jeudi 14 septembre 2023

Livre (32): Clemenceau

Lorsque j’étais enfant, je connaissais le nom de Clemenceau, qui revenait parfois lorsque mes grands-parents évoquaient la Grande Guerre, celle de leurs parents, et aussi dans le générique de la célèbre série "Les brigades du tigre".

Pour le petit Français que j'étais, il faisait partie de ces grands ancêtres un peu légendaires dont on était fiers, comme De Gaulle ou Napoléon, sans que je connaisse les détails. 

Puis avec le temps, la génération de mes grands-parents a disparu, le monde a continué à changer, et Clemenceau a glissé comme tant d’autres dans l’Histoire, de plus en plus oublié par le grand public et les nouvelles générations et relégué au rayon des spécialistes. Moi-même, malgré un goût prononcé pour l'Histoire, je n'y pensais plus guère. 

Et puis un jour, lors d’un voyage à Singapour, je suis tombé sur un boulevard Clemenceau. Ébahi de trouver le nom de ce bonhomme si loin de l’Hexagone, qui plus est dans une ex-colonie de l’ennemi anglais, mon intérêt pour lui s’est ravivé.

Ce qui fait que quelques temps plus tard j’ai lu le livre du toujours excellent et pédagogue Michel Winock, sobrement intitulé Clemenceau, et qui commençait en citant justement l'oubli dont je viens de parler.

Je me suis plongé avec passion sans le parcours de cet étonnant personnage aux mille vies, et découvert la place importante qu’il occupa dans notre histoire.

Né en Vendée, Clemenceau vécut aux États-Unis avant de revenir en France, devenu parfaitement bilingue à cette époque où c’était encore rare, surtout pour un Français (notre langue était encore reine), et flanqué d'une épouse américaine, Mary Plummer.

Au passage, la façon dont ce coureur de jupons notoire la traita quand elle le trompa à son tour n’honore guère le personnage et en dit long sur l’époque : après l’avoir prise sur le fait, il la fit emprisonner, déchoir de sa nationalité française et la renvoya en Amérique loin de leurs enfants et sans un sou, la gommant intégralement de sa vie et de la leur. 

Intéressé très tôt par la politique il eut une longue carrière, riche en députations et ministères, et se situa dès le début résolument à gauche, à l’époque où ce terme était synonyme de républicain (ce qui lui valut entre autres de goûter aux prisons de Napoléon III.

Mais il était plus réformiste que socialiste, et il représente bien cette gauche pré marxiste qu'on trouvait essentiellement dans le parti radical, très puissant à l'époque.

A ce titre il se méfait aussi des idéologies, comparant le socialisme au catholicisme dans leur volonté de contrôler les gens et de combattre la différence, et il s'opposa violemment au colonialisme, idée de gauche en ce temps-là (portée notamment par Jules Ferry).

Son passage au ministère de l'intérieur fut également remarqué: il réforma la police en créant les fameuses brigade du Tigre (Tigre étant l'un de ses surnoms) et assuma la répression parfois féroce des grèves et manifestations.

Ces actes et idées lui aliénèrent rapidement une bonne partie de son bord politique.

Néanmoins il fut de tous les combats de la gauche, de la laïcité au droit d’expression en passant par la défense de Dreyfus (c'est dans le journal de Clemenceau, l'Aurore, que parut la tribune "J'accuse" d’Émile Zola à partir de laquelle l'affaire commença) et des communards (pour lesquels il réclama en vain l'amnistie) ou le rejet de la peine de mort.

C’est toutefois la première guerre mondiale qui constitua l’apogée de sa carrière.

Le vieil homme qu’il était alors incarna la résistance à l’Allemagne, galvanisant les soldats en les visitant sans relâche sur le front au mépris du danger, transmettant sa volonté inflexible et jurant de ne lâcher qu’après la réintégration de l’Alsace et de la Moselle dans le territoire français.

Il fut aussi l’un des artisans du traité de Versailles, qui ne fut finalement qu'une copie de l’humiliant traité imposé à la France par la Prusse après la chute de Napoléon III.

