samedi 31 octobre 2020

Terrorisme: pourquoi la France?

Suite à l'attentat de Nice du 14 juillet 2016, un ami canadien horrifié m'a demandé pourquoi c'était encore une fois la France qui était touchée. Ce post reprend grosso modo les pistes que j'ai pu évoquer à l’époque avec lui, complétées par mes lectures et par la longue litanie des attentats qui ont suivi celui-là.

Pour moi la toute première raison est le nombre de musulmans en France.

On interdit toujours soigneusement toute statistique ethnique dans notre pays, on critique Robert Ménard quand il déclare faire une estimation du nombre d'enfants musulmans de sa ville, mais on nous dit ostentatoirement qu'un tiers des victimes du cinglé niçois au camion était composé de musulmans (symboliquement, la première personne qu'il a tuée était d'ailleurs une femme voilée).

Dans cette histoire, on a baissé la garde, dans le but -louable comme pour le malheureux Ahmed Merabet ou pour les victimes de Merah, notamment le fils de l'emblématique Latifa Ibn Zaiten- de montrer que cette histoire est beaucoup moins simple que le massacre d'une population majoritaire par une minorité musulmane haineuse, et du coup on a un chiffre.

Qui fait réfléchir.

A ceux qui pourraient encore en douter, il souligne que dans chaque coin de France il y a des musulmans, maghrébins dans leur écrasante majorité, qu'ils sont là depuis longtemps, enracinés et dispatchés un peu partout.

Il n'y en a pas que dans le 9-3 ou à Marseille, mais à Nice, à Limoges, à Dijon, à Bourges, à Lons-le-Saunier, à Strasbourg.

Ils n'ont pas tous l'accent du bled, de la cité ou du sud du pays, mais certains ont le parler haché de la campagne alsacienne, celui traînant du Doubs, ou encore celui des chtis.

Il n'y en a pas qu'aux ASSEDIC, dans les prisons, dans le foot, dans le rap ou dans des kébabs, mais dans les hôpitaux, les facs, les forces de l'ordre, les SSII, les garages, et -depuis peu, certes- dans les ministères.

Le fait que depuis quarante ans ils trustent la place numéro un des nouveaux arrivants, qu'ils sont de moins en moins discrets et de plus en plus ostentatoires d'un point de vue religieux donne l'impression qu'ils sont perpétuellement en train de descendre du bateau, mais c'est une histoire beaucoup plus longue et ancienne.

On en est à la quatrième génération, sans compter les coloniales, et dans 10 ans ça fera deux siècles que les Français ont débarqué à Sidi Ferruch, initiant une longue histoire avec le Maghreb, principale source d'immigrés musulmans en France.

Du coup chaque personne qui réfléchit un peu a vaguement conscience que les éternels "entre 4 et 6.000.000 de musulmans français" qui nous sont inlassablement ressortis dans les (nombreux) articles sur le sujet doivent être dépassés depuis bien longtemps

Il est même possible que chez nous, où le musulman a un visage maghrébin, on ait dépassé le miroir de l'Algérie d'avant 1962 avec ses 10% de Pieds-Noirs, voire qu'on soit plus proches des USA et de leurs 20% de latinos, surtout quand on descend dans les classes d'âge.

Les générations du Baby Boom cachent encore un peu ça. La masse de cheveux gris européens donne l'illusion d'une majorité nette, surtout qu'elle détient la majorité écrasante dans toutes nos élites, mais les cours d'école nous prédisent un tout autre futur pour dans pas si longtemps.

Gilles Kepel nous dit qu'il y a déjà en France plus de personnes d'origine maghrébine qu'il n'y a d'Arabes au Bahreïn ou aux E.A.U..

On sait aussi que leurs plus grosses diasporas s'y trouvent (sauf peut-être pour le Maroc, aux destinations très diversifiées), qu'ils représentent la moitié de nos étudiants étrangers, et que tous les Tunisiens, les Marocains et les Algériens ont un lien avec l'Hexagone: un parent qui s'y trouve, des rudiments de langue...

Et des deux côtés de la Méditerranée, tous semblent éprouver des sentiments vis-à-vis de la France: colère, haine, amour, envie, mépris...en tout cas rarement l'indifférence ou le sentiment de ne pas être concerné (quelques exemples: ICI la fête des Algérois quand la France perdit la coupe du monde 2016, ICI un article sur le rôle du français...).

En somme, la France, qui croyait avoir tiré un trait sur le monde arabe en quittant l'Algérie, au prix du sacrifice du million et demi de rejetons qu'elle y avait, découvre qu'en fait ce monde arabe l'a suivie.

