dimanche 7 avril 2024

Aya or not Aya?

J'ai entendu parler d'Aya Nakamura il y a plusieurs années, quand elle commençait à triompher hors de l'Hexagone et que plusieurs journaux le rapportaient.

Je me souviens avoir été intrigué par le décalage entre son nom japonais et son faciès africain, mais bon, je suis vite passé à un autre sujet: de toute façon je suis définitivement largué depuis des années en ce qui concerne la musique, et puis j'ai dû me dire que c'était un truc à la Air ou Daft punk et que soit elle faisait de la musique sans textes, soit elle chantait en anglais.

Plus récemment j'ai reçu des blagues sur sa façon d'utiliser le français. J'appris par là que finalement elle chantait dans notre langue, ce qui rendait son succès international plus impressionnant.

En effet, à l'heure où même à l'Eurovision la plupart des candidats ont abandonné leur propre langue pour chanter en anglais (y compris les Espagnols, malgré leur nombre de locuteurs) ce n'est en effet pas banal de choisir une autre direction, et encore moins que ça marche.

Intrigué, j'ai donc écouté son tube Djadja...et je dois dire que je n'ai pas compris grand-chose à ce qu'elle chantait (!)

La base a l'air française, mais c'est truffé de mots anglais et d'autres d'origines que je n'identifie pas, les tournures me sont étrangères, c'est plein de l'argot des années 2010, etc.

J'aurais pu dire que j'ai été choqué, mais en fait les rappeurs qu'écoutent mes enfants m'ont produit le même effet, et puis chaque génération a son argot à elle. Je ne sais pas si celui de Nakamura est plus loin du français que les précédents, mais en tout cas ce n'est pas le mien.

En clair, petit coup de vieux: cette jeunette est le fruit de son époque et sa langue va avec.

A part ça, je n'ai guère d'avis. Ca semble être de la musique populaire dansable aux mélodies accrocheuses. Je serais bien emmerdé de devoir classer ça dans un genre (pop?), je n'aime ni ne déteste, si ça marche tant mieux pour elle.

Enfin sont arrivés les JO, et la rumeur que notre président lui aurait demandé de chanter pour l'ouverture, en reprenant du Piaf (à son choix il me semble).

Cette info a déclenché une de ces polémiques dont on a le secret et qui souligne les fractures de notre pays.

L'extrême droite et une partie de la population rejette catégoriquement l'idée que Nakamura représente la France.

Parfois c'est à cause de son usage de la langue, parfois c'est pour son style, parfois c'est par calcul politique et parfois c'est plus simplement par racisme, comme ceux qui ont lamentablement parodié sa chanson en rappelant qu'elle est née à Bamako comme si c'était une tare.

En face d'eux, il y a les nombreux antiracistes professionnels, qui ne la défendent et la soutiennent que parce qu'elle est noire, de manière tellement caricaturale et outrancière que c'est en fait une attitude tout aussi raciste que les racistes qu'ils dénoncent.

Je pense notamment à Anne Roumanoff, qui avait précédemment "défendu" Black M lorsqu'on l'avait déprogrammé aux commémorations de Verdun.

Dans les deux cas, peu lui importait la situation, ce qui comptait c'est que la personne était noire: toute critique est donc du racisme, point.

Le fait que Black M ait chanté que la France est un pays de kouffars mais qu'on le choisisse pour animer le souvenir de gens morts pour ledit pays ne la dérangeait pas: il est noir, donc c'est du racisme.

De même, le fait que les danses suggestives d'Aya Nakamura aient pu choquer Nicoletta c'est aussi forcément du racisme.

Etc.

Il est significatif de voir que ces deux camps ont eu un positionnement inverse pour la cérémonie d'ouverture de la coupe du monde de rugby.

Le fait qu'elle reconstitue une scénette de village de carte postale à la Amélie Poulain avec Jean Dujardin a effectivement été applaudi par les détracteurs de Nakamura, tandis que ses soutiens inconditionnels ont crié au chauvinisme rance, passéiste et raciste.

Autre guerre récente: la critique du hit de Michel Sardou Les lacs du Connemara par l'artiste de gauche Juliette Armanet, qui clamait son dégoût de ce titre "de droite".

A mon sens, la vérité c'est qu'aujourd'hui la France est double.

La France "éternelle", celle du village de Dujardin, celle que décrit Sellig dans ses sketches, celle des Tuche et du 14 juillet, celle des petites villes de province, celle qui prolonge et continue un long substrat sédimenté par les siècles existe toujours.

Cette France dite profonde sur laquelle crachait Diams n'est ni pire ni meilleure que son équivalent dans les autres pays.

Elle n'a pas à se justifier d'exister, elle est légitime et pas plus rance ou méprisable que tout autre peuple ou communauté, et elle a bien raison d'envoyer mourir les autoproclamés progressistes méprisants qui la voient comme des Deschiens, des gens suspects ou des déplorables pour paraphraser Hillary Clinton.

Pour autant, ça ne veut pas dire qu'elle est la France à elle seule.

La France c'est aussi les 100% urbains depuis des générations, les gens issus de mélanges/métissages improbables, les migrants venus d'ailleurs que l'Europe, descendants des peuples colonisés ou non, ceux à qui l'histoire a donné des pieds dans plusieurs endroits et qui sont réellement mondialisés, tous ces gens qui sur notre sol inventent autre chose, une autre version du pays.

Les tendances démographiques indiquent que cette France-là, qui est la France d'où est issue Aya Nakamura, pèse de plus en plus, déjà un quart des naissances depuis quasiment une décennie.

En ce sens, le choix de cette chanteuse n'est pas plus illégitime qu'un autre.

Prendre quelqu'un dont les titres, a ma connaissance, ne parlent ni de politique ni de religion, qui connait un grand succès et s'exporte peut être le symbole d'une France qui se regarde en entier, connectée au monde, moderne et métissée sans se renier.

On peut se dire que choisir cette image pour les JO, événement international et opération de marketing par excellence, n'est donc pas si débile.

Evidemment il y a aussi de bonnes raisons de ne pas la choisir.

Si elle chante en français, ce n'est guère dans la langue officielle de notre pays. On peut aussi effectivement la trouver vulgaire et trop sexualisée, penser que sa musique est faible, qu'elle n'a pas les épaules, etc.

Mais réduire ce débat à ses origines et au choix entre deux versions étanches et opposées d'un même pays est désolant.

Les deux France sont condamnées à se connaitre, à cohabiter, à vivre ensemble pour reprendre cette antienne devenue ridicule, à moins que l'on ne veuille devenir un Liban et/ou tôt ou tard imploser.

On n'a pas à choisir l'une ou l'autre, l'une contre l'autre, chacun peut ne pas apprécier ou critiquer quelqu'un qui vient de l'une ou l'autre, mais pas sur ce critère, pas sur ce qu'il est, pas sur son origine, son genre ou son aspect.

Ce qui doit compter c'est ce qu'il fait ou dit, et après c'est question de choix et de goût et le débat peut commencer.

Nous verrons donc si Aya Nakamura chante aux JO, mais personne ne sortira grandi de ce combat stupide, de cette régression tribale devenue si commune.

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