Symboliquement, Clemenceau voulut d'ailleurs qu’il soit signé au même endroit, dans la galerie des glaces du château de Versailles, et nombre de ses clauses, notamment l'exorbitante dette de guerre tant critiquée par la suite, n'étaient que le pendant de celles imaginées par le chancelier Bismarck 47 ans plus tôt.

Après la victoire, malgré une grande popularité, il se retira de la scène politique, où il s’était fait trop d’ennemis de tous les côtés pour continuer.

En effet pour une partie de la gauche, notamment les socialistes, il était vu comme un traitre et restait à jamais le "premier flic de France". Et pour une majorité à droite, son anticléricalisme et son soutien à Dreyfus n'étaient pas non plus oubliés.

A l’étranger il était aussi très populaire pour son rôle dans la victoire de 1918 et c’est lors d’un voyage triomphal à travers le monde que les Britanniques baptisèrent en son honneur le boulevard de Singapour qui m’avait interloqué.  

Lorsqu'il mourut en 1929, il laissait le souvenir d’un patriote inflexible et d'un formidable tribun, à la parole acérée, craint autant pour ses critiques au vitriol que pour les duels qu’il provoquait à la moindre occasion.

D’une certaine manière, il représente la France d’une époque, l’un des personnages de son histoire clivants et centraux, comme put l’être après lui le général De Gaulle, et quelqu'un de finalement au-delà des notions de droite et de gauche malgré son ancrage assumé dans la seconde.

Je terminerai par une liste de citations de mots qui le rendirent célèbre, tirés de cet excellent livre, et dont certains résonnant toujours presque cent ans après son décès.

Réponse à un socialiste qui l'apostrophait:
"Quant à me prononcer pour l'appropriation collective du sol, du sous-sol, etc., je réponds catégoriquement: non! Je suis pour la liberté intégrale et je ne consentirais jamais à entrer dans les couvents et les casernes que vous entendez nous préparer. Le citoyen qui me questionne a dit qu'il n'y avait pas que des jésuites noirs. Il a raison: il y a aussi des jésuites rouges."

Discours célèbre contre le colonialisme (nous sommes au 19ième siècle). Il répond à Jules Ferry:
"Races supérieures, races inférieures, c'est bientôt dit! Pour ma part j'en rabats singulièrement depuis que j'ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande, parce que le Français est d'une race inférieure à l'Allemand. Depuis ce temps, je l'avoue, j'y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et une civilisation, et de prononcer: homme ou civilisation inférieure. Race inférieure, les Hindous! Avec cette grande civilisation raffinée qui se perd dans la nuit des temps! Avec cette grande religion bouddhiste qui a quitté l'Inde pour la Chine, avec cette grande efflorescence d'art dont nous voyons encore aujourd'hui les magnifiques vestiges! Race inférieure, les Chinois ! Avec cette civilisation dont les origines sont inconnues et qui parait avoir été poussée tout d'abord jusqu'à ses extrêmes limites. Inférieur Confucius!"  

Sur l'idée selon laquelle la conquête et la colonisation amèneraient la civilisation:
"et vous verrez combien de crimes atroces, effroyables, ont été commis au nom de la justice et de la civilisation. Je ne dis rien des vices que l'Européen apporte avec lui: de l'alcool, de l'opium qu'il répand partout, qu'il impose s'il lui plait [...] Non il n'y a pas de droit de nations dites supérieures contre les nations inférieures ; il y a la lutte pour la vie, qui est une nécessité fatale, qu'à mesure que nous nous élevons dans la civilisation, nous devons contenir dans les limites de la justice et du droit ; mais n'essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation ; ne parlons pas de droit, de devoir ! La conquête que vous préconisez, c'est l'abus pur simple que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires, pour s'approprier l'homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n'est pas le droit: c'en est la négation. Parler à ce propos de civilisation, c'est joindre à la violence l'hypocrisie." 

