mercredi 27 novembre 2024

Langues internationales (3): l'arabe

J’ai décidé de consacrer mon troisième volet à une langue internationales pas comme les autres: l’arabe.

Langue officielle parmi les six de l’ONU, elle présente deux particularités par rapport à celles que j’ai déjà présentées, l’anglais et le français.

Premièrement c’est une langue sacrée.

Et deuxièmement elle existe sous plusieurs formes, une commune à l’écrit et plusieurs à l’oral.

Je reviendrai sur ces points et commencerai par un peu d’histoire.

Origines

L’arabe est une langue sémitique née dans la péninsule du même nom. Elle s’écrit de droite à gauche avec un alphabet spécifique d’une trentaine de lettres.

Son rayonnement est intrinsèquement lié à celui de la deuxième religion du monde. Il est en effet dit que c’est dans cette langue que l’ange Gabriel dicta au prophète Mahomet le Coran, ce livre sacré qui est la base de l’islam.

L’arabe est donc la langue de Dieu, et elle revêt de ce fait un attrait particulier pour les musulmans des quatre coins du monde, dont beaucoup l’apprennent dans un but religieux, quelle que soit l’aire linguistique où ils vivent.

Peu après la naissance de l’islam, les armées arabes se lancèrent à l’assaut du monde, créant rapidement un gigantesque empire, qui courait de l’Espagne à l’Iran en passant par tout le nord de l’Afrique.

Par le biais du commerce et du prosélytisme religieux  l’expansion arabe se poursuivit également hors des frontières de l’empire lui-même, ses représentants s’enfonçant en Afrique subsaharienne, fondant des établissements sur la côte est du continent et rayonnant jusqu’en Asie du sud (Indonésie, Malaisie…).

Dans toute cette aire culturelle, l’islam se développa et la langue arabe devint celle des élites urbaines, des marchands, des savants et des religieux.

C’est en arabe que les idées, le commerce, la culture, la médecine et la science circulèrent, y compris en Europe (elle apparait ainsi sur les célèbres globes de Coronelli).

L’esclavage des musulmans étant interdit, l’islam et sa langue se diffusèrent également en suivant les routes des traites négrières, la conversion permettant à la fois d’échapper à la servitude et de s’inscrire dans de lucratifs réseaux commerciaux.

L’influence de la langue arabe fut variable selon les territoires. Langue officielle écrite au sein de l’empire, elle marqua plus ou moins profondément les langues locales.

Beaucoup furent transcrites avec son alphabet, y compris celles du monde turc ou de l’Europe, comme l’espagnol ou le bosniaque, et son vocabulaire s’exporta massivement, par exemple dans le français, le persan ou les langues subsahariennes.

Après ce spectaculaire apogée, le monde arabe connut une longue période de reflux, dont il n’est pas encore vraiment sorti.

Tout d’abord l’empire explosa en de multiples états, régions et dynasties.

Il rencontra ensuite un concurrent majeur sous la forme de l’Europe chrétienne et de son irrésistible expansion, notamment à travers les croisades et le long mouvement de reconquête de l’Espagne.

Le coup de grâce vint néanmoins d’Asie puisque ce furent les Turcs, seldjoukides puis ottomans qui prirent peu à peu le contrôle des territoires de peuplement arabe.

Toutefois ces nouveaux maitres étaient d’une part musulmans, et d’autre part peu portés à l’administration directe, préférant généralement gouverner de loin des provinces largement autonomes.

Langue et religion furent donc préservées, et il fallut attendre la fin de l’empire ottoman pour que le monde arabe ait à craindre pour son identité même.

Cette fin commença au 19ième siècle, quand les puissances européennes s’emparèrent progressivement des possessions de la Sublime Porte.

Les nouveaux maitres du monde arabe, qu’ils soient Anglais, Français, Espagnols ou Italiens, renversaient l’ordre religieux du fait qu’ils étaient chrétiens, et apportaient avec eux leurs langues en même temps que leur modernité, causant un bouleversement sans précédent dans toutes les sociétés dominées.

Toutefois, si son empreinte fut profonde, la période dite coloniale fut relativement courte, la durée maximale étant de 132 ans seulement pour certaines régions de l’Algérie.

Au milieu des années 60, au prix de guerres et de négociations, les pays arabes à l’exception de la Palestine, étaient ainsi tous redevenus indépendants.

L’idéologie dominante était alors le panarabisme : les dirigeants des nouveaux pays rêvaient de reconstruire une forme d’empire arabe.

Dans ce but, la plupart d’entre eux lancèrent des politiques d’arabisation/réarabisation de leurs pays, choisissant l’arabe standard moderne (moderne par opposition à l'arabe classique ou coranique) comme langue officielle et la promouvant, quitte à exclure les autres, qu’elles soient pré islamiques, issues de la colonisation, ou dialectale

Diglossie

En effet, la particularité des pays arabophones est que la plupart d’entre eux sont dans une situation dite de diglossie.

C'est-à-dire que si à l’écrit ils ont bien en commun l’arabe standard, qui est officiel ou co-officiel dans pas moins de 24 pays, ce n’est pas cette langue qui est parlée par la majorité des habitants.

En effet, chaque pays, voire chaque région du monde arabe possède une version dite dialectale de cette langue, qui est le moyen d’expression orale de ses citoyens.

