vendredi 17 mai 2024

Violence, culture et politique (3) : La Résistance

En étudiant la guerre d'Algérie, j'ai découvert ce qu'on a appelé les barbouzes, ces hommes de main qui attaquaient dans la semi-légalité les ennemis du pouvoir, comme les gens de l'OAS.

Plus tard, c'est au détour d'évocations des pratiques politiques de Marseille que j'ai eu vent des méthodes douteuses parfois utilisées par ses édiles pour remettre de l'ordre, comme le maire socialiste Gaston Defferre qui utilisait ses relations dans le Milieu pour faire taire les manifestants.
 
Puis dans le film Le juge Fayard, dit Le shériff, d'Yves Boisset et dans plusieurs BD historiques, généralement orientées à gauche, j'entendis parler du Service d'Action Civique, ou SAC, association a deux visages, dont l'un était celui d'une sorte d'officine spécialisée dans le sale boulot du pouvoir gaulliste.

La dernière de ces BD, Cher pays de notre enfance, écrite par Étienne Davodeau et Benoit Collombat, se veut une étude minutieuse des dessous de la Vième République et du rôle de ce SAC.

Il est sans doute complexe de démêler le vrai du faux dans toutes ces histoires, et là n'est pas mon but.

En revanche, ce qui m'a intéressé c'est le passé de résistant de la plupart de ces gens, passé qui semblait aller avec une vision expéditive et violente des rapports de force en politique, et  faire primer les liens noués dans le maquis sur le reste (ainsi Defferre avait résisté avec un parrain marseillais).

Dans le précédent post de cette série, j'avais évoqué l'importance de la Première Guerre Mondiale dans la formation politique et intellectuelle d'une génération.

Celui d’aujourd’hui aura pour idée que l'Occupation et la Résistance ont finalement pu avoir le même type d'empreinte sur les gens ayant grandi sous la botte allemande et celles du maréchal Pétain.

A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la politique du pays a été de tourner la page d'un régime "nul et non avenu", désavouant totalement l’État français et instaurant le mythe de la France unanimement résistante (mythe désormais remplacé par celui de la France unanimement collaboratrice).

Néanmoins, avant de passer à autre chose, il fallait régler la question délicate du recyclage des membres de ces deux camps.

Pour les collabos, une courte épuration, relativement maitrisée, eut lieu. Une petite partie d’entre eux fut condamnée, une partie plus petite encore fut exécutée, la grande majorité se contentant de faire profil bas, les lois d’amnistie de 1947, 1951 et 1953 achevant le purgatoire de nombre d’entre eux.

Quant aux résistants, ils posaient un problème particulier.

Déjà, beaucoup d’entre eux étaient armés et n'entendaient pas renoncer à l'arsenal récupéré pendant les années de guerre (d’ailleurs une très grande partie des armes se volatilisa).

Ensuite, une bonne partie d'entre eux, que ce soit par idéalisme, par goût du pouvoir ou du fait d’un vécu trop intense, entendait bien conserver un rôle dans la France libérée.

Cela allait d'une demande d'intégration dans l'armée régulière à la participation au gouvernement, en passant par un changement de régime en ce qui concernait les communistes, aussi nombreux que puissants et directement connectés au Camarade Staline.

La République dut en tenir compte et les intégrer d’une manière ou d’une autre.

Pour honorer les hommes et les femmes ayant lutté pour la libération du pays le général De Gaulle avait créé la médaille de la résistance, une nouvelle décoration.

L’avoir donnait un certain prestige, voire des passe-droits, et comme toujours dans ce cas, son obtention était convoitée et fit parfois l’objet de magouilles et de tractations.

Et à l’inverse, ceux qui ne l’avaient pas, quelles que soient les raisons, pouvaient être écartés voire ostracisés par les décorés.

Je me souviens notamment d'une scène terminant le livre Les grandes vacances, de Francis Ambrière, ouvrage qui faisait la somme des souvenirs de Français prisonniers en Allemagne.

Il raconte en effet qu'à sa libération du stalag où il passa plusieurs années, lui et ses codétenus furent reçus par un représentant du nouveau pouvoir qui leur envoya son mépris sans prendre de gants.

Mon idée n’est évidemment pas de faire la critique des résistants, dont le courage ne peut susciter que respect et admiration, simplement de dire qu’il s’est passé avec eux ce qui se passe chez tous les vainqueurs du monde, à savoir un retour de la réalité triviale, avec parfois ses mesquineries, ses petits calculs, etc.

L'expérience des anciens combattants de la Première Guerre Mondiale imprégna leur génération d'une façon indélébile, car la France entière en avait fourni des bataillons et chaque commune avait été touchée.

La Résistance n’eut pas un tel impact car elle concernait une minorité de gens, mais de ses rangs surgit un groupe de personnes qui avaient pris goût à une certaine façon de mener le jeu, plus violente et sans concession, pas toujours si démocratique que ça, et qui imprimèrent une marque profonde dans la conduite du pays.

Les méthodes du SAC et celles de Defferre, tout comme l’organisation des deux principales forces politique de l’immédiat après-guerre, les gaullistes et les communistes, trouvent aussi leurs racines dans l'expérience guerrière de leurs acteurs.

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