vendredi 28 novembre 2014

Cinéma (1): Radu Mihaileanu

Né dans une famille juive de Roumanie, Radu Mihaileanu a quitté ce pays et son régime communiste totalitaire pour Israël, avant d'émigrer en France et de s'y consacrer au cinéma.

J'ai rencontré cet auteur particulier en allant voir son film Va, vis et deviens, intéressé par la singulière tranche d'Histoire sur laquelle il se basait.

Ce film raconte l'épopée dramatique d'un petit chrétien d’Éthiopie au destin hors du commun. Réfugié dans un camp comme tant d'autres victimes de la guerre, il est confié par sa mère à une réfugiée juive dont le fils vient de mourir, afin que les Israéliens l'emmènent vers un avenir meilleur (l'histoire se passe pendant l'Opération Moïse).

Arrivé dans l'état hébreu le cœur brisé par la séparation, il doit immédiatement affronter la mort de celle qui l'a adopté, se retrouvant désemparé et encore plus seul.

D'autant que son déracinement n'est pas que physique: quitter la campagne d’Éthiopie pour Israël, c'est aussi passer de l'âge de pierre à la modernité occidentale.

Là-bas il est adopté par une famille moderniste pleine d'amour et de compassion. On le voit grandir, toujours partagé entre la culpabilité, l'amour pour sa famille et son pays d'adoption d'une part, les pensées pour sa vraie mère et sa vraie culture d'autre part, jusqu'au jour où il parvient à se réconcilier avec son parcours.

Ce film, malgré quelques longueurs, m'avait profondément touché.

J'ai ensuite vu Le concert.

Les héros de ce film sont d'anciens employés d'un orchestre classique soviétique. Licenciés suite à l'effondrement de l'URSS, ils vivotent tant bien que mal.

Jusqu'au jour où l'un d'entre eux réussit, par un tour de passe-passe, à les faire passer pour leurs successeurs et à décrocher un concert dans un théâtre parisien.

Tous ces vieux un peu cassés par la vie et qui n'ont plus joué ensemble depuis longtemps vont alors se jeter à corps perdu dans cette aventure.

Les protagonistes sont tous des archétypes caricaturaux (parfois même un peu trop caricaturaux) il y a le juif, le tzigane, le commissaire politique... On sent que leur leader a fait ce coup de folie avec une idée derrière la tête. Il semble obsédé par l'idée de jouer avec une certaine violoniste parisienne.

Après mille et une péripéties rocambolesques, le concert aura bien lieu et l'on découvrira à cette occasion le lien secret qui les lie tous, sur fond de tragédie soviétique.

Nettement plus brouillon que le précédent, parfois lourd et non maitrisé, "Le concert" est rattrapé par la bouleversante scène qui donne son nom au film et par l'émotion de l'interprétation.

Enfin, j'ai dernièrement vu La Source des femmes.

Le scénario, basé sur des faits réels arrivés en Turquie, est l'histoire d'un village marocain dont les femmes décident de faire la grève de l'amour afin de forcer les hommes à construire une fontaine qui les dispenserait d'une corvée d'eau harassante.

Ce portrait est un peu le prétexte pour montrer le Maroc rural, la position de la femme, l'islam, les traditions, l'envie de modernité et surtout l'amour, la solidarité et le dépassement de soi pour une cause juste.

Il y a là trois films, trois univers ethnoculturels très différents, trois projets ambitieux (il a tourné la source des femmes en arabe dialectal marocain...). Mais on retrouve dans chacun une patte reconnaissable tout de suite et un même fil conducteur, qui est l'amour de l'humain.

Ça fait un peu gnangnan de dire ça, mais la magie de Mihaileanu, le petit plus de ses films, celui qui fait passer les imperfections de son cinéma, est une humanité profonde. On sent qu'il a l'amour de ses personnages, de ses histoires, des gens en général.

Dire ça n'en fait pas pour autant candide ou un auteur à l'eau de rose. Non, il montre bien les failles, les petitesses et les méchancetés des uns et des autres, les archaïsmes et les injustices des sociétés visitées, le tout sans complaisance.

Mais il préfère toujours s'attacher à montrer le bon plutôt que le mauvais, le positif, le merveilleux, et il le fait avec un talent indéniable.

