vendredi 23 mai 2025

Musique (17) : Noir désir

Le chanteur Bertrand Cantat refaisant malgré lui l'actualité, suite au documentaire sur le meurtre de sa compagne de l'époque, je me suis retourné vers l'emblématique groupe de sa jeunesse, qui compta beaucoup pour moi: Noir Désir.

Je les ai croisés la première fois pendant mes années top 50, en 1989, grâce à leur hit Aux sombres héros de l'amer.

Le style un peu chanson de marin n'était pas mon truc, mais la voix puissante alternée avec un harmonica m'avait interpelé, et plus encore les paroles, leurs jeux de mots poétiques et les petites incursions d'anglais (sans doute incorrect d'ailleurs) dans le refrain.

La suite se produisit un peu plus tard, un mercredi après-midi, dans l'internat du lycée où je passais la semaine.

J'ai encore dans la tête l'image très nette du couloir vu de la chambre tandis que résonnait Sweet Mary dans une autre chambre.

J'ai été happé par le son, et épaté de voir un groupe chanter à la fois en français et en anglais (ce n'était pas encore la norme à l'époque).

Toujours à l'affut de nouveautés, je sus immédiatement qu'il me fallait mettre la main sur leurs oeuvres.

Quelques temps plus tard ce fut chose faite. J'avais réussi à récupérer une cassette copiée appartenant à la soeur d'un ami.

Sur cette bande, 90 minutes de Noir Désir, sans photo, sans titre, sans rien.

J'ai écouté cette cassette en boucle à l'époque, fasciné par le son rock brut, le chant shamanique de Cantat, les paroles ciselées et le mystère qui s'en dégageait.

Plus tard je découvris qu'il s'agissait des albums Veuillez rendre l'âme (à qui elle appartient) et Du ciment sous les plaines, mais ça resta longtemps à peu près tout ce que je savais d'eux.

Devenu étudiant, je me procurai leur premier opus Où veux-tu qu'je r'garde?, mini-LP au son quasiment new wave et je convertis à Noir Désir l'un de mes meilleurs amis, avec lequel nous nous sommes jetés sur Tostaky dès sa sortie.

Cet album fut pour Noir Désir celui de la vraie consécration. Le hit éponyme s'entendait partout, et je commençais à voir à quoi ressemblaient les gens du groupe, même s'ils restaient très discrets dans les medias.

Ainsi comme pour d'autres artistes, notamment Thiefaine, je connus l'oeuvre bien avant les interprètes, et finalement je me dis que ça donnait une autre dimension aux choses et que ça permettait d'aller à l'essentiel.

Ca fait un peu vieux con, mais aujourd'hui tout cela parait tellement improbable, à l'heure où en deux clics on trouve tout sur tout.

Pour en revenir à Tostaky, ce n'était pas mon album préféré. Je crois que c'était surtout le son limite grunge et un peu trop saturé qui le mettait pour moi un cran en dessous des précédents.

Je l'écoutais toutefois beaucoup et j'achetai aussi son successeur, 666.667 Club, dès sa sortie.

Musicalement ce dernier était à nouveau différent, avec le début d'une ouverture sur d'autres styles, et sur cet aspect il s'avéra être plus à mon goût. En revanche, l'aspect engagement politique était plus prégnant et commençait à m'agacer un peu.

Ce trait fut encore accentué sur leur dernière oeuvre, Des visages des figures, album étonnant où le groupe partait dans d'autres horizons, reprenant Ferré, invitant des musiciens d'Europe de l'est, pondant un étrange duo d'une vingtaine de minutes avec Brigitte Fontaine... C'est aussi de celui-ci qu'est issu leur plus grand hit, Le vent nous portera.

Ce n'est qu'en 2001 que je réussis enfin à les voir sur scène, aux Vieilles charrues et...j'avoue que je fus déçu.

En attendais-je trop?

Était-ce un mauvais jour?

Quelque chose ne se passa en tout cas pas pour moi et ce n'est pas le groupe qui me marqua le plus dans ce festival (et en plus je pris un pain de la part d'un fan pogoteur crétin), alors qu'ils étaient réputés pour la scène.

Puis en 2003 se produisit le drame de Vilnius, quand Bertand Cantat assassina sa compagne d'alors, l'actrice Marie Trintignant pour laquelle il venait de quitter femme et enfants et qu'il avait suivie sur un tournage en Lituanie.

Cet horrible fait divers, qui nous stupéfia, sonna le glas de Noir Désir, qui se mit en suspens pendant la peine de prison de son chanteur, avant de dissoudre peu de temps après sa libération.

Cantat poursuivit ensuite sa carrière, dans d'autres groupes et/ou en solo, scandalisant tous ceux qui trouvaient qu'il n'avait pas payé assez cher pour son meurtre ou simplement ceux qui trouvaient ça indécent.

Le guitariste Serge Teyssot-Gay fonda un duo inattendu avec l'oudiste syrien Khaled Aljaramani dans le groupe Interzone que j'eus l'occasion de voir sur scène.

C'était dans une toute petite salle de province et je reconnais avoir passé un moment assez magique avec cette atmosphère mi-rock mi-orientale.

Pour les autres membres du groupe, je ne sais pas ce qu'ils sont devenus, mais d'une manière générale, même si comme beaucoup d'amateurs de Noir Désir, je me suis senti un peu orphelin quand ils se séparèrent, je passai vite à autre chose.

En les réécoutant aujourd'hui, en prenant le temps de découvrir les multiples vidéos de concert, d'interviews ou de prise de parole du groupe, j'ai eu envie de faire une sorte d'inventaire de mes années Noir Désir et de ce que je trouvais chez eux.

D'abord si leur musique était brute et loin de la virtuosité de ce que j'aimais généralement à l'époque, elle se mariait très bien avec la voix puissante et chaude et les cris de shaman morrisonniens de Cantat.

Ensuite le groupe évoluait à chaque nouvel album, presque toujours différent du précédent: le style changeait, le son se transformait, d'autres instruments s'invitaient. 

Et puis aussi et surtout c'était un groupe de rock français, avec des paroles toujours très travaillées, pleines de jeux de mots et d'images, de références littéraires et culturelles.

Et enfin l'esprit sans concession qui émanait d'eux parlait à l'adolescent épris d'absolu que j'étais.

Leur look épuré, leur discrétion médiatique, le mystère qu'ils entretenaient donnaient presque le sentiment d'être membre d'un club d'initiés.

Bref, avec Noir Désir, j'avais le sentiment que je tenais enfin mon mouton à cinq pattes, un groupe qui faisait la synthèse entre mon goût pour la culture et la langue de mon pays et le rock anglo-saxon que j'aimais, avec en plus cette ouverture sur le large, cette sorte d'esprit américain qui soufflait sur leurs morceaux.

Bien sûr, tout cela était un regard d'ado. 

En vieillissant, et indépendamment de la fin tragique du groupe, je finis par voir ce que Noir Désir pouvait avoir de pose, de caricatural.

Il y avait d'abord cet engagement politique de plus en plus marqué à partir de Tostaky, avec tous les cliché de l'extrême gauche.

La nostalgie du bloc de l'Est et le fétichisme pour les révolutionnaires sudaméricains (tout ça depuis Paris bien sûr).

Les prises de position faciles comme l'accusation de Jean-Marie Messier, PDG de leur maison de disques (sans qu'ils aillent pour autant chez Boucherie Production par exemple).

La glorification du cosmopolitisme et la dénonciation des méchants fachos en faisant appel à Charlie hebdo qui voulait interdire le FN (ironiquement ce n'est pas le FN qui a tué Charlie)

Etc.

