier à la française tel qu’on pouvait le rencontrer dans les trois premiers quarts du vingtième siècle, dans sa version de droite, par opposition aux communistes et gauchistes si présents dans cette période, et dont les avatars finirent par dominer le débat à partir des années 80.

Ses romans comme ses essais se basent sur ses propres expériences de globe-trotter, sur les gens qu'il a rencontrés et les situations qu'il a vécues de près, avec une prédilection pour les zones de guerre et les empires coloniaux européens finissants, pour lesquels on sent de la nostalgie et un certain attachement. 

Lartéguy n’était visiblement pas dupe des successeurs des puissances de tutelle, notamment des communistes, et s’inquiétait du sort des perdants, qu’il s’agisse des Européens nés sur place ou des indigènes ayant choisi la France (harkis d’Algérie, moïs du Vietnam, etc…).

J'ai découvert l’auteur avec le livre Les chimères noires, qui traitait de la sécession du Katanga de l'ex-Congo belge, épisode dont j'ignorais tout à l'époque.

Le contexte historique et sa description m'avaient emportés et emmené à lire tout ce que je trouvais de lui, notamment son roman le plus connu, Les centurions.

Celui-ci parlait du rôle de l’armée pendant la guerre d’Algérie et un film éponyme en avait été inspiré (de très loin cependant), avec un casting prestigieux comprenant notamment Claudia Cardinale, Alain Delon et Antony Quinn.

Après avoir lu plusieurs Lartéguy j'ai toutefois identifié une sorte de pattern parfois répétitif qui m'a lassé, un peu comme l'avaient fait les livres de Jules Verne quand j'étais plus jeune.

On y croisait toujours des hommes virils, souvent issus de milieux campagnards ou provinciaux à la forte identité, de l'honneur, du panache, des idéologues, des gens brisés et des rédemptions, le tout saupoudrés de voyages, d'alcool, de sexe, et de drogue.

Sans renier cet auteur, je suis donc passé à autre chose.

Je suis récemment retombé sur lui dans une boîte à livres. Il y avait là un ouvrage intitulé Enquête sur un crucifié, que son titre intriguant m'a incité à prendre. 

Bien m'en prit. Je reconnais avoir dévoré ces presque 500 pages quasiment d'une traite, et y avoir trouvé, outre les recettes habituelles, quelque chose de touchant et d'humain auquel je ne m'attendais guère.

L'histoire est racontée par un Suisse d'une riche famille protestante qui travaille dans une banque et qu'on charge d'une mission un peu particulière.

Sa banque a la charge des biens d'une famille richissime de marchands d'arme, dont l'unique héritier est le fils d'un acteur américain à la vie dissolue.

Celui-ci était en instance de divorce avec une Italienne fantasque aux dents longues quand il disparut au Vietnam, alors en pleine guerre civile appuyée par les Américains.

Une preuve de sa mort ferait de l'Italienne l'héritière légale, ce que ni la banque ni la famille ne souhaitent, tandis qu'une preuve contraire bloquerait le dossier suffisamment longtemps pour qu'il s'éteigne.

Notre héros va donc partir à la recherche de cet homme, dont un portrait se dessinera progressivement, et avec lequel il s'identifiera de plus en plus.

Les premiers éléments de l'enquête sont tout d'abord ses femmes, toutes de forts personnages.

La première est une prostituée américaine que son père lui avait offerte pour leurs retrouvailles (il avait été élevé en Suisse par ses grands-parents jusqu'à sa majorité).

Celles-ci se terminent horriblement mal et il fait ensuite un bout de chemin avec la fille, trainant avec elle dans New York avant de partir en Europe.

La fille le suit. Elle vit désormais en France et élève eu un enfant dont il est potentiellement le père (nous sommes avant les tests ADN).

La seconde femme est sa demi-sœur (fille d'une autre femme du père), gauchiste comme on l'était à l'époque.

Elle tient une boutique de fringues à Carnaby street, a vécu une relation bizarre et malsaine avec son demi-frère et tente elle aussi de récupérer l'argent.

La dernière femme est une prostituée vietnamienne occidentalisée, spécialisée dans le GI mais amoureuse de lui, comme elles l'étaient toutes d'ailleurs, et que paradoxalement lui rêve de re vietnamiser.

La dernière partie du livre, peut-être la plus importante, se passe au Vietnam et au Cambodge.

On y croise des troupes américaines, des restes de l'Empire français, qu'il s'agisse de métis, d'ecclésiastiques ou de l'équivalent local des pieds-noirs, des communistes, toute sorte de trafiquants.

Remontant la piste de l'héritier, le narrateur découvre que la dernière fois qu'il a été vu, ce dernier partait au Cambodge, accompagné d'un soldat perdu comme la France en produisait alors (ex-OAS, ex-révolutionnaire nihiliste en 68) et d'un GI si drogué qu'il s'en était détaché du monde et ne pouvait vivre que dans le chaos du Vietnam d'alors.

L'enquête se termine de façon absolument tragique.

Le héros ne sera plus jamais le même et s'identifiera au parcours de l'objet de ses recherches.

Celui-ci, doté d'une force physique, d'une beauté et d'un courage peu ordinaires, s'avère être un homme torturé, dégoûté par sa naissance et sa richesse, et désireux de l'expier en donnant un sens à son existence.

Lartéguy fait un parallèle audacieux entre son parcours et celui du Christ, le twist final, inspiré par des faits réels, poussant le parallèle jusqu'au bout.

Je ne sais si c'est le romantisme de droite, le protestantisme, le monde colonial ou ce désir de faire le bien, mais ce roman m'a touché au coeur.

Je l'ai refermé avec regret, comme cela m'arrive quand un livre m'a beaucoup plu, et cette histoire me tourne dans la tête depuis.


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