La base de ces idiomes, apportée par les conquérants et les imams, est bien l’arabe, qui est une sorte d'équivalent de ce qu'est le latin pour la France, l'Italie, la Roumanie, l'Espagne et le Portugal, mais il est partout métissé et transformé par les différents apports de l’histoire.

La première source d'hybridation vient des langues indigènes, comme celles des berbères dans les pays du Maghreb ou des Coptes en Egypte (ces deux substrats sont toujours utilisés dans certaines franges des populations, parfois de manière exclusive).

La seconde est issue des langues des colons, notamment le français au Maghreb ou au Liban.

Tout cela fait que les pays arabophones sont dans une situation linguistique incongrue pour nous les Européens:

- il y a une langue pour l’écrit, le religieux et tout ou partie des études.

- il y a des langues indigène, plus ou moins répandues et reconnues ou non, comme l’amazigh qui est la deuxième langue officielle du Maroc et de l’Algérie.

- il y a des langues d’usage et/ou d’étude issues du colonialisme, qui continuent à être enseignées et gardent un poids important.

- enfin il y a la langue que la majorité parle et comprend, le dialectal ou la darija.

Cette dernière est la langue la plus répandue et la plus utilisée, mais ne s’écrit pas, ne s’enseigne pas et n’a aucune existence officielle.

La distance entre ce dialectal et l’arabe écrit peut d’ailleurs être très grande. Ainsi les Maghrébins arrivent à peu près à se comprendre entre eux, mais leur parler est inintelligible pour les Libanais ou les Yéménites.

Cette question linguistique est d’ailleurs un sujet politique récurrent dans le monde arabe.

Les islamistes veulent généralement éradiquer toute autre langue que l’arabe pur, rejoint par des panarabes pour d’autres raisons.

L’enseignement des langues européennes reste valorisé par tous ceux qui ont l’ambition de garder un pied dehors, ceux qui sont réalistes par rapport aux opportunités économiques, et aussi par une certaine élite au double discours hypocrite.

Il est ainsi de notoriété publique que les dirigeants algériens, dont l’accusation de la France est le fonds de commerce, mettent tous leurs enfants dans des écoles francophones, la langue de l’ex-colon restant un marqueur social puissant au Maghreb.

Le statut de notre langue fluctue d’ailleurs en fonction de la situation politique, les écoles bilingues et l’enseignement du français avançant ou reculant selon l’état des relations avec l’ex métropole.

Enfin, certains intellectuels militent ou ont milité pour l’officialisation de ces langues dialectales et la création d’une langue algérienne, tunisienne ou égyptienne, mais ils sont minoritaires.

Objectivement, on constate que la situation évolue lentement, même si plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis les indépendances et que la très grande majorité des gens est né après la décolonisation : cette diglossie ne parait donc pas près de disparaitre.

Cerise sur le gâteau : l’anglo-américain apporte là-bas comme ailleurs une nouvelle couche linguistique.

Extensions et futur de l’arabe

Je terminerai en parlant du poids de cette langue en dehors du monde arabe proprement dit.

Les dynamique démographiques du monde nous indiquent une augmentation continue du nombre de musulmans, qui devrait dépasser celui des chrétiens d’ici quelques décennies.

L’islam deviendra alors la première religion du globe, ce qui est une garantie pour lepoids et l'influence à la langue arabe.

On voit aussi que les états du Golfe, riches de leur pétrole, ont su développer une forme de modernité halal dont l’autoritarisme ne réduit pas le soft power : Dubaï fait rêver en Occident, et pas seulement les diasporas.

Ces dernières jouent également un rôle important dans l’influence de la langue arabe, surtout en Europe, où leur importance croit d’autant plus que notre continent est entré dans un hiver démographique (pour rappel, depuis bientôt dix ans un nouveau-né français sur cinq reçoit un prénom arabo-musulman).

On constate ainsi que les arabes, dialectaux ou non imprègnent de plus en plus les langues des pays d’accueil.

Toutes proportions gardées, c’est un peu comme au moyen âge, quand l’import de mots arabes était très fort, ou comme à l’époque coloniale française, quand notre langue importait en masse des mots du Maghreb, notamment par le biais de l’armée.

N’oublions pas non plus que plusieurs langues dans le monde utilisent toujours l’alphabet arabe, et des majeures, comme le persan ou l’ourdou.

Même si d’autres ont renoncé à cet alphabet par le passé (le cas le plus spectaculaire étant la Turquie voici un siècle), cela lui assure une importance certaine.

Pour terminer, notons que l’arabe a des langues "cousines".

Elle est une source d'influence majeure dans la construction du swahili, langue officielle de facto de la Tanzanie et véhiculaire dans bon nombre de pays d’Afrique

Une de ses variantes a également donné naissance à la langue maltaise, même si celle-ci s'écrit avec l'alphabet latin.

Enfin, la langue hébraïque moderne doit, de façon un peu ironique, beaucoup à l'arabe, d'une part parce que lorsqu'elle fut ressuscitée par Ben Yehouda, celui-ci s'inspira des parlers arabes (ce qui était logique vue leurs origines communes), et d'autre part du fait de la présence des 20% d'arabophones qui vivent en Israël.

Précédent: Langues internationales (2) : le français

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