mardi 6 mai 2025

Réflexions sur l'Europe

Toute ma jeunesse j’étais un pro européen convaincu.
 
J’ai à chaque fois voté pour les candidats qui poussaient dans ce sens, je me suis réjoui des élargissements, des traités de « simplification », de Schengen et de l’euro.
 
J’ai été scandalisé du double jeu des Britanniques, convaincu que l’Allemagne et la France œuvraient dans le bon sens, qu’il fallait tendre la main vers les pays plus pauvres du continent.
 
Pour moi l’UE était le moyen de souder tous ces pays qui avaient des référents culturels communs (d'où mon constant rejet de la Turquie), d’éteindre définitivement des vieux contentieux territoriaux, comme l’Alsace ou le Pays basque pour la France ou l’Ulster pour le Royaume-Uni : en supprimant les frontières internes et avec une même monnaie ces revendications n’auraient plus de sens.
 
Je pensais aussi qu’elle nous permettrait de converger rapidement en termes de niveau de vie, que les pays riches profiteraient des marchés captifs que constituaient les nouveaux entrants, tandis que ces derniers rattraperaient leurs retards grâce aux transferts financiers et au subventionnement d’infrastructures, et que des aides permettraient l’atterrissage en douceur des secteurs en crise.
 
Enfin, j'imaginais que l’UE serait l’outil qui nous permettrait de dépasser le poids de plus en plus modeste de notre pays en troquant notre souveraineté française contre une souveraineté continentale, et qu'une politique sur cette nouvelle échelle nous permettrait de nous débarrasser de notre statut de vassal de l’Oncle Sam et de peser en toute indépendance sur le monde.
 
Aujourd’hui je me rends compte d’à quel point j’avais tout faux.
 
En résumé, ma vision est plus ou moins celle d’une UE qui serait une grande France multilingue, une extension de notre système français qui, s’il n’est pas pire qu’un autre, n’est qu’une variante dans la liste des possibilités et surtout dans la liste des modèles adoptés par les membres de l’UE.
 
L’Allemagne a une vision fédérale de l’UE, la Grande-Bretagne un regard très anglo-saxon, jaloux de son indépendance et souhaitant seulement un espace de libre échange sans lois, comme l’est l’AELE, cette organisation concurrente qu’elle initia dans les années 60 avant de rejoindre sa rivale (dont on a vu qu’elle a fini par la quitter).
 
Les petits pays sont plus américanophiles, à la fois pour les garanties militaires et parce que ce tuteur extérieur lointain réduit le poids des grands membres, ce qui est sans doute plus confortable pour eux ainsi (un peu comme les Amérindiens québécois préfèrent le Canada au Québec).
 
Cette américanophilie est particulièrement marquée dans les anciens pays communistes (rejet de l'URSS oblige), qui sont aussi généralement plus nationalistes et donnent souvent l’impression de ne voir l’union que comme une simple vache à lait.
 
L’Europe méditerranéenne est plus sensible aux problèmes soulevés par la pression migratoire issue de la rive du sud de la mer, l’Europe de l’Est est plus préoccupée par le voisinage russe.
 
Les pays dont la monnaie était faible ne goûtent guère l’orthodoxie de l’euro, qui pour eux ressemble trop à un nouveau Deutschemark déguisé.
 
Le référent religieux, épouvantail en France, est revendiqué dans beaucoup de pays, notamment ceux qui ont eu à subir le joug ottoman et celui du communisme.
 
Etc.
 
Au final, dans cette variété se dessinent quand même des convergences, mais pas forcément dans les domaines que j’imaginais.
 
Tout d'abord du fait de la doxa bruxelloise de la libre concurrence, on constate partout une augmentation globale des inégalités et de la fracture entre les in et les out de la mondialisation (métropoles vs arrière-pays), ce qui se traduit de plus en plus par des oppositions politiques global vs local.
 
On note aussi une progression frappante de l'américanisation : la culture commune à tous les pays de l'UE est made in USA, sur fond de ralliement général à la langue anglaise.
 
Celle-ci est réellement devenue la véritable langue de l'UE, à rebours du multilinguisme initial qui a vécu, et notamment sous l’impulsion d’une Europe du Nord qui l’a choisie et promue depuis très longtemps (lire ICI et ICI).
 