Réponse à une critique du parlementarisme à l'époque de Boulanger:
"Comment! Les plus grands esprits, tous ceux chez qui tous les peuples honorent l'humanité, ont médité sur ces choses. Ils sont divisés parce que la recherche est longue, parce que la vérité se dérobe, et voici que, par un phénomène qui nous surprend, ces cinq cent hommes qui sont ici, en vertu d'un mandat égal au vôtre, ne s'accordent pas sans discussion. Eh bien, puisqu'il faut le dire, ces discussions qui vous étonnent, c'est notre honneur à tous. Elles prouvent surtout notre ardeur à défendre les idées que nous croyons justes et fécondes. Ces discussions ont leurs inconvénients, le silence en a davantage.
Oui! Gloire au pays où l'on parle, honte à celui où l'on se tait. Si c'est le régime de discussion que vous croyez flétrir sous le nom de parlementarisme, sachez-le, c'est le régime représentatif lui-même, c'est la République sur qui vous osez porter la main."

Sur la laïcité:
"En toute circonstances, nous entendons, nous désirons, nous souhaitons que tous les Français, à quelque croyance qu'ils appartiennent, puissent librement exercer leur culte. Mais il ne s'agit pas de religion, il s'agit de politique; il s'agit de gouvernement; il s'agit de domination. Ce n'est pas nous qui avons fait de l’État laïque une religion; c'est vous qui avez fait du catholicisme une politique. Et quelle politique? Une politique de lutte sans merci contre toutes les revendications de la démocratie. En réalité, l’Église c'est la droite!
L’Église c'est la droite! Peu importe le roi, peu importe l'empire, peu importe le prétendant. Il suffira au besoin du premier soldat d'aventure.
On se groupera d'instinct autour de lui pour marcher à l'assaut de la République.
Et quel pouvoir! 40.000 chaires, c'est-à-dire 40.000 tribunes politiques obéissant, sans discussion, comme une armée bien disciplinée, bien commandée.
Que faire vis-à-vis d'un formidable pouvoir? Eh bien, nous croyons qu'il y a quelqu'un de plus fort que Louis XIV et Napoléon Ier: c'est la France! C'est la France, qui a des habitudes cultuelles, nous n'en disconvenons pas -et c'est une raison pour que nous nous préoccupions toujours d'assurer la véritable liberté religieuse dans ce pays - la France qui a des habitudes cultuelles, mais qui a en horreur le gouvernement des curés!"

Mort de Félix Faure, président qui a tout fait pour retarder la réouverture du dossier Dreyfus:
"Félix Faure vient de mourir. Cela ne fait pas un homme de moins en France."

Sur la crise du Maroc, prélude à l'invasion du pays:
"Nous ne connaissons de droits que ceux qui se peuvent appuyer d'artillerie. Nous revendiquons les droits des peuples à s'appartenir en Alsace-Lorraine. Voyez ce que nous en faisons, comme les autres nations, en Afrique et en Asie. Les Marocains qui ont tous les droits manquent de canons à tir rapide. De là nos droits sur eux..."

Suite aux diatribes anti-patrie d'un député pacifiste de gauche:
"S'ils avaient réfléchi que le surgissement et le développement des patries est le fait humain par excellence, en dehors duquel l'homme n'est guère que le pithécanthrope isolé, s'ils considéraient que le progrès humain s'est accompli par l'organisation de plus en plus perfectionnée des patries, ils comprendraient peut-être que la nature humaine est à la racine de tous les faits sociaux, bons ou mauvais, et que la suppression de la patrie ne détruirait point le fondement universel de l'égoïsme humain, ne changeant que la forme des manifestations de violence inhérentes à l'homme, seul ou associé. Que la patrie disparaisse, si une telle révolution est possible, et l'homme n'en sera pas moins en lutte avec l'homme, et de nouveaux groupements -de quelque nom qu'on les décore- en hostilité d'appétit, d'intérêts, avec d'autres groupements."