Ce petit état des lieux visait à montrer qu'on ne pouvait pas revenir en arrière, sauf si l'on part sur un génocide et une interminable guerre, avec des conséquences sur plusieurs générations et la difficulté à s'en remettre, comme l'Espagne sans ses Morisques ou l'Algérie sans ses Pieds-Noirs, et que cette histoire de Niçois tuant des musulmans l'illustre parfaitement.

Tout cela fait qu'à notre corps défendant, nous appartenons bel et bien au monde arabe.

Et à l'Oumma aussi.

Ce dernier point est d'autant plus vrai que les plus importantes cohortes de notre immigration hors Maghreb viennent aussi de pays majoritairement musulmans, notamment de Turquie et d'Afrique noire.

On trouve une illustration de ce poids dans le très remarqué L’archipel français, où l’auteur Jérôme Fourquet indique qu’en 2016, près de 20% des prénoms donnés en France étaient arabo-musulmans.

Dans son livre controversé mais très riche et très documenté Une révolution sous nos yeux, l'Américain Christopher Caldwell étudie également, à l'échelle européenne, l'impact de l'installation massive de populations musulmanes sur nos sociétés.

Il explique que l'identité "latino" est née aux USA, que c'est la situation d'exil qui a transformé des Paraguayens, des Honduriens, des Portoricains et des Mexicains qui ne se sentaient pas forcément d'affinités en une communauté, unie par la langue espagnole, la foi catholique et le regard des autres communautés.

Il fait le pari qu'il y aura la même dynamique avec l'islam européen, citant les écrits d'un britannique pakistanais racontant l'événement fondateur que fut pour lui la série de manifs contre Salman Rushdie: "Pour la première fois, nous n'étions plus gujarati, pachtoune, kashmiri, mais musulmans, unis et conscients" (je refais de tête).

Il ajoute que ces musulmans sont parfois instrumentalisées par les puissances islamiques, qui peuvent les utiliser comme naguère nous avons utilisé les minorités chrétiennes de l'empire ottoman pour notre politique.

La fronde anti-Macron qui a lieu suite à l’égorgement de Samuel Paty en est un bel exemple, surtout si l’on compare avec le silence face à la politique chinoise vis-à-vis des musulmans du Xinjiang: la "spontanéité" de ces mouvements est douteuse.

Et il montre que ça marche dans les deux sens, les musulmans européens sachant également mobiliser l'extérieur en cas de besoin, comme ce musulman danois qui a emmené les fameuses caricatures du Jyllands-Posten en Égypte, en y ajoutant des dessins pornos histoire que la mayonnaise prenne vraiment et qui a déclenché une ire mondialisée.

La naissance de cette communauté enracinée, jusqu’à récemment peu de gens semblaient en avoir vraiment pris conscience.

Ceux qui en parlaient étaient trop souvent des caricatures idéologues, comme Renaud Camus ou Dominique Venner (qui s'est suicidé dans Notre Dame de Paris pour protester contre l'invasion afro-musulmane).

Les autres continuent à jouer en boucle Touche pas à mon pote, et les duels Mélenchon / Le Pen ou Meric / Murillo sont complètement obsolètes.

Parce qu'en effet aujourd'hui les musulmans sont là, la question du pour ou du contre ne se pose plus, ils sont devenus une composante du pays et n'entendent pas faire tapisserie.

Et s'ils décidaient massivement de choisir une voie qui leur soit propre, ça pourrait être vraiment significatif et nous obliger à composer, un peu comme le Canada qui a dû revoir sa politique québécoise dans les années 70 par exemple, ou comme la Roumanie et la Bulgarie qui intègrent les partis magyars et turcs dans leur politique gouvernementale.

L'extrême droite croit ça, certains maires de banlieue croient ça, Daesh croit ça, des partis ethno-religieux naissants (comme le PEJ ou l’UDMF
croient ça, Houellebecq croit ça, Caldwell croit ça, etc.

Ce n'est pas encore fait, peut-être que ça ne se fera pas, les musulmans sont trop divers et pluriels, mais l'idée qu'il faut désormais disputer chaque migrant musulman au contre-modèle islamiste m'a semblé le truc le plus juste dans la conclusion de "Une révolution sous nos yeux"

L'enjeu de l'Europe et surtout de la France, c'est donc l'adhésion à son projet national 
de ses musulmans, avec lesquels elle est condamnée à se réinventer.

Et donc, on ne peut pas revenir en arrière, mais aussi -et c'est là que je rejoins mon propos initial- on ne peut pas non plus être neutres, on ne peut plus.

Parc que désormais, tout ce qui se passe dans monde arabo-islamique a des conséquences directes chez nous: Nice et Charlie sont les manifestations locales des fractures de l'islam contemporain, en pleine mutation.

Le choix n'est donc pas d'aller chasser Assad et de pacifier le Sahel ou de rester en retrait: on est partie prenante de ces problèmes. Ne pas l'admettre c'est comme si la région Centre était en guerre et qu'on se disait que ça ne nous regardait pas.