Je dirais même que c'est cet attachement qui fait que tous ses films sont trop longs. Il aime tellement ses scènes et ses personnages qu'il a du mal à monter (lui-même le reconnait en interview).

Et c'est vrai qu'ils sont magnifiques, car humains dans le bon sens du terme.

Voir un film de Mihaileanu est toujours pour moi l'assurance d'un coup de boost au moral et d'une réconciliation avec la nature humaine.

Montrer la beauté est en fait beaucoup plus difficile que montrer la noirceur, c'est ce talent qui fait de ce réalisateur quelqu'un de spécial que je continuerai à suivre.


Suivant: Cinéma(2): La horse

lundi 17 novembre 2014

Les vieux cons de 68

Alain Resnais est mort récemment (ce post a été commencé il y a un certain temps).

J'ai aimé plusieurs de ses films, mais ce n'est pas de ça dont je veux parler aujourd'hui.

En fait, c'est un article sur sa carrière qui m'a inspiré ce post.

En le lisant, j'ai eu le sentiment d'une litanie crachotée par un de ces petits vieux qu'on caricature et qui disent "de mon temps" en ressassant toujours la même chose.

En effet, tous les mots-clés indispensables à tout hommage aujourd'hui étaient là: "jeune", "moderne", "engagé", "rebelle", "contre l'établissement", "révolté", "anticonformiste", etc.

Son virage d'un cinéma purement engagé (mot qui dans la presse signifie engagé à gauche) vers quelque chose de plus intime et attaché à l'humain était excusé, comme s'il était regrettable en soi.

J'ai vraiment eu l'impression d'avoir lu ça cent fois.

Le discours de cette intelligentsia établie, bien nourrie, bien installée au cœur de la société, ayant bien verrouillé ses positions professionnelles, immobilières et/ou politiques mais qui se revendique encore et toujours d'une prétendue subversion est une caricature, pénible dans le meilleur des cas, insupportable quand on regarde les faits.

Car au fond, qu'a-t-elle fait de si extraordinaire cette génération? En quoi cet espèce de libertarisme dont elle se revendique est-il si méritant et révolutionnaire? Et qu'en est-il sorti de concret et de si différent?

Ils sont nés à une époque révolue, où l'emploi n'était pas un souci, où le monde était encore à l'Occident et plein de promesses pour leur pays, où contrairement aux générations qui les avaient précédés ils n'avaient pas de guerre à faire, où le sexe était à peu près sans danger.

Ils ont donc pu faire des expériences, discuter, rêver. Tant mieux pour eux. Ils avaient même raison et ce serait être aigri et malvenu de leur en vouloir pour ça. Mais où est le mérite?

Et puis quand ils racontent cette période et parlent de "leur génération", est-ce si vrai? Tout le monde a-t-il été concerné? Tout le monde était-il sur les barricades ou dans un combi en partance pour Katmandou?

Évidemment non, et j'ai connu plus de gens de cette génération occupés à travailler dur et pour qui cet événement n'évoque rien d'autre qu'une période de troubles plus ou moins inquiétants comme le pays en connaissait régulièrement.

Le mai 68 "rebelle" et "subversif" dont on nous rebat les oreilles, les coopératives, l'amour libre et le retour à la terre furent l’œuvre d'un petit pourcentage de la bourgeoisie, pas du peuple, lequel, comme d'habitude, avait d'autres chats à fouetter et pensait amélioration de ses conditions de vie, augmentations pour suivre l'inflation, etc.

Le "Rentrez chez vous: un jour, vous serez tous notaires!" que leur lança Ionesco à l'époque (ce qu'ils ne lui pardonnèrent jamais) était visionnaire.

Depuis 68, le temps a passé, le monde a changé, d'autres gens sont arrivés, le contexte n'est plus le même, les choix non plus.

Les soixante-huitards ne sont plus rebelles mais bourgeois, établis, installés.

Aujourd'hui ce sont eux les conservateurs qui veulent continuer à jouir sans entraves, quel que soit le prix à faire payer à leurs successeurs, ce sont eux qui donnent dans l'auto-référence et voient le monde avec des lunettes d'un autre âge.

Rien de bien original, au fond, ils rejouent la même pièce que leurs parents, et on peut parier que leurs enfants connaitront la même évolution.

