Un de ces dimanches j’ai passé un moment assez désagréable.
Durant le repas, je me suis retrouvé avec une personne d'extrême droite, du modèle "matrixé" comme disent mes enfants.
Elle est partie sur un discours structuré et argumenté à propos de la sinistre actualité mondiale pour en arriver à quelques discours intensément pro-Poutine, pour la tradition et exaltant la supériorité de la religion chrétienne, de préférence orthodoxe.
Passionnée, voire obsessionnelle, je sentais qu'elle croyait profondément à ce qu'elle disait, qu'il serait très dur de souligner les contradictions ou les prémisses fausses, voire que ça pourrait même être dangereux, dans le sens où ça pourrait ébranler un équilibre personnel qu'on sentait largement construit sur ces idées.
J'ai mollement répondu, laissant entendre que je n'étais pas franchement d'accord, et me suis échappé de ce sujet le plus rapidement que j'ai pu.
Cette personne est par ailleurs quelqu'un que j'estime beaucoup, courageuse et droite, impliquée dans sa famille et ses amis, et porteuse d'une grande intégrité morale.
En fait, c'était l'archétype de l'homme de conviction, dont j'ai croisé beaucoup d'avatars au cours de ma vie.
Celui-ci était d'extrême droite, mais le modèle peut se décliner à l'infini. Il aurait pu être écologiste, musulman, lutte ouvrière ou témoin de Jéhovah, cela importait peu, j'aurais trouvé les mêmes caractéristiques.
Attention, je ne dis pas que toutes les idéologies et religions se valent, simplement qu'il y a un profil d'homme "engagé" que l'on peut retrouver partout.
Mon premier contact avec ce genre de personne a été religieux.
Les rituels de ma famille protestante étaient nombreux: culte dominical, prière ou chants avant le repas, magazines de lecture bibliques adaptés aux âges, disques de cantiques...
Il y avait des rites de passage aussi: camps de vacances, école du dimanche (autre nom du catéchisme), puis communion (une seule) ouvrant le droit à participer à la Saint Cène.
Dans ma famille proche, ce protestantisme était paisible et non envahissant, une sorte de variante du catholicisme tranquille de mes amis du coin.
Mais une partie de ma famille était beaucoup plus impliquée et militante, avec une vie organisée autour de Dieu et des fidèles.
Ils n'étaient pas en conflit ouvert avec le reste du monde, mais détenant la vérité, ils leur étaient supérieurs, et avaient pour devoir de témoigner pour les amener à la vraie foi, et aussi de se préserver de la tentation en restant au maximum entre eux.
Avec le temps et les rencontres, j'ai pris mes distances avec cette vision des choses.
Je n'ai jamais heurté frontalement ni rejeté tous ces gens, d'abord parce que je crois à la liberté d'opinion tant que les autres sont respectés et c'était le cas.
Et ensuite parce qu'une grande partie d'entre eux était réellement sympathique, et "faisait le bien" dans l'optique chrétienne certes, mais avec pour résultat tangible de donner aux pauvres, de garder des enfants handicapés, de monter des structures de charité, etc...de faire tous ces actes qui améliorent concrètement la vie des autres.
Parmi eux il y eut même des gens qui aidèrent des esclaves en fuite au début du 20ième siècle et d'autres qui cachèrent des juifs pendant les rafles allemandes de la seconde guerre mondiale.
Quelle que soit l'idéologie ou la croyance qui les motivaient, ces actes courageux restent des actes courageux, qui méritent respect et admiration.
Pendant la période difficile où j'oscillais entre sortir du groupe et y rester, alors que je constatai que peu à peu la magie divine ne fonctionnait plus pour moi, j'ai ferraillé plus d'une fois avec de vrais croyants missionnaires convaincus qui désiraient me ramener au bercail.
C'était des moments pénibles et douloureux, et lors du "débat" qui m'a inspiré ce post, j'ai eu le sentiment de rejouer cette partition.
Ce n'était pas la première fois d'ailleurs, ça m'est même arrivé souvent, que ce soit avec une amie algérienne qui est aussi une pieuse musulmane au prosélytisme discret et aux convictions en béton, ou avec un collègue d'origine cambodgienne qui avait rencontré tardivement le Bouddha.
Curieusement, je ne crois pas avoir rencontré de catholiques prosélytes: plusieurs fois des croyants parfois très fermes, mais toujours avec une distance supplémentaire. L'effet majoritaire? La domination de la gauche culturelle dont l'anti catholicisme est un pilier?
L'état d'esprit que je décris se rencontre aussi côté politique.
Je l'ai souvent vu chez certaines personnes de gauche et d'extrême gauche ancienne version, dont j'ai côtoyé un grand nombre pendant la première moitié de ma vie et dont certains essayaient aussi de me convertir.
