vendredi 17 mai 2024

Mes familles d'écrivains (2) : Marcel Aymé, Dino Buzzati, Patricia Highsmith

Dans ma seconde famille d’écrivains, j’en regroupe trois qui ont beaucoup compté pour moi : le Français Marcel Aymé, l’Italien Dino Buzzati et l’Américaine Patricia Highsmith.

Tous trois sont morts, et tous trois m’ont beaucoup marqué, à différentes époques de ma vie.

Je pense que les premiers ouvrages de Marcel Aymé que j’ai eus entre les mains étaient Les contes du chat perché, que mon grand frère étudiait au collège.

Dans ces nouvelles pour enfants, deux fillettes, Delphine et Marinette, interagissaient avec des animaux de leur ferme qui se comportaient comme des humains. Le fantastique était déjà présent, et je me souviens avoir beaucoup apprécié.

J'ai recroisé cet auteur en étudiant Le passe-murailles, toujours scolairement, mais le début de ma passion pour lui a sans doute été La vouivre. Ce livre, qui recyclait une légende de son cher Jura, m'avait littéralement scotché.

A partir de là je ne l'ai plus lâché et j'ai lu tout ce qui me tombait sur la main, parfois stimulé par les nombreuses adaptations cinématographiques de son oeuvre, de La jument verte à La traversée de Paris en passant par Uranus.

Ma rencontre avec Buzzati eut elle aussi lieu à l’école primaire, quand j’ai par hasard lu La fameuse invasion de la Sicile par les ours, livre pour enfant qui m’avait alors subjugué et dont je découvris des décennies plus tard qu'il était de cet auteur que je m'étais mis à aimer.

Un peu plus tard, toujours pendant mes études (j’aimerais que mes profs de français me lisent), je tombais sur Le K, une intrigante nouvelle dont le héros était un fantastique requin qui avait la particularité de passer sa vie à guetter la victime que le sort lui avait désignée.

Enfin, pour une fiche de lecture en troisième, je choisis sur son titre Le désert des Tartares, croyant à un roman épique.

C’était une grossière erreur, puisque dans ce livre il ne se passe rien : c'est un conte philosophique qui raconte l’histoire d’un soldat italien, Giovanni Drogo, qui passe à côté de sa vie, obsédé qu’il est par l’attente d’une hypothétique invasion des Tartares (Drogo inspira le Zangra de Jacques Brel).

Je me sortis de l'exercice scolaire avec difficulté mais avec le sentiment de tenir là un auteur à suivre.

J’enchainais ensuite pendant mes années étudiantes ses séries de nouvelles fantastiques et obsédantes, ainsi que, jeune salarié, le roman Un amour, un livre sur la dépendance amoureuse qui détruit et aveugle qui me parla beaucoup à l’époque.

Ces dernières années je l'ai beaucoup moins lu, mais garde sa marque en tête.

Quant à Patricia Highsmith, je l'ai découverte via la télévision. Un soir j’ai en effet regardé l'adaptation par Claude Chabrol de son roman Le cri du hibou.

J'ai été immédiatement conquis et j'ai ensuite enchainé ses livres, lesquels ont, comme ceux d'Aymé, inspiré nombre de films, qu'il s'agisse de L'inconnu du Nord Express ou des aventures de son personnage fétiche, le psychopathe M. Ripley.

Chacune des œuvres de Highsmith construit un mini univers terrifiant et oppressant, qu'on ne quitte qu'avec un sentiment d'amertume et une sorte de mauvaise gueule de bois.

Ces trois auteurs sont différents, mais je les regroupe dans une famille pour certains traits de caractères très forts que je retrouve chez eux.

Le premier qui me vient à l’esprit, c'est le regard extrêmement aigu qu’ils ont sur les gens. Ils scrutent l'humanité et en dévoilent le fonctionnement à la manière dont un entomologiste décrit les insectes qu'il étudie.

C'est toujours clinique et sans fard, dans le sens où les motivations cachées, les absurdités intérieures et les désirs inavouables sont montrés tels quels.

La dureté et l'hypocrisie du monde et des rapports entre les gens n'est jamais cachée non plus.

J’ai parfois moi aussi cet œil acéré qui met à nu les faux-semblants qui nous aident à vivre et font la vie supportable, et je me retrouve ainsi dans leur vision.

Ce regard rapproche surtout Aymé et Highsmith, la différence entre les deux étant sans doute que le premier donne l'impression d'aimer les gens malgré leurs tares, dont il s'amuse, tandis qu'Highsmith semble les détester.

Le deuxième point commun que je constate chez eux est l'ironie, mordante chez Aymé, chez qui l'humour vachard n'est jamais loin, très subtile chez Buzzati et particulièrement cruelle chez Highsmith.

Une troisième caractéristique, qui lie cette fois-ci seulement Aymé et Buzzati, c'est l’utilisation du fantastique.

Celui-ci, parfois teinté d’absurde et sans explication, surgit dans des histoires par ailleurs modernes et contemporaines, comme un élément parmi d’autres : point de il était une fois dans un lointain royaume, l’élément fantastique concerne tout aussi bien notre voisin de palier.

Ainsi pour Aymé, la jument verte du roman éponyme est née avec cette couleur, Garou-Garou peut soudain traverser les murs et un homme se réveille avec une auréole sans que l'on sache pourquoi, et les personnages qui se confrontent à ces événements extraordinaires ressemblent à Monsieur tout-le-monde et agissent en tant que tel.

Chez Buzzati, on découvre un homme arrivant en enfer pour s'apercevoir que ce lieu n'est ni plus ni moins que notre monde moderne, à la seule différence qu'un démon dans une cabine en accélère le rythme à l'infini.

Ou encore un homme amoureux est transformé en petit chien souffre-douleur par sa bien-aimée sans qu’on nous donne plus de détail.

Lire ces trois auteurs est pour moi une garantie systématique de grand bonheur intellectuel, chacun ayant une petite touche personnelle que j’apprécie.

Lorsque je lis Highsmith je sais que je vais assister à un drame lent et implacable avec une victime qui sombrera lentement, victime vivant généralement dans un milieu bourgeois mais dont le pays varie.

Avec Buzzati les récits souvent douloureux auront généralement une chute qui me fera réfléchir, et des éléments fantastiques déroutants pour mon esprit cartésien.

Quant à Aymé, j’ai l’assurance que je trouverais de petits mondes qui me seront familiers, que je risque de rire (jaune) ou de sourire, et également d'être surpris.

Un délice m'attend dans les trois cas, que je fais varier selon mon humeur.

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