Mais ce qui agace dans tout cela est le refus de reconnaitre que leur seul mérite est d'être nés au bon moment, dans le bon milieu, dans une phase d'ascension, d'avoir été la première génération sans guerre, la plus importante numériquement, celle du boom de la consommation et des progrès sociaux qui ont peu à voir avec eux.

Leur "de mon temps" n'a pas la même nature que celui qu'ils reprochaient à leurs parents puisque eux prétendaient vouloir changer le monde, mais ils n'en sont pas moins les nouveaux "vieux cons".

vendredi 14 novembre 2014

Auteurs(5): Svetlana Alexievitch

En 1991, après quasiment 70 ans d'existence, l'URSS annonçait sa dissolution.

Cet événement majeur mettait un point final à la désagrégation du "bloc de l'Est" qui s'était engagée lors de la décennie précédente.

Par bloc de l'Est, on désignait la partie du monde, asiatique mais surtout européen, qui avait suivi de gré ou de force l'ex Russie tsariste dans le système communiste.

Il était grosso modo organisé en trois cercles.

Le premier cercle était constitué par le Pacte de Varsovie.

Celui-ci regroupait dans une alliance les pays dans lesquels les troupes soviétiques avait imposé le système communiste après les avoir "libérés" du nazisme à la fin de la seconde guerre mondiale.

Ses membres étaient l'Allemagne de l'Est, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Tchécoslovaquie.

Il existait par ailleurs en Europe deux pays communistes qui n'en faisaient pas partie: la Yougoslavie qui l'avait refusé, et l'Albanie qui l'avait quitté en 1968 pour suivre sa propre voie.

Le deuxième cercle, le plus important, était l'URSS.

Cet ensemble, qui constituait le plus vaste état du monde, était composé de 15 républiques européennes, caucasiennes ou asiatiques, dont certaines étaient elles-mêmes des fédérations.

En principe associées, elles étaient de fait toutes dominées et contrôlées par la RSFS de Russie.

C'est cette république, qui a donné la Russie d'aujourd'hui, qui constituait le troisième cercle. 

Elle était de loin la plus vaste et la plus peuplée de l'URSS et se composait elle-même de plusieurs entités fédérées.

Dans les années 80, le bloc communiste et le système soviétique étaient à bout de souffle.

Les sociétés étaient bloquées, les économies exsangues, les populations démoralisées, le climat étouffant. Les Soviétiques ne croyaient plus en leur système, aspiraient au changement, rêvaient de liberté.

C'est dans ce contexte qu'une nouvelle équipe de dirigeants, menée par Mihail Gorbatchev, décida de lancer une autre politique pour sortir le système de l'impasse.

La période de réformes massives qu'ils initièrent est passée à la postérité sous le nom de perestroika.

Le succès fut colossal mais finit par dépasser ses instigateurs.

En effet, alors que ceux-ci pensaient réformer le système, les populations du bloc de l'Est le comprirent comme la possibilité de le mettre à bas.

Du coup, les choses s'emballèrent et toutes les aspirations maintenues jusqu'alors sous le boisseau par l'armée rouge s'exprimèrent au grand jour.

Le mouvement commença dans les pays du Pacte de Varsovie, qui les uns après les autres changèrent d'orientation politique et économique, rejetèrent la tutelle de Moscou et choisirent résolument -et naïvement- le modèle occidental.

Au début, le monde retint son souffle, chacun se souvenant de l'épilogue sanglant des précédentes tentatives (Hongrie en 1956 et Tchécoslovaquie en 1968), mais cette fois-ci Moscou laissa faire.

Dans un deuxième temps, les forces centrifuges atteignirent les républiques fédérées composant l'URSS, puis finalement touchèrent les entités de la Fédération de Russie elle-même.

Certaines républiques réussirent à quitter totalement le giron soviétique et/ou russe, comme les Pays baltes. D'autres sombrèrent dans la guerre civile, comme la Moldavie, l'Arménie, la Géorgie ou l'Azerbaïdjan.

La désagrégation fut cependant stoppée lorsque des entités de la Fédération de Russie, comme la Tchétchénie ou le Tatarstan, commencèrent à réclamer leur indépendance. Moscou réagit alors pour préserver l'intégrité territoriale du pays.

Néanmoins, la Russie qui émergea des décombres de l'Union Soviétique suivit elle aussi le mouvement d'abandon de ses anciens idéaux au profit d'un capitalisme vu comme LA solution.

