jeudi 25 avril 2024

Réflexions sur le voyage (2)

Il y a une dizaine d’années j'écrivais des réflexions que m'avaient inspirées la mode du voyage et ses contradictions, ainsi que ce que représentait le voyage pour moi.
 
Je suis récemment parti seul sur un coup de tête à Ljubljana, et cette visite m’a inspiré une nouvelle série de réflexions sur cette thématique.
 
Lorsqu’en 2013 je parlais de mes motivations pour partir, j’écrivais "Ce que j'aime c'est premièrement le changement de référentiel", et force est de constater que ce n’est pas/plus quelque chose qui va de soi pour les voyages, du moins à l’échelle de l’Occident, puisque c’est essentiellement là que j’ai voyagé.
 
En effet, dans cette aire de la planète, la mondialisation n’est pas un vain mot, et il est devenu flagrant que les modes de vie ont énormément convergé.
 
Le premier exemple est la langue.
 
Lorsqu’en 2000 je suis allé à Lisbonne, le portugais y était roi. Je me souviens d’intéressants musées où les notices étaient seulement dans la langue du coin (comme aux US ou au RU), et d’avoir dû m’exprimer par gestes ou en espagnol pour me faire comprendre, encore que pas mal de monde parlait français à l’époque.
 
A contrario, quand en 2024 je suis retourné au Portugal, dans l’Algarve et que j’y ai attrapé une conjonctivite, j’ai vite pu trouver une pharmacie dont l’employé parlait un anglais fluent et m’a dégotté un remède en deux temps et trois mouvements.
 
Même chose pour l’Europe de l’Est.
 
Lors d’un voyage dans les pays baltes que j’ai fait avec un ami voici une quinzaine d’années, je me rappelle avoir pris un bus à Vilnius sans être sûr que le chauffeur ait vraiment compris où nous souhaitions aller.
 
Ensuite à Riga la personne chez qui nous avons logé ne parlait aucune langue que nous connaissions.
 
Et enfin, nous avons dû baragouiner le peu d’allemand que nous connaissions pour nous débrouiller avec nos hôtes estoniens.
 
A contrario, à Ljubljana 99% de mes contacts parlaient anglais, qu’il s’agisse des commerçants, des employés des hôtels ou des musées, etc…
 
J’ai presque été soulagé lorsque le dernier jour je suis tombé sur une boulangerie tenue par une vieille grand-mère à qui j’ai dû faire ma commande par gestes.
 
Je me souviens également de menus exclusivement en allemand dans un restaurant viennois, alors que les restaurants aux cartes monolingues deviennent une rareté à peu près partout. Etc...
 
En clair l’anglais s’est indéniablement imposé comme langue internationale unique et "must have" (comme me le disait un boss insupportable il y a vingt ans) aux quatre coins de l’Europe, et toute personne travaillant dans le tourisme se doit de la connaitre, et la connait (et plus seulement les Scandinaves).
 
L’obsession de son apprentissage dépasse même ce cadre puisque les établissements d’enseignement supérieurs qui se vantent de l’utiliser se multiplient également mais ce n’est pas mon sujet.
 
C’est évidemment très pratique et fort logique, mais cela fait que l’étranger l’est beaucoup moins.
 
Le deuxième aspect qui a changé concerne les commerces eux-mêmes.
 
Lors de mes premières errances européennes, chaque pays avait sinon ses propres chaines, du moins ses propres magasins et restaurants.
 
Je me souviens qu’à Newcastle dans les années 90 j’avais été frappé par les boutiques du coin, qui proposaient toutes un bric-à-brac portant à confusion sur le type même de la boutique : un magasin qui vend des plantes, des guitares et des boites de conserve, c’est quoi ? Et si le magasin voisin fait la même chose, qu’est-ce que ça signifie ?
 
De même à chaque coin de Roumanie il y avait des kiosques, minuscules boutiques de 2 ou 3 m² où le vendeur/la vendeuse proposait toutes sortes de choses, des tickets de loto aux chewing-gums en passant par chips, clopes et journaux.
 
Ils ont à peu près disparu aujourd’hui.
 
A noter que leurs équivalents parisiens, les boites de métal vert, semblent devoir les suivre de près.
 
En fait, d’une manière générale, dans notre pays et dans le monde, beaucoup de magasins indigènes disparaissent.
 