Il est aussi frappant de voir à quel point l'UE se construit via des mouvements transnationaux qui l'utilisent à leur bénéfice.
 
Cela peut être les migrants, clandestins ou non, qui savent où débarquer en fonction de la législation du moment, et qui une fois dans la place utilisent les mécanismes de Schengen pour se rendre vers leur destination finale.
 
Les mouvements extrémistes jouent la même partition. Les QG islamistes de Molenbeek en Belgique et du Londonistan anglais sont bien connus, mais il y eut aussi la radio néonazie danoise ou les relais d’états malveillants tels que Russie et Chine qui poussent leurs pions en fonction de la situation.
 
La criminalité s’est également admirablement bien adaptée au système européen, se jouant des frontières, investissant dans les activités légales d’un pays l’argent récolté illégalement dans un autre (le livre Gomorra décrit très bien cela).
 
L’optimisation fiscale et l’exploitation de la loi du moins disant est aussi une réalité qui structure l’UE.
 
Nombre de sièges d’entreprise sont à Amsterdam ou Dublin pour avoir un pied en Europe en y payant le moins d’impôts possible, et certaines entreprises plus modestes jouent aussi là-dessus.
 
Avant le célèbre plombier polonais, on a eu le scandale des salons de coiffure français ayant leur raison sociale au Royaume-Uni ou celui des salariés détachés de Roumanie travaillant en France avec un contrat roumain.
 
Plus récemment, le drame de l’affaire Nahel a mis en en lumière les montages d’entreprises qui louent à Marseille des grosses voitures en utilisant une raison sociale polonaise pour profiter des règles plus permissives de Varsovie.
 
Dernier point et non le moindre: l’ouverture à tout crin qui est l'idéologie de l'UE la rend perméable à toutes sortes d'influences étrangères qui peuvent orienter sa politique.
 
On sait notamment qu’il y a un lobbying complétement hors contrôle à Bruxelles, avec en 2025 pas moins 50.000 lobbyistes en activité autour des 720 eurodéputés (ICI et ICI).
 
Ils sont anglo-saxons évidemment, ceux-ci ayant presque réussi à faire nommer à la commission une Américaine ex-employée des GAFAM, mais aussi russes, chinois ou qataris, ces derniers ayant été identifiés dans une gigantesque affaire de corruption.
 
Autre exemple marquant : le parrainage par le conseil de l’Europe d’une campagne Hijab is freedom  dans un continent où les musulmans sont encore largement minoritaires. Malgré un rétropédalage précipité, cette histoire souligne le poids de l’entrisme des frères musulmans.
 
Devant tout cela on ne peut pas ne pas se demander si l’UE est vraiment au service de ses citoyens et si la caricature d’une hyper-structure mondialisée à la botte des plus riches et ne rendant de compte à personne est vraiment loin de la réalité.
 
Le refus de prendre en compte le non aux référendums français et néerlandais de 2005 avec passage en force du traité renforce cette idée de déficit démocratique.
 
De ce fait, sur tout le continent l’UE est devenue le bouc émissaire pour tout ce qui ne va pas.
 
Un peu partout des partis eurosceptiques récupèrent colères et anxiétés, et se font élire les uns après les autres, la relative réussite du Brexit (dans le sens où le Royaume-Uni ne s’est pas brutalement écroulé comme certains le prédisaient) amenant de l’eau à leur moulin.
 
On a aussi le sentiment que chaque grande crise augmente les fractures existantes.
 
La crise financière de 2008, la vague de migrants orientaux de 2015, le COVID, l’invasion russe de l’Ukraine...à chaque fois on a vu les états membres entrer en conflit, certains refuser de tenir compte de la législation et d'autres imposer leurs choix.
 
Pour le moment, l’UE existe encore, mais dans quel état ?
 
J’ai l’impression que nous sommes embourbés dans une situation intenables : trop intégrés pour revenir à une souveraineté nationale pleine et entière, mais pas assez pour exister politiquement, nous sommes bloqués au milieu du gué, condamnés à rester cette maison ouverte aux quatre vents où chacun vient se servir et que tout le monde méprise, ce bloc paralysé qui subit plus qu’il n’agit et dont les citoyens sont des spectateurs impuissants.
 
