vendredi 29 mars 2024

Vieux

Il y a peu je suis allé voir l’expo sur Johnny Hallyday. Comme je l’ai précédemment écrit je n’étais pas particulièrement fan de l’artiste, mais le phénomène avait quelque chose de fascinant.
 
Sans surprise, mes co visiteurs étaient à 80% dans la deuxième moitié de leur vie, et 100% BBR. Les jeunes dont il était l’idole dans les sixties ne le sont évidemment plus, et même si sa fan base était impressionnante, elle était forcément vieillissante.

Quelques temps plus tard, de passage à Ostende, j'ai vu qu'il y en avait une autre consacrée au rocker local Arno, personnage lunaire et destroy que j’avais eu l’occasion de voir en concert il y a plus de vingt ans.
 
Né dans cette ville, il avait souhaité que ses cendres y soient jetées à la mer, et celle-ci lui rendait hommage par cette expo de photos.

Sans être un fan accompli, j’aimais sa voix âpre et sa folie, j'y suis donc allé.

Là encore il n’y avait que des gens plutôt âgés, tous blancs.
 
Et comme pour Johnny il y avait là d’anciennes fans (que des femmes), qu’on surprenait à chanter et/ou à danser, avec un air de défi rendu malaisant par les rides et le corps affaissé, tant l’association rock/rébellion/jeunesse reste un cliché ancré dans les têtes.

Enfin j’ai été faire un tour à la BNF, à qui l’un des membres du légendaire groupe punk Bérurier noir, qui a tant marqué mes années adolescentes et dont beaucoup de mes amis étaient fans à l’époque, avait donné un fond documentaire sur leur épopée anarcho-libertaire.

Rebelote, je me suis retrouvé entouré d’une foule de BBR aux cheveux gris à lunettes plus ou moins bedonnants, beaucoup à l’air un peu intello (je suppose que je rentrais dans le lot).
 
Il y avait un peu plus de jeunes qu'aux deux autres, sans doute du fait que c’était gratuit, mais je notais que leur attitude générale était ironique et moqueuse. J’ai même vu une jeune de l’âge de mon fils explosée de rire en écoutant le célèbre Porcherie live sur un casque.

Rire des Bérus ! Rire du groupe engagé par excellence, à l’odeur de soufre et de CRS, d’appels à la Révolution, à l’autogestion et la fin des frontières, rire de l’ennemi implacable du Front National !!

Et pourtant.

De même que les prestations d’Eddy Mitchell ou de Dick Rivers, rebelles des sixties françaises, nous faisaient rire au temps des Bérus rois, l’attitude et les combats de ces derniers paraissent d’une autre planète aux jeunes d’aujourd’hui, et ils le sont.

D’une part la France mondialisée, multiculturelle et désindustrialisée de 2024 n’a plus grand-chose à voir avec celle des années Giscard et Mitterrand, et d’autre part chaque génération, depuis l’invention de l’adolescence, se doit d’être en rupture avec la précédente.

Ça reste encore vrai même si les rapports de la jeunesse actuelle avec leurs parents est très différente, avec de moindres restrictions parentales et une moindre contestation.

Mais au-delà de toutes les analyses que je peux faire il y a un constat implacable et incontournable : que je le veuille ou pas, je suis en train de devenir vieux.

Et du coup ma jeunesse aussi devient vieille pour paraphraser Brel dans Jojo (qui d'ailleurs avait mon âge canonique quand il l’a écrite).

Ce n’est pas un constat très agréable, mais ces trois expos me l’ont renvoyé en pleine face.

Il ne sert à rien de faire semblant, de dire que c’est dans la tête, de tenter de rejouer les rôles de mes 15 ans ou ceux que j’aurais voulu endosser à cet âge, de crier "Hope I die before I get old" comme Roger Daltrey (80 ans aujourd’hui) ou "No Future" comme Johnny Rotten (68 ans aujourd’hui), de jouer du bistouri, de singer mes successeurs ou de considérer que ma génération ou mon époque étaient la/les meilleure(s).

Dans un dernier name dropping (privilège de l’âge), je devrais peut-être suivre Aznavour qui disait "Vieillir oui, devenir vieux non".
 
L'idée de cette formule que j'aime bien est que si l'on ne peut rien contre la déchéance physique, il faut néanmoins se garder de se fermer sur son passé, son époque ou ses certitudes, et rester attentif à guetter jusqu’à la fin à ce qui est beau et intéressant dans ce monde, qui se renouvelle sans cesse.

Parole de vieux.

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