Nombre de villes ont longtemps des commerces emblématiques, connu dans leur secteur géographique et qu’on désignait par le nom de leur propriétaire plutôt que par leur spécialité : à Orléans on allait chez Loddé du nom de la célèbre librairie par exemple.
 
Mais de plus en plus, on assiste à leur remplacement par de grandes chaines, nationales et/ou internationales.
 
Toujours en Roumanie, j’ai vu l’implantation accélérée de toutes les enseignes mondiales, à commencer par la grande distribution, un secteur dans laquelle la France tire son épingle du jeu, mettant un terme à toute enseigne nationale (bon, il faut dire que le régime communiste ne leur avait pas vraiment donné l'habitude de la concurrence). 
 
Chaque pays, voire chaque ville de chaque pays, a désormais son McDonald’s, son Starbuck, chaque ville française a sa FNAC, etc.
 
Cette standardisation est telle que le prix du Big Mac a généré un très sérieux indice, devenu un instrument pour comparer les monnaies et les pouvoirs d’achat entre les pays.
 
Enfin, le dernier point, qui est un peu lié au premier, est la concentration de tous les services sur le web et sur son téléphone.
 
Où qu’on aille on peut désormais comparer hôtels, restaurants, loueurs de voiture, bars et autres en consultant Internet, réserver et laisser son avis/noter les établissements.

Quand on se déplace dans une ville, plus besoin non plus de se procurer une carte ou de demander son chemin, tout peut se faire via le téléphone (c’est comme ça que j’ai trouvé ma pharmacie portugaise).

Et tous ces services sont en anglais. Grâce à mon téléphone, j’ai pu utiliser un équivalent ljubljanais du Velib en suivant une procédure d’une simplicité biblique et sans connaitre un mot de slovène.

En somme, voyager n’a jamais été aussi simple ni aussi prévisible.
 
Il est désormais possible d’enchainer les destinations sans lâcher son téléphone, sans apprendre aucun mot local, sans parler à personne sur place, en allant exclusivement dans les lieux choisis sans galère, en supprimant finalement tout imprévu et toute difficulté.

Bien sûr, on peut se dire que rien ne nous oblige à rentrer dans ce schéma et qu’on peut toujours se laisser porter, mais ce schéma est aussi notre mode de vie, d’où que l’on vienne, et la question d’en sortir ou non dépasse finalement le voyage.

Bref, si l’on est pressé et/ou que l’on a un but précis, le monde d’aujourd’hui est incomparablement plus efficace et maitrisé, y compris pour le voyage.

Mais est-ce encore un voyage ?

mercredi 24 avril 2024

Livres (36) Sastre La haine orpheline et le harcèlement - "Eux" et "nous"

Il y a peu je parlais avec une chrétienne pratiquante de ce qui m'avait éloigné de la religion et ce qui me faisait m'en méfier et souvent la rejeter.

Au final j'ai trouvé que le meilleur résumé de ma réticence était la formule "eux contre nous".

Les religions abrahamiques portent en effet en elle un germe totalitaire, qui s'épanouit plus ou moins selon l'époque et le contexte.

Le fait de détenir LA vérité, qui est unique, est lourd de conséquence. Cela implique une supériorité sur ceux qui ne la détiennent pas et sur ceux qui volontairement ou non, ne suivent pas les règles liées à cette vérité.

Plusieurs attitudes sont possibles vis-à-vis de ces derniers.

On peut souhaiter les convertir de gré ou de force, si la religion le permet ou l'encourage. Le christianisme et l'islam sont dans cette configuration, ce qui est une des explication de leur succès, tandis que la religion mère, le judaïsme, ne l'est pas (ou ne l’est plus selon certains historiens).

On peut les mépriser et les ignorer pour s’en préserver: les salafistes, les amish et les juifs orthodoxes donnent trois exemples de stratégie d'évitement et d’entre soi, évitement qui pose généralement tôt ou tard des problèmes à la société majoritaire.

On peut enfin les maudire et vouloir les détruire en tant que communauté. J’ai lu dans l'ancien testament des passages où Dieu demande explicitement au peuple élu d'exterminer telle ou telle tribu, allant jusqu'à punir toute indulgence à leur égard.

Ces passages ont été repris par beaucoup de "peuples élus" sur la planète pour justifier leurs conquêtes.