Le premier président du nouvel état, Boris Eltsine, choisit d'appliquer à l'économie une "thérapie de choc" (mais y en a-t-il d'autres en Russie?) pour rattraper en quelques années l'Occident et arriver à une prospérité partagée.

Mais le paradis promis ne fut pas vraiment au rendez-vous. Le désenchantement fut à la hauteur des espoirs, et c'est un monde chaotique et instable qui remplaça l'inertie soviétique.

Les privatisation sauvages entraînèrent l'apparition de fortunes colossales, une mafia violente et prédatrice tint le haut du pavé, et, surtout, les règles intégrées par trois générations de communistes volèrent en éclat.

Désormais le Parti tout-puissant n'était plus rien, l'état omniscient se désengageait de tout, la propriété redevenait privée (même s'il valait mieux ne pas être trop regardant sur les moyens d'y accéder).

La fin de l'économie planifiée eut pour conséquence une désorganisation du marché du travail, l'explosion d'un chômage inconnu jusqu'alors et une inflation à plusieurs chiffres.

Parallèlement, les produits, les idées, les médias, les devises venues de l'étranger envahissaient un pays jadis fermé.

C'est dans cette ambiance que Vladimir Poutine accéda au pouvoir, apportant avec lui ce à quoi la majorité des Russes déboussolés aspirait: l'ordre et le retour à une certaine politique de puissance, sans pour autant revenir au système précédent.

Ce petit point historique me semblait nécessaire pour donner une idée du contexte sur lequel travaille l'écrivain que je souhaite évoquer: Svetlana Alexievitch.

Cette auteure biélorusse, née juste après la Grande Guerre Patriotique, ainsi que les Soviétiques désignent la Seconde Guerre Mondiale, a connu la deuxième moitié de l'existence de l'URSS, et vécu l'effondrement dont je parle.

Ce n'est ni une romancière, ni une politique, plutôt une sorte de journaliste anthropologue.

Son oeuvre consiste à recueillir l'héritage de ce qu'elle appelle "l'homo sovieticus", c'est-à-dire celui de ces millions de personnes qui comme elle naquirent, grandirent et vécurent dans ce bloc et ce système disparus.

Tous ses livres sont construits à partir des témoignages de ces gens, nommés ou non, mais toujours écoutés avec soin et sans parti pris.

Ce travail lui a valu des menaces et la censure d'une partie de son oeuvre dans son pays, dont le pouvoir n'est hélas guère différent de celui d'alors.

Dans Les cercueils de zinc, elle a recueilli les souvenirs de ceux qui firent la guerre d'Afghanistan, soldats, mères de soldats, infirmières, regroupant leurs expériences, leur ressentis, souvent leur amertume.

Dans La supplication elle fait parler ceux qui subirent la catastrophe de Tchernobyl.

Et dans La fin de l'homme rouge, c'est le fantôme de l'Union Soviétique lui-même qui est convoqué.

L'URSS était une dictature bureaucratique, violente et souvent absurde, qui contrôlait et broyait ses citoyens autant que ses ennemis.

Il y régnait l'arbitraire, source d'injustice et de pauvreté, l'économie, planifiée, y était en faillite chronique, et la doctrine officielle y était aussi omniprésente qu'en décalage avec la réalité d'une vie quotidienne chiche, étouffante et étriquée.

Mais l'URSS c'était aussi l'ancien challenger des Américains et le vainqueur de Hitler, le pays qui avait envoyé le premier homme dans l'espace.

C'était le leader d'une moitié des pays du globe, le premier à s'être lancé dans cette expérience étatique et idéologique inédite que constituait le communisme. A ce titre, c'était un phare pour des millions de personnes à la recherche d'un système alternatif, le berceau d'une doctrine officielle censément plus juste.

Et c'était aussi le pays de tous les possibles, où la volonté de dirigeants mégalomanes lançait régulièrement des projets pharaoniques, des défis collectifs qu'on relevait quel qu'en soit le prix.

Les sentiments de ceux qui ont vécu en URSS semblent osciller entre ces deux visions opposées, entre d'une part le souvenir de la souffrance, de l'injustice, de la violence et du mensonge d'état et d'autre part un sentiment de perte, de regret, de nostalgie.