Il y avait aussi l'originalité qui n'en était pas tant que ça, notamment quand j'ai découvert leur sources d'inspiration américaines type The gun club.

Tout cela m'avait déçu, un peu comme quand on se rend compte que sans son maquillage et sa gaine, sa copine n'est pas le magnifique top model qu'on croyait, même si elle est belle.

Cette déception était bien sûr tout aussi idiote.

D'abord les "modèles" américains ont eux-mêmes des influences et ne naissent pas de rien, et qu'ils inspirent la "copie" n'enlève rien au talent de celle-ci, qui n'en est évidemment pas une.

Ensuite, il y a cette indéniable plume, avec ces influences originales et ces textes poétiques et évocateurs qui sont pour le coup une vraie VF.

Quant à l'engagement à l'extrême gauche...jusqu'à une date récente c'était quasiment un prérequis dans le monde du rock voire dans la musique tout court (rappelons-nous le commentaire aussi sectaire que débile de Juliette Armanet sur un des plus grands hits de Sardou car "à droite").

Bref, il est aussi absurde de sacraliser Noir Désir que de le descendre: Cantat est un chanteur d'exception, le groupe était très bon et son succès mérité.

Mais quand je réfléchis, ce que je trouve le plus daté aujourd'hui, et peut-être ce qui m'avait refroidi aux vieilles charrues, c'est le sérieux de Noir Désir.

Ils n'ont pas l'autodérision qu'on peut trouver chez un Renaud pourtant au moins aussi engagé qu'eux.

Et malgré une présence très forte et un don total sur scène ils n'ont pas le côté hédoniste et populaire de ces prédécesseurs dans le Panthéon du rock français que sont Téléphone et Johnny Hallyday.

Chez eux on est avec des gens qui ne plaisantent pas, qui ont une mission, un statut.

Finalement, c'est plutôt cet espèce d'esprit-là qui m'a éloigné de Noir Désir, cette même impression que j'ai pu ressentir en voyant Miossec ou Thiefaine sur scène.

Ca rejoint mon post sur C. Jérôme, ce chanteur populaire à l'autre bout du spectre dont la démarche était tout simplement de donner du plaisir à son public: je me rends compte que c'est quelque chose que je recherche.

Ceci dit, je conclurai quand même en rappelant que Noir Désir est un groupe majeur, à l'originalité certaine et que j'ai adoré.

Je connais encore par coeur une partie de leur chanson et Veuillez rendre l'âme fait indéniablement partie des albums que j'emmènerais avec moi sur l'île déserte.

Quelques titres de plus:

- La chaleur (1989)

- Ces gens-là (2005), magnifique reprise de Jacques Brel

- Charlie (1991)

- Lazy (1996)

- Long time man (1993), une reprise qui donne un aperçu de leur incroyable présence scénique 

- Marlene (1992)

- No no no (1991)

- One trip one noise (1992)

- Toujours être ailleurs (1987)

- What I need (1989)


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dimanche 18 mai 2025

Chanson (28): The cold song

J'aime beaucoup le cinéma de Maurice Pialat, dont je me souviens avoir vu il y a longtemps son A nos amours

Je ne me rappelle plus trop de l'histoire, mais je sais que ce film m'avait laissé une impression de tristesse.

Les acteurs y jouaient très bien, notamment la lumineuse Sandrine Bonnaire et le tout jeune Cyril Collard, et aussi Dominique Besnehard, plus connu par la suite pour son rôle d'agent et de découvreur de talents.

Et surtout il y avait la chanson qui clôturait le film, Cold song, interprétée par Klaus Nomi.

Un de mes amis m'avait parlé de cet étrange chanteur allemand, venu de l'opéra pour aller faire de la pop et du rock avant de mourir tragiquement du SIDA en 1983, faisant partie des premières victimes de l'épidémie, mais je n'avais jamais écouté jusque-là. 

Il s'avère que cette chanson est en fait une adaptation de l'oeuvre d'Henri Purcell, un compositeur anglais du 17ième siècle, et plus précisément issue d'un opéra qu'il avait consacré au roi Arthur et achevé en 1691.

Etant ignare en musique classique et pas du tout amateur d'opéra, je ne saurais juger la qualité ou la notoriété de ce musicien, mais la reprise de Nomi est magnifique.

Sur une musique lente et mélancolique, portée par une instrumentation un peu ancienne (j'ai l'impression qu'il y avait du clavecin ou de l'épinette), le chanteur vient scander des phrases courtes et rythmées de manière saccadée, un peu comme un hoquet ou un sanglot.

Sa voix extraordinairement puissante donne l'impression d'être lointaine, elle est aussi glaciale qu'éclatante, un peu comme un cuivre, et donne un indicible sentiment d'angoisse, de tristesse et de fatalité.

Au fur et à mesure que le morceau avance, on est happés par la sorte de supplication déchirante à laquelle on assiste, jusqu'au paroxysme, lorsque tout finit sur une note tenue très longtemps, comme une conclusion désespérée.

Les paroles de The cold song sont en anglais, mais je n'ai jamais cherché à en comprendre le sens, la puissance de ce morceau s'en passant très bien, et l'interprétation bousculant quoi qu'il arrive.

J'ai essayé par la suite d'écouter d'autres morceaux de Klaus Nomi mais je n'ai accroché à rien d'autre qu'à ce titre d'anthologie.

Petite anecdote pour finir: le côté théâtral de cette chanson était renforcé par le look de cet étrange chanteur, qui se maquillait et s'habillait dans un costume qui tenait du clown, du noble espagnol du 15e siècle et de l'extraterrestre, et qui était très réussi puisqu'il terrorisait mes enfants (!).


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samedi 17 mai 2025

Réflexions sur la démographie (7): Evolutions de la famille (4) - La fin des cousins

Mon père est enfant unique, issu d'une mère qui l'était aussi et d'un père qui n'avait qu'une sœur, partie de la région à son mariage.

J'ai grandi dans son village natal, et donc au sein d'une famille nucléaire assez réduite.

Ma famille maternelle, en revanche, est plutôt grande. Mon grand-père avait deux frères et ma grand-mère trois. Ces sept personnes ont eu une bonne vingtaine d'enfants, lesquels en ont eu rarement moins de trois ou quatre.

Du coup ma génération comporte treize cousins germains, nés sur une grosse décennie, ainsi qu'un nombre plus que respectable de petits-cousins.

Les membres de cette famille vivaient tous loin de ma campagne, à l'exception de ma grand-mère maternelle qui habitait tout près de chez moi.

Cette dernière était l'une de ces matriarches à l'ancienne qui faisait le lien entre tous et n'aimait rien tant que d'inviter les gens dans sa grande maison, de s'enquérir des uns et des autres, de présider de grands repas, etc.

Du coup, grâce à elle, j'ai croisé durant mon enfance des gens de toute sorte: ils étaient grands bourgeois ou marginaux, ébéniste, artisan, pasteur, médecin, imprimeur, éducateur social, cadre chez Air France, directeur de maisons de retraite, concierge/homme à tout faire, compagnon menuisier, maître d'hôtel, j'en passe et des meilleurs.

Eux-mêmes ou leurs conjoints étaient suisse, égyptien, marocain, tunisien, versaillais, nîmois, lillois, pied-noir, périgourdin...ils avaient des accents et des trognes variées, des vies très différentes, mais partageaient tous un point commun: ils étaient de ma famille.

J'aimais beaucoup ces rencontres, les grandes tablées sous la tonnelle, les parties de pétanque, les jeux avec les enfants dans le jardin ou autour d'une table, les histoires qu'on me racontait.