Combien de temps cela peut-il durer ? Combien d’années peut-on vivre dans cette situation ?
 
La cote de Bruxelles est donc au plus bas, à juste titre, et moi-même je n'arrive plus à croire à ce modèle.
 
Toutefois si l’on dissolvait l’UE aujourd’hui, que se passerait-il ?
 
Nous redeviendrons un ensemble de petits pays, voisins et concurrents. Chacun d'entre nous devrait se choisir un ou plusieurs suzerains, de manière encore plus contrainte qu’aujourd’hui.
 
Et tout cela se produirait dans un monde où notre poids relatif ne cesse de baisser, que ce soit d'un point de vue démographique, culturel ou économique.
 
Qui peut croire que la Slovaquie s’en sortirait mieux détachée de Bruxelles ? Est-ce Poutine qui subventionnerait leur agriculture et leurs autoroutes ?
 
Et à propos de Poutine, combien de temps des états baltes hors UE mais avec leurs 30% de Russes tiendraient-ils avant d’être dépecés ?
 
Idem pour la Grèce. Ruinée et vieillissante, qu’est-ce qui la mettrait à l’abri du révisionnisme turc, dont on sait qu’ils revendiquent une grande partie des îles sous souveraineté athénienne ?
 
Et la dette française, ne ferait-elle pas fuir les banques si notre économie cessait d'être adossée à celle de l'Allemagne, du Benelux, de l'Italie et des autres?
Etc.
 
L’insistance de pays comme la Macédoine du nord ou la Serbie pour rejoindre le club devrait nous faire réfléchir à ce que nous avons à perdre.
 
Il est certain que ça ne marche plus vraiment, mais plutôt que de jeter le bébé avec l'eau du bain il faudrait revoir le modèle, en priorisant les questions pratiques.
 
Il faut fermer plus notre espace économique, par exemple en réservant une part des marchés publics à nos entreprises, comme le font tous les grands pays, et favoriser des alternatives européennes à chaque fois que c’est possible, pour réduire notre dépendance à l'extérieur et stimuler notre créativité.
 
Il faut augmenter les synergies militaires et peut-être encore plus policières et douanières pour que la criminalité organisée cesse de se jouer de nous.
 
Il faut règlementer le parlement pour en chasser les lobbies ou du moins les forcer à avancer à visage découvert.
 
Il faut peut-être réduire la liberté de circulation sous une certaine forme, pour éviter la fuite des cerveaux, le dumping social et la mobilité du crime.
 
Il faut certainement moins intervenir dans le sociétal et le religieux autochtone, en se reconcentrant sur les droits individuels de base sans tenter d’imposer un introuvable modèle unique et de promouvoir les idées de certains.
 
Il faut probablement, et c’est sans doute le plus difficile, mettre en place un système qui pénalise les pays qui font de l’antijeu.
 
En fait, nous devons reprendre conscience de quelques faits réels et concrets et agir en conséquence.
 
Le sentiment d’identité européenne n’existe pas chez la plupart des gens et il n’existera peut-être jamais.
 
En revanche, il est clair pour tous qu'i! y aura toujours une Russie et un monde arabe dans notre voisinage, et que nous devrons longtemps encore tenir compte des velléités impérialistes des US et de la Chine (en attendant les prochains).
 
Nous serons aussi toujours les voisins des Belges, des Allemands, des Espagnols ou des Italiens, et quand quelque chose se passe chez l’un d'entre eux, cela aura toujours des conséquences chez les autres.
 
Ce voisinage et l’héritage commun à tous les pays européens font que nous avons une foule de problèmes en commun, de la concurrence au vieillissement en passant par les défis industriels ou écologiques, l’immigration clandestine et la sécurisation de l'accès aux matières premières.
 
Tous ces constats devraient être suffisants pour nous faire comprendre l’intérêt concret d’être alliés et donc l’importance d’une UE sous une forme ou une autre, parce qu’il y a toutes les chances que ce soit pire sans elle qu’avec elle.
 
Soyons des Européens de raison en somme, loin de l'utopie et dans le concret parce que c’est la condition pour exister dans un monde justement de moins en moins européen.

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