Échange avec Jaurès, à l'époque où, ministre de l'intérieur, il doit juguler les grèves violentes:
Jaurès: "Une société où les moyens de travail, la terre, les usines, les mines, les chantiers, seraient possédés, non pas par une minorité de capitalistes dirigeants, mais par la totalité des producteurs eux-mêmes, groupés et fédérés, est-ce que cette société ne serait pas meilleure, plus juste, plus humaine?"
Clemenceau: "M. Jaurès parle de très haut, absorbé dans son fastueux mirage; mais moi, dans la plaine, je laboure un sol ingrat qui me refuse la moisson; d'où la différence de points de vue que sa bienveillance a tant de peine à me pardonner."
Suite à une dénonciation de la répression par Jaurès (il fait référence aux maisons de non-grévistes brûlées par les grévistes):
"C'est une grande erreur sur laquelle vous devriez bien éclairer les ouvriers, monsieur Jaurès, de confondre le droit de grève et le droit à la matraque.
Vous êtes à ma place, que ferez-vous si votre préfet vous télégraphie: on pille la maison d'un mineur! Dites si, oui ou non, vous feriez protéger l'ordre? Ayez le courage de répondre, puisque vous interrompez, et dites si oui ou non vous ferez protéger l'ordre!... J'attends votre réponse...Vous ne répondez pas? ...En ne répondant pas, vous avez répondu."

Nouvel échange avec Jaurès, suite à une grève dure des électriciens:
"Ceci est trop facile à prouver. Et je dis alors à M. Jaurès: Derrière ce régime capitaliste que vous attaquez avec tant de verve et que, plus modestement et dans une moindre mesure, j'ai attaqué et j'attaquerais probablement encore quand vous m'aurez fait des loisirs, derrière ce régime capitaliste qui a pourtant l'avantage d'être, qui est, tandis que votre régime est inférieur même à la jument de Roland, en ce qu'il n'est pas encore né, derrière ce régime capitaliste, qui a des vices, des défauts, des misères abominables dont vous gémissez et dont je gémis avec vous, il y a cependant quelque chose de permanent, ce que nous appelons "la société", qui veut vivre, comme je le disais tout à l'heure, qui vivra, et que notre devoir à tous est de faire vivre.
Cette société est pleine d'atroces misères et d'injustices. Elle a pourtant produit de grandes choses et dans le passé et dans le présent, et ce n'est certainement pas M. Jaurès qui le nierait.
De ces choses, qui sont maintenant dans les traditions des peuples, nous avons reçu le dépôt. Nous voulons que cette société vive pour consolider ce qu'il y a de bon en elle et pour préparer ce qu'il y a de meilleur.
Voilà pourquoi nous luttons contre vous: c'est parce que nous voulons d'abord assurer ce qui doit être permanent, et qu'en sauvegardant cette société contre vos efforts, nous rendons service même aux idées que vous défendez."

Témoignage d'un journaliste sur le renversement de Clemenceau, dû essentiellement aux socialistes:
"Lorsqu'il arriva au pouvoir, Clemenceau était désireux de s'entendre avec les socialistes pour réaliser les réformes, même très osées, qui lui seraient démontrées immédiatement réalisables, mais les socialistes manquèrent de courage. Ils n'osèrent pas entrer en lutte avec les syndicats d'action directe, d'expression nettement anarchiste et partant impossibiliste. Ils sacrifièrent tout à leur intérêt électoral. Jaurès, doué d'un génie verbal merveilleux, sublime, visionnaire à certains moments, manquait de caractère."

A propos du métissage en Amérique latine (à l'époque les latinos étaient des "rastaquouères"):
"S'il me fallait rechercher quels éléments l'indigène peut apporter dans la formation des activités sociales à venir, je ne serais pas surpris que la simplicité, la dignité, la noblesse et la fermeté de son caractère lui permissent d'exercer sur la turbulence européenne d'heureuses modifications."

Article aux soldats refusant la hausse de la durée du service militaire qui se sont mutinés à Nancy:
"Qu'est-ce donc que ces fils de vaincus qui, trouvant leur pays démembré, vont, à deux pas de la frontière, sous les insultes de la presse pangermaniste, ajouter l'outrage de leur révolté aux blessures de la patrie mutilée, pour mieux frayer le chemin à l'exécution des menaces ennemies? Tandis que tu désarmes, entends-tu le fracas du canon de l'autre côté des Vosges? Prends garde. Tu pleurerais tout le sang de ton cœur sans pouvoir expier ton crime. Athènes, Rome -les plus grandes choses du passé- furent balayées de la terre le jour où la sentinelle faillit, comme tu as commencé de faire. Et toi, ta France, ton Paris, ton village, ton champ, ton chemin, ton ruisseau, tout ce tumulte d'histoire dont tu sors puisque c'est l'œuvre de tes anciens, tout cela n'est-il donc rien pour toi et vas-tu sans émoi livrer l'âme dont est pétrie ton âme à la fureur de l'étranger? Oui! Dis donc que c'est cela que tu veux, ose le dire afin d'être maudit de ceux qui t'ont fait homme et d'être déshonoré pour jamais."