Pendant ces années j'ai aussi vu quantité de bébés, je me suis frotté à des enfants plus petits ou plus grands que moi, des ados, des vieillards. Je me suis disputé, amusé, j'ai eu des béguins, des cadeaux, j'ai été triste, etc.

Cette introduction assez personnelle me permet de revenir sur mon sujet, la famille, et tout ce vécu qui m'est revenu en lisant un article de The Atlantic, intitulé The great cousin decline.

Son auteure insistait sur un aspect peu souvent évoqué quand on parle des changements démographiques et de la baisse de fécondité, à savoir la disparition des cousins.

On peut effectivement dire que le modèle de famille nombreuse et élargie que j'ai connu, largement répandue pendant longtemps, est devenu beaucoup plus rare, surtout chez les Français de souche.

Aujourd'hui on a peu d'enfants, quand on en a, et on les a plus tard et pas forcément avec la même personne.

La majorité de ma génération n'a qu'un frère ou qu'une soeur, et il est fréquent que l'un des deux seulement ait des enfants.

Du coup mécaniquement, le nombre de cousins est lui aussi en chute libre.

Si je continue avec mon exemple, mes trois frères ont eu cinq enfants et mon beau-frère deux: on est passés d'une génération de treize cousins germains à une de neuf, soit une baisse de vingt-cinq pour cent.

C'est néanmoins un assez beau score, si je compare avec beaucoup d'enfants de l'âge des miens, qui eux n'ont qu'un ou deux cousins, voire aucun.

L'auteure soulignait aussi le rôle que pouvaient avoir ces parents d'un type particulier puisqu'à la fois proches, car liés par le sang et les réunions de famille, et lointains, parce que leurs vies divergent.

En fait, être cousins force des gens qui sont de milieux, de villes ou mêmes de pays très différents à se croiser et à interagir, à rebours de la tendance naturelle de la vie qui amène la plupart des gens à restreindre leur horizon sur leur quartier, leur CSP ou leur communauté.

Mon cas illustrait très bien cela: je me suis rétrospectivement rendu compte que mon expérience familiale avait été pour moi une vraie fenêtre sur le monde et qu'elle m'en a montré assez tôt la diversité, ce qui n'allait pas de soi dans mon coin de cambrousse isolé.

Je me suis d'ailleurs demandé quelle image pouvaient avoir tous ceux qui m'avaient croisé et si j'étais leur seule rencontre de fils de paysan.

Une autre façon de vivre le cousinage, c'est quand les membres d'une même famille restent physiquement proches les uns des autres, comme souvent dans les milieux plus modestes où l'on bouge moins.

On grandit alors avec le cousin qui se situe quelque part entre le frère et le pote, qui est un obligé qui va vous aider et qu'on devra aider quels que soient ses sentiments.

Ce lien peut d'ailleurs être une force, que ce soit pour la solidarité dans une entreprise familiale (ou criminelle), pour se donner des coups de main ponctuels, pour soutenir un parent en mauvais état ou tout simplement pour se faire respecter physiquement dans la rue ou au collège.

Dans beaucoup de sociétés, notamment musulmanes, les cousins sont également le vivier dans lequel on puise pour trouver les conjoints de ses propres enfants.

Au final, cette disparition des cousins est un signe de plus de l'atomisation de nos sociétés, où chacun est plus seul dans une famille plus verticale qu'horizontale, avec des ascendants et d'éventuels descendants mais peu de gens de la même génération.

Et ce phénomène augmente sans doute aussi la tendance très contemporaine à se regrouper exclusivement entre pairs, sans contact avec d'autres milieux.


Début: Réflexions sur la démographie (1): Introduction

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Comme ils disent (1)

Aujourd'hui je vais évoquer le sujet de l'homosexualité.

Entre les gay prides officialisées, le mariage homo légalisé, les coming out -volontaires ou forcés- dans tous les partis, de Philippot du RN à Delanoe du PS en passant par le macroniste Attal, les dizaines d'artistes qui assument ouvertement leur orientation, les combats LGBTQIAA++ où le G semble s'effacer face aux dites nouvelles sexualités, on pourrait penser que la discussion est close, que tout est réglé dans la question gay.

Ce n'est à mon avis pas le cas, et cela ne l'a certainement pas été pendant fort longtemps, à commencer par ma jeunesse.

Je ne sais plus quand j'ai appris l'existence de l'homosexualité mais c'était sans doute assez jeune, ne serait-ce que pour décrypter l'insulte PD, tellement commune quand j'étais enfant.

Tout garçon qui n'était pas assez mâle y avait en effet droit: les pleurnicheurs, les sensibles, ceux qui s'intéressent plus à la lecture qu'au foot, les efféminés, etc.

Je ne pense pas que les insulteurs aient réellement été homophobes au sens où ils auraient voulu exterminer les homosexuels, ni même qu'ils aient cru que ceux qu'ils insultaient l'aient été.

Mais traiter quelqu'un de PD était une humiliation, une marque d'infamie, et l'insulte était utilisée dans ce but.

Riad Sattouf le rappelle très bien dans ses livres aussi cruels que réalistes sur l'adolescence: les PD étaient le groupe des losers, des gars un peu minables et impopulaires, ceux qui devaient se garer quand arrivaient les stars et les dominants.

Du fait de cette ambiance, j'ai sûrement croisé des homosexuels, mais qui ne l'assumaient et préféraient probablement se cacher.

Signe que les temps ont changé, le village de mes parents s'est à moitié vidé de sa population (300 habitants quand j'y vivais), mais il comprend aujourd'hui au moins trois couples homosexuels déclarés, dont deux de lesbiennes.

Çà m'a fait pensé aux demoiselles, comme on appelait deux dames de la commune qui vivaient ensemble lorsque j'étais enfant.

Je n'y prêtais alors pas attention, mais aujourd'hui je me demande ce qu'il en était réellement de leur relation: il est tout à fait possible qu'elles aient été un couple homosexuel clandestin. 

Mais comme le dit ma famille ce n'était pas un sujet qu'on évoquait.

Dans mon lycée, il y eut aussi une histoire un peu sordide à l'internat. Deux garçons avaient été pris en flagrant délit, je n'ai jamais vraiment su de quoi exactement mais c'était clairement sexuel.

Ils avaient été exclus quelques jours et fini leurs scolarités là-bas avec l'étiquette PD gravée au fer rouge.

Je connus assez bien l'un d'entre eux, avec qui je n'évoquai jamais le sujet mais qui s'intéressait énormément aux filles et pour lequel je pense que cette histoire relevait de l'homosexualité dite de circonstance.

J'entends par là celle qu'on peut trouver à l'armée, dans les prisons, les bateaux ou justement les internats, quand privés de conjoints, les gens soulagent leur libido par des relations du même sexe.

Plus tard il y eut un étudiant de ma promo de fac, qui cochait toutes les cases du cliché et l'était réellement, mais je ne l'ai su que longtemps après avoir fini mes études. 

En tout cas, durant toute cette époque, c'est-à-dire quasiment mes 25 premières années, je ne rencontrai pas d'homo affirmé.

De ce fait, ils étaient un peu mythifiés.

On considérait souvent l'homosexualité comme une maladie, ou une perversion qu'il fallait condamner, souvent pour des motifs religieux et/ou moraux.

L'archétype de la folle faisait aussi beaucoup rire et on le rencontrait un peu partout.

Au cinéma il y avait la mythique Cage aux folles avec son Serrault survolté ou le Super résistant joué par Martin Lamotte dans Papy fait de la résistance.

