vendredi 3 mai 2024

Diams et Renaud

Pendant mon adolescence, j'étais un grand fan du chanteur Renaud.

J'aimais son humour vachard, je trouvais ses portraits justes et sensibles, même si le monde qu'il décrivait (Paris et sa banlieue) étaient à des kilomètres du mien, et ses accès de désespoir me parlaient beaucoup.

Dès le début, j'avais néanmoins un peu de mal avec son engagement manichéen et son adhésion à l'extrême gauche.

Plus tard, avec la découverte de la véritable histoire des régimes communistes et la rencontre de vrais gauchistes lors de mon passage en fac, c'est même devenu rédhibitoire et j'ai arrêté de l'écouter.

J'y suis cependant revenu avec l'âge, réécoutant avec plaisir de temps à autre ses albums, qui furent une importante partie de la bande son de ma jeunesse.

J'apprécie à nouveau sa sensibilité, son humour, sa verve poétique, et je laisse de côté ses délires faucille/marteau.
 
Cinquante ans après les débuts du "chanteur énervant", ainsi que Thierry Le Luron l'avait fort justement surnommé, est apparu le phénomène Diams, que j'ai découvert via son insupportable (à mon goût) hit DJ, puis par les articles et reportages élogieux qui se succédaient à l'époque où on l'entendait partout.

Cette chanteuse au physique plutôt ordinaire (c'est hélas assez rare pour être noté), fille d'un chypriote grec et d'une mère française, représentait une nouveauté dans le milieu du rap français, alors très immigré, très masculin et plutôt misogyne.

Pleine d'énergie, avec un vrai sens de la rime, elle racontait sa vie de banlieusarde moderne, son vécu, ses drames et ses rêves, dans des mots qui parlaient à des milliers de jeunes et qui débordèrent largement de son public initial.

A l'instar de Renaud, c'était aussi une chanteuse dite engagée.

Ses rimes critiquaient la police, son pays, les conservateurs et le FN, appelaient les classes populaires à voter, dans un noir et blanc aussi peu nuancé que son prédécesseur.

Très vite, elle m'a énervé.

Sa critique ad hominem de Marine Le Pen qu'elle accusait d'être "trop pâle" (imaginons les réactions si quelqu'un décrivait Diams comme "trop bronzée"), le dégoût qu'elle exprimait envers la France profonde à laquelle elle reprochait d'aimer Les choristes et Laurent Gerra, sa glorification de l'heure américaine, toutes ces flèches réductrices et partisanes m'ont hérissé le poil.

Parlant un jour d'elle avec un ami, celui-ci m'a fait remarquer que c'était en quelque sorte un équivalent de Renaud pour son époque. Je n'y avais pas pensé mais en fait il y a en effet beaucoup de ça.

Une fois le marxisme enlevé et le contexte mis à jour (moins d'usines mais plus de diversité dans les banlieues), on retrouve la gouaille, la plume, le parti pris et le monde outrancièrement noir et blanc du chanteur énervant.

Un autre point commun entre les deux est qu'ils ont fini tous les deux par se briser.

Renaud, est en effet devenu un alcoolique notoire, fait dix ans de plus que son âge, a perdu inspiration (c'est lui qui le dit) et voix, semble perpétuellement en dépression et ses concerts sont devenus pathétiques.

Est-ce les conséquences d'une addiction si précoce qu'il l'a toujours chantée? Ou est-ce la conscience d'être devenu une caricature dans un monde où toutes ses idées se sont fracassées?

En effet, le massacre de Charlie Hebdo (où il avait amis et argent) par des ennemis que son camp refuse/a refusé de nommer, le virage tradi nationaliste de l'ancien paradis socialiste devenu poutiniste, la bigoterie musulmane qui a remplacé le "ni dieu ni maître" dans l'ex banlieue rouge, l'américanisation profonde du pays...tout est allé à rebours du sens de l'histoire marxiste qui constituait la colonne vertébrale des idées de Renaud.

Aujourd'hui il donne l'impression de tenir grâce à une popularité restée si immense qu'on lui pardonne tout, mais c'est bien souvent une ombre.

Quant à Diams, apparemment entrée en dépression sur fond d'un succès qui la dépassait, elle n'est pas tombée dans l'alcoolisme, mais dans une drogue dure sans doute encore plus malfaisante: l'islam salafiste, dans lequel elle s'est précipitée, reniant son passé, adoptant les codes les plus durs et allant jusqu'à s'installer en Arabie Saoudite.

C'est à la fois ironique et déprimant de voir la fille qui appelait à voter, qui vantait la diversité, le métissage et l'Amérique embrasser la vision du monde totalitaire du pays qu'elle s'est choisie.

En effet, dans cette monarchie absolue qui possède encore des bourreaux, la police et ses pouvoirs sont à des kilomètres de ce qu'elle dénonçait en France, les femmes dépendent d'un parent mâle pour toute action, la tolérance religieuse et sexuelle n'existe pas, etc.

Comme le soulignait jadis Kamel Daoud, l'Arabie saoudite est un Daesh qui a réussi et c'est ce modèle que Diams, la voix des opprimé(e)s de France, a choisi.

Longtemps Renaud avait lui aussi encensé une utopie meurtrière qui avait sa Mecque à elle: l'URSS.

Malgré son dévouement pour ce pays, celui-ci lui avait réservé un accueil mitigé: lorsqu'il y chanta un jour son titre Le déserteur tout le monde quitta la salle (témoignage ICI), évidemment sur commande comme tout dans ce qui s'y faisait alors, mais il en avait été meurtri.

L'écroulement de l'Union soviétique et celui du PC le laissèrent sans doute orphelin, comme tant d'autres, ce qui a peut-être contribué à sa chute.

Pour en revenir à la similarité de choix pour Diams et Renaud, ils ne regarderaient qu'eux si en tant que personnages publics ils ne le vendaient pas, la complaisance actuelle de nos médias avec l'islamisme valant bien leur précédente marxistophilie.

En effet, comme jadis avec le communisme, ils donnent régulièrement la parole à l'ex-chanteuse, ce qui lui permet (outre de gagner du fric) de promouvoir sa vision du monde, ancrant dans la tête de ses fans que celle-ci est équivalente à toute autre.

On pourrait se dire pourquoi pas?
 
Et bien parce que ces médias, qui généralement vantent le pluralisme, omettent de dire que l'islamisme comme le communisme sont justement la négation du pluralisme, que dans le monde qu'ils proposent il n'y a qu'une seule voix au chapitre, les autres étant impitoyablement réprimées.
 
Et cela alors même qu'ils sont vent debout pour dénoncer le sectarisme et l'intolérance quand ils viennent de l'extrême droite traditionnelle. C'est malhonnête et ça ôte à ces deux autres totalitarismes leur caractère éminemment dangereux.

Dans le cas de Diams, cela véhicule aussi l'idée que l'islam et le salafisme/l'islamisme c'est la même chose (ICI un article très intéressant sur ce paradoxe), ce qui est aussi faux que dramatique.

En tout cas, en attendant que l'idéologie destructrice qui a récupéré Diams finisse par connaitre le sort de celle de son prédécesseur (même si ça ne semble hélas pas pour demain), je pense que mon ami avait raison, et que quelque part cette fille a bel et bien été la Renaud de sa génération, douée, hypersensible, agaçante et complaisante avec une alternative à la société qui l'a faite.

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