Assassinat de Jaurès:
"Hier, un misérable fou assassinait Jaurès, au moment où il rendait, d'une magnifique énergie, un double service à son pays, en cherchant obstinément à assurer le maintien de la paix, et en appelant tout le prolétariat français à la défense de la patrie. Quelque opinion que l'on puisse avoir sur ses doctrines, personne ne voudra contester, à cette heure où toute dissension doit demeurer silencieuse, qu'il a honoré son pays par son talent, mis au service d'un haut idéal, et par la noble élévation de ses vues."

Pendant la guerre:
Sa plus connue: "J'étais il y a quelques jours au front. Je vous apporte, de nos grands soldats, la parole qui court sur toutes les lèvres, qui fait bondir tous les cœurs: "Ils ne passeront pas"."
 
"A mesure que la guerre avance, vous voyez se développer la crise morale qui est à la terminaison de toutes les guerres. L'épreuve matérielle des forces armées, les brutalités, les violences, les rapines, les meurtres, les massacres en tas, c'est la crise morale à laquelle aboutit l'une ou l'autre partie. Celui qui peut moralement tenir le plus longtemps est le vainqueur. Et le grand peuple d'orient qui a subi historiquement, pendant des siècles, l'épreuve de la guerre, a formulé cette pensée en un mot: "Le vainqueur, c'est celui qui peut un quart d'heure de plus que l'adversaire croire qu'il n'est pas vaincu." Voilà ma maxime de guerre. Je n'en ai pas d'autre."
 
Parlant de Pétain (ça corrobore ce que certains disaient de lui en 40):
"C'est un esprit sombre, critique et inquiet, qui dans des heures graves comme celles-ci, n'inspire pas la confiance à ses interlocuteurs parce qu'il laisse croire qu'il n'a pas confiance en lui-même."
 
Se justifiant de l'arrêt de la guerre sans avoir conquis et écrasé le territoire allemand (préconisé par certains, dont Foch):
"Je me serais cru déshonoré si j'avais fait durer cette guerre un jour de plus qu'il n'était besoin. J'ai fait la guerre à fond pour la faire durer le moins possible. Aux premières demandes d'armistice j'ai failli devenir fou...fou de joie ! ...C'était fini! J'avais trop vu le front, moi [NB: en effet il passait un tiers de son temps sur les fronts, français, anglais, belges ...allant même dans des zones dangereuses] J'avais trop vu de ces espèces de trous pleins d'eau où des hommes vivaient depuis quatre ans. Le premier qui est venu me dire : "Les Boches n'en peuvent plus ; ils demandent la paix...", je lui aurais sauté au cou, en pleurant."
 
Citation du Kronprinz allemand dans ses mémoires:
"La cause principale de la défaite allemande? Clemenceau. Oui, Clemenceau fut le principal artisan de notre défaite. Non, ce ne fut pas l'entrée en guerre de l'Amérique, avec ses immenses renforts en hommes et en approvisionnements. Aucun de ces éléments ne compta auprès de l'indomptable petit vieillard qui était à la tête du gouvernement français. Si nous avions eu un Clemenceau, nous n'aurions pas perdu la guerre."
 
Citation de Lloyd-Georges, stupéfait comme tous les alliés que Clemenceau ne soit pas devenu président de la République après la guerre:
"Cette fois, ce sont les Français qui ont brûlé Jeanne d'Arc!".
 
A propos des Soviets:
"La seule politique logique et morale à l'endroit des Soviets est celle du fil de fer barbelé."
 