Il y a les sionistes religieux, évidemment, puisqu'ils considèrent que la Torah est leur histoire, que les ordres de Dieu sont toujours d'actualité et qu’eux seuls sont légitimes dans une Palestine plus ou moins élargie.

Mais il y en a aussi beaucoup dans le monde protestant, dont les membres sont de gros lecteurs de l'ancien testament.

On peut citer les Afrikaners dans leurs rapports avec les kaffirs qui les précédaient en Afrique du Sud, ou les Américains avec leur théorie de la destinée manifeste justifiant génocide et relégation des indigènes.

Je connais peu les textes et théories orthodoxes et je n'ai pas lu le Coran, mais le messianisme russe, porté par l'idée de Moscou la troisième Rome, et les conquêtes de l'islam procèdent aussi de cette nécessaire domination/destruction du monde païen/kouffar.

D’autres oppositions naissent lorsqu'au sein d'une même religion apparaissent des divergences d’interprétation. Chaque groupe défend alors sa vérité, la seule valable, naturellement.

Ainsi au cours des siècles l'église catholique a-t-elle été parcourue de schismes et d'hérésies, toutes farouchement combattues.

Certaines branches, comme les cathares ou les jansénistes, ont été tout simplement détruites.

D'autres ont donné naissance à des versions concurrentes du christianisme.

Ainsi le schisme de 1054 avec le monde orthodoxe n’a jamais été annulé : les deux blocs existent toujours aujourd'hui.

La Réforme fut une autre déchirure. Les guerres qui la suivirent ensanglantèrent l'Europe et ses dépendances pendant près d'un siècle, et la rivalité qui a remplacé les combats ne s'est un peu atténuée que très récemment, avec la déchristianisation et la concurrence de l'islam.

Cette dernière religion a elle-même connu ses propres schismes, le plus important étant l'apparition du chiisme, en guerre plus ou moins permanentes avec les sunnites jusqu'à nos jours.

L'islam est d'ailleurs aujourd'hui la proie de ce puissant mouvement de fermeture au reste du monde  dont je parlais, la dichotomie halal/haram y devenant de plus en plus centrale, et de plus en plus problématique dans un monde où les contacts entre communautés vont croissants.

Au-delà du religieux à proprement parler, on trouve ce même phénomène de "eux contre nous" dans les religions civiles, censément détachées du sacré, que l'on trouve surtout à gauche. Le communisme était (est?) une forme de religion, dont le fanatisme, le sectarisme et les excès n'ont rien à envier aux gens du livre.

A l'image des Torquemada ou des sultans les plus rigoristes, les adeptes de Lénine pratiquèrent en effet l'excommunication, le contrôle de la pensée, combattirent impitoyablement les déviants et les tièdes et se donnèrent pour but d’exterminer leurs adversaires, les "mauvaises classes".

Des études suggèrent même que les gens de gauche cherchent plus spécifiquement leurs partenaires sexuels ou sentimentaux en fonction de leurs idées, un peu comme une musulmane s'interdit toute relation sentimentale avec un kouffar...

Ceci étant dit, est-ce que ce "eux et nous" est spécifiquement religieux/idéologique? Est-ce que ça ne va pas un peu plus loin que ça et que ça n'est pas tout simplement intrinsèque à notre espèce?

C’est cette réflexion qui m'amène à parler de La haine orpheline, l'étonnant livre de Peggy Sastre, auteure dont j'apprécie beaucoup les articles depuis plusieurs années.

Elle y expose la théorie aussi fascinante que dérangeante que nous sommes mus dans la plupart de nos comportements par la génétique et par notre état de primate se reproduisant sexuellement.

Via des articles de scientifiques (l'appendice est énorme) et des comparaisons avec nos cousins chimpanzés, gorilles et autres bonobos, elle souligne les réflexes conditionnés par la quête de perpétuation des gènes qui sous-tendrait nos existences.

Ce discours prend à rebrousse-poil les religieux pour qui la nature de l'homme est spéciale et les activistes modernes pour qui tout est construction, ces deux tendances ayant comme point commun de nier la biologie.

Avec Sastre, je pense que ces deux idéologies sont totalement fausses, et que l’existence de têtes de turcs, de dominants et de dominés, de violence expiatoire et d'intrigues chez les mammifères et singulièrement chez les primates prouvent bien que ces comportements nous sont communs.