Ces attentats réguliers sont une manifestation d’un contre-projet monstrueux mais qui séduit beaucoup de gens. Si ça arrive chez nous c'est parce que nous sommes aussi devenue une terre d'islam et si ça arrive plus souvent qu'ailleurs c'est tout simplement parce que nous avons la plus forte communauté musulmane d'Europe.

Certains disent que les terroristes islamistes n’ont rien à voir avec l’islam.

Ce n’est pas ce que disent les intéressés avant de tuer: ils se considèrent eux-mêmes comme musulmans, comme les vrais musulmans. Il serait donc plus juste de dire que ce sont deux visions de l'islam qui n'ont rien à voir l'une avec l'autre.

Et si tous les musulmans ne sont Dieu merci (si j'ose dire) pas islamistes et si tous les islamistes ne sont pas terroristes, il y a évidemment un lien entre eux. Le nier c’est comme si on disait que le suprématisme blanc n’avait rien à voir avec les Blancs.

D'ailleurs, les pays où les musulmans sont dans un nombre insignifiant n’ont jamais connu de terrorisme islamique, quels que soient les problèmes qu’ils connaissent par ailleurs.

Tout ceci pour rappeler cette évidence : le fait que nous avons l’une des plus importantes communautés musulmanes d’Europe fait qu'on a potentiellement plus de "candidats".

On peut en valeur absolue, souligner que l'Allemagne a plus de musulmans, mais ils sont essentiellement Turcs, et le contrat passé entre l'Allemagne et la Turquie est (était plutôt, Erdogan a changé tout ça) plus sécularisé et plus stable, a préservé une certaine paix civile que nous n'avons pas connue. Et puis ce pays n’a pas été colonisé, ce qui génère sans doute moins de rancœur.

A contrario, l'Algérie, notre premier fournisseur donc, est un pays fermé dont le pouvoir est confisqué par une aristocratie issue de la guerre d'indépendance qui a besoin de l'épouvantail français pour asseoir sa légitimité.

Il a de plus connu une guerre civile abominable dont les protagonistes islamistes sont venus en France propager leurs idées, parfois avec le statut de réfugié (l’affaire Paty implique elle aussi un réfugié).

Une autre cause est l'origine socio-économique des musulmans, qui en France est plus basse que la moyenne nationale. Ce positionnement et la sous-qualification qui va avec ne facilitent pas l'intégration économique,  ni l'intégration tout court, et nombre d'immigrés sont touchés en premier lieu par le chômage, ce qui entraîne là encore rancœurs et crispations.

Comme autre source de conflit il y a aussi notre approche plus dure des rapports entre le religieux et l'espace public.

Notre laïcité est une espèce d'OVNI dans la liste des politiques religieuses, qui est souvent critiquée, notamment par l'Europe du nord et le monde anglo-saxon, et propice au conflit avec ceux qui se définissent par leur religion.

Toutefois, si l’on regarde les pays voisins, on constate que cette différence est à relativiser, les mêmes problèmes s’y rencontrant quelle que soit l’approche adoptée.

Autre raison potentielle, nous avons aussi une culture politique assez belliqueuse. Extrêmes gauche et droite ont été violentes en France, et dans notre tradition l’affrontement passe souvent avant la discussion.

Entre peut-être aussi en compte le fait que nous ayons la plus grosse communauté juive d'Europe, l’islam conservateur étant farouchement antisémite, comme le soulignent les actions de
Adel Amastaibou, Mohammed Merah, Youssouf Fofana, Ahmedy Coulibaly ou Kobili Traoré.

Enfin on peut penser que le choix fait par les gouvernements français depuis plus de trente ans de réduire les budgets de l'armée, de la police et de la gendarmerie, ainsi que leurs effectifs (le pire ayant sans doute été Sarko avec sa RGPP) a un impact sur son efficacité.

Mais au final, si l’on peut envisager différentes façons de lutter contre les effets de l’islam radical, la vraie solution, pérenne et durable, ne peut venir que de l’intérieur de l’islam.

Sans une réforme de la vision du monde de ses croyants qui les réconcilierait avec la modernité, la diversité et l’individu, rien ne changera.

Toutes les études montrent que les diasporas musulmanes vivent à l’heure de leurs pays d’origine plus qu’à celle de ceux où ils vivent, et que leurs opinions sont à rebours de celles de leurs concitoyens.

Sur la place de la femme, l’homosexualité, le blasphème et la tolérance, les musulmans de France constituent la communauté la plus conservatrice, près de la moitié de ses fidèles allant jusqu’à considérer que la loi religieuse passe avant celle de la République.