A la télé on avait le Michou Bidou des émissions de Collaro et les sketches type le gay paysan de Michel Leeb.

Dans le cinéma franchouillard et notamment les films de bidasses, il y avait toujours une folle, un type généralement lascif, hystérique et maniéré.

Mais au final l'homo n'était jamais vu comme quelqu'un de normal.

On en riait, on pouvait lui pardonner, mais il devait rester à sa place, entre l'handicapé et le noir pour forcer le trait.

Je me souviens avoir commencé à me poser des questions plus sérieuses lors des paniques autour du SIDA, qui m'avaient beaucoup impressionné et mis les homosexuels en avant, souvent pour les accuser d'ailleurs (rappelons-nous des sinistres sidatoriums de Le Pen père).

Puis arriva le PACS, ce contrat de concubinage qui était aussi valable pour les couples homosexuels.

A cette occasion je découvris un peu plus l'histoire des homosexuels, leur longue pénalisation et l'accès récent à une majorité sexuelle alignée sur les autres (1981), le tribut qu'ils payèrent au SIDA, leur nombre aussi, notamment chez les artistes.

C'est peu après cette époque que j'ai rencontré mon premier véritable homo (expression étrange).

Je prenais le train tous les jours avec lui pour aller travailler et nous avions fini par sympathiser.

C'est justement en évoquant mon opposition au PACS (je trouvais un peu con de créer un énième statut plutôt que de généraliser le mariage) qu'il me confia être PACSé.

Quand je lui demandais pourquoi il ne s'était pas plutôt marié qu'il me dit que c'est parce qu'il était avec un homme.

Je me souviens d'un blanc, auquel il devait être habitué, et puis nous avons continué à discuter régulièrement.

Lui n'avait rien d'une folle, il aimait un peu s'écouter parler, mais au final, comme le dit Khojandi dans son excellent sketch sur le sujet, il était comme tout le monde.

Peu à peu les mœurs changeant, j'ai rencontré d'autres homos qui ne se cachaient pas, généralement sans en faire un combat. C'était surtout des hommes, j'avais l'impression que les coming out lesbiens étaient plus rares.

Le mariage pour tous fut une autre étape marquante.

Il montra à la fois la permanence de réticences vis-à-vis de l'homosexualité (souvenons-nous de la manif pour tous), et une plus grande acceptation puisque la loi est quand même passée.

Une fois cette étape franchie, on put néanmoins penser que les homos étaient désormais acceptés et fondus dans le paysage.

Si je reprends mon exemple, un bon ami à moi est homosexuel, plusieurs collègues le sont également, ainsi qu'un couple de voisins avec deux enfants.

Certains sont de droite, d'autres de gauche, certains aiment les huîtres ou les grosses bagnoles, croient ou non en Dieu, aiment le footing, etc.

Ce serait malheureusement trompeur de penser que tout est réglé.

Dans le monde, les homosexuels sont très souvent officiellement discriminés sinon réprimés, certains pays allant jusqu'à la peine de mort.

Ce n'est pas le cas en France, mais les gays y font toujours l'objet de rejets, notamment chez les immigrés et les religieux, ces rejets pouvant aller jusqu'à l'agression et au meurtre.

Sans compter que, comme pour le racisme, un certain activisme identitaire a poussé la lutte jusqu'à l'absurde, générant des rancoeurs qui s'exprimeront tôt ou tard.

L'hégémonie wokiste des dernières années a ainsi été exploitée sans vergogne par certains pour leur ascension, un peu comme il y a des juifs qui instrumentalisent honteusement la Shoah pour leurs propres intérêts.

Et comme ces derniers ont finalement revivifié un antisémitisme qui n'attendait que ça, les excès LGBT pourraient bien entrainer un jour un retour de bâton. Les actions du gouvernement américain actuel en donnent une idée.

C'est en ce sens que je dis que le chapitre n'est pas clos. Le sera-t-il jamais d'ailleurs? 

Je pense qu'on peut juste souhaiter très fort la poursuite de la banalisation de l'homosexualité et la réduction des inévitables extrémismes aux marges de la société.

Espérons aussi que les débats nécessaires sur la parentalité ou la GPA aboutiront dans la sérénité, que les dogmes religieux feront une juste place aux homosexuels et que les militants sectaires accepteront qu'il y ait des limites et admettront qu'haïr la différence c'est condamnable dans les deux sens.

On n'est donc pas au bout. Les dynamiques ne vont pas toujours dans le sens souhaité, mais en Occident il y a bel et bien un monde gay qui est sorti du placard, composé de gens dont la sexualité est une facette parmi d'autres mais qui ont inventé une sous-culture.

J'évoquerai ce que je connais de cette dernière dans un prochain post.

jeudi 15 mai 2025

Réflexions sur la démographie (7): Evolution de la famille (1) - Introduction

Je reprends le sujet de la démographie, en entamant une série plus sociologique.

En effet, je vais m'y intéresser à la famille, cet élément de base d'à ma connaissance toutes les sociétés humaines.

Les évolutions et changements que cette cellule de base a connus les dernières décennies ont en effet un impact direct sur la démographie mais aussi sur la manière dont sont organisées nos sociétés et sur les gens qui y vivent.

Comme d'habitude, je vais me baser sur ce que j'ai pu étudier, mais aussi sur ce que j'ai pu vivre et voir autour de moi.

Et je commencerais en interrogeant ce qui fait naître une famille, à savoir le désir d'enfant.


Début: Réflexions sur la démographie (1): Introduction
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mercredi 14 mai 2025

Chanson (27) : La visite

J'ai déjà parlé de mon rapport au Québec, cet endroit qui attire le "francophonophile" que je suis mais dont les productions culturelles me déçoivent trop souvent.
 
Le titre de ce jour vient contredire ce constat. Il vient en effet de la Belle Province et semble avoir été écrit pour moi: il s'agit de La visite, de Lynda Lemay.
 
J’ai découvert cette chanteuse via son live de 1996, qu’on avait prêté à ma femme, et j’ai tout de suite adhéré à son univers, à son sens de la formule et à son imparable humour.
 
J’ai beaucoup écouté Lynda Lemay, je l’ai  même vue en concert et puis comme pour beaucoup d’artistes, j’ai un peu perdu sa trace, occupé par une vie d’adulte de plus en plus dense.
 
Dans ce morceau, la chanteuse exprime son aversion pour les visites impromptues.
 
Avec son habituel talent, elle décrit par le menu toutes les obligations que celles-ci impliquent, de la maison qui doit être rangée aux réserves de cacahouètes ou de liqueurs, en passant par la relégation sur la chaise droite, la politesse obligeant à céder ses sièges les plus confortables aux visiteurs
.
Elle parle aussi du stress d'être surprise de manière impromptue en "queue de chemise", des films interrompus en plein milieu, de l’hypocrisie suivie des inévitables ragots, du temps passé à espérer un départ qui n’en finit pas d’arriver et sera de toute façon suivie tôt ou tard par une autre visite.
 
En parallèle, elle fantasme sur les moyens d’y couper, de la dissimulation de sa présence (voiture cachée, rideaux tirés) à se faire une réputation de sorcière insociable pour rebuter toute tentative.
 
En quelques couplets Lynda Lemay crée comme à l’accoutumée un univers plein d’images fortes auquel on peut facilement s’identifier.
 
C’est en tout cas mon cas : en effet je n’aime pas les surprises, l’imprévu me met mal à l’aise et lorsque je vois des gens j’aime que ce soit planifié et garder la main sur la durée et la fin.
 