Parmi les étonnants passages de ce livre, j’ai retenu le comportement des jeunes mâles chimpanzés.

Ceux-ci, lorsqu'ils étaient seuls, avaient tendance à raser les murs.

Lorsqu'ils se retrouvaient à deux ou trois, leur confiance augmentait et ils s'affirmaient plus facilement face à leurs congénères.

Enfin, lorsqu'ils étaient en bande, ils devenaient agressifs et querelleurs, roulant des mécaniques comme un vulgaire groupe de racailles, casquettes en moins.

Au final, c’est comme si l’agressivité était un besoin, une nécessité pour ces mammifères, et qu’étant grégaires et sociaux, l’existence de groupes d’adversaires était également indispensable pour que cette agressivité nécessaire puisse s'exprimer.

Ce livre est bien plus vaste que l'aspect "eux contre nous", mais il laisse entendre que le conflit est consubstantiel aux primates, si ce n'est aux mammifères, et qu'il a une utilité génétique.

Cela semble une donnée inévitable, et d'ailleurs le monde moderne ou moins moderne nous le prouve chaque jour.

Comme je le citais au début de ce post, les melting-pots ayant donné les pieds-noirs, les afrikaners et les états-uniens auraient-ils existé sans les Arabes, les Kafirs et les Amérindiens contre lesquels ces groupes se sont définis?

Israël réussirait-il à fédérer des juifs n'ayant que très peu en commun s'il n'y avait pas les Arabes contre lesquels se liguer? Et à l’inverse, qu’est-ce qui réunit de manière inconditionnelle les peuples arabes en dehors du combat pour la Palestine ?

Ce besoin d’un adversaire contre lequel tourner sa haine est utilisé par tous les régimes. Tutsis du Rwanda, Indiens de l’Ouganda, Ouïghours et Tibétains de Chine se sont tous retrouvés dans la peau de l’ennemi juré à détruire et les gens ont marché, indépendamment des intérêts sous-jacents (l'islam des Ouighours et le bouddhisme tibétain tombant à pic pour que Pékin justifie sa remise au pas de régions stratégiques).

Et en Europe, le nazisme avait besoin des juifs pour mettre en oeuvre sa vision du monde, comme le communisme utilisait les koulaks et assimilés pour faire passer la pilule.

Plus récemment et de manière plus policée, on constate qu’en Occident gauche et droite, qui correspondirent longtemps à des idées et modèles de société spécifiques, ont convergé et que leurs oppositions dogmatiques se sont émoussées.

A ce moment est apparue une nouvelle opposition entre localistes et mondialistes, et au retour de vieilles lunes nationalistes qu'on croyait avoir enterrées.

Et si un accord ou un équilibre entre ces deux tendances est trouvé dans le futur, gageons que de nouvelles oppositions, tout aussi existentielles, diviseront la société.

Avec La haine orpheline se posent les questions suivantes, lancinantes et dérangeantes.

Le conflit est-il une nécessité de notre espèce, qui ressurgira toujours de façon inévitable sous une forme ou une autre?

La haine est-elle un besoin au même titre que les autres interactions sociales entre êtres humains?

Un "eux" à haïr est-il indispensable pour bâtir un "nous"?

Sastre donne des pistes pour répondre à ces interrogations, qui en entrainent une autre, tout aussi essentielle: si c’est bien le cas et qu'elle est nécessaire, comment fait-on pour gérer la haine?

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dimanche 7 avril 2024

#Fauve et Papacito

En voiture, j’ai un jour entendu la chanson Infirmière. C'est un monologue qui raconte les difficultés d’un homme à trouver sa place dans ce monde sans l’amour de celle qu’il appelle son infirmière, amour dont il a un besoin éperdu et dont il semble qu’il soit privé.

Deux chanteurs y alternent des couplets en spoken word et un refrain chanté d’une voix ordinaire (d’ailleurs limite fausse quand elle pousse un peu), sur un fond musical feutré, avec beaucoup de basses, donnant une sensation d’intimité.

Je me souviens avoir été intrigué puis touché par ce titre, que j’ai réécouté plusieurs fois.

J’ai ensuite découvert qu’ils s’appelaient #Fauve, que c’était un collectif volontairement discret, qu’ils avaient pas mal de bonnes critiques (on parlait de "phénomène") et j’ai commencé à écouter d’autres titres.