Enfin plus récemment je l'ai vu chez l'extrême droite et chez les "wokes", c'est-à-dire la gauche moderne. Mais cette dernière n'a pas cherché à me convertir vu qu'étant un homme hétérosexuel, blanc, chrétien et quinquagénaire j'appartiens à la catégorie irrécupérable de leur système.
Quels sont les points communs que je trouve entre tous ces gens, qui généralement se détestent entre eux et se considèrent comme diamétralement opposés?
Il y a tout d'abord une conviction très marquée, une idée centrale, que constitue pour ainsi dire la racine et l'enjeu de leur vie.
Chacun à sa manière va essayer d'appliquer cette conviction dans sa vie. Ils ne se contentent pas seulement d'une adhésion intellectuelle, ils veulent pratiquer, montrer.
Les plus visibles de ces pratiquants sont aujourd'hui les musulmans et les écologistes, chez lesquels l'ostentation fait partie de la conviction.
Le deuxième point c'est que de leur croyance découle une mission, qui est de corriger le monde, de convaincre et/ou de combattre ceux qui sont dans l'erreur, de les "sauver" au sens biblique du terme, surtout lorsqu'il s'agit de personnes qu'ils aiment ou estiment.
Cette combinaison fait qu'il peut être douloureux de débattre avec ces personnes, parce que certaines d'entre elles débordent de bonne volonté et de sincérité, et veulent notre bien avec une telle force qu'on peut être gêné ou effrayé de refuser.
L'opposition frontale peut d'ailleurs ne pas être sans conséquences. On sait le sort réservé aux apostats par les musulmans, mais sans aller jusque-là les personnes convaincues ont souvent une vision binaire nous/eux très marquée.
Refuser de rejoindre le droit chemin sera payé par l'enfer, et ne pas prendre leur vérité avec suffisamment de sérieux peut constituer un affront et transformer l'amour en haine brutale.
J'ai personnellement un scrupule plus personnel à aller à l'affront, c'est la peur de convaincre.
La perte de la foi est un événement très dur, profondément déstabilisant. Son monde s'écroule, et certains ne peuvent pas le supporter.
Un dernier point que j'ai pu noter chez les "engagés" c'est une dose plus ou moins grande sinon de paranoïa, du moins du sentiment d'être la victime des autres, d'une injustice, que leur groupe n'a pas la place qu'il mérite et qu'on lui fait du tort.
Je me rends compte que mon portrait est plutôt à charge, mais comme je le disais en parlant de l'homme qui m'a inspiré ce post, les gens de ce modèle sont souvent courageux, persévérants, entreprenants et moins sensibles au désespoir.
Je pourrais donner comme exemple les gens qui travaillent aux soins palliatifs et ceux qui accompagnent les condamnés à mort, que ces derniers le soient par la maladie ou la justice.
On sait que les croyants sont sur représentés parmi ces postes.
Il faut en effet une force peu commune pour se croire capables d'apporter quelque chose à des gens qui vont mourir, cette force s'appuyant en l'occurrence sur la conviction qu'il y aura autre chose après, que rien n'est joué, etc.
Dans le cadre des guerres, on peut aussi penser aux kamikazes, dont le sacrifie pour une cause s'appuie sur une croyance inébranlable en cette cause.
Je me souviens d'avoir lu un témoignage des révoltés syriens de 2011, admiratifs du mépris de la mort affiché par les mouvements jihadistes attaquant sans ciller les troupes d'Assad.
Plus près de nous le gendarme Beltrame était un catholique convaincu, et ses proches disent que ça a joué dans son sacrifice héroïque lors de la prise d'otages.
Je terminerai par trois points.
Le premier c'est qu'il est souvent difficile de vivre avec des gens réellement engagés.
D'une part, ils ne pourront jamais plier le monde dans le sens qu'ils souhaitent mais n'y renonceront jamais: ils seront donc toujours insatisfaits.
D'autre part, ils vivent difficilement l'altérité, tellement au coeur de nos sociétés actuelles, et notamment l'altérité qui leur ressemble, les autres engagés.
Le second point c'est que j'ai souvent eu l'impression que certains sont pré disposés à l'engagement, que cette prédisposition soit innée ou liée à l'éducation (quelque part, je suis un peu concerné).
J'ai souvent été épaté par les parcours de maoïstes convertis à l'islam radical, de gens d'extrême gauche passés à l'extrême droite, etc, comme s'ils avaient besoin d'un absolu en béton pour être eux-mêmes, soit la nature dudit absolu ne comptant finalement pas tant que ça.
Enfin, le dernier point c'est que les vrais croyants ne sont pas si nombreux.
Beaucoup de militants ne font que suivre le mouvement, par conformisme, par intérêt, parce que ça leur apporte une gratification quelconque, parce que c'est à la mode, etc.
Et finalement je me dis que c'est peut-être mieux comme ça.
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