Ma conjointe n’étant pas de ce modèle-là, j’ai subi moi aussi des visites à la Lemay et la torture qu’elle décrit me parle donc beaucoup !
 
Pour finir par le côté musique, le titre est assez simple.
 
C’est une succession d’accords un peu rythmés qui accompagnent la voix de la chanteuse, dont l’interprétation nous fait sentir la montée du désespoir et de l’exaspération jusqu’à une chute excellente, qui conclue merveilleusement bien ce petit bijou parano.
 
Sans hésiter je mets cette visite (qui m’aide à tenir lorsque je me retrouve piégé et que je la chantonne dans ma tête) dans le top 10 des morceaux de cette talentueuse canadienne.

 

dimanche 11 mai 2025

Capitalisme, communisme et déresponsabilisation

Il y aura bientôt trente ans que je travaille, assez pour avoir un peu de recul sur la façon dont fonctionne l'économie dans le modèle capitaliste financiarisé et américanisé qui est le nôtre.

Je voudrais parler aujourd'hui d'une contradiction qui m'a récemment frappé et que je trouve intéressante.

Je commencerai par un détour chez l'autre grand système moderne qui fut proposé au monde pendant le vingtième siècle, c’est-à-dire le communisme.

Comme chacun sait (ou ne sait pas) dans le communisme les concepts de propriété privée et d'entrepreneurs n'existent pas.

Tout passe par L’État, omniscient, infaillible, seul patron possible qui marche avec des armées de fonctionnaires et une police omniprésente pour faire taire toute contestation.

Cet état central dirige tout, donne à chacun les tâches qu'il a à faire, distribue bons et mauvais points, lance et applique les politiques, etc.

Théoriquement ce système est efficace, dépassionné, et plus égalitaire car il ne tient pas compte des anciennes structures injustes telles que l'allégeance religieuse, la noblesse, la richesse des ascendants, etc.

Bien sûr la réalité était toute autre.

Quel que soit le pays, les gens soumis à cet arbitraire finissaient toujours par se désengager, par faire le minimum et par ne pas se sentir concernés par le collectif.

Cet espèce de désinvestissement se voyait de façon spectaculaire dans l'agriculture.

Dans la plupart des pays communistes, un petit bout de terrain avait été laissé aux gens pour leur usage personnel, dans lequel ils pouvaient travailler pour eux, voir vendre leur production.

Partout où cela a été mis en place, on s'est aperçu que la production de ces lopins de terre individuels était invariablement beaucoup plus importante que celle des fermes collectivisées.

Pour l'industrie, malgré l'absence d'équivalent, c'était la même chose.

Je me souviens du témoignage d'ouvriers communistes français sélectionnés parmi les plus fidèles du parti et envoyés en échange dans des usines soviétiques.

La plupart était tombé de très haut, choqués par le je-m’en-foutisme de leurs homologues russes, par leur absence d'implication, leur négligence, etc.

C'était comme s'ils ne se sentaient pas vraiment concernés par leur employeur.

Les visiteurs avaient par ailleurs noté l'ampleur du vol de matériel et le désintérêt du collectif.

Mes connaissances roumaines m'ont confirmé ce tirage au flanc généralisé, ces détournements de fonctionnalités et l'importance centrale des circuits informels.

Et tout cela là-bas aussi malgré un flicage et une répression qui n'allèrent que croissant avec le temps.

Cet état d'esprit peut rejoindre ce qu'on sait des gens soumis au servage, à l'esclavage ou à l'exploitation coloniale.

Dans tous ces systèmes se mettait en place une sorte de jeu du chat et de la souris entre des maitres tout-puissants et des subordonnés soumis à leur arbitraire.

L'idée qui sort de tout cela semble être qu’un homme suit ses dirigeants et/ou ses supérieurs avec zèle et bonne volonté quand il y voit un intérêt personnel et/ou qu'il y trouve du sens.

Alors que si son seul intérêt est de ne pas être châtié ou de l’être moins, il le fera aussi, mais en s'économisant le plus possible, vérolant en quelque sorte le système de l'intérieur.

Aujourd'hui, du moins en Occident, l'esclavage et le servage sont abolis depuis longtemps, et le communisme comme alternative et force de pression a à peu près disparu.

Le système capitaliste a gagné, parce qu'il est le meilleur et que chacun y trouve son compte : en étudiant puis en travaillant, on va gagner de plus en plus, progresser et pouvoir bâtir son petit univers, avoir sa maison, sa voiture, participer à la société, l’enrichir en s’enrichissant, etc.

Sauf qu'en fait non.

Le capitalisme d'aujourd'hui a muté.

Tout d'abord le développement de la sous-traitance dont j'ai déjà parlé, a entrainé une spécialisation à outrance, une multiplication des niveaux et des intervenants et une difficulté plus grande à comprendre ce que l'on vit professionnellement et où l'on se situe dans la chaine.

Deuxièmement, la "diplomisation" de masse, cette propension à exiger un diplôme spécifique pour tout, dévalorise les plus simples d'entre eux et augmente la difficulté d'en obtenir un qui vaille quelque chose, et par là favorise l'entre soi de ceux qui en ont.

Troisièmement, l'encouragement à la mobilité extrême ne favorise pas non plus l’investissement dans un poste.

Enfin et surtout la financiarisation de l'économie fait que le capital est toujours prioritaire à tout.

Pour résumer ce fonctionnement en le caricaturant un peu, les gens qui possèdent de l'argent achètent des entreprises dont ils ne savent rien, décident arbitrairement ce qu'elles doivent rapporter et engagent des dirigeants interchangeables qui feront ce qu’il faut pour que ces objectifs soient atteints.

Pour cela ils reçoivent des payes extraordinairement élevées, vont descendre la pression sur des salariés dont l'ensemble réuni gagne parfois moins qu'eux, en appliquant des méthodes uniformes, généralistes et indépendantes du secteur où ils interviennent.

Ce modèle que tout le monde ou presque connait, fait qu'il y a une dé corrélation très forte entre le travail fourni et les décisions de l'entreprise, à commencer par les salaires.

L’investissement personnel, le temps et l’énergie consacrés à son employeur ne pèsent pas lourd face aux décisions des actionnaires, basées sur des paramètres très éloignés du terrain.

Toute personne qui prend conscience de ce déphasage ne peut qu’en tirer la même conclusion: si le résultat n’a pas de lien évident avec mon travail, et si je suis tout le temps à la merci d’une décision arbitraire, pourquoi me fatiguerais-je ?

Pourquoi donner le surinvestissement tellement recherché par les employeurs ?

Pourquoi ne pas considérer seulement ma carrière, traire les employeurs quand je suis en position de force, les larguer dès qu’ils ne vont pas bien, et me préserver de toute idée de culture d’entreprise ?

Ces dernières années j’ai été confronté à de fréquents ghostings, c’est-à-dire de gens qui ne se présentent tout simplement pas à leur travail et ne prennent même pas le temps de prévenir.

J'ai aussi connu plusieurs abandons de poste, avec disparition volontaire d’un employé, et constaté une certaine légèreté vis-à-vis des emplois, une fuite délibérée des responsabilités vues comme une source d’ennuis sans retour.

On parle aussi du big quit, où chacun décide de faire le minimum,

Tout ceci m’amène à mon idée de départ, à savoir que finalement, le capitalisme d’aujourd’hui, vainqueur par KO de son adversaire communiste, est en train d’engendrer par ses excès les mêmes comportements démissionnaires et irresponsables.

Bien sûr, cela touche les gens qui ont un parachute et plutôt les milieux privilégiés, mais ce constat est bien réel, et les mêmes causes entrainent les mêmes effets.