Basiquement, ceux-ci tournent autour de la même thématique.

Y parlent de jeunes adultes parisiens modernes issus de milieux privilégiés qui ne supportent plus l’absence de sens de leur vie de jeunes parisiens modernes issus de milieux privilégiés.

Ces personnages sont bien intégrés, travaillent dans le tertiaire, ont des vies sentimentalo-sexuelles compliquées, sortent dans les bars, niquent tant qu’ils peuvent sans jamais s’engager et avec cynisme, tout en se dégoûtant pour ça et en rêvant de grand amour.

Ils critiquent leur génération, leur éducation, leur boulot, affirment être parfois au bord de la folie devant le grand écart entre vie et idéal.

Faiblesse et regrets en bandoulière, ils se révoltent, fût-ce à coups de psys ou médocs, de la révolte des faibles qui vous crachent leur faiblesse au visage, et le crient face au monde.

A l'opposé de #Fauve, j'aimais lire il y a longtemps le blog Fils de pute de la mode, disparu du web depuis un certain temps.

Je ne sais plus comment j’étais tombé dessus (il me semble me rappeler d’un article de Vice), mais il s’agissait d’articles humoristiques, cyniques et décapants sur divers sujets.

Son auteur, alors peu connu, est le controversé Papacito, influenceur d’extrême droite issu du sud-ouest de la France et rendu célèbre par Mélenchon.

Il y abordait différents sujets, la famille, les émo, la boxe, les dictateurs, le style, les relations entre communautés, le tout sur un ton énervé et parodique, terminant tous ses articles par un "Enculé, va !" devenu sa marque de fabrique.

A chaque fois, tout était prétexte à atomiser les discours faciles et agaçants de ses cibles favorites féministes, gauchistes, droits de l’hommiste, écologistes, "fragiles", etc., et à évoquer un bon vieux temps où les hommes débordaient de testostérone et où la violence était le mode de communication privilégié.

Parfois ses posts me choquaient, je n'ai jamais accroché à ses idées virilisto passéistes, mais il a une sacrée prose et me faisait souvent beaucoup rire.

Et je me souviens qu'un des articles parlait justement de #Fauve.

Il s'y interrogeait sur l'intérêt de surexposer ses échecs, de porter sa fragilité et ses plans ratés en étendard, soulignant que le sens commun recommandait plutôt de les dépasser ou a minima de les garder pour soi.

Cette remarque avait mis le doigt sur ce qui avait fini par me déranger en écoutant les titres de #Fauve, malgré parfois une identification pour certains des sentiments décrits par les protagonistes des chansons.

Loin de moi l’idée que tout homme doit être un John Wayne viril, dur à la douleur, bagarreur insensible et au sens de l’honneur aussi affûté qu’une lame.

Je reste convaincu que le modèle du mâle alpha fait et a fait beaucoup de mal et que, comme le disait Virginie Despentes dans son King Kong théorie, c’est un enfermement pour les hommes, de la même façon que le stéréotype de la Barbie girlie à la sensibilité forcément exacerbée et aux mensurations parfaites est une prison pour les femmes.

Mais il ne faudrait pas non plus que la remise en cause du modèle du "vrai mec" fasse tomber dans le travers inverse, et que l'exigence d'ultra virilité soit remplacée par une exigence d'ultra-fragilité et par l'obligation d'exhiber ses fêlures et ses doutes sous peine de mise à l'index.

J'ai parfois l'impression que c'est un peu ce qui se passe dans notre époque où l’on dirait que la valeur d’une personne est proportionnelle à son statut de victime, remplaçant le concours de la plus grosse bitte par celui de la plus grosse souffrance subie.

La santé mentale est un vrai sujet, savoir gérer ou soigner son mal-être est important, l’écoute et la compassion sont de bonnes choses, mais se sentir obligé d'exhiber ses plaies me met mal à l’aise.

Je pense même que ça se teinte parfois d'une forme de voyeurisme malsain et que pour certains ça peut même être un calcul permettant de discréditer son interlocuteur. 

C'est vrai à l'échelle des désormais centrales "communautés" (le livre Mon holocauste de Tova Reich explore cette idée jusqu'à la caricature), ça peut aller jusqu'aux personnes.

