dimanche 14 août 2022

Cinéma (24): Un moment d'égarement

 Lorsque j'étais ado ou jeune adulte, je me souviens avoir vu Un moment d'égarement, un film de 1977 avec Jean-Pierre Marielle, Victor Lanoux et Agnès Soral, dont j'avais gardé un souvenir un peu trouble.

L'histoire est la suivante: deux hommes, un divorcé et l'autre en passe de l'être, partent en vacances dans le sud avec leurs filles respectives de 17 ans, qui sont amies.

Au cours d'une soirée, la fille de l'un, amoureuse du père de l'autre, va lui faire des avances et ils feront l'amour sur la plage. S'ensuivra une situation évidemment très pénible.

Lorsqu'en 2015 j'ai vu que sortait un remake de ce film avec le même titre, Vincent Cassel, François Cluzet et Lola Le Lann constituant le nouveau casting, le premier m'est immédiatement revenu en tête et je me suis fait les deux versions deux soirs d'affilée, en commençant par la plus récente (merci la VOD).

Si l'idée de base est la même, il y a beaucoup de différences et les presque 40 ans qui séparent ces deux films sont fascinants. Je ne parle pas des vêtements et ses voitures qui changent ou de l'apparition des réseaux sociaux, mais surtout des mentalités et de la vision du monde.

[SPOILER ALERT]

Dans les deux films, la fille qui craque pour le père de son amie, Agnès Soral en 77 et Lola Le Lann en 2015, est très amoureuse et croit à cet amour plus fort que tout (en 77 elle l'est même depuis longtemps).

A contrario le père qui succombe réagit différemment dans chaque version. En 77 Jean-Pierre Marielle est lui aussi amoureux et recouche plusieurs fois avec Agnès Soral, alors qu'en 2015, Vincent Cassel ne supporte pas l'idée d'avoir craqué et passe son temps à repousser les avances de sa conquête malgré lui.

Dans les deux films, la fille du père qui succombe à la tentation est rebelle, mais pas pour les mêmes causes, et leur analyse de la situation est très différente.

Celle de 77, Christine Dejoux, n'est pas dérangée par l'aventure de son père, mais l'affronte au sujet de son désir d'indépendance et sur sa vision des femmes et de leurs droits.

Marielle est en effet du modèle de l'homme "traditionnel", jaloux, parfois violent (il aurait tapé sa femme), hostile à l'indépendance et au travail des femmes qu'il verrait plutôt élevant les enfants et filant doux.

A contrario, celle de 2015, Alice Isaaz, a d'autres combats plus de son époque (elle est contre la chasse, considère comme raciste de dire d'une femme qu'elle est maghrébine, etc) et surtout, la relation entre son père et son amie la révulse: elle ne parle plus aux deux et traite son père de pervers.

Les fins diffèrent aussi.

En 2015, Cassel avoue son moment d'égarement avec culpabilité et dégoût de lui-même et se prend une monumentale raclée par son ami ulcéré avant que tout le monde ne passe à autre chose.

En 77, Marielle veut faire accepter à son ami la situation et vivre avec sa fille. La fin du film reste ouverte, il se termine sur un plan où les deux amoureux se regardent sans qu'on sache la suite.

[FIN SPOILER ALERT]

Les si particulières années 70 combattaient un patriarcat bien réel mais ses combattants et combattantes avaient un niveau de tolérance particulièrement élevé en ce qui concernait la sexualité.

Ainsi à l'époque, beaucoup de gens se scandalisaient que l'on puisse être scandalisé par l'amour entre une fille de 17 ans et un homme de 44.

Certes biologiquement il n'y a rien à dire, mais à 17 ans on sort à peine de l'enfance, et il y a quelque chose d'un peu malhonnête ou au moins de déséquilibré là-dedans. 

Comme le dit la fille de Cassel à son amie qui affirme être la seule responsable: "C'est lui l'adulte".

Pour moi c'est tout à fait ça, la maturité c'est en effet aussi savoir protéger les autres contre eux-mêmes et se discipliner, parce qu'on sait.

Dans Le premier homme, de Camus, j'ai retenu une phrase qu'il fait dire à son père révolté devant des cadavres mutilés pendant une guerre: "Un homme, ça s'empêche".

J'aime assez cette phrase qui dit l'obligation de responsabilité inhérente à l'âge adulte.

Elle est essentielle pour contrer tous ceux qui abusent de leur position de force, et notamment pour contrer les militants pédophiles comme Gabriel Matzneff, Tony Duvert ou tant d'autres qui sévissaient impunément à l'époque de la première version (impossible de ne pas y penser en voyant ce film).

Ceci dit, le moment d'égarement est toujours possible.

Je ne le pensais pas quand j'étais jeune, mais approcher de la cinquantaine ne guérit pas du désir que provoque les jeunes filles, du trouble qu'elles suscitent lorsqu'elles sortent de l'enfance (dont j'ai déjà parlé dans ce post) et que je peux ressentir parfois devant les amies de mon fils de seize ans.

De plus, lorsqu'on sait qu'on a déjà fait la moitié de son existence, on est parfois pris du désir fou de recommencer, de connaitre de nouveau (ou de connaitre une fois si l'on ne l'a pas vécu) la folie de l'amour jeune, justement avec une jeune qui vous ferait oublier votre âge.

Le tristement célèbre démon de midi c'est aussi ça.

Et puis comme dans ces films, l'alcool et la drogue sont mauvaises conseillères.

Bref, la chair est faible, c'est une réalité dont il faut aussi rester conscient.

Pour finir, je dirais que ces deux films se laissent regarder, que leurs acteurs sont excellents, et que ce sujet un peu casse-gueule y est bien traité, chaque époque avec son regard.

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