Il faut donc peut-être réfléchir à ce qui s'est délité dans ce modèle sous peine sinon de le voir s'écrouler, au moins de voir d'autres alternatives dangereuses relever la tête.

Orthodoxes et schismatiques (9) - L'islam : le sunnisme

L’islam était uni pendant la vie de Mahomet.

Après son décès se posa la question de sa succession, puisque, s'il était un prophète, il était également un dirigeant politique.

Deux visions de sa succession s'opposaient.

Certains préféraient choisir le nouveau calife dans la famille de Mahomet, en la personne de son gendre et cousin Ali, d’autres étaient partisans de l’élire parmi ses compagnons.

Ces derniers eurent gain de cause, puisque c’est Abou Bakhr, un disciple historique (on dit qu’il fut le premier homme à suivre le nouvel enseignement) qui devint le nouveau calife.

Lorsqu’il mourut à son tour lui succédèrent deux autres califes que les traditions disent "bien guidés" : Omar puis Othman.

De nombreuses crises agitaient toutefois l’empire, qu’il s’agisse de tribus rebelles ou déjà de gens dont l'interprétation de la nouvelle religion divergeait (il existe quelques exemplaires de Corans alternatifs de l’époque, à l’instar des nombreux évangiles apocryphes que connut le christianisme avant de se stabiliser sur un canon).

C'est dans ce contexte qu'Othman fut assassiné, et c’est cette fois-ci Ali qui lui succéda.

Pendant son règne les divisions au sein du califat continuèrent à s’amplifier, s'accompagnant de guerres et de violences.

Une partie des musulmans, tenant Ali pour responsable de ces divisions, finit par contester son autorité.

Prônant une vision de l'islam détachée de toute idée dynastique ils constituèrent les kharidjites, la branche la plus minoritaire de l'Oumma (dont je parlerais dans un autre post). 

Un autre groupes s'opposa frontalement à lui, ce qui aboutit à son assassinat.

C'est cet événement qui scella la division de l'islam.

Les partisans d'Ali, reconnu par eux comme le vrai successeur de Mahomet , deviendront les chiites.

A contrario, d'autres souhaitèrent la poursuite du califat mais considérèrent que la doctrine, la sunna, devait être le socle de la croyance musulmane plutôt que le principe dynastique. 

Il fondèrent le sunnisme, qui regroupe 80% des musulmans aujourd'hui.

En plus du livre saint, les sunnites se basent donc sur la vie de Mahomet, son enseignement mais aussi ses faits et gestes, ce qu’il approuvait ou désapprouvait, etc.

Le Prophète reste en effet l’exemple du musulman parfait, et tout croyant a le devoir de s’en inspirer.

Comme l’islam en général, le sunnisme est largement décentralisé (rien de comparable à la hiérarchie catholique) et connait plusieurs subdivisions.

Il y notamment le découpage en quatre écoles, chacune portant le nom de l’imam qui la fonda.

Je ne sais pas trop à quoi elles correspondent d’un point de vue théologique, mais chacune est majoritaire dans une région du globe. Il s’agit de :

- L’école hanafite : c’est la plus ancienne et aussi la plus nombreuse en nombre d’adeptes (on les estime entre un tiers et la moitié des musulmans). Elle est majoritaire chez les peuples turcophones, du sous-continent indien, chez les Afghans et les Syro-Libanais.

- L’école malékite : deuxième en nombre de fidèles, elle domine largement en Afrique du Nord, à l’exception de l’Egypte, et dans la moitié nord de l’Afrique subsaharienne. De ce fait c’est aussi la principale école des musulmans de France.

- L’école chaféite : elle est la plus importante en Indonésie, premier pays musulman du monde, et dans les pays d’Asie du sud qui la jouxte (comme la Malaise) ainsi que sur la côte est de l’Afrique, avec d’importantes communautés en Irak, Turquie, Egypte et Yémen.

- L’école hanbalite : école la plus conservatrice, elle est prépondérante dans la péninsule arabique, et son plus important bastion est l’Arabie saoudite.

Chacune de ces écoles connait elle-même des subdivisions, certains points de doctrine ou théologiques sont partagés par plusieurs écoles, il existe des confréries, etc.

Mon impression est qu’on retrouve dans le sunnisme le même foisonnement décentralisé que dans le protestantisme, ce qui explique par ailleurs la difficulté pour nos états sécularisés de trouver un interlocuteur unique pour dialoguer avec les communautés musulmanes.

Dans toute cette diversité, certains groupes sont particulièrement connus en Occident.

1. Les salafistes

Les adeptes du salafisme ont une lecture littéraliste du Coran et pour but la restauration d’une société musulmane à l’image qu’ils se font de celle des premiers croyants.

Leur vie s’ordonne autour de principes très tranchés, séparant tout entre ce qui est licite et ce qui est illicite, et ils veulent se préserver des innovations de la modernité.

La première manifestation de cette doctrine est vestimentaire, mais cela peut descendre jusqu’à la position correcte pour dormir.

On distingue trois options dans le salafisme.

Il y a tout d’abord les quiétistes, qui, se concentrant sur la religion, veulent se retirer au maximum du monde pour se consacrer à Allah.

On pourrait les comparer aux amishs ou à certains ultraorthodoxes juifs.

Il y a les politiques, qui veulent peser sur le monde en entrant dans l’arène pour hâter l’état islamique, un peu comme le font les frères musulmans ou la moral majority chrétienne aux Etats-Unis.

Et il y a les plus connus, auxquels les salafistes sont souvent réduits : les terroristes, ceux qui veulent imposer leur loi par le fer et le feu et combattent au sens littéral du mot la mécréance sous toutes ses formes.

Malgré ces différences, il y a néanmoins une constante dans ces trois modèles, c’est la difficulté de cohabiter avec le monde qui les entoure, suscitant des frictions fréquentes et posant de véritables défis dans nos sociétés plurielles.

Les dernières années les ont en effet vu remporter d’importants succès un peu partout dans l’Oumma, où ils apparaissent pour beaucoup comme une sorte d’idéal, prescripteur de normes de vie.

Leur expansion est concomitante de l’importance du halal et de l'endogamie accrue qu'on peut tous constater.

2. Les soufis

Pour beaucoup de gens le soufisme est attaché une image orientaliste un peu réductrice : celle des derviches tourneurs, de leur vrai nom mevlevis, ces hommes habillés de blanc qui tournent sur eux-mêmes jusqu’à la transe et sont devenus une image d’Epinal de l’empire ottoman.

Au-delà de ce cliché, le soufisme est une branche ésotérique de l’islam sunnite.

Sans m’enfoncer dans la complexité foisonnante de leurs doctrines, j’ai retenu l’idée d’un chemin personnel vers Allah, d’une forme de renoncement aux aspects matériels du monde, un peu comme les sâdhus ou les moines mendiants, d’une initiation a des vérités cachées.

Pour atteindre leurs objectifs, les soufis utilisent plusieurs chemins, comme cette étrange danse, ou plus souvent une surenchère dans la prière et le jeûne.

Cet aspect mystique et ces pratiques un peu extrêmes les ont souvent rendus suspects à la fois auprès des autorités (la Turquie moderne les a un temps interdit) et des musulmans plus traditionnels.

On sait qu’aujourd’hui ils sont condamnés par les adeptes de l’islam littéraliste.

On sait aussi que cette variante de l’islam a fasciné plusieurs intellectuels occidentaux dont certains s'y convertirent, à l’instar de l'inclassable René Guénon.