Je précise que je ne dis pas que les #Fauve sont de cyniques manipulateurs ni des exhibitionnistes frelatés, bien sûr. Je n'en sais rien, je ne le pense pas et ce n'est pas mon propos.

Mais au final, est-ce qu'exhiber ses points sombres et son douloureux vécu ne relève pas de la même démarche qu'exhiber ses muscles? N'est-ce pas "exhiber" qu'il faut retenir dans tout ça, est-ce que ce n'est pas aussi de l'égocentrisme?

Personnellement je suis un partisan de la pudeur, cette notion dévoyée par les bigots d'aujourd'hui et bien démodée, comme celle de la politesse.

Les gens sont divers et variés, et c'est très bien comme ça.

Je rêve du monde où le costaud et le névrosé (qui peuvent être la même personne d'ailleurs), disent bonjour sans se sentir tenus de vous balancer ni leur tour de biceps ni le résultat de leur psychanalyse dès la première rencontre.

J'attends le moment où l'on rangera les "fiertés" au placard, où avant de cracher qu'on est gay, musulman, trans, d'un bord politique ou l'autre, d'une ville ou l'autre, on se présentera comme M. ou Mme Untel, membre de la grande famille humaine.

J'espère enfin que lorsqu'on rencontre quelqu'un on cherche d'abord ce qui rapproche plutôt que ce qui sépare et qu'une bienveillante curiosité sans rentre-dedans préside aux premiers échanges.

Ni Papacito ni #Fauve, simplement un humain pudique, poli et pas dans la concurrence.

Aya or not Aya?

J'ai entendu parler d'Aya Nakamura il y a plusieurs années, quand elle commençait à triompher hors de l'Hexagone et que plusieurs journaux le rapportaient.

Je me souviens avoir été intrigué par le décalage entre son nom japonais et son faciès africain, mais bon, je suis vite passé à un autre sujet: de toute façon je suis définitivement largué depuis des années en ce qui concerne la musique, et puis j'ai dû me dire que c'était un truc à la Air ou Daft punk et que soit elle faisait de la musique sans textes, soit elle chantait en anglais.

Plus récemment j'ai reçu des blagues sur sa façon d'utiliser le français. J'appris par là que finalement elle chantait dans notre langue, ce qui rendait son succès international plus impressionnant.

En effet, à l'heure où même à l'Eurovision la plupart des candidats ont abandonné leur propre langue pour chanter en anglais (y compris les Espagnols, malgré leur nombre de locuteurs) ce n'est en effet pas banal de choisir une autre direction, et encore moins que ça marche.

Intrigué, j'ai donc écouté son tube Djadja...et je dois dire que je n'ai pas compris grand-chose à ce qu'elle chantait (!)

La base a l'air française, mais c'est truffé de mots anglais et d'autres d'origines que je n'identifie pas, les tournures me sont étrangères, c'est plein de l'argot des années 2010, etc.

J'aurais pu dire que j'ai été choqué, mais en fait les rappeurs qu'écoutent mes enfants m'ont produit le même effet, et puis chaque génération a son argot à elle. Je ne sais pas si celui de Nakamura est plus loin du français que les précédents, mais en tout cas ce n'est pas le mien.

En clair, petit coup de vieux: cette jeunette est le fruit de son époque et sa langue va avec.

A part ça, je n'ai guère d'avis. Ca semble être de la musique populaire dansable aux mélodies accrocheuses. Je serais bien emmerdé de devoir classer ça dans un genre (pop?), je n'aime ni ne déteste, si ça marche tant mieux pour elle.

Enfin sont arrivés les JO, et la rumeur que notre président lui aurait demandé de chanter pour l'ouverture, en reprenant du Piaf (à son choix il me semble).

Cette info a déclenché une de ces polémiques dont on a le secret et qui souligne les fractures de notre pays.

L'extrême droite et une partie de la population rejette catégoriquement l'idée que Nakamura représente la France.

Parfois c'est à cause de son usage de la langue, parfois c'est pour son style, parfois c'est par calcul politique et parfois c'est plus simplement par racisme, comme ceux qui ont lamentablement parodié sa chanson en rappelant qu'elle est née à Bamako comme si c'était une tare.

En face d'eux, il y a les nombreux antiracistes professionnels, qui ne la défendent et la soutiennent que parce qu'elle est noire, de manière tellement caricaturale et outrancière que c'est en fait une attitude tout aussi raciste que les racistes qu'ils dénoncent.

