dimanche 17 mai 2020

En attendant les lézards

J'ai découvert un peu tard la série de SF "V", les visiteurs, qui connut un véritable triomphe à sa sortie.

L'histoire est simple. Un jour, de gigantesques vaisseaux extraterrestres viennent simultanément stationner au-dessus de toutes les grandes villes de la planète.

En sortent des humanoïdes polyglottes (chacun parle au moins une langue du globe) qui affirment demander l'aide des Terriens pour gérer leur crise climatique, en leur offrant en échange leur technologie.

Mais peu à peu, une fois l'euphorie passée, la vraie nature de ces visiteurs, beaucoup moins glamour, va se révéler.

Ils vont en effet progressivement prendre le contrôle du monde, faire taire ceux qui s'opposent à eux, et leurs véritables et sinistres desseins apparaitront en même temps que leur nature réelle: ce sont des reptiles carnivores masqués en humains.

A ce moment-là va surgir un mouvement de résistance à l'occupant, tandis qu'en parallèle des Terriens vont collaborer avec les nouveaux maitres, un peu comme dans toutes les occupations du monde.

C'est l'un de ces derniers, Daniel Bernstein (interprété par David Packer) qui m'a inspiré le post d'aujourd'hui.

Daniel est le fils d'un couple de juifs ordinaires. Au moment de l'arrivée des extraterrestres, c'est un jeune tourmenté qui ne se tient à rien, se fait virer de tous ses boulots et se dispute avec des parents désorientés par son comportement.

Le débarquement des aliens le fascine dès le début.

Avec enthousiasme, il adhère à toutes les initiatives que les nouveaux arrivants lancent pour manipuler les humains dans leur sens: mouvements de jeunesse, collections de goodies, etc. et il finit carrément par entrer dans leur police auxiliaire.

Dès lors il ne vit qu'en uniforme, pistolet laser au côté, roule des mécaniques, rackette les commerçants et humilie avec délectation ceux qu'il tient enfin à sa merci (dans une scène répugnante il oblige un étudiant à lui lécher les bottes).

Les lézards lui ont donné l'occasion de s'épanouir, de laisser libre cours à sa soif de revanche sociale, même si c'est au détriment des siens, même s'il ne peut que perdre à ce jeu: enfin il existe, enfin il compte, ça se passe maintenant et cela lui suffit.

A tel point que lorsqu'il se fait confondre par la résistance, il joue les bravaches, continuant à assumer son détestable choix.

Toutes les occupations ont leurs Daniel Bernstein, plus ou moins doués, plus ou moins sincères, plus ou moins impliqués.

En France, pendant la Seconde Guerre Mondiale, nous avons eu Henri Lafont.
 
Ce chef de la Gestapo française, qui était aussi efficace qu'ignoble et redoutable, avait trouvé dans la Collaboration une revanche sur une vie de misère et de marginalité, même si ses maitres n'avaient guère que du mépris pour ce valet d'une autre race.

On dit qu'à son jugement il eut ses mots sans appel: "Je ne regrette rien, Madame, quatre années au milieu des orchidées, des dahlias et des Bentley, ça se paie ! J’ai vécu dix fois plus vite, voilà tout. Dites à mon fils qu’il ne faut jamais fréquenter les caves. Qu’il soit un homme comme son père !".

De même, les empires coloniaux n'auraient pas tenu sans l'aide efficace des petites mains des conquérants, de tous ces auxiliaires indigènes pour qui les envahisseurs représentaient une occasion de changer de place.
 
Ils pouvaient s'agir d'individus ou de communautés entières, comme les alaouites syro-libanais ou les juifs du Maghreb pendant la tutelle française (ce cas est toutefois un peu différent puisqu'il s'agit plutôt de communautés saisissant leur chance).

On rencontre d'autres personnages de ce modèle dans le cinéma, comme Stephen, le personnage campé par Samuel L. Jackson dans le Django Unchained de Tarantino.

Cet esclave est l'âme damnée de son maitre et se comporte encore plus cruellement que ce dernier avec le cheptel humain de la plantation.

Il y a également Lacombe Lucien, lui aussi auxiliaire de la police allemande sous l'Occupation et dont j'ai déjà parlé dans un ancien post.

La frustration et l'ambition contrariée sont de puissants moteurs.
 
Qui peut affirmer qu'il n'a jamais rêvé d'un renversement de situation, d'un changement qui le mettrait dans une position de dominant ou simplement en mesure de profiter ou de se venger d'un dominant? 
 
Qui n'a jamais rêvé d'impunité légale, de vengeance mesquine?

Et au fond, n'y a-t-il pas en chacun de nous un petit Daniel Bernstein qui sommeille, qui se terre en attendant les lézards qui lui permettront de donner sa pleine mesure?