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mardi 6 mai 2025

Réflexions sur l'Europe

Toute ma jeunesse j’étais un pro européen convaincu.
 
J’ai à chaque fois voté pour les candidats qui poussaient dans ce sens, je me suis réjoui des élargissements, des traités de « simplification », de Schengen et de l’euro.
 
J’ai été scandalisé du double jeu des Britanniques, convaincu que l’Allemagne et la France œuvraient dans le bon sens, qu’il fallait tendre la main vers les pays plus pauvres du continent.
 
Pour moi l’UE était le moyen de souder tous ces pays qui avaient des référents culturels communs (d'où mon constant rejet de la Turquie), d’éteindre définitivement des vieux contentieux territoriaux, comme l’Alsace ou le Pays basque pour la France ou l’Ulster pour le Royaume-Uni : en supprimant les frontières internes et avec une même monnaie ces revendications n’auraient plus de sens.
 
Je pensais aussi qu’elle nous permettrait de converger rapidement en termes de niveau de vie, que les pays riches profiteraient des marchés captifs que constituaient les nouveaux entrants, tandis que ces derniers rattraperaient leurs retards grâce aux transferts financiers et au subventionnement d’infrastructures, et que des aides permettraient l’atterrissage en douceur des secteurs en crise.
 
Enfin, j'imaginais que l’UE serait l’outil qui nous permettrait de dépasser le poids de plus en plus modeste de notre pays en troquant notre souveraineté française contre une souveraineté continentale, et qu'une politique sur cette nouvelle échelle nous permettrait de nous débarrasser de notre statut de vassal de l’Oncle Sam et de peser en toute indépendance sur le monde.
 
Aujourd’hui je me rends compte d’à quel point j’avais tout faux.
 
En résumé, ma vision est plus ou moins celle d’une UE qui serait une grande France multilingue, une extension de notre système français qui, s’il n’est pas pire qu’un autre, n’est qu’une variante dans la liste des possibilités et surtout dans la liste des modèles adoptés par les membres de l’UE.
 
L’Allemagne a une vision fédérale de l’UE, la Grande-Bretagne un regard très anglo-saxon, jaloux de son indépendance et souhaitant seulement un espace de libre échange sans lois, comme l’est l’AELE, cette organisation concurrente qu’elle initia dans les années 60 avant de rejoindre sa rivale (dont on a vu qu’elle a fini par la quitter).
 
Les petits pays sont plus américanophiles, à la fois pour les garanties militaires et parce que ce tuteur extérieur lointain réduit le poids des grands membres, ce qui est sans doute plus confortable pour eux ainsi (un peu comme les Amérindiens québécois préfèrent le Canada au Québec).
 
Cette américanophilie est particulièrement marquée dans les anciens pays communistes (rejet de l'URSS oblige), qui sont aussi généralement plus nationalistes et donnent souvent l’impression de ne voir l’union que comme une simple vache à lait.
 
L’Europe méditerranéenne est plus sensible aux problèmes soulevés par la pression migratoire issue de la rive du sud de la mer, l’Europe de l’Est est plus préoccupée par le voisinage russe.
 
Les pays dont la monnaie était faible ne goûtent guère l’orthodoxie de l’euro, qui pour eux ressemble trop à un nouveau Deutschemark déguisé.
 
Le référent religieux, épouvantail en France, est revendiqué dans beaucoup de pays, notamment ceux qui ont eu à subir le joug ottoman et celui du communisme.
 
Etc.
 
Au final, dans cette variété se dessinent quand même des convergences, mais pas forcément dans les domaines que j’imaginais.
 
Tout d'abord du fait de la doxa bruxelloise de la libre concurrence, on constate partout une augmentation globale des inégalités et de la fracture entre les in et les out de la mondialisation (métropoles vs arrière-pays), ce qui se traduit de plus en plus par des oppositions politiques global vs local.
 
On note aussi une progression frappante de l'américanisation : la culture commune à tous les pays de l'UE est made in USA, sur fond de ralliement général à la langue anglaise.
 
Celle-ci est réellement devenue la véritable langue de l'UE, à rebours du multilinguisme initial qui a vécu, et notamment sous l’impulsion d’une Europe du Nord qui l’a choisie et promue depuis très longtemps (lire ICI et ICI).
 
Il est aussi frappant de voir à quel point l'UE se construit via des mouvements transnationaux qui l'utilisent à leur bénéfice.
 
Cela peut être les migrants, clandestins ou non, qui savent où débarquer en fonction de la législation du moment, et qui une fois dans la place utilisent les mécanismes de Schengen pour se rendre vers leur destination finale.
 
Les mouvements extrémistes jouent la même partition. Les QG islamistes de Molenbeek en Belgique et du Londonistan anglais sont bien connus, mais il y eut aussi la radio néonazie danoise ou les relais d’états malveillants tels que Russie et Chine qui poussent leurs pions en fonction de la situation.
 
La criminalité s’est également admirablement bien adaptée au système européen, se jouant des frontières, investissant dans les activités légales d’un pays l’argent récolté illégalement dans un autre (le livre Gomorra décrit très bien cela).
 
L’optimisation fiscale et l’exploitation de la loi du moins disant est aussi une réalité qui structure l’UE.
 
Nombre de sièges d’entreprise sont à Amsterdam ou Dublin pour avoir un pied en Europe en y payant le moins d’impôts possible, et certaines entreprises plus modestes jouent aussi là-dessus.
 
Avant le célèbre plombier polonais, on a eu le scandale des salons de coiffure français ayant leur raison sociale au Royaume-Uni ou celui des salariés détachés de Roumanie travaillant en France avec un contrat roumain.
 
Plus récemment, le drame de l’affaire Nahel a mis en en lumière les montages d’entreprises qui louent à Marseille des grosses voitures en utilisant une raison sociale polonaise pour profiter des règles plus permissives de Varsovie.
 
Dernier point et non le moindre: l’ouverture à tout crin qui est l'idéologie de l'UE la rend perméable à toutes sortes d'influences étrangères qui peuvent orienter sa politique.
 
On sait notamment qu’il y a un lobbying complétement hors contrôle à Bruxelles, avec en 2025 pas moins 50.000 lobbyistes en activité autour des 720 eurodéputés (ICI et ICI).
 
Ils sont anglo-saxons évidemment, ceux-ci ayant presque réussi à faire nommer à la commission une Américaine ex-employée des GAFAM, mais aussi russes, chinois ou qataris, ces derniers ayant été identifiés dans une gigantesque affaire de corruption.
 
Autre exemple marquant : le parrainage par le conseil de l’Europe d’une campagne Hijab is freedom  dans un continent où les musulmans sont encore largement minoritaires. Malgré un rétropédalage précipité, cette histoire souligne le poids de l’entrisme des frères musulmans.
 
Devant tout cela on ne peut pas ne pas se demander si l’UE est vraiment au service de ses citoyens et si la caricature d’une hyper-structure mondialisée à la botte des plus riches et ne rendant de compte à personne est vraiment loin de la réalité.
 
Le refus de prendre en compte le non aux référendums français et néerlandais de 2005 avec passage en force du traité renforce cette idée de déficit démocratique.
 
De ce fait, sur tout le continent l’UE est devenue le bouc émissaire pour tout ce qui ne va pas.
 
Un peu partout des partis eurosceptiques récupèrent colères et anxiétés, et se font élire les uns après les autres, la relative réussite du Brexit (dans le sens où le Royaume-Uni ne s’est pas brutalement écroulé comme certains le prédisaient) amenant de l’eau à leur moulin.
 
