Le chanteur Bertrand Cantat refaisant malgré lui l'actualité, suite au documentaire sur le meurtre de sa compagne de l'époque, je me suis retourné vers l'emblématique groupe de sa jeunesse, qui compta beaucoup pour moi: Noir Désir.
Je les ai croisés la première fois pendant mes années top 50, en 1989, grâce à leur hit Aux sombres héros de l'amer.
Le style un peu chanson de marin n'était pas mon truc, mais la voix puissante alternée avec un harmonica m'avait interpelé, et plus encore les paroles, leurs jeux de mots poétiques et les petites incursions d'anglais (sans doute incorrect d'ailleurs) dans le refrain.
La suite se produisit un peu plus tard, un mercredi après-midi, dans l'internat du lycée où je passais la semaine.
J'ai encore dans la tête l'image très nette du couloir vu de la chambre tandis que résonnait Sweet Mary dans une autre chambre.
J'ai été happé par le son, et épaté de voir un groupe chanter à la fois en français et en anglais (ce n'était pas encore la norme à l'époque).
Toujours à l'affut de nouveautés, je sus immédiatement qu'il me fallait mettre la main sur leurs oeuvres.
Quelques temps plus tard ce fut chose faite. J'avais réussi à récupérer une cassette copiée appartenant à la soeur d'un ami.
Sur cette bande, 90 minutes de Noir Désir, sans photo, sans titre, sans rien.
J'ai écouté cette cassette en boucle à l'époque, fasciné par le son rock brut, le chant shamanique de Cantat, les paroles ciselées et le mystère qui s'en dégageait.
Plus tard je découvris qu'il s'agissait des albums Veuillez rendre l'âme (à qui elle appartient) et Du ciment sous les plaines, mais ça resta longtemps à peu près tout ce que je savais d'eux.
Devenu étudiant, je me procurai leur premier opus Où veux-tu qu'je r'garde?, mini-LP au son quasiment new wave et je convertis à Noir Désir l'un de mes meilleurs amis, avec lequel nous nous sommes jetés sur Tostaky dès sa sortie.
Cet album fut pour Noir Désir celui de la vraie consécration. Le hit éponyme s'entendait partout, et je commençais à voir à quoi ressemblaient les gens du groupe, même s'ils restaient très discrets dans les medias.
Ainsi comme pour d'autres artistes, notamment Thiefaine, je connus l'oeuvre bien avant les interprètes, et finalement je me dis que ça donnait une autre dimension aux choses et que ça permettait d'aller à l'essentiel.
Ca fait un peu vieux con, mais aujourd'hui tout cela parait tellement improbable, à l'heure où en deux clics on trouve tout sur tout.
Pour en revenir à Tostaky, ce n'était pas mon album préféré. Je crois que c'était surtout le son limite grunge et un peu trop saturé qui le mettait pour moi un cran en dessous des précédents.
Je l'écoutais toutefois beaucoup et j'achetai aussi son successeur, 666.667 Club, dès sa sortie.
Musicalement ce dernier était à nouveau différent, avec le début d'une ouverture sur d'autres styles, et sur cet aspect il s'avéra être plus à mon goût. En revanche, l'aspect engagement politique était plus prégnant et commençait à m'agacer un peu.
Ce trait fut encore accentué sur leur dernière oeuvre, Des visages des figures, album étonnant où le groupe partait dans d'autres horizons, reprenant Ferré, invitant des musiciens d'Europe de l'est, pondant un étrange duo d'une vingtaine de minutes avec Brigitte Fontaine... C'est aussi de celui-ci qu'est issu leur plus grand hit, Le vent nous portera.
Ce n'est qu'en 2001 que je réussis enfin à les voir sur scène, aux Vieilles charrues et...j'avoue que je fus déçu.
En attendais-je trop?
Était-ce un mauvais jour?
Quelque chose ne se passa en tout cas pas pour moi et ce n'est pas le groupe qui me marqua le plus dans ce festival (et en plus je pris un pain de la part d'un fan pogoteur crétin), alors qu'ils étaient réputés pour la scène.
Puis en 2003 se produisit le drame de Vilnius, quand Bertand Cantat assassina sa compagne d'alors, l'actrice Marie Trintignant pour laquelle il venait de quitter femme et enfants et qu'il avait suivie sur un tournage en Lituanie.
Cet horrible fait divers, qui nous stupéfia, sonna le glas de Noir Désir, qui se mit en suspens pendant la peine de prison de son chanteur, avant de dissoudre peu de temps après sa libération.
Cantat poursuivit ensuite sa carrière, dans d'autres groupes et/ou en solo, scandalisant tous ceux qui trouvaient qu'il n'avait pas payé assez cher pour son meurtre ou simplement ceux qui trouvaient ça indécent.
Le guitariste Serge Teyssot-Gay fonda un duo inattendu avec l'oudiste syrien Khaled Aljaramani dans le groupe Interzone que j'eus l'occasion de voir sur scène.
C'était dans une toute petite salle de province et je reconnais avoir passé un moment assez magique avec cette atmosphère mi-rock mi-orientale.
Pour les autres membres du groupe, je ne sais pas ce qu'ils sont devenus, mais d'une manière générale, même si comme beaucoup d'amateurs de Noir Désir, je me suis senti un peu orphelin quand ils se séparèrent, je passai vite à autre chose.