Je pense notamment à Anne Roumanoff, qui avait précédemment "défendu" Black M lorsqu'on l'avait déprogrammé aux commémorations de Verdun.

Dans les deux cas, peu lui importait la situation, ce qui comptait c'est que la personne était noire: toute critique est donc du racisme, point.

Le fait que Black M ait chanté que la France est un pays de kouffars mais qu'on le choisisse pour animer le souvenir de gens morts pour ledit pays ne la dérangeait pas: il est noir, donc c'est du racisme.

De même, le fait que les danses suggestives d'Aya Nakamura aient pu choquer Nicoletta c'est aussi forcément du racisme.

Etc.

Il est significatif de voir que ces deux camps ont eu un positionnement inverse pour la cérémonie d'ouverture de la coupe du monde de rugby.

Le fait qu'elle reconstitue une scénette de village de carte postale à la Amélie Poulain avec Jean Dujardin a effectivement été applaudi par les détracteurs de Nakamura, tandis que ses soutiens inconditionnels ont crié au chauvinisme rance, passéiste et raciste.

Autre guerre récente: la critique du hit de Michel Sardou Les lacs du Connemara par l'artiste de gauche Juliette Armanet, qui clamait son dégoût de ce titre "de droite".

A mon sens, la vérité c'est qu'aujourd'hui la France est double.

La France "éternelle", celle du village de Dujardin, celle que décrit Sellig dans ses sketches, celle des Tuche et du 14 juillet, celle des petites villes de province, celle qui prolonge et continue un long substrat sédimenté par les siècles existe toujours.

Cette France dite profonde sur laquelle crachait Diams n'est ni pire ni meilleure que son équivalent dans les autres pays.

Elle n'a pas à se justifier d'exister, elle est légitime et pas plus rance ou méprisable que tout autre peuple ou communauté, et elle a bien raison d'envoyer mourir les autoproclamés progressistes méprisants qui la voient comme des Deschiens, des gens suspects ou des déplorables pour paraphraser Hillary Clinton.

Pour autant, ça ne veut pas dire qu'elle est la France à elle seule.

La France c'est aussi les 100% urbains depuis des générations, les gens issus de mélanges/métissages improbables, les migrants venus d'ailleurs que l'Europe, descendants des peuples colonisés ou non, ceux à qui l'histoire a donné des pieds dans plusieurs endroits et qui sont réellement mondialisés, tous ces gens qui sur notre sol inventent autre chose, une autre version du pays.

Les tendances démographiques indiquent que cette France-là, qui est la France d'où est issue Aya Nakamura, pèse de plus en plus, déjà un quart des naissances depuis quasiment une décennie.

En ce sens, le choix de cette chanteuse n'est pas plus illégitime qu'un autre.

Prendre quelqu'un dont les titres, a ma connaissance, ne parlent ni de politique ni de religion, qui connait un grand succès et s'exporte peut être le symbole d'une France qui se regarde en entier, connectée au monde, moderne et métissée sans se renier.

On peut se dire que choisir cette image pour les JO, événement international et opération de marketing par excellence, n'est donc pas si débile.

Evidemment il y a aussi de bonnes raisons de ne pas la choisir.

Si elle chante en français, ce n'est guère dans la langue officielle de notre pays. On peut aussi effectivement la trouver vulgaire et trop sexualisée, penser que sa musique est faible, qu'elle n'a pas les épaules, etc.

Mais réduire ce débat à ses origines et au choix entre deux versions étanches et opposées d'un même pays est désolant.

Les deux France sont condamnées à se connaitre, à cohabiter, à vivre ensemble pour reprendre cette antienne devenue ridicule, à moins que l'on ne veuille devenir un Liban et/ou tôt ou tard imploser.

On n'a pas à choisir l'une ou l'autre, l'une contre l'autre, chacun peut ne pas apprécier ou critiquer quelqu'un qui vient de l'une ou l'autre, mais pas sur ce critère, pas sur ce qu'il est, pas sur son origine, son genre ou son aspect.

Ce qui doit compter c'est ce qu'il fait ou dit, et après c'est question de choix et de goût et le débat peut commencer.

Nous verrons donc si Aya Nakamura chante aux JO, mais personne ne sortira grandi de ce combat stupide, de cette régression tribale devenue si commune.