A propos de l'Allemagne post-première guerre mondiale:
"Aujourd'hui l'Allemagne tente de refaire, dans les procédures de paix, un empire germanique qu'elle n'a pu réaliser par la guerre. Cela, elle ne saurait l'accomplir sans des rencontres qui pourront changer la destinée d'une France offerte à toute entreprise ennemie. Il y a des peuples qui commencent. Il y a des peuples qui finissent. La conscience de nos actes veut des attributions des responsabilités. La France sera ce que les Français auront mérité."
 
Citation de De Gaulle, en 1941:
"Du fond de votre tombe vendéenne, aujourd'hui 11 novembre, Clemenceau, vous ne dormez pas. Président Clemenceau, la France a aujourd'hui regardé plus loin que sa douleur. La France vivra, et au nom des Français, je vous jure qu'elle sera victorieuse. Alors, avec tous les morts dont est pétrie la terre de France, vous pourrez dormir en paix."
 
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mardi 12 septembre 2023

Gimme the car

Lorsque j’étais étudiant, j’ai découvert le groupe Violent Femmes, dont le mélange punk-rock-folk original, l’énergie, les riches lignes de basse et la voix particulière m’ont rapidement séduit.

Et il y avait aussi les textes.

Mauvais anglophone, je ne comprenais pas tout, mais ce que j'en tirais était suffisant et certains titres m’allaient droit au cœur.

Ainsi Gimme the car

Cette chanson met en scène un ado qui exhorte son père à lui laisser la voiture une nuit, parce qu'il en a un besoin impératif.

Il a en effet prévu d'emmener une fille (« this girl ») en balade, puis de la faire boire, la faire rire, la faire pleurer et surtout de la baiser, plus ou moins de gré ou de force.

Il complète ce plan sordide et tristement banal en évoquant le fait qu’il a maintenant grandi, qu’il n’attend rien de sa vie et qu’étant donné qu’il la déteste la question de savoir ce qui est bien ou mal n’a pas d’importance.

Ni ma vie ni mon adolescence n'ont ressemblé à ça, je n'ai jamais demandé la voiture à mon père (qui d'ailleurs ne me l'aurait pas donnée), jamais fait boire de nana, jamais forcé qui que ce soit ni même imaginé faire quelque plan dans le genre de celui-ci.

Néanmoins j'ai immédiatement senti une connivence avec le personnage de cette histoire.

Je comprenais cette espèce de rage adolescente, cette frustration devant une vie qui n'est pas ce qu'elle aurait dû être, ces limites qui étouffent.

"What's wrong, what's right

I don't care when I hate my life."

Et à vrai dire, si mon adolescence, que je n'ai guère aimée, est de plus en plus lointaine, ce sentiment de frustration rageuse et désespérée ne m'a jamais réellement quitté, et la complainte de Violent Femmes résonne toujours en moi.

Elle résonne d'ailleurs peut-être encore plus qu'à l'époque puisque même si j'étais déjà pessimiste étant jeune, l'idée que je n'étais pas à l'abri d'un coup de chance me traversait parfois l'esprit, et il m'arrivait de me surprendre à rêver de meilleurs possibles dans les nombreuses années qui me restaient.

Tandis qu'aujourd'hui, alors que je sais que j'ai déjà fait la moitié du chemin et que je constate que mes capacités déclinent, la méchante voix qui me dit que pour moi les jeux sont faits est plus forte.

Objectivement, je n'ai pourtant pas à me plaindre.

D'une part ma vie, avec femme, enfants, logements, CDI et bons revenus ferait rêver bien des gens et j'en ai conscience.

D'autre part n'ayant jamais vraiment su ce que je voulais, je ne peux pas clairement identifier ce que je regrette.

Mais la vie et les sentiments ne sont pas objectifs et la rage qui perle des mots confus, révoltés et un peu minables de Gordon Gano reste quelque part la mienne, même si c'est secrètement et honteusement.

Si ça se trouve, ce sentiment est normal et ordinaire à ce moment de la vie et je ne devrais pas trop y faire attention.

Mais ça n'empêche, à bientôt cinquante ans il devient difficile de savoir qui je pourrais bien supplier  de "Gimme the car".