En les réécoutant aujourd'hui, en prenant le temps de découvrir les multiples vidéos de concert, d'interviews ou de prise de parole du groupe, j'ai eu envie de faire une sorte d'inventaire de mes années Noir Désir et de ce que je trouvais chez eux.
D'abord si leur musique était brute et loin de la virtuosité de ce que j'aimais généralement à l'époque, elle se mariait très bien avec la voix puissante et chaude et les cris de shaman morrisonniens de Cantat.
Ensuite le groupe évoluait à chaque nouvel album, presque toujours différent du précédent: le style changeait, le son se transformait, d'autres instruments s'invitaient.
Et puis aussi et surtout c'était un groupe de rock français, avec des paroles toujours très travaillées, pleines de jeux de mots et d'images, de références littéraires et culturelles.
Et enfin l'esprit sans concession qui émanait d'eux parlait à l'adolescent épris d'absolu que j'étais.
Leur look épuré, leur discrétion médiatique, le mystère qu'ils entretenaient donnaient presque le sentiment d'être membre d'un club d'initiés.
Bref, avec Noir Désir, j'avais le sentiment que je tenais enfin mon mouton à cinq pattes, un groupe qui faisait la synthèse entre mon goût pour la culture et la langue de mon pays et le rock anglo-saxon que j'aimais, avec en plus cette ouverture sur le large, cette sorte d'esprit américain qui soufflait sur leurs morceaux.
Bien sûr, tout cela était un regard d'ado.
En vieillissant, et indépendamment de la fin tragique du groupe, je finis par voir ce que Noir Désir pouvait avoir de pose, de caricatural.
Il y avait d'abord cet engagement politique de plus en plus marqué à partir de Tostaky, avec tous les cliché de l'extrême gauche.
La nostalgie du bloc de l'Est et le fétichisme pour les révolutionnaires sudaméricains (tout ça depuis Paris bien sûr).
Les prises de position faciles comme l'accusation de Jean-Marie Messier, PDG de leur maison de disques (sans qu'ils aillent pour autant chez Boucherie Production par exemple).
La glorification du cosmopolitisme et la dénonciation des méchants fachos en faisant appel à Charlie hebdo qui voulait interdire le FN (ironiquement ce n'est pas le FN qui a tué Charlie)
Etc.
Il y avait aussi l'originalité qui n'en était pas tant que ça, notamment quand j'ai découvert leur sources d'inspiration américaines type The gun club.
Tout cela m'avait déçu, un peu comme quand on se rend compte que sans son maquillage et sa gaine, sa copine n'est pas le magnifique top model qu'on croyait, même si elle est belle.
Cette déception était bien sûr tout aussi idiote.
D'abord les "modèles" américains ont eux-mêmes des influences et ne naissent pas de rien, et qu'ils inspirent la "copie" n'enlève rien au talent de celle-ci, qui n'en est évidemment pas une.
Ensuite, il y a cette indéniable plume, avec ces influences originales et ces textes poétiques et évocateurs qui sont pour le coup une vraie VF.
Quant à l'engagement à l'extrême gauche...jusqu'à une date récente c'était quasiment un prérequis dans le monde du rock voire dans la musique tout court (rappelons-nous le commentaire aussi sectaire que débile de Juliette Armanet sur un des plus grands hits de Sardou car "à droite").
Bref, il est aussi absurde de sacraliser Noir Désir que de le descendre: Cantat est un chanteur d'exception, le groupe était très bon et son succès mérité.
Mais quand je réfléchis, ce que je trouve le plus daté aujourd'hui, et peut-être ce qui m'avait refroidi aux vieilles charrues, c'est le sérieux de Noir Désir.
Ils n'ont pas l'autodérision qu'on peut trouver chez un Renaud pourtant au moins aussi engagé qu'eux.
Et malgré une présence très forte et un don total sur scène ils n'ont pas le côté hédoniste et populaire de ces prédécesseurs dans le Panthéon du rock français que sont Téléphone et Johnny Hallyday.
Chez eux on est avec des gens qui ne plaisantent pas, qui ont une mission, un statut.
Finalement, c'est plutôt cet espèce d'esprit-là qui m'a éloigné de Noir Désir, cette même impression que j'ai pu ressentir en voyant Miossec ou Thiefaine sur scène.
Ca rejoint mon post sur C. Jérôme, ce chanteur populaire à l'autre bout du spectre dont la démarche était tout simplement de donner du plaisir à son public: je me rends compte que c'est quelque chose que je recherche.
Ceci dit, je conclurai quand même en rappelant que Noir Désir est un groupe majeur, à l'originalité certaine et que j'ai adoré.
Je connais encore par coeur une partie de leur chanson et Veuillez rendre l'âme fait indéniablement partie des albums que j'emmènerais avec moi sur l'île déserte.
Quelques titres de plus:
- La chaleur (1989)
- Ces gens-là (2005), magnifique reprise de Jacques Brel
- Charlie (1991)
- Lazy (1996)
- Long time man (1993), une reprise qui donne un aperçu de leur incroyable présence scénique
- Marlene (1992)
- No no no (1991)
- One trip one noise (1992)
- Toujours être ailleurs (1987)
- What I need (1989)
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