Cette nostalgie porte sur un monde vu comme plus égalitaire, sur la puissance perdue, et, peut-être le plus important, sur la naïveté d'une époque où tout étant filtré et censuré on pouvait s'imaginer des solutions simplistes, une sorte d'autre avenir radieux en somme.

L’œuvre de Svetlana Alexievitch est essentielle pour comprendre ce qu'était le communisme au quotidien, avoir la version populaire de cet autre système et comprendre l'empreinte profonde qu'il a eu sur tous ces gens.

En lisant ses livres, on comprend mieux ce qu'était l'Union soviétique du peuple et l'énorme traumatisme qu'a représenté la disparition brutale de cet univers pour des millions de personnes.

Et comme tout système de pensée vu de l'intérieur, c'est passionnant.

Merah Breivik, la poule et l'oeuf

En 2011, en Norvège, un inconnu du nom d'Anders Breivik exécutait à l'arme automatique presque soixante-dix jeunes sociaux-démocrates qui s'étaient regroupés sur une île pour l'université d'été de leur mouvement.

Son action, soigneusement planifiée, s'accompagnait d'un attentat à la bombe dans Oslo et de la diffusion d'un manifeste décrivant son geste.

Il l'expliquait par la volonté de défendre l'identité européenne, menacée par l'immigration et l'islam.

Ce type d'acte de la part de l'extrême droite était une première sur le continent et n'a pour l'instant pas fait d'émule.

Un an plus tard, en 2012, Mohammed Merah, un jeune Français d'origine algérienne, exécutait de sang-froid un groupe de militaires, puis plusieurs élèves d'une école juive avant de finir sous les balles de la police.

Ce n'était pas la première fois qu'un tueur fou frappait en France (on se souvient de Richard Durn en 2002).

Par ailleurs, les actes terroristes perpétrés par des islamistes sont hélas presque banals dans l'Hexagone depuis plus de 30 ans.

Mais le mélange des deux, sur fond d'antisémitisme, me semble avoir été assez nouveau (la tuerie de Mehdi Nemmouche à Bruxelles prouve hélas que ce n'était qu'un début).

Merah et Breivik, deux personnes aux parcours et profils différents, ont pour point commun d'avoir agi par croyance fanatique.

Comme beaucoup de jeunes musulmans européens, Merah avait fini par échouer sur les rives islamistes après de longues années d'errance, de délinquance et de frustration.

Il s'était convaincu qu'il était l'instrument de Dieu, voué à détruire tout ce qui n'était pas musulman, à commencer par les juifs.

Breivik, quant à lui, voyait sa civilisation comme menacée, assiégée par l'islam conquérant d'immigrés dont l'installation était favorisée et encouragée par les responsables politiques, à commencer par la gauche.

Son massacre avait pour but de châtier ces derniers et d'émettre un signal d'alarme auprès de la société.

Les Mohammed Merah de tout poil apportent indéniablement de l'eau à son moulin.

Combien de gens sont passés de l'autre côté devant les actions du tueur de Toulouse? Combien ont fini par désespérer de l'intégration des immigrés musulmans et/ou ont choisi Le Pen après ces tueries?

Et à l'inverse, les obsessions de Breivik vont forcément conforter les musulmans dans leur sentiment d'être exclus, rejetés et ostracisés, les encourager à rester soudés, à vivre entre eux.

Et cet isolement constitue évidemment un terreau idéal pour l'éclosion d'autres Merah.

La question du "Qui a commencé?" importe peu, Merah implique Breivik. Breivik implique Merah.

Dans la théorie du pire, dont l'Histoire nous dit qu'il est toujours possible, les Merah font des Breivik et les Breivik font des Merah, en une espèce de crescendo macabre dont l'aboutissement est un affrontement qui débouche au pire sur la disparition d'une des parties, au mieux sur une stricte séparation.

Cette cassure peut d'ailleurs être recherchée par des mouvements ou des leaders pour qui la victoire passe par l'anéantissement pur et simple de l'autre.

La tactique du FLN pendant la guerre d'Algérie, l'interminable guérilla nord-irlandaise, la stratégie des faucons israéliens, les combats sunnites-chiites qui ravagent la Syrie et l'Irak sont autant d'autres exemples de cette stratégie du pire.

Espérons que cette spirale saura être arrêtée chez nous et que nous n'aurais jamais à choisir entre les pestes brune et verte.