On a aussi le sentiment que chaque grande crise augmente les fractures existantes.
 
La crise financière de 2008, la vague de migrants orientaux de 2015, le COVID, l’invasion russe de l’Ukraine...à chaque fois on a vu les états membres entrer en conflit, certains refuser de tenir compte de la législation et d'autres imposer leurs choix.
 
Pour le moment, l’UE existe encore, mais dans quel état ?
 
J’ai l’impression que nous sommes embourbés dans une situation intenables : trop intégrés pour revenir à une souveraineté nationale pleine et entière, mais pas assez pour exister politiquement, nous sommes bloqués au milieu du gué, condamnés à rester cette maison ouverte aux quatre vents où chacun vient se servir et que tout le monde méprise, ce bloc paralysé qui subit plus qu’il n’agit et dont les citoyens sont des spectateurs impuissants.
 
Combien de temps cela peut-il durer ? Combien d’années peut-on vivre dans cette situation ?
 
La cote de Bruxelles est donc au plus bas, à juste titre, et moi-même je n'arrive plus à croire à ce modèle.
 
Toutefois si l’on dissolvait l’UE aujourd’hui, que se passerait-il ?
 
Nous redeviendrons un ensemble de petits pays, voisins et concurrents. Chacun d'entre nous devrait se choisir un ou plusieurs suzerains, de manière encore plus contrainte qu’aujourd’hui.
 
Et tout cela se produirait dans un monde où notre poids relatif ne cesse de baisser, que ce soit d'un point de vue démographique, culturel ou économique.
 
Qui peut croire que la Slovaquie s’en sortirait mieux détachée de Bruxelles ? Est-ce Poutine qui subventionnerait leur agriculture et leurs autoroutes ?
 
Et à propos de Poutine, combien de temps des états baltes hors UE mais avec leurs 30% de Russes tiendraient-ils avant d’être dépecés ?
 
Idem pour la Grèce. Ruinée et vieillissante, qu’est-ce qui la mettrait à l’abri du révisionnisme turc, dont on sait qu’ils revendiquent une grande partie des îles sous souveraineté athénienne ?
 
Et la dette française, ne ferait-elle pas fuir les banques si notre économie cessait d'être adossée à celle de l'Allemagne, du Benelux, de l'Italie et des autres?
Etc.
 
L’insistance de pays comme la Macédoine du nord ou la Serbie pour rejoindre le club devrait nous faire réfléchir à ce que nous avons à perdre.
 
Il est certain que ça ne marche plus vraiment, mais plutôt que de jeter le bébé avec l'eau du bain il faudrait revoir le modèle, en priorisant les questions pratiques.
 
Il faut fermer plus notre espace économique, par exemple en réservant une part des marchés publics à nos entreprises, comme le font tous les grands pays, et favoriser des alternatives européennes à chaque fois que c’est possible, pour réduire notre dépendance à l'extérieur et stimuler notre créativité.
 
Il faut augmenter les synergies militaires et peut-être encore plus policières et douanières pour que la criminalité organisée cesse de se jouer de nous.
 
Il faut règlementer le parlement pour en chasser les lobbies ou du moins les forcer à avancer à visage découvert.
 
Il faut peut-être réduire la liberté de circulation sous une certaine forme, pour éviter la fuite des cerveaux, le dumping social et la mobilité du crime.
 
Il faut certainement moins intervenir dans le sociétal et le religieux autochtone, en se reconcentrant sur les droits individuels de base sans tenter d’imposer un introuvable modèle unique et de promouvoir les idées de certains.
 
Il faut probablement, et c’est sans doute le plus difficile, mettre en place un système qui pénalise les pays qui font de l’antijeu.
 
En fait, nous devons reprendre conscience de quelques faits réels et concrets et agir en conséquence.
 
Le sentiment d’identité européenne n’existe pas chez la plupart des gens et il n’existera peut-être jamais.
 
En revanche, il est clair pour tous qu'i! y aura toujours une Russie et un monde arabe dans notre voisinage, et que nous devrons longtemps encore tenir compte des velléités impérialistes des US et de la Chine (en attendant les prochains).
 
Nous serons aussi toujours les voisins des Belges, des Allemands, des Espagnols ou des Italiens, et quand quelque chose se passe chez l’un d'entre eux, cela aura toujours des conséquences chez les autres.
 
Ce voisinage et l’héritage commun à tous les pays européens font que nous avons une foule de problèmes en commun, de la concurrence au vieillissement en passant par les défis industriels ou écologiques, l’immigration clandestine et la sécurisation de l'accès aux matières premières.
 
Tous ces constats devraient être suffisants pour nous faire comprendre l’intérêt concret d’être alliés et donc l’importance d’une UE sous une forme ou une autre, parce qu’il y a toutes les chances que ce soit pire sans elle qu’avec elle.
 
Soyons des Européens de raison en somme, loin de l'utopie et dans le concret parce que c’est la condition pour exister dans un monde justement de moins en moins européen.

vendredi 2 mai 2025

Chanson (25) : Ceausescu n-a murit

Je ne saurais dire si Ada Milea, l'artiste roumaine dont j'évoquerai un titre aujourd'hui est une star ou une chanteuse anecdotique dans son pays.

Quelques recherches m'ont appris qu'elle avait mon âge, qu'on l'interviewait dans plusieurs magazines et qu'elle était connue pour son originalité et son côté underground.

De mon côté je l'ai rencontrée à travers la chanson dont je voudrais parler aujourd'hui, Ceausecu n-a murit, choisie pour illustrer un documentaire sur le célèbre dictateur éponyme, sans doute l'un des plus fascinants du bloc de l'Est.

Milea avait 14 ans à la chute de son régime. Elle l'a donc bien connu, suffisamment pour en avoir des souvenirs concrets.

Elle à également dû gouter à l'interminable période de transition qui suivit l’exécution du dictateur et vu la Roumanie franchir les étapes de l'adhésion au club des pays européens jusqu'à devenir un membre à part entière de l'UE.

Dans cette chanson, elle semble s'interroger sur le legs du Conducator et le rapport ambigu qu'entretiennent les Roumains avec lui, entre nostalgie et répulsion, bien loin en tout cas de l'image en noir et blanc que nous imaginons souvent à l'Ouest.

Ce morceau très court est épuré.

Milea chante, de manière vaguement martiale et un peu mélodramatique (peut-être de l'ironie dont elle semble coutumière?), s'accompagnant d'une guitare sans fioritures, et c'est tout.

La mélodie va à l'essentiel mais ce qui m'avait marqué c'étaient bien ses paroles, aussi simples que puissantes.

Si je traduis grossièrement, Milea dit que Ceausescu n'est pas mort et que l'Histoire a trompé les Roumains.

Pour eux il reste une maladie, une école, il est présent dans chaque citoyen, dans chaque immeuble et chaque usine du pays.

Sa langue de bois se promène toujours dans tous les discours du pays, et au final tous les Roumains sont un peu des Ceausescu.

Ces images sont brutes et directes, mais elles expriment exactement la marque que le tyran a laissé sur le pays pendant ses décennies de pouvoir.

Elles rappellent aussi le fait que les peuples ne cherchent pas seulement le bonheur et la justice, et qu'un homme fort et charismatique suscitera autant d'admiration que de haine, et toujours une nostalgie avec le temps.

Les Français avec Napoléon, les Italiens avec Mussolini, les Russes avec Staline, les Portugais avec Salazar, les Burkinabés avec Sankara, les Argentins avec Péron...la liste est longue de ces amours ambiguës mais bien réelles, et je dirais même indispensables pour qu'un dictateur puisse durer.


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