Le style de musique algérien qu'on appelle raï est né dans la région d'Oran.
Chanté généralement en arabe dialectal, ses racines sont issues de la culture musicale du pays, auxquelles sont incorporées des influences extérieures, que ce soit en utilisant de nouveaux instruments comme les synthétiseurs ou en s'inspirant d'autres styles comme le funk, le disco ou le RnB, voire la variété française.
Dans les années 90, le raï est sorti de son pays pour partir à la conquête du monde. C’est via l’importante diaspora algérienne en France que cette musique s’internationalisa.
A cette époque il y eut en effet une sorte de moment raï dans notre pays, avec de nombreux titres qui passaient à la radio ou à la télé, des stars médiatisées, etc.
Ce tremplin hexagonal s’explique également pour une raison plus tragique. Ces années sont en effet aussi celles de la guerre civile qui déchira l’Algérie, dans la période qu’on connait désormais sous le nom de décennie noire.
Elle démarra par l’annulation du premier scrutin démocratique depuis l’indépendance, le gouvernement FLN s’opposant à la victoire du FIS, l’alternative islamiste qui avait raflé la mise.
A partir de ce moment-là, des groupes armés prirent le maquis et semèrent la terreur. Le pays sombra dans le chaos et le sang : tout ce qui était ou semblait lié à l’Occident était la cible de ces mouvements, mais également ce qui était considéré comme impie et non islamique.
Parmi la très longue liste de choses et gens vérifiant ce critère, il y avait les chanteurs de raï, dont bon nombre traversèrent alors la Méditerranée pour ne pas finir égorgés.
De ce fait, la scène raï française s’enrichit, se structura et devint plus importante, avant de quitter sa niche pour un temps devenir mainstream. Et parmi les nombreux artistes qui percèrent à ce moment-là, il y avait Cheb Khaled, l'auteur du monumental titre Didi que je vais évoquer aujourd'hui.
Je n’étais pas du tout fan de raï à l’époque, aujourd’hui non plus d’ailleurs, mais c’est pour d’autres raisons que je voulais parler de ce tube, qu’avec le temps je me suis mis à aimer.
Khaled est un chanteur très expressif, à la voix puissante et selon ses pairs (notamment Jean-Jacques Goldman qui lui écrivit un de ses hits) un très bon musicien.
Dans Didi il chante avec passion ce qui semble une supplique amoureuse, accompagné par un orchestre qui souligne ses refrains avec éclat, mêlant instruments traditionnels et modernes dans un rythme balancé et très entraînant.
Dans le clip il est entouré de jeunes des deux sexes qui dansent : ces gens nous ressemblent et cette vidéo, plutôt banale en soi, respire l’hédonisme, la fête et la joie de vivre.
C’est cet aspect sur lequel je reviens, parce qu’avec le recul, on se rend compte que ce clip illustre une période disparue, celle où les peuples du Maghreb étaient plus proches de l’Occident, où l’islam était une religion plus qu’un mode de vie et où finalement un Algérien ressemblait simplement à un Italien ou un Corse qui ne mangerait pas de porc et ne boirait pas d’alcool.
La deuxième guerre d’Algérie s’est terminée par la défaite des maquis islamistes, dont les survivants furent invités à se rendre en échange d’une amnistie.
Ce fut une défaite militaire, mais une victoire idéologique, puisque beaucoup de choses changèrent durablement, dans la mesure où l’on assista à un virage très net dans l’idéologie et les modes de vie.
Le réveil islamique a fait que l’endogamie est devenue plus stricte, l’habillement, surtout féminin, plus halal, l’alcool plus clandestin, le sécularisme plus fragile avec une répression accrue des voix non musulmanes.
Et à partir de là, en écho avec leurs sociétés d’origine, les diasporas maghrébines ont changé à leur tour.
Ses membres ne sont désormais plus seulement les successeurs des Portugais, des Italiens ou des Polonais, mais également autre chose.
Ils sont l’enjeu d’une bataille entre deux modèles de société au pire incompatibles, au mieux franchement disjoints et dont les frictions sont quotidiennes dans tous les lieux où l’on cohabite, de l’école à l’hôpital en passant par la rue, les administrations ou le travail.
Quoi qu’il sorte de cette angoissante confrontation et des bouleversements que continuent de vivre les pays du Maghreb, rien n’est fatal ni écrit, et Didi en est un beau témoignage.
Précédent: Chanson (28): The cold song
Précédent: Chanson (28): The cold song
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire