dimanche 29 décembre 2024

Chanson (20): Roy Bean

Je terminerai 2024 avec le titre Roy Bean, de Jean-François Coen.

Ce morceau est très précisément attaché aux interminables étés de mon adolescence, que je passais isolé dans la ferme de mes parents.

Pendant ces trois mois mes seuls contacts avec le reste du monde, hormis ma famille, étaient les lettres que j'échangeais avec mes amis et la télé.

Certains après-midis vides, je regardais les émissions de clips de M6. Je n'aimais pas grand-chose mais je me souviens avoir été interpelé par ce titre et son étonnant clip.

On y voyait le chanteur allongé sur un canapé devant un fond sombre, croquant une pomme avec nonchalance.

Pendant qu'il chantait les paroles écrites défilaient sur le côte et une fille au premier plan se déshabillait lentement.

Elle ne le faisait pas en dansant ou en suivant le rythme de la musique mais cérémonieusement et sans sourire.

Au moment où en sous-vêtements, on supposait qu'elle allait finir nue, un zoom était fait sur la tête du chanteur qui se redressait pour dire "Ma petite tu t'égares" avant que le titre ne s'achève.

Je me souviens avoir été conquis par la simple originalité de ce clip et par sa malicieuse chute.

Le sujet m'interpelait également puisqu'il évoquait Roy Bean, une de ces légendes du Far West que j'avais connues via Lucky Luke, une BD que j'ai beaucoup lue dans mon enfance.

Enfin la chanson elle-même était à mon goût.

Basée sur un riff accrocheur qui se répète, elle est complétée par une riche ligne de basse, quelques passages au banjo et des cordes.

Sur ce fond à la fois cool et entraînant, le chanteur à la voix très ténue pose ses mots avec une sorte de dandysme ennuyé à la Dominic A: le mélange est très réussi.

Le tout s'était imprimé dans ma tête, au rayon des petites pépites qu'il me faudrait retrouver un jour.

Aujourd'hui je ne sais pas grand-chose de plus de Coen.

Les maigres informations de sa fiche Wikipédia semblent indiquer qu'il n'a pas eu une carrière très visible, qu'il est juif pied noir et qu'il a 65 ans.

J'ai découvert qu'il existait plusieurs versions du clip avec plusieurs filles (ICI et ICI), et que d'autres titres de lui, mais pas énormément, étaient disponibles sur le web.

Mais curieusement je n'ai pas cherché à les écouter, comme si je préférais garder la saveur unique de ce Roy Bean venu par hasard éclairer l'ennui d'un été ordinaire.

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vendredi 27 décembre 2024

Chanson (19): Les forêts noires

Je suis né dans une France déjà bien américanisée en termes de culture, notamment musicale.

La vague yéyé qui faisait des VF souvent puériles de hits américains, était passée.

Il y avait une volonté plus grande de créer soi-même et de faire du "sérieux".

Mais on était toujours dans une espèce de copie appliquée de ce qui se passait dans le monde anglo-saxon.

Le temps de l'émancipation des années 90, quand le rock français se mettrait à construire des passerelles avec notre patrimoine (ou ce qu'il en restait) et avec d'autres musiques, issues du reste du monde ou de l'immigration, n'était pas encore arrivé.

Paradoxalement d'ailleurs, cette maturité des 90es a correspondu à la fin de l'hégémonie du rock auprès des jeunes, qui fut détrôné par le rap en même temps que la population changeait massivement.

Mais pour en revenir aux années 80, on pouvait dire en simplifiant qu'on faisait de la musique anglo-saxonne avec des paroles en français, chaque grand courant naissant à Londres, New York ou Los Angeles générant des groupes en VF qui tentaient de devenir l'équivalent français de Madonna, Cure ou Depeche Mode.

Ce n'était pas facile.

Les structures (studios, salles) manquaient, le marché était relativement étroit, les médias longtemps sous contrôle.

Combien de groupes régionaux qui tentaient leur chance ont-ils réussi à percer, ne serait-ce qu'un temps? Combien surtout sont restés locaux et n'ont jamais pu transformer l'essai?

Celui qui chantait le titre dont je vais parler aujourd'hui était l'un d'entre eux.

Il s'appelait Sclérose et venait du Limousin, il était plutôt bon et produisit une série de titres que j'entendais dans les radios du coin, mais ne réussit pas à percer au niveau national.

Leur musique était très new wave, avec beaucoup de clavier et le son un peu froid de l'époque. Leur chanteur avait une voix un peu juvénile/androgyne qui collait bien avec leurs textes, fouillés et poétiques.

C'était je crois mon frère aîné qui m'en avait parlé et m'avait fait écouter quelques morceaux, et j'ai longtemps gardé en mémoire des extraits d'une chanson touchante et obscure qui parlait d'une fille trop belle se lavant dans des eaux...

Grâce à la magie internet, j'ai fini par retrouver Les forêts noires (c'est le titre) ainsi qu'une mauvaise vidéo du groupe le jouant en extérieur un jour de froid glacial comme il y en avait encore dans les années 80.

D'autres chansons que je connaissais étaient également disponibles, mais c'est celle-ci qui reste ma préférée.

La douce nostalgie qui en émane, ses vers mystérieux et son côté amateur continuent à m'enchanter et à m'évoquer cette période qui s'éloigne.

Elle me fait également penser à ma région, qui a elle aussi tellement changé, et me rappelle à quel point naître à tel ou tel endroit conditionnait la suite.

Si Téléphone s'était formé à Limoges et Sclérose à Paris, qui sait ce qui se serait passé?

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mardi 17 décembre 2024

Vie professionnelle (6): larbin

J'ai été inspiré pour mon post d'aujourd'hui par le mot larbin, ce qualificatif qu'on entend souvent balancé par les grandes gueules, les fortes têtes, comme une insulte.
 
Qu'est-ce qu'un larbin?
 
On désigne par ce mot une personne obéissante, servile, suiveuse, qu'on imagine sans volonté propre, voire sans dignité.
 
Çà renvoie au pire à l'idée d'esclavage, de domesticité, a minima à la domination et au suivisme, quelque chose d'éminemment péjoratif aujourd'hui.
 
Est-ce pourtant toujours aussi clair? Est-ce que les larbins sont forcément nuisibles ? Est-ce qu'être un larbin n'est pas aussi un choix qu’on doit respecter ?
 
En effet, être le subordonné dévoué de quelqu’un de plus puissant/compétent/riche garantit un certain confort matériel, une protection.
 
Dans certaines circonstances, cela peut être utile et une stratégie intelligente.
 
C’est notamment le cas dans des pays ou des époques sans garde-fous sociaux, où la naissance, la richesse et le rang conditionnent la vie de manière exclusive.
 
Les écuyers, les bonnes ou majordomes, voire les esclaves de maison jouissaient de privilèges qui peuvent faire ricaner aujourd’hui mais n’étaient pas négligeables pour autant.
 
Ils étaient parfois même une question de survie, conditionnant l’accès à des choses aussi basiques que se nourrir ou se loger.
 
Et à rebours de ce qu’on imagine parfois dans nos visions romantiques des classes sociales, la quête de ces privilèges peut faire l’objet de lutte impitoyable et ceux qui y aspirent être totalement dénués de scrupule.
 
Je me souviens d'un personnage de Yasmina Khadra, un boxeur je crois, qui était devenu garde du corps/homme à tout faire pour l'un de ces fils de révolutionnaires/militaires corrompus qui possèdent au sens propre l'Algérie depuis 1962.
 
Sauvant son maitre de la vengeance d'une de ses anciennes victimes, il assénait à celle-ci avec un cynisme tranquille: "Tu ne le toucheras pas, ce maitre c'est le mien, je me suis battu pour l'avoir et tu ne m'en priveras pas."
 
On peut aussi penser à l’esclave joué par Samuel L. Jackson dans Django Unchained, plus effroyable avec ses pairs que ne l'était son propre maître.
 
Sans aller jusqu’à ces extrêmes, un larbin peut l’être devenu pour jouir d’un pouvoir ou d’une position enviable à son niveau.
 
Songeons au pouvoir des secrétaires de direction ou des chambellans, que leur rôle d’interface permanente rend incontournables pour qui veut approcher leurs maîtres.
 
Je parle ici d’aspects matériels et/ou de distinction, mais il n’y a pas forcément que ça qui peut motiver ce choix.
 
On peut aussi apprécier le confort intellectuel que donne le fait de laisser un autre décider ou prendre les initiatives à sa place.
 
Se cantonner aux tâches dites "de merde" et laisser au maître/supérieur les combats sur les grands sujets, les responsabilités ou les initiatives peut être un choix.
 
Au risque de choquer, je pense que les couples dits traditionnels et heureux qui existent et ont existé sont souvent ceux dans lesquels il y avait ce partage assumé entre l'intendance et la stratégie, si l'on peut dire.
 
J’ai pu constater cela de nombreuses fois, avec un homme faisant carrière en se reposant intégralement sur sa femme pour la gestion de la maison et de la famille, tout en respectant ce rôle, en partageant les revenus et en consultant son épouse pour les grandes décisions.
 
C’est plus rare dans l’autre sens, mais je connais un homme qui ne se sentait jamais aussi bien que lorsqu’il se trouvait dans cette configuration d’homme au foyer.
 
Je ne dis pas que c’est bien ou mal, mais que certains et certaines choisissent cette configuration et s’y trouvent bien. Ce choix est aussi respectable qu’un autre.
 
Pour en revenir au monde professionnel, on trouve derrière la plupart des leaders une personne pas forcément aussi visible et connue, un homme ou une femme à tout faire qui lui est intégralement dévoué et s’active à concrétiser les choses dans l’ombre.
 
Sans elle ou sans lui, le leader se retrouve pollué par les problèmes annexes, et à l’inverse cette personne ne saurait ou ne voudrait pas prendre la place du leader.
 
J’en viens à la dernière idée : au final, les larbins ne sont-ils pas indispensables ?
 
Dans le couple comme dans le travail, il est absurde de vouloir que tout le monde décide et tout aussi absurde de mépriser ceux qui exécutent ou mettent en œuvre, avec un mépris proportionnel au zèle mis dans cette exécution.
 
Il me semble crucial de réhabiliter les bons exécutants, qui sont indispensables à tout projet, toute communauté.
 
Il n’y a rien de déshonorant à suivre quelqu’un, à être celui qui fait au lieu de celui qui dit quoi faire.
 
Il n’y a rien d’humiliant à être celui qui gère le quotidien.
 
Pourvu que chacun soit reconnu et qu’il y ait un équilibre, ça n’a rien de méprisable.
 

vendredi 13 décembre 2024

Chanson(18): le youki

Les raisons qui me font m'intéresser à un musicien sont variées.

Cela peut être son succès, même si l'artiste est a priori très loin de moi et de mes goûts, comme disons Taylor Swift, Beyoncé ou Booba.

Cela peut être sa légende et l'héritage qu'il a laissé, comme les inévitables Jimi Hendrix et Django Reinhardt.

Cela peut être les recommandations d'un proche qui en est passionné : Justin Bieber ou les rappeurs appréciés par mes enfants ou les Beatles par mon binôme étudiant.

Cela peut être un "coup de foudre" à l'écoute d'une chanson ou d’un album (Led Zeppelin I ou Benjamin de Florent Marchet).

Et cela peut aussi être l'univers de ce musicien.

J'ai en effet toujours admiré les gens qui créaient un monde autour d'eux, avec leur style et leurs références, inventant quelque chose de nouveau, parfois en rupture avec ce qui est connu.

Niveau international, je pense aux inimitables Queen, à Björk ou aux Cramps.

Niveau hexagonal, à Boby Lapointe, aux Rita Mitsouko, à Hubert Félix Thiéfaine...et à Richard Gotainer.

C'est d'un titre de ce dernier, Le youki, dont il va être question aujourd'hui.

Revenons aux années 80 et à mon enfance.

Même si cette décennie, dont je parlerai un jour, vécut la libération de la bande FM, les canaux de diffusion d’une chanson restaient bien plus limités qu'aujourd'hui.

Il y avait donc la radio, notamment quelques stations poids lourds, les disques et cassettes, et il y avait la télévision.

Celle-ci se résumait encore à un nombre réduit de chaines, toutes issues de l’ORTF, cette émanation de l’État français qui était très contrôlée.

Sur ces quelques chaines il y avait des émissions de divertissement, et y passer assurait à un artiste une visibilité sans pareille.

Je pense que c’est dans une émission de ce genre que j’ai vu Gotainer.

Le personnage m’a tout de suite attiré.

Il était décontracté et drôle, avait un coté enfantin, des airs un peu lunaires et donnait l'impression de se moquer de tout comme les gens cool le devaient.

Et puis il portait des lunettes.

Ce dernier point comptait beaucoup pour moi à l'époque.

Dans ma jeunesse en effet les binoclards étaient bien plus rares qu'aujourd'hui, et les artistes qui en portaient se comptaient sur les doigt d'une main (en fait je ne me souviens que de Nana Mouskouri).

Et ils étaient souvent caricaturés et stigmatisés: c'était les "têtards à hublots", les intellos, les nazes,les pas marrants.

Et moi qui souffrais d'une myopie précoce et très forte, on m'avait évidemment rangé dans le camps de ces losers.

Or voilà qu'apparaissait Gotainer, qui était tout le contraire de ça: du coup il m'attirait.

Ce chanteur travaillait aussi dans la publicité, domaine où il connut de grands succès, inventant des slogans qui faisaient mouche.

Quant à ses titres, tous étaient de petits univers, aux mélodies accrocheuses, aux clips et chorégraphies soignées.

Il y abordait des thèmes improbables (comme la passion des décalcomanies), flirtant avec l'absurde et la dérision, et il avait un goût pour notre langue et un côté joyeusement paillard dont je ne prendrais conscience qu'avec l'âge.

L'OVNI dont je me souviens le mieux était donc Le youki.

Dans cette chanson, il raconte l'histoire d'un chien, Youki donc, en utilisant la langue de neuneu avec laquelle certaines personnes s'adressent aux enfants ou aux animaux.

L'affection de ce chien est partagée entre ses deux maitres, mémère et pépère, qui rivalisent d'attention et de mots débiles à l'égard de cette bête qui montre sa queuqueue et ses papattes poilues et qui mange des bouts de caca.

Ce texte joyeusement absurde s'accompagnait d'un clip coloré où Gotainer jouait tous les personnages de sa chanson, dans un décor cubique et flashy avec des choristes/danseuses un peu sexy.

Je ne sais pas pourquoi mais la vision de cette vidéo ça avait profondément marqué le gamin que j'étais et ses images sont restées de longues années dans ma tête.

Je n'ai revu ce monument que bien plus tard, lorsque le web me permit tant de fructueux retours arrière, et quand je l'ai fait découvrir à mes enfants, j'ai senti avec amusement (et peut-être un peu d'émotion) qu'ils éprouvaient eux aussi ce mélange de vague inquiétude et de jubilation que j'avais ressenti en 1984.

Maintenant que ses œuvres sont pour moi accessibles à volonté je ne suis pas plus fan de Gotainer aujourd'hui qu'hier, mais je garde pour lui l'admiration respectueuse que m'inspirent les gens qui assument leur originalité.

Et puis la vision du clip du youki reste l'une des premières étapes de ma prise de conscience que la vie est une telle absurdité qu'il vaut souvent mieux en rire et que ne pas la prendre trop au sérieux est aussi indispensable que salutaire.

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lundi 2 décembre 2024

Is Anyone Up?

Il y a pas mal d’années maintenant que la question du revenge porn est posée. L’affaire autour du site Is anyone up ? a été la première dont je me souvienne sur ce sujet.
 
Ce site, fondé par le détestable Hunter Moore, fut sans doute le plus médiatisé du genre. Le principe en était très simple : les gens déposaient des photos nues et/ou à caractère sexuel, voire des videos, de leurs ex contre leur gré, souvent pour se venger d’une rupture.
 
Cette pratique existait déjà pour les célébrités, via quelques magazines spécialisés dans l’exhumation de péchés de jeunesse type téléfilm érotique ou couverture de magazine. Mais le net permit à la fois de changer de braquet pour lesdites célébrités (voir celebjihad par exemple), et de toucher M. ou plutôt Mme tout-le-monde.
 
Les premières victimes se trouvèrent face à un vide juridique totale, et durent subir le cauchemar de se voir exposées sans espoir de retour arrière car Internet ne rend jamais sa proie : photos et vidéos peuvent y être reproduites à l’infini.
 
En plus Moore se faisait en parallèle une gloire du pouvoir que lui donnaient ces clichés, récoltant un temps le titre de personnalité la plus détestée d’Internet.
 
Le législateur finit cependant par intervenir. Un peu partout le droit à l’image fut renforcé et ces pratiques fort heureusement pénalisées.
 
Cela n’arrêta bien évidemment pas le revenge porn et les nudes circulant contre l’avis de leurs modèles.
 
C’est d’autant plus vrai depuis l’avènement des smartphones et des réseaux sociaux et surtout dans les populations adolescentes.
 
Combien de filles naïves, amoureuses ou se croyant rebelles se laissent avoir et se déshabillent en ligne contre une promesse de confidentialité jamais tenue ?
 
Et à cet âge débile, combien de bandes de crétins patentés utilisent ce moyen pour humilier, se moquer ou se venger ?
 
Rien que dans mon entourage je connais un nombre important de cas qui vont de la fille qui a accepté de se faire filmer en train de faire une fellation à un ex jusqu’à celle qui filme pour sa bande un garçon en train de se faire déshabiller de force.
 
Tout cela existe depuis que le monde existe, mais comme pour les malheureux mauvais artistes dont j’ai parlés dans cet ancien post, Internet empêche que la page soit jamais tournée, recyclant sans fin les moqueries et leurs causes, qui se répètent autant que tournent les images des malheureux et malheureuses qui se sont un jour fait piéger.
 
Hors la punition et de l’éducation, je pense qu’il n’y a malheureusement pas grand-chose à faire, à moins d’interdire les téléphones et l’accès au web, mais il faudrait être la Corée du nord pour ça…
 
Je le vois avec mes enfants, qu’on a essayé de sensibiliser très tôt à ces problèmes sans les brider, il faut le temps que jeunesse se passe et les dérapages sont ô combien faciles.
 
Paradoxalement, je me dis que l’IA pourrait être la solution.
 
En effet, parmi les applications de ce nouveau graal des entreprises, il y a de nombreux logiciels qui déshabillent les gens à partir de photos ou intègrent des visages dans des films porno.
 
Cette pratique immonde est d’ailleurs largement utilisée pour discréditer les gens : je me souviens de la journaliste Rana Ayub qu’on a cherché à démolir par ce biais.
 
Au début les résultats étaient grossiers, mais de nos jours certains sont carrément bluffants, au point que dans un futur proche il sera probablement impossible de déterminer si l’image ou le film est vrai ou faux.
 
Et s’il n’est plus possible de savoir si c’est ou non du fake et si tout le monde sait que c’est impossible, cela ne fonctionnera tout simplement plus.
 
Le moment de la diffusion sera certes désagréable, mais on pourra nier de façon crédible et enlever leur pouvoir de nuisance à tous les Moore du monde.
 
En attendant, il faut continuer à lutter contre cette pratique, et faire payer tous ceux qu’on peut.

samedi 30 novembre 2024

Le poison de l'idéalisme

Il est souvent très difficile de se connaitre soi-même.

Pour beaucoup de gens (la plupart sans doute), il y a l'image que l'on se fait de soi, et la réalité, les deux pouvant être très éloignées.

C'est vrai dans plusieurs sens d'ailleurs: on peut se surestimer ou se sous-estimer sur tel ou tel plan, ou encore se raconter des mensonges, tout en y croyant.

Je pense même que se mentir est parfois nécessaire, la réalité n'étant pas toujours très flatteuse pour l'ego, et se regarder en face pouvant être très douloureux.

Certains disent qu'on va mieux quand on se connait bien, j'en doute un peu.

En ce qui me concerne, à l'approche de la cinquantaine j'ai fini par identifier une façon de fonctionner qui me caractérise et que je n'aime pas.

Pour parodier le titre d'un vieux film de Pierre Richard je suis un incurable idéaliste, même si je me soigne.

Je pourrais résumer ce fait par des attentes démesurées vis-à-vis du monde, que je vois tel qu'il devrait être au lieu de le voir, et surtout de l'accepter, tel qu'il est.

Avec pour corollaire une certaine naïveté qui a pu me faire naviguer d'une idée à l'autre entre deux déceptions.

Est-ce mon caractère ou mon éducation?

Je pense que la deuxième a été très importante, surtout dans son aspect religieux. Une partie de ma famille était en effet très croyante, dans la version engagée plutôt que contemplative, et j'en ai gardé une profonde marque.

Ainsi j'ai longtemps cru très fort en Dieu, en sa bonté et à sa venue prochaine qui renverserait tout, à sa victoire qui changerait enfin le monde en Bien, et que je devais apporter ma contribution à l'avènement de son royaume.

Mais en grandissant j'ai constaté que les gens qui le suivaient étaient très souvent à des kilomètres de ce qu'on m'avait vendu.

Il est clair que la foi est aussi question de pouvoir, de conventions sociales, et que les croyants ne sont pas meilleurs que les autres.

Beaucoup sont même hypocrites et se parent des masques du bien et de la vérité pour se valoriser, pour rejeter les autres et pour s'adonner aux mêmes mesquineries qu'eux.

Devant ce constat et l'accumulation de déceptions associées, j'ai progressivement perdu la foi et rejeté ce passage de ma vie.

J'en ai gardé une rancune solide envers les bigots de toutes les religions, en même temps qu'une nostalgie pour ce rare moment de ma vie où les choses étaient claires.

En même temps que chrétien, j'étais de gauche, vers laquelle je me suis encore plus tourné après mon apostasie - toute relative car je ne vivais pas non plus dans un monastère ou dans une secte - m'identifiant aux valeurs d'humanisme, d'accueil, de tolérance et de partage qu'ils promouvaient.

Quelque part j'y projetais mon précédent idéal, sous une forme moins fermée et orientée que le christianisme, plus concrète également car elle faisait partie de ce monde.

Mais en fait, rebelote : je retrouvais rapidement chez les gens de gauche l'hypocrisie qui m'avait dégouté des chrétiens, ainsi qu'une bonne dose de sectarisme et surtout de mépris social.

Je réalisai ce dernier point en arrivant à la fac, moment important de ma vie où je me suis rendu compte que mes parents n'étaient vraiment pas riches.

Le milieu étudiant progressiste où j'atterris était un monde de gens faussement désintéressés, ambitieux et mesquins, âpres à défendre leur bout de gras à tout prix tout en prétendant le contraire.

Je découvris que beaucoup n'étaient généreux qu'avec l'argent des autres, et toujours prêts à donner des des leçons et lancer des idées à condition qu'elle soient appliquées le plus loin possible de leur petit univers bourgeois.

Et je ne parle même pas de l'extrême gauche et des syndicats étudiants, largement peuplée de fils à papa et maman qui se la racontaient en touchant la rente.

J'étais ulcéré de les voir critiquer tout ce que l’État faisait de bon (bourses, cité U, resto U, tarif étudiant...) et pour lequel j'étais personnellement très reconnaissant : tout en en profitant largement ils étaient dans une permanente surenchère et semblaient prêts à détruire ce qui avait été mis en place.

Tous ces gens m’écœurèrent, peut-être encore plus que les bigots de ma vie précédente, sans doute parce que contrairement aux chrétiens dont l'heure était passée, les gens de gauche triomphaient dans ma jeunesse, dominant les média, l'université et la politique.

Par réaction, je virais brutalement à droite.

Après tout, peut-être bien que le Saint Marché ferait sauter toutes les baronnies et toutes les niches qui permettaient à ces révolutionnaires de salon, hypocrites et indûment protégés, de diffuser leur venin tout en tirant la couverture à eux, et surtout en refilant les problèmes (insécurité, grèves à outrance, etc) à ce qui restait du vrai prolétariat.

Ces derniers auraient enfin leur chance dans une société privatisée au maximum, garantissant que la réussite serait enfin basée sur le mérite.

Devenu salarié, je changeais à nouveau de milieu, et là aussi je revis ma copie.

La droite n'est pas différente de la gauche.

Moins véhémente sous nos cieux, elle n'en est pas moins corporatiste, attachée à ses privilèges et menteuse sur le fond.

Le Marché et le ruissellement sont des escroqueries: on est surtout riches parce que ses parents sont riches et qu'on a un capital social et/ou économique.

Et puis les diplômes prestigieux, qui sont de plus en plus chers, ne garantissent pas l'excellence qui leur est associée. En réalité, ils sont surtout un ticket d'entrée dans un club de gens qui dirigent, se cooptent et gardent jalousement leurs prérogatives.

Enfin et surtout, le monde du privé n'est pas forcément plus efficace et certainement pas plus responsable que la fonction publique (j'ai travaillé dans les deux).

Les abus sautent peut-être moins aux yeux dans le privé, mais ils sont plus importants au fur et à mesure que l'on monte dans la hiérarchie, et le traitement des "gens qui font" par les "gens qui font faire" et encore par plus les gens qui possèdent (régulièrement les mêmes) est souvent aussi arbitraire que dégueulasse.

Les gens qui fantasment sur Musk ou Bezos sont aussi menteurs et hypocrites que ceux pour qui être fils d'immigré vaut sanctification, et le monde que ces génies nous organisent ressemble un peu trop à celui du 19ième siècle pour être bon.

Ce passage idéologique fut le plus court.

Dans ma quête de la société idéale, j'ai aussi eu ma période tiers-mondiste (définitivement enterrée par un passage en banlieue et par la découverte du pays de ma compagne), j'ai fantasmé sur les Indiens d'Amérique, sur les communautés hippies ou les phalanstères du 19e, etc.

Au niveau des idées elles-mêmes, j'ai également beaucoup lu et cherché, m'enthousiasmant puis étant généralement déçu par un point de divergence plus ou moins grand avec les auteurs: ce fut le cas avec Titiou Lecoq, Leonora Miano, Christophe Guilluy, etc.

J'ai fini par prendre conscience de ces espèces d’enthousiasmes et de déceptions successifs, qui peuvent être épuisants et déprimants, et surtout stériles, et ils m'ont fait réfléchir sur moi-même.

En fait je n'ai jamais été vraiment engagé ni activiste (mes allégeances se situaient au niveau des idées, je n'ai jamais agi pour faire avancer une cause, tracté, collé des affiches ou cotisé à un parti.), sauf peut-être quand j'étais jeune et chrétien.

Et encore étant d'une confession ultra minoritaire j'ai toujours fréquenté des gens autres dont je n'ai jamais considéré qu'ils ne valaient rien et qu'il fallait les fuir.

Néanmoins je pense avoir hérité de cette formation chrétienne une idée de perfection, de société idéale, qui doit forcément exister quelque part, en opposition avec la souillure, le péché ou l'injustice.

C'est un tort et une erreur, une tendance que je dois combattre.

Dans tous les mouvements que j'ai approchés ou étudiés, dans tous les groupes que j'ai côtoyés, et toutes les sensibilités que j'ai connues il y avait des gens bien, raisonnables, constructifs et aussi intègres qu'il est possible de l'être.

Des gens de bonne volonté, en somme, qui étaient aussi prêts à écouter d'autres opinions que la leur et à collaborer si cela faisait avancer.

J'ai aussi croisé des cyniques, des je m'enfoutiste, des gens ancrés exclusivement dans le réel, dans leur monde, et qui pouvaient être sympathiques, équilibrés et en tout cas pas pires que les croyants en tout genre.

Ce genre de détachement m'est impossible, mais m'a toujours fait envie.

Parce qu'au final, la vérité c'est que la vérité n'existe pas.

Il n'y a pas de système parfait, parce que le monde est imparfait et que l'homme est imparfait. Il ne pourra jamais être réduit à une seule facette, à un seul régime et aucune société ne peut être 100% harmonieuse et sans tare.

Les totalitarismes, qu'ils s'agissent du nazisme, des dictatures communistes ou des régimes islamistes, ne sont que des machines à broyer et ne marchent pas parce qu'elles ne peuvent pas marcher.

Le capitalisme débridé est tout aussi destructeur, l'être humain n'étant pas réductible à sa seule valeur marchande, et le vent qui souffle aujourd'hui dans ce sens un peu partout fera lui aussi bien des victimes.

En fait, l'idéalisme est un poison.

On ne doit jamais renoncer à rendre nos société meilleures, plus justes, plus sûres, mais il ne faut pas s'imaginer qu'il existe une recette magique pour cela.

Selon le pays et le contexte, selon l'époque et les circonstances, il faut passer par le sale boulot de la conciliation, du compromis, des sacrifices demandés aux uns puis aux autres, des changements de position quand il le faut, car rien n'est jamais écrit dans le marbre.

Être pragmatique et bosser, humblement, avec le souci de ses proches et du bien commun devrait être le seul idéalisme.

mercredi 27 novembre 2024

Langues internationales (3): l'arabe

J’ai décidé de consacrer mon troisième volet à une langue internationales pas comme les autres: l’arabe.

Langue officielle parmi les six de l’ONU, elle présente deux particularités par rapport à celles que j’ai déjà présentées, l’anglais et le français.

Premièrement c’est une langue sacrée.

Et deuxièmement elle existe sous plusieurs formes, une commune à l’écrit et plusieurs à l’oral.

Je reviendrai sur ces points et commencerai par un peu d’histoire.

Origines

L’arabe est une langue sémitique née dans la péninsule du même nom. Elle s’écrit de droite à gauche avec un alphabet spécifique d’une trentaine de lettres.

Son rayonnement est intrinsèquement lié à celui de la deuxième religion du monde. Il est en effet dit que c’est dans cette langue que l’ange Gabriel dicta au prophète Mahomet le Coran, ce livre sacré qui est la base de l’islam.

L’arabe est donc la langue de Dieu, et elle revêt de ce fait un attrait particulier pour les musulmans des quatre coins du monde, dont beaucoup l’apprennent dans un but religieux, quelle que soit l’aire linguistique où ils vivent.

Peu après la naissance de l’islam, les armées arabes se lancèrent à l’assaut du monde, créant rapidement un gigantesque empire, qui courait de l’Espagne à l’Iran en passant par tout le nord de l’Afrique.

Par le biais du commerce et du prosélytisme religieux  l’expansion arabe se poursuivit également hors des frontières de l’empire lui-même, ses représentants s’enfonçant en Afrique subsaharienne, fondant des établissements sur la côte est du continent et rayonnant jusqu’en Asie du sud (Indonésie, Malaisie…).

Dans toute cette aire culturelle, l’islam se développa et la langue arabe devint celle des élites urbaines, des marchands, des savants et des religieux.

C’est en arabe que les idées, le commerce, la culture, la médecine et la science circulèrent, y compris en Europe (elle apparait ainsi sur les célèbres globes de Coronelli).

L’esclavage des musulmans étant interdit, l’islam et sa langue se diffusèrent également en suivant les routes des traites négrières, la conversion permettant à la fois d’échapper à la servitude et de s’inscrire dans de lucratifs réseaux commerciaux.

L’influence de la langue arabe fut variable selon les territoires. Langue officielle écrite au sein de l’empire, elle marqua plus ou moins profondément les langues locales.

Beaucoup furent transcrites avec son alphabet, y compris celles du monde turc ou de l’Europe, comme l’espagnol ou le bosniaque, et son vocabulaire s’exporta massivement, par exemple dans le français, le persan ou les langues subsahariennes.

Après ce spectaculaire apogée, le monde arabe connut une longue période de reflux, dont il n’est pas encore vraiment sorti.

Tout d’abord l’empire explosa en de multiples états, régions et dynasties.

Il rencontra ensuite un concurrent majeur sous la forme de l’Europe chrétienne et de son irrésistible expansion, notamment à travers les croisades et le long mouvement de reconquête de l’Espagne.

Le coup de grâce vint néanmoins d’Asie puisque ce furent les Turcs, seldjoukides puis ottomans qui prirent peu à peu le contrôle des territoires de peuplement arabe.

Toutefois ces nouveaux maitres étaient d’une part musulmans, et d’autre part peu portés à l’administration directe, préférant généralement gouverner de loin des provinces largement autonomes.

Langue et religion furent donc préservées, et il fallut attendre la fin de l’empire ottoman pour que le monde arabe ait à craindre pour son identité même.

Cette fin commença au 19ième siècle, quand les puissances européennes s’emparèrent progressivement des possessions de la Sublime Porte.

Les nouveaux maitres du monde arabe, qu’ils soient Anglais, Français, Espagnols ou Italiens, renversaient l’ordre religieux du fait qu’ils étaient chrétiens, et apportaient avec eux leurs langues en même temps que leur modernité, causant un bouleversement sans précédent dans toutes les sociétés dominées.

Toutefois, si son empreinte fut profonde, la période dite coloniale fut relativement courte, la durée maximale étant de 132 ans seulement pour certaines régions de l’Algérie.

Au milieu des années 60, au prix de guerres et de négociations, les pays arabes à l’exception de la Palestine, étaient ainsi tous redevenus indépendants.

L’idéologie dominante était alors le panarabisme : les dirigeants des nouveaux pays rêvaient de reconstruire une forme d’empire arabe.

Dans ce but, la plupart d’entre eux lancèrent des politiques d’arabisation/réarabisation de leurs pays, choisissant l’arabe standard moderne (moderne par opposition à l'arabe classique ou coranique) comme langue officielle et la promouvant, quitte à exclure les autres, qu’elles soient pré islamiques, issues de la colonisation, ou dialectale

Diglossie

En effet, la particularité des pays arabophones est que la plupart d’entre eux sont dans une situation dite de diglossie.

C'est-à-dire que si à l’écrit ils ont bien en commun l’arabe standard, qui est officiel ou co-officiel dans pas moins de 24 pays, ce n’est pas cette langue qui est parlée par la majorité des habitants.

En effet, chaque pays, voire chaque région du monde arabe possède une version dite dialectale de cette langue, qui est le moyen d’expression orale de ses citoyens.

La base de ces idiomes, apportée par les conquérants et les imams, est bien l’arabe, qui est une sorte d'équivalent de ce qu'est le latin pour la France, l'Italie, la Roumanie, l'Espagne et le Portugal, mais il est partout métissé et transformé par les différents apports de l’histoire.

La première source d'hybridation vient des langues indigènes, comme celles des berbères dans les pays du Maghreb ou des Coptes en Egypte (ces deux substrats sont toujours utilisés dans certaines franges des populations, parfois de manière exclusive).

La seconde est issue des langues des colons, notamment le français au Maghreb ou au Liban.

Tout cela fait que les pays arabophones sont dans une situation linguistique incongrue pour nous les Européens:

- il y a une langue pour l’écrit, le religieux et tout ou partie des études.

- il y a des langues indigène, plus ou moins répandues et reconnues ou non, comme l’amazigh qui est la deuxième langue officielle du Maroc et de l’Algérie.

- il y a des langues d’usage et/ou d’étude issues du colonialisme, qui continuent à être enseignées et gardent un poids important.

- enfin il y a la langue que la majorité parle et comprend, le dialectal ou la darija.

Cette dernière est la langue la plus répandue et la plus utilisée, mais ne s’écrit pas, ne s’enseigne pas et n’a aucune existence officielle.

La distance entre ce dialectal et l’arabe écrit peut d’ailleurs être très grande. Ainsi les Maghrébins arrivent à peu près à se comprendre entre eux, mais leur parler est inintelligible pour les Libanais ou les Yéménites.

Cette question linguistique est d’ailleurs un sujet politique récurrent dans le monde arabe.

Les islamistes veulent généralement éradiquer toute autre langue que l’arabe pur, rejoint par des panarabes pour d’autres raisons.

L’enseignement des langues européennes reste valorisé par tous ceux qui ont l’ambition de garder un pied dehors, ceux qui sont réalistes par rapport aux opportunités économiques, et aussi par une certaine élite au double discours hypocrite.

Il est ainsi de notoriété publique que les dirigeants algériens, dont l’accusation de la France est le fonds de commerce, mettent tous leurs enfants dans des écoles francophones, la langue de l’ex-colon restant un marqueur social puissant au Maghreb.

Le statut de notre langue fluctue d’ailleurs en fonction de la situation politique, les écoles bilingues et l’enseignement du français avançant ou reculant selon l’état des relations avec l’ex métropole.

Enfin, certains intellectuels militent ou ont milité pour l’officialisation de ces langues dialectales et la création d’une langue algérienne, tunisienne ou égyptienne, mais ils sont minoritaires.

Objectivement, on constate que la situation évolue lentement, même si plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis les indépendances et que la très grande majorité des gens est né après la décolonisation : cette diglossie ne parait donc pas près de disparaitre.

Cerise sur le gâteau : l’anglo-américain apporte là-bas comme ailleurs une nouvelle couche linguistique.

Extensions et futur de l’arabe

Je terminerai en parlant du poids de cette langue en dehors du monde arabe proprement dit.

Les dynamique démographiques du monde nous indiquent une augmentation continue du nombre de musulmans, qui devrait dépasser celui des chrétiens d’ici quelques décennies.

L’islam deviendra alors la première religion du globe, ce qui est une garantie pour lepoids et l'influence à la langue arabe.

On voit aussi que les états du Golfe, riches de leur pétrole, ont su développer une forme de modernité halal dont l’autoritarisme ne réduit pas le soft power : Dubaï fait rêver en Occident, et pas seulement les diasporas.

Ces dernières jouent également un rôle important dans l’influence de la langue arabe, surtout en Europe, où leur importance croit d’autant plus que notre continent est entré dans un hiver démographique (pour rappel, depuis bientôt dix ans un nouveau-né français sur cinq reçoit un prénom arabo-musulman).

On constate ainsi que les arabes, dialectaux ou non imprègnent de plus en plus les langues des pays d’accueil.

Toutes proportions gardées, c’est un peu comme au moyen âge, quand l’import de mots arabes était très fort, ou comme à l’époque coloniale française, quand notre langue importait en masse des mots du Maghreb, notamment par le biais de l’armée.

N’oublions pas non plus que plusieurs langues dans le monde utilisent toujours l’alphabet arabe, et des majeures, comme le persan ou l’ourdou.

Même si d’autres ont renoncé à cet alphabet par le passé (le cas le plus spectaculaire étant la Turquie voici un siècle), cela lui assure une importance certaine.

Pour terminer, notons que l’arabe a des langues "cousines".

Elle est une source d'influence majeure dans la construction du swahili, langue officielle de facto de la Tanzanie et véhiculaire dans bon nombre de pays d’Afrique

Une de ses variantes a également donné naissance à la langue maltaise, même si celle-ci s'écrit avec l'alphabet latin.

Enfin, la langue hébraïque moderne doit, de façon un peu ironique, beaucoup à l'arabe, d'une part parce que lorsqu'elle fut ressuscitée par Ben Yehouda, celui-ci s'inspira des parlers arabes (ce qui était logique vue leurs origines communes), et d'autre part du fait de la présence des 20% d'arabophones qui vivent en Israël.

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Tous violeurs

Récemment, j'ai regardé un film avec Bill Murray, et le lendemain un épisode de la série Netflix Mercredi, avec l'acteur Percy Hynes White.

Les deux acteurs, de génération et parcours bien différents, font l'objet d'accusations de viol/harcèlement sexuel/comportement inapproprié.

Cette coïncidence m'a fait réaliser qu'il est presque devenu impossible aujourd'hui de regarder un film ou une série dont au moins l'un des protagonistes masculins n'a pas des accusations de ce type aux fesses.

Ce constat est pour moi un peu perturbant, même s'il semble malheureusement assez logique, dans le sens où il prolonge les idéologies à la mode côté gauche, qui semblent parties en roue libre bien bien loin des justes combats qui les ont initiées.

J'ai déjà parlé de la lecture raciale obsessionnelle du monde où tout est expliqué et figé par l'origine.

Et bien il semble que les petites cases sectorielles qui organisent les rapports de domination selon l'identité se complètent désormais avec un axe genre et sexe, le catéchisme résultant s'appelant l'intersectionnalité.

Je me souviens de Clémentine Autain expliquant doctement cette classification savante et incontestable à un jeune Eric Zemmour dont le livre Le premier sexe venait de lancer le personnage: en tant que femme elle était chez les dominées, et en tant que blanche, chez les dominantes.

Elle n'avait pas sorti une de ces matrices Excel dont le monde du travail tertiaire est si friand, mais le coeur y était.

Tout ceci pourrait n'être qu'une mode ou une bien-pensance moderne, comme le féminisme d'aujourd'hui semble très souvent l'être, irritante mais pas grave en soi.

Malheureusement ça va plus loin que ça, et l'idée que l'homme est par principe un prédateur sexuel et la femme par principe une victime innocente, sans cesse diffusée et répandue par des lobbyistes, finit par avoir des conséquences.

Il est dit que le mouvement #MeToo a libéré la parole des femmes victimes de domination et de viol.

Rien à dire, c’est même très bien, mais ça ne concerne quand même qu'une très petite frange de la population, très médiatisée et dont le métier, actrice, joue beaucoup sur l'attirance sexuelle et la séduction.

Du coup son impact sur ce que subit Madame Tout-le-monde me semble plutôt limité.

Par ailleurs, j'avoue m'interroger comme beaucoup de personnes sur le fait qu'une femme puisse accepter un rendez-vous dans une chambre d'hôtel avec un producteur sans imaginer qu’il y ait là une arrière-pensée.

D'autant plus que dans le monde phallocrate qu'elles dénoncent elles ont forcément déjà croisé des prédateurs masculins, encore plus en étant belles.

Tout le monde n’a du reste pas joué ce jeu ambigu. Je me souviens de Lupita Longo disant avoir refusé et être rentrée chez elle en métro.

Ce genre de scénario ignoble et de guet-apens sexuel sur fond de liens de pouvoir existe depuis la nuit des temps et hélas existera toujours.

Il se produit d'ailleurs aussi dans les relations homosexuelles, et également dans l’autre sens, certaines femmes riches ou puissantes ne se gênant pas pour profiter de leur position.

Ces comportements dénoncés sont détestables et inexcusables, il faut les combattre, mais de là à condamner la gent masculine dans son ensemble et par principe, il y a quand même un gouffre. Du moins il devrait y avoir un gouffre.

En fait, cette grille de lecture imposée conduira et conduit fatalement aux mêmes abus que l’ordre patriarcal qu’elle dénonce, qui a bel et bien existé en droit (souvenons-nous de l’horrible affaire Tonglet-Castellano en 1974) et qui n’est pas mort dans les faits.

Précision : je ne parle ici que de l’Occident, parce que le droit patriarcal est bien toujours inscrit dans la loi dans plein d’endroits de ce monde.

On ne combat pas un excès par l’excès contraire, et les lois instaurées sur les campus américains qui font de la fille une victime systématique et oblige le garçon à être éloigné du campus sur simple accusation sont aussi injustes que ce qui les a inspirées.

Avec ce genre de législation, on risque d'arriver à une banalisation de situations aussi horribles que celle de Farid El Haïry, condamné à 20 ans de réclusion par une fille qui voulait protéger son violeur.

La question du consentement est par nature complexe et il existe une zone grise dans le désir.

Considérer que la fille, par nature victime, a toujours raison et que si elle décide que c’est un viol ce sera un viol est aussi épouvantable que ces hommes qui estiment pouvoir prendre toute femme considérée comme disponible sans lui demander son avis, parce qu’elle est pauvre, sans chaperon ou en situation de faiblesse.

Ces postures stériles et criminelles ne peuvent que généraliser la méfiance, l’aigreur et nous préparer à un violent retour de bâton.

lundi 25 novembre 2024

Chanson (17): Smells like teen spirit

Adolescent lorsque le mouvement grunge est apparu, je n'ai pas adhéré du tout.
 
Je n'accrochais pas plus que ça au look post punk (même si j'ai quand même porté des surchemises), l'idéologie ne me tentait absolument pas, le son "crasseux" me rebutait, et surtout le groupe emblématique du mouvement, Nirvana, ne m'attirait pas.
 
L'omniprésence de leur musique m'agaçait, le culte autour de Cobain aussi, et j'étais résolument plus hard rock traditionnel.
 
J'ai toutefois revu ma copie lorsqu'un jour j'achetai un double live pirate pour l'anniversaire de mon petit frère, qui lui était plutôt fan, et que je décidai de l'écouter avant (en effet j'avais déjà eu quelques mauvaises surprises en écoutant des pirates et ne voulais pas lui offrir une plage de bruit).
 
Sur ce disque il y avait d'une part un live sonore et bruyant typique des prestations du groupe, et d'autre part une reprise du célèbre MTV Unplugged, où le trio revisitait en mode folk/acoustique ses titres, augmentés de quelques reprises.
 
Je dois reconnaitre qu'en écoutant ce dernier j'ai alors reçu une claque.
 
Je découvris que Cobain était un vrai chanteur, plein d'émotion et de sensibilité, que les mélodies, débarrassées de leur son saturé, étaient belles et puissantes, et que l'interprétation du groupe était parfaite.
 
J'ai donc changé de cadeau (!) en même temps que d'opinion, et écouté plein de fois ce CD, sur lequel n'était toutefois pas la chanson dont je voulais parler aujourd'hui: Smells like teen spirit.
 
Ce morceau, qui fut l'hymne du groupe et d'une génération, est basé sur une poignée d'accords simples et une alternance couplets lents / refrain survolté. Ses paroles un peu obscures (y compris semble-t-il pour les anglophones) évoquent vaguement une bande d'adolescents.
 
Il fut un immense succès dès sa sortie. On l'entendait absolument partout à l'époque et son clip (une scène de concert) tournait en boucle sur les chaines télé.
 
Pas une heure de radio sans tomber dessus, pas une fête où il ne passait pas, c'était l'overdose. A tel point qu'on dit que Nirvana le détesta et finit par refuser de le jouer.  
 
Personnellement, je n'aimais pas du tout ce tube, que je trouvais braillard et crado, et il me sortait par les yeux.
 
Le suicide tragique de Kurt Cobain mis brutalement fin à la folie Nirvana, qui entra au Panthéon du rock, et Smell like teen spirit se fit plus rare.
 
Et puis il y a quelques années, je l'ai réentendu, repris et adapté en une version adoucie par Patti Smith, et là, rebelote : j'ai de nouveau été bouleversé.
 
Il y avait bien sûr une forme de nostalgie pour ce titre associé à une période importante de ma vie et qui s'éloigne à grands pas.
 
Mais surtout la magnifique voix de Smith, les nouveau arrangements et le son mélancolique furent une sorte de révélation: sous le mur sonore grunge se cachait un titre puissant, touchant et mélodieux.
 
M’attachant aux paroles, je découvris aussi quelques formules qui me semblent justes et qui décrivent plutôt bien les sentiments qu'on peut ressentir à l'adolescence. "I feel stupid and contagious", "It's fun to lose and to pretend", "I'm worse at what I do best"...
 
Bref, pour la deuxième fois je me faisais avoir par Nirvana.
 
Cette chanson s'est mise à me plaire, y compris la version originale, et désormais quand je l'entends elle m’émeut, me fait ressentir la futilité et la brièveté de la vie, tandis que remontent des souvenirs et des émotions passées.

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Suiva
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dimanche 24 novembre 2024

Frontières (6): Frontières naturelles et frontières imposées

Lorsque je commençais à m'intéresser à l'histoire, et notamment l'histoire coloniale, j'ai découvert la fameuse conférence de Berlin de 1885, durant laquelle les puissances européennes s'étaient mises d'accord pour se partager le continent africain.

Ce moment particulier est devenu, à juste titre, le symbole du colonialisme européen triomphant, et il est souvent cité comme preuve de notre mépris pour les peuples et les cultures puisque les frontières furent taillées selon les intérêts des métropoles.

Ces découpages, que l'on retrouve aussi au Moyen-Orient et en Asie, sont souvent invoqués pour expliquer le sous-développement, la violence et à peu près tous les dysfonctionnements des pays qui furent un temps sous le joug occidental.

J'ai longtemps cru cette explication, avant de m'apercevoir que plusieurs données nuançaient ce propos.

D'une part ces découpages n'étaient pas tous complètement arbitraires, ou du moins il arrivait qu’ils s'inscrivent dans des subdivisions pré existantes : par exemple le Liban, la Syrie et l'Irak suivaient plus ou moins le découpage ottoman.

Et d’autre part, les frontières fixées en Europe ne sont pas plus logiques en termes de peuples que celles des autres continents.

Si l’on se réfère à la notion de frontières naturelles, on a plusieurs contre-exemples rien que pour la France.

Celle les Pyrénées tout d’abord : le massif coupe le territoire basque en deux, et isole le nord de celui de la Catalogne. Pour qui est-ce une frontière naturelle?

A l’Est la France s'arrête sur le Rhin, mais longtemps l’Allemagne considérait se terminer sur la Meuse (rappelé par le vers désormais supprimé « von der Maas bis an die Memel » de leur hymne).

La région située entre ces deux cours d’eau a fait les frais de ces deux visions concurrentes, et leurs habitants, les Alsaciens-Lorrains, ont de ce fait changé plusieurs fois de nationalité au cours des siècles. Dans ce cas aussi, quelle est la frontière naturelle et pour qui l'est-elle?

Par ailleurs, si l’on étudie l’histoire de près, on se rend compte également que les peuplements ont souvent été corrigés de manière plus ou moins autoritaire, qu’il s’agisse de déplacements forcés ou de politiques d’acculturation linguistiques, culturelles ou religieuses. 

C'est même une constante sur à peu près tous les continents et ça n'est pas terminé de nos jours.

A l'échelle européenne, on peut dire que c’est la moitié Est qui est la plus enchevêtrée en termes de peuplements et de frontières.

Quand j’ai commencé à étudier cette partie de notre continent, j’ai découvert que certaines régions y avaient été découpées en plein milieu, que des peuples s’étendaient souvent à l’extérieur du pays parent, et aussi qu'il pouvait difficilement en être autrement du fait de peuplements particulièrement imbriqués.

Ces lieux sont souvent en lien avec les empires russe/soviétique, ottoman, allemand et surtout avec l'Autriche-Hongrie.

Beaucoup de peuples qui cohabitaient dans ces régions en marge des grands empires connurent des systèmes plus longtemps féodaux qu'en Europe occidentale, et la délimitation des territoires et de la loi y furent aussi beaucoup plus flous et tardifs.

En ce sens la fameuse création française de l’État-nation y est beaucoup moins adaptée et plus délicate qu'ailleurs. 

C'est d'autant plus vrai que le peuplement s'y est souvent fait en pointillés: sur un même territoire on passe d'un village d'une ethnie à un village d'une autre, puis un village d'une troisième, puis de nouveau un village de la première, etc.

J'insiste sur l'Autriche-Hongrie parce que contrairement à ses voisins russes et prussiens et aux pays modernes qui sont issus de leurs démembrements, il semble que les Habsbourg n'aient pas voulu assimiler les gens, ou du moins pas de manière autoritaire.

Préfigurant en quelque sorte les politiques de l'UE, ils ont préféré chercher un équilibre entre les groupes, au risque d'une implosion du système (qui finit par arriver).

Dans ce post je vais parler de quelques-unes de ces zones de cohabitation, disparues ou non.

Les régions d'ex-Yougoslavie sont une première illustration de ce patchwork. La Slovénie est le plus homogène des rejetons de ce pays, mais une minorité relativement importante de ce peuple se trouve de l'autre côté de la frontière, en Autriche.

Le long de la côte nord de l'Adriatique on trouvait des populations italophones, suffisamment nombreuses pour susciter l'irrédentisme italien (avec notamment l'épisode rocambolesque de l'occupation de Fiume par Gabriele d'Annunzio), et, parallèlement, beaucoup de germanophones peuplaient l'Italie du nord.

Les communautés italo-germaniques existent encore (la légende de l’alpinisme Reinhold Messner en est issu), mais ce n'est plus le cas des italophones, brutalement expulsés par Tito à l'issue de la Seconde guerre mondiale.

Plus à l'ouest, en Croatie, la région de la Krajina fut peuplée de Serbes fuyant les Ottomans. Ils obtinrent le droit de s'y installer contre l'obligation de s'armer pour combattre les Turcs. Lors de l'éclatement de la Yougoslavie, l'expulsion de leurs descendants devint l'un des objectifs de la Croatie.

La Bosnie Herzégovine est un autre sac de noeuds, puisque si l'on y distingue une majorité relative de ce que Tito avait baptisé les Musulmans (avec une majuscule), terme qui désigne les slaves islamisés à l'époque ottomane, le reste se divise entre des Croates catholiques et des Serbes orthodoxes, tous deux enjeux de l'irrédentisme de leurs voisins.

Ensuite, dans ce qui devint la Serbie, la région de la Voïvodine était à moitié peuplée de Hongrois, et le Kosovo, qui depuis a acquis une indépendance controversée, est majoritairement albanophone. 

Ce nouveau pays constitue l’une des extensions de ce peuple en dehors des frontières de l'Albanie, la seconde se trouvant en Macédoine du nord, autre pays sorti de la Yougoslavie et revendiquée par beaucoup de voisins, comme la Bulgarie.

En Tchéquie, qui fut le fleuron industriel de la double monarchie, la minorité germanophone qui vivait surtout à Prague et dans les Sudètes, a disparu avec la fin de la seconde guerre mondiale, payant de manière indifférenciée les délires nazis auxquels une partie avait adhéré.

Toujours plus à l'ouest il y a le Banat, une province où s'entremêlent jusqu'à aujourd'hui des villages roumains et serbes (il y eut aussi des Allemands mais la majorité a émigré).

Après la première guerre mondiale, cette région austro-hongroise a fini découpée entre la Roumanie et la Serbie, chacun conservant jusqu’à ce jour une minorité conséquente chez le voisin.

Semblable était le cas de la Bucovine, située plus au nord. A la chute de l'Autriche-Hongrie, celle-ci était peuplée d'Allemands, de Roumains, d'Ukrainiens/de Ruthènes, et d'une minorité juive suffisamment conséquente pour constituer la majorité de la capitale Czernowitz.

Roumaine dans l'entre deux-guerres, la Bucovine fut complètement bouleversée par la seconde guerre mondiale. Elle est aujourd'hui découpée entre l'Ukraine et la Roumanie, les juifs y ont été exterminés, la majorité des Allemands en est partie, et nombre de Roumains du côté ukrainien ont fini en déportation.

Czernowitz, Cernauti pour les Roumains, s'appelle désormais Tchernivtsi et son peuplement est presque intégralement ukrainien.

De cette région fantôme nous vinrent quelques célébrités, comme Tristan Tsara ou Paul Celan, ainsi que l'auteur germanophone Gregor Von Rezzori, dont le livre Les neiges d'antan fait un portrait magnifique de cette province.

La Moldavie ne fut pas austro-hongroise, mais connut un destin similaire.

La région historique était roumaine mais intéressa vite les Russes, et ceux-ci, après plusieurs guerres et échanges de souveraineté, en annexèrent la moitié qui est actuellement indépendante (l’autre partie restant roumaine).

J'ai donné quelques exemples rapides, en insistant sur l'Autriche-Hongrie, mais j'aurais pu également évoquer les minorités turques musulmanes de Bulgarie et du nord de la Grèce, les descendants de Russes vivant dans les pays baltes, les germanophones de Belgique, les suédophones de Finlande, ou cet autre peuple sans pays que constituent les Samis (lapons) répartis entre la Russie et dans les pays scandinaves. 

Tout ceci pour dire que si la conférence de Berlin fut bien un découpage arbitraire très largement décorrélé des réalités africaines, l’Histoire montre que partout dans le monde et depuis toujours la constitution des frontières n’est pas un exercice logique et que ces dernières ne sont presque jamais naturelles.

L’état nation est un concept inventé en Europe au 18ième siècle qui s'est généralisé pour le meilleur et pour le pire.

Il est utile parce qu’il donne le cadre indispensable à toute mise en place de lois, mais l’état et la nation ne coïncident presque jamais et si cela se produit, cela change avec le temps et les mouvements de population.

Et de ce fait un état qui fonctionne, en Afrique comme ailleurs, est un état qui parvient à faire vivre ensemble les nations/peuples/individus qui l’habitent, et à susciter parmi eux un sentiment d’appartenance commune et de destin partagé, sans lequel le civisme et la solidarité ne signifient rien.

C'est cela qui est essentiel pour qu'un pays fonctionne, et cela n'a rien à voir avec des frontières prétendument naturelles.


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lundi 11 novembre 2024

Chanson (16): La mamma

Charles Aznavour était un monument, connu jusqu'aux Etats-Unis. Son parcours force le respect, et comme pour tous les grands de la chanson française, j'ai voulu un jour m'y frotter.

Je ne peux pas dire que j'ai énormément apprécié la voix ou la musique, mais certains de ses textes font vraiment la différence. Il avait le don pour créer des petits univers ciselés qui vous restaient dans la tête.

Emmenez-moi parle à tous ceux qui ont rêvé d'une vie moins étriquée et fantasmé un ailleurs paradisiaque.

La bohême parle à tous ceux qui regrettent les illusions d'une jeunesse passée.

A ma fille évoque finement l'angoisse du départ inévitable des enfants de la maison familiale.

Comme ils disent montre la douleur de la différence, en l'occurrence de l'homosexualité à l'époque où c'était encore réprimé.

Je m'voyais déjà, son premier succès, dresse le portrait cruel d'un artiste raté.

Etc...

Et puis il y a La Mamma.

Je crois que la première fois que j'ai entendu ce dernier morceau, c'était dans la version interprétée par Dalida, mais j'ai préféré l'original.

Cette chanson aux sonorités un peu hispanisantes raconte l'histoire de la fin d'une matriarche italienne, La Mamma, qui est en train de mourir. On ne saura pas de quoi, mais cela n'est pas le sujet.

Pour ses derniers instants, toute sa famille s'est réunie autour d'elle. Enfants, y compris celui jadis rejeté, conjoints, petits-enfants, tout le monde est là et l'on comprend qu'il s'agit d'une véritable tribu, à la méditerranéenne.

Son agonie est décrite comme paisible, acceptée de tous.

Les hommes boivent du vin, les femmes chantent, notamment l'Ave Maria, un guitariste gratte doucement son instrument, les enfants jouent au pied du lit.

Tout le monde est attentionné et veille à ce que l'ancêtre parte en paix et entourée.

Par petites touches, Aznavour nous montre que La Mamma était le centre de cette famille.

On devine l'importance qu'elle avait pour chacun, la puissance des liens tissés par le temps et l'amour, qu'ils s'agissent de larmes, de sourires ou d'autres souvenirs.

La chanson s'achève par un cri d'amour: pour tout cela jamais elle ne quittera vraiment sa famille.

C'est très touchant et très beau.

La famille est italienne mais le portrait est universel. 

Sur tous les continents et dans tous les pays, même dans nos sociétés occidentales aux familles réduites et atomisées on trouve de ces maitresses femmes, dévouées a leur parentèle et sur lesquelles tout le monde sait pouvoir compter.

En écoutant La Mamma j'ai toujours pensé à ma grand-mère, une femme de caractère à la vie extraordinaire, qui eut quatre enfants, treize petits-enfants et pas moins de vingt-huit arrière-petits-enfants dont elle connut une bonne partie, sans compter sa myriade de neveux, nièces et autres petits-cousins.

Très hospitalière, elle accueillait toute l'année cette innombrable parentèle dans sa grande maison, très proche de celle de mes parents, et ce défilé et ce mode de vie m'ont beaucoup marqué.

Plus près de moi, ma belle-mère est une version roumaine de la Mamma, son minuscule appartement étant depuis toujours le centre de gravité de sa famille et de leurs amis, pour lesquels elle cuisine non stop et pour qui son oreille bienveillante est toujours disponible. 

Et puis tout récemment je me suis mis à penser aussi à ma mère, sans doute à cause de ses problèmes de santé qui s'accumulent les derniers temps.

Ma mère n'est pas du tout du même modèle.

C'est une intellectuelle rêveuse et effacée que l'ombre de sa propre mère, la grand-mère dont je parle plus haut, puis celle d'une belle-famille plutôt dure, semble avoir toujours cachée. 

Nos relations furent et sont complexes et retenues, marquées par l'incompréhension et les non dits.

J'ai longtemps détesté ce que j'avais hérité d'elle, ce côté spontanément en retrait, une tendance à l'autodénigrement, et une forme de pessimisme angoissé et de résignation face au monde.

J'avais également le sentiment que mes parents vivaient dans une autre planète, tellement loin du vrai monde et qu'ils m'y enfermaient.

Cette impression est sans doute propre à tout adolescent, mais mes proches m'ont dit que dans mon cas c'était vrai, nous vivions un peu à l'écart du monde.

Avec l'âge, je n'en veux plus à mes parents, qui font partie des gens qui me sont le plus cher au monde, parce que je sais qu'ils ont fait de leur mieux et pour le mieux et que la famille parfaite n'existe pas, mais notre relation reste particulière.

Pour ma mère, le temps, la maladie et la mort de mon frère semblent avoir augmenté sa tendance à se retirer du monde, et il m'est peut-être encore plus difficile de communiquer avec elle. 

En fait, j'ai plus que jamais le sentiment d'être passé à côté de ma mère, et quand j'y pense ou quand je l'appelle, je ne peux m'ôter cette impression du coeur.

Pourtant, et même si je ne sais pas le lui dire, je sais que quand elle partira pour toujours, Maman jamais, jamais, jamais ne me quittera.


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