dimanche 19 mai 2024

Le monde va mal (c'était mieux avant 2)

Ces dernières années les bruits de botte recommencent à se faire entendre, de plus en plus proches. 

Turquie, printemps arabes suivis de nouvelles dictatures et du monstre Daesh, invasion de l'Ukraine par Poutine, nouveau Mao en Chine, etc.

Parallèlement, dans nos pays occidentaux se sont réveillées des voix qu'on espérait rangées dans les oubliettes de l'Histoire: aux quatre coins de l'Europe, l'extrême droite, sous d'anciennes ou de nouvelles formes, relève la tête et devient incontournable.

Elle chemine en parallèle avec ses cousines venues dans les bagages de l'immigration, version rétrograde et totalitaire de l'islam en tête, qui poussent leurs pions partout, ainsi qu'avec un retour des séparatismes, post coloniaux (Nouvelle Calédonie) ou non (Catalogne).

Si l'on ajoute à ça le réchauffement climatique, la désindustrialisation, la surpopulation et les flux migratoires incontrôlables, la déculturation sur fond d'anglicisation, les effets délétères de l'individualisme et des changements sociaux des dernières années, de la fin des récits mobilisateurs à la solitude des anciens en passant par le vieillissement et une délinquance plus précoce et violente que jamais, on a l'impression que tout va mal.

Et comme à chaque fois qu'on a cette impression, on a la nostalgie de périodes plus heureuses et plus sûres, et revient la petite musique du c'était mieux avant.

Je n'échappe pas à ce travers, repensant plus souvent qu'à mon tour avec de la mélancolie et un sentiment de perte aux années où tout allait mieux, même si matériellement j'étais beaucoup plus limité.

Pourtant si j'analyse plus finement, ça ne tient pas vraiment la route.

Prenons les alentours de 1985 par exemple, période qui entre dans ma nostalgie personnelle.

Cette année-là, l'Europe comportait encore pas moins de 8 dictatures (1), sans compter les 6 pays (2) qui étaient alors réduits à l'état de RSS, donc à des colonies soviétiques. Là-bas, les régimes étaient en pleine déliquescence et plus que jamais ne tenaient que par la terreur.

On peut y ajouter les 3 pays du sud de l'Europe qui ne connaissaient la démocratie que depuis moins d'une décennie (3).

Si l'on complète le tableau avec les régimes uniformément autoritaires de l'autre rive de la Méditerranée, l'environnement proche de la France n'était pas particulièrement apaisé.

Et si l'on regarde aussi dans les extensions de notre continent qui complètent le monde occidental, ce n'était guère mieux.

L'Amérique latine, quand elle ne se déchirait pas dans d'interminables guerres civiles, se divisait entre quelques régimes d'extrême gauche comme Cuba, et de sinistres dictatures d'extrême droite.

Ces dernières inspiraient d'ailleurs beaucoup nos chanteurs, comme le témoignent quelques hits majeurs: Disparue de Jean-Pierre Mader et Frappe avec ta tête de Daniel Balavoine pour l'Argentine, Hexagone de Renaud pour le Chili, etc.

Traditionnellement notre pays restait beaucoup plus indulgent vis-à-vis des monstruosités de l'autre bord, à part peut-être Trust, qui tirait à boulets rouges (sic) sur tous les régimes liberticides, y compris ceux de l'Est, avec par exemple Les brutes, H & D ou L'élite.

Quant au continent africain, il restait un des champs d'affrontement privilégiés entre l'Est et l'Ouest, connaissant guerres et famines, comme celle d'Ethiopie, suscitant de grand mouvements de solidarité (Loin du coeur et loin des yeux). Par ailleurs, l'inique régime de l'apartheid en Afrique du sud était l'un des grands satans de l'époque.

Sur le front intérieur, les régimes communistes suscitaient (et parfois finançaient) des vocations, qui se traduisaient dans le sang, notamment par les groupes Action Directe. et Fraction armée rouge, même si les terroristes les plus virulents étaient alors les indépendantistes basques d'ETA, nord irlandais de l'IRA ou encore corses avec entre autres le FLNC, dont les actions rythmaient l'actualité.

La Nouvelle-Calédonie connaissait elle aussi un soulèvement sanglant de ses autochtones et une crise majeure.

L'islam n'était pas encore vraiment un sujet, même si les prémisses se mettaient en place, avec les premières revendications identitaires dans notre pays et surtout avec les effets de bord des conflits en Orient.

Tout d'abord l'interminable conflit israélo-palestinien débordait déjà chez nous, suite à la première Intifada, cette guerre des pierres des habitants des territoires occupés contre Israël.

Ensuite la violente guerre Iran-Irak nous touchait également, Téhéran commanditant des attentats sur le sol français pour nous faire payer notre soutien à Saddam Hussein.

Enfin il y avait l'Afghanistan, où l'Occident préparait alors la bombe qui lui péterait quelques décennies plus tard au visage.

Nous y armions et entrainions en effet les talibans pour lutter contre l'Union soviétique qui avait envahi le pays, lequel devenait une terre de jihad pour les militants islamistes du monde entier.

Après la défait et le retrait soviétiques, ces moudjahidines allaient rentrer chez eux, pleins d'expérience et de nouvelles idées, initiant le cycle islamiste infernal dont nous ne sommes pas encore sortis.

Toujours en Europe, la France inaugurait le retour de l'Extrême droite, emmenée par le FN de Jean-Marie Le Pen, tandis qu'apparaissait le mouvement skinhead, plutôt marginal chez nous mais très médiatisé.

Sur le front social, France comme Angleterre, malgré leurs modèles opposés, s'enfonçaient dans une douloureuse désindustrialisation, avec une succession sans fin de fermetures et de licenciements, et le monde ouvrier jadis puissant et intégrateur se délitait.

En parallèle on assistait à une vague de drogues dures, héroïne en tête, qui ravageait la jeunesse.

Enfin, cerise sur le gâteau, une nouvelle maladie, incurable et dévastatrice, commençait à se faire un nom: le SIDA, qui débuta par une véritable hécatombe dans les milieux homosexuels et chez les drogués, à qui il fut associé avant qu'on ne se rende compte que tout le monde était touché.

A la liste de ces causes d'angoisse, on pouvait ajouter la circulation routière, alors très meurtrière, d'autant plus que la taille du parc augmentait à vitesse grand V, les cancers dus à une cigarette omniprésente et le début des grandes vagues de panique liées à la pollution.

Sur ce sujet je me souviens du trou de la couche d'ozone qui allait tous nos tuer à grands coups de mélanomes, des pluies acides, des marées noires récurrentes avec leurs cortèges d'oiseaux mourant asphyxiés par le carburant et bien entendu de la catastrophe de Tchernobyl.

Ce rapide tour d'horizon, fait en quelques minutes par un simple balayage de mes souvenirs, montre bien que l'époque ce n'était pas que Canal+ et Collaro, l'explosion des discothèques ou l'arrivée au pouvoir de la contre-culture hédoniste après de longues années d'un ordre plus moral.

Évidemment les bonnes choses existaient, certains aspects de l'époque étaient sans nul doute mieux qu'aujourd'hui, mais le monde avait déjà plusieurs faces, aussi dangereuses et anxiogènes qu'aujourd'hui à bien des égards.

Il est bon de s'en rappeler de temps en temps pour remettre les choses à leur place.


(1) Albanie, Allemagne de l'Est, Bulgarie, Hongrie, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie

(2) Biélorussie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Moldavie, Ukraine

(3) Espagne, Grèce, Portugal

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