dimanche 7 avril 2024

#Fauve et Papacito

En voiture, j’ai un jour entendu la chanson Infirmière. C'est un monologue qui raconte les difficultés d’un homme à trouver sa place dans ce monde sans l’amour de celle qu’il appelle son infirmière, amour dont il a un besoin éperdu et dont il semble qu’il soit privé.

Deux chanteurs y alternent des couplets en spoken word et un refrain chanté d’une voix ordinaire (d’ailleurs limite fausse quand elle pousse un peu), sur un fond musical feutré, avec beaucoup de basses, donnant une sensation d’intimité.

Je me souviens avoir été intrigué puis touché par ce titre, que j’ai réécouté plusieurs fois.

J’ai ensuite découvert qu’ils s’appelaient #Fauve, que c’était un collectif volontairement discret, qu’ils avaient pas mal de bonnes critiques (on parlait de "phénomène") et j’ai commencé à écouter d’autres titres.

Basiquement, ceux-ci tournent autour de la même thématique.

Y parlent de jeunes adultes parisiens modernes issus de milieux privilégiés qui ne supportent plus l’absence de sens de leur vie de jeunes parisiens modernes issus de milieux privilégiés.

Ces personnages sont bien intégrés, travaillent dans le tertiaire, ont des vies sentimentalo-sexuelles compliquées, sortent dans les bars, niquent tant qu’ils peuvent sans jamais s’engager et avec cynisme, tout en se dégoûtant pour ça et en rêvant de grand amour.

Ils critiquent leur génération, leur éducation, leur boulot, affirment être parfois au bord de la folie devant le grand écart entre vie et idéal.

Faiblesse et regrets en bandoulière, ils se révoltent, fût-ce à coups de psys ou médocs, de la révolte des faibles qui vous crachent leur faiblesse au visage, et le crient face au monde.

A l'opposé de #Fauve, j'aimais lire il y a longtemps le blog Fils de pute de la mode, disparu du web depuis un certain temps.

Je ne sais plus comment j’étais tombé dessus (il me semble me rappeler d’un article de Vice), mais il s’agissait d’articles humoristiques, cyniques et décapants sur divers sujets.

Son auteur, alors peu connu, est le controversé Papacito, influenceur d’extrême droite issu du sud-ouest de la France et rendu célèbre par Mélenchon.

Il y abordait différents sujets, la famille, les émo, la boxe, les dictateurs, le style, les relations entre communautés, le tout sur un ton énervé et parodique, terminant tous ses articles par un "Enculé, va !" devenu sa marque de fabrique.

A chaque fois, tout était prétexte à atomiser les discours faciles et agaçants de ses cibles favorites féministes, gauchistes, droits de l’hommiste, écologistes, "fragiles", etc., et à évoquer un bon vieux temps où les hommes débordaient de testostérone et où la violence était le mode de communication privilégié.

Parfois ses posts me choquaient, je n'ai jamais accroché à ses idées virilisto passéistes, mais il a une sacrée prose et me faisait souvent beaucoup rire.

Et je me souviens qu'un des articles parlait justement de #Fauve.

Il s'y interrogeait sur l'intérêt de surexposer ses échecs, de porter sa fragilité et ses plans ratés en étendard, soulignant que le sens commun recommandait plutôt de les dépasser ou a minima de les garder pour soi.

Cette remarque avait mis le doigt sur ce qui avait fini par me déranger en écoutant les titres de #Fauve, malgré parfois une identification pour certains des sentiments décrits par les protagonistes des chansons.

Loin de moi l’idée que tout homme doit être un John Wayne viril, dur à la douleur, bagarreur insensible et au sens de l’honneur aussi affûté qu’une lame.

Je reste convaincu que le modèle du mâle alpha fait et a fait beaucoup de mal et que, comme le disait Virginie Despentes dans son King Kong théorie, c’est un enfermement pour les hommes, de la même façon que le stéréotype de la Barbie girlie à la sensibilité forcément exacerbée et aux mensurations parfaites est une prison pour les femmes.

Mais il ne faudrait pas non plus que la remise en cause du modèle du "vrai mec" fasse tomber dans le travers inverse, et que l'exigence d'ultra virilité soit remplacée par une exigence d'ultra-fragilité et par l'obligation d'exhiber ses fêlures et ses doutes sous peine de mise à l'index.

J'ai parfois l'impression que c'est un peu ce qui se passe dans notre époque où l’on dirait que la valeur d’une personne est proportionnelle à son statut de victime, remplaçant le concours de la plus grosse bitte par celui de la plus grosse souffrance subie.

La santé mentale est un vrai sujet, savoir gérer ou soigner son mal-être est important, l’écoute et la compassion sont de bonnes choses, mais se sentir obligé d'exhiber ses plaies me met mal à l’aise.

Je pense même que ça se teinte parfois d'une forme de voyeurisme malsain et que pour certains ça peut même être un calcul permettant de discréditer son interlocuteur. 

C'est vrai à l'échelle des désormais centrales "communautés" (le livre Mon holocauste de Tova Reich explore cette idée jusqu'à la caricature), ça peut aller jusqu'aux personnes.

Je précise que je ne dis pas que les #Fauve sont de cyniques manipulateurs ni des exhibitionnistes frelatés, bien sûr. Je n'en sais rien, je ne le pense pas et ce n'est pas mon propos.

Mais au final, est-ce qu'exhiber ses points sombres et son douloureux vécu ne relève pas de la même démarche qu'exhiber ses muscles? N'est-ce pas "exhiber" qu'il faut retenir dans tout ça, est-ce que ce n'est pas aussi de l'égocentrisme?

Personnellement je suis un partisan de la pudeur, cette notion dévoyée par les bigots d'aujourd'hui et bien démodée, comme celle de la politesse.

Les gens sont divers et variés, et c'est très bien comme ça.

Je rêve du monde où le costaud et le névrosé (qui peuvent être la même personne d'ailleurs), disent bonjour sans se sentir tenus de vous balancer ni leur tour de biceps ni le résultat de leur psychanalyse dès la première rencontre.

J'attends le moment où l'on rangera les "fiertés" au placard, où avant de cracher qu'on est gay, musulman, trans, d'un bord politique ou l'autre, d'une ville ou l'autre, on se présentera comme M. ou Mme Untel, membre de la grande famille humaine.

J'espère enfin que lorsqu'on rencontre quelqu'un on cherche d'abord ce qui rapproche plutôt que ce qui sépare et qu'une bienveillante curiosité sans rentre-dedans préside aux premiers échanges.

Ni Papacito ni #Fauve, simplement un humain pudique, poli et pas dans la concurrence.

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