Dans l’Oumma, les mouvements islamistes se succèdent sans faiblir, chacun d’entre eux séduisant une frange des croyants et proposant un mode opératoire pour atteindre leur objectif final: l’affrontement avec le reste du monde pour mener à l’avènement d’une Terre 100% musulmane.

Tant que cette idéologie séduira, qu’elle représentera un idéal, une possibilité de se racheter, de se venger ou de s’accomplir, tant qu’il n’y aura pas en face d’alternative plus séduisante, nous ne sommes pas prêts de voir les attentats islamistes disparaitre.

En attendant, il nous faut, un peu comme au temps de la Guerre Froide, avec la différence que notre ennemi intérieur n’a pas vraiment de Moscou (encore que les gouvernements des pays du Golfe y ressemblent beaucoup), veiller, surveiller, punir, faire attention à être équitables, et aussi offrir des opportunités et un modèle suffisamment résilient.

Il y a urgence, le séparatisme dont parlait notre président n’est pas un fantasme, il est dopé par les déséquilibres démographiques et s'il aboutit, il promet à l'Europe un futur de type Israël ou Liban, voire pire.

mardi 27 octobre 2020

Livres (31): Une si jolie petite guerre, métissages interdits et erreurs de l'histoire

Je viens de lire la bédé autobiographique en deux tomes de Marcelino Truong Une si jolie petite guerre suivie de Give peace a chance.

Cet homme, fils d'un Vietnamien chrétien et d'une Française, a eu une vie particulière, notamment parce que son père a travaillé des années pour le gouvernement d'un pays qui n'existe plus, le Vietnam du sud.

Ce pays, issu du partage en deux du Vietnam à la fin de la guerre d'Indochine, fut bien réel pendant vingt ans, constituant une sorte de RDA dans l'autre sens.

Patronné par les Américains et dirigé par une succession de généraux dictateurs dont le plus célèbre, Diem, s'appuyait sur  la minorité catholique, il finit par être englouti par le nord communiste, qui sut gagner la bataille des médias et profiter de ses mentors soviétiques et chinois pour s'imposer.

Aujourd’hui tout le monde a oublié le Vietnam du Sud.

Le père de Truong travaillait donc pour son gouvernement, et l'enfant grandit dans le Saïgon de cette époque.

Une si jolie petite guerre commence par raconter son enfance
dans cette mégapole jeune et animée, entre les bombes, les GIs, la chaleur, et les mille et une petites histoires de ses habitants.

Il quitte ensuite le Vietnam et passe son adolescence d'abord en Angleterre, puis en Bretagne où il devient étudiant.

Dans ces livres il décrit le parcours de son père, un démocrate pieux, humble et gros bosseur, qu'on voit de plus en plus désespéré devant la tournure des événements dans son pays.

Il nous montre également celui de sa mère, Française au caractère fragile et dont le choix de vie est rien moins qu'évident à l’époque, celui, tragique, de son grand frère et enfin ceux de ses deux soeurs.

Il raconte son incrédulité et parfois sa colère devant les opinions sans nuance des Européens, généralement d'un parti pris débile en faveur du régime dictatorial d'Ho Chi Minh, qui ne valait pas mieux que les dictatures du sud.

On le voit enfin réagir aux différents chocs des cultures et à sa position parfois inconfortable de métis et d'immigrant partout.

Dans ce livre, où la petit histoire rencontre la grande, j'ai eu le sentiment que cet homme faisait partie de ces gens qui sont en quelques sortes des accidents de parcours de l'Histoire, dans le sens où ils témoignent d'épisodes niés ou condamnés ultérieurement par les opinions publiques.

Plus que les populations effacées ou expulsées (communautés blanches des empires européens, Allemands des pays de l'est après la seconde guerre mondiale, Grecs d'Anatolie...) qui furent légion au 20e siècle et dont j'ai parlé dans ce post, je pense à certains métis.

Un expulsé appartient à une communauté, même déplacée, un métis non. Qu'il arrive d'un côté ou de l'autre, il porte dans ses gènes le rappel de son ascendance, de ce qui est arrivé, surtout quand cela n’aurait pas dû arriver.

Les métis coloniaux et post-coloniaux, ainsi que ceux dont l’existence est le témoignage d'une occupation ou d'un conflit furent -et sont- très nombreux à vivre ça, certains plus difficilement que d'autres.

Dans le magnifique livre Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur de Harper Lee, un des petits héros explique à son ami ce que sont les métis, ajoutant qu'ils sont toujours tristes, car ni blancs ni noirs, ils sont rejetés par les deux communautés du sud ségrégationniste où se déroule l'action.

En étudiant l'Algérie coloniale, j'ai souvent été surpris par l'absence d'une classe métisse. Malgré l'importance du nombre d'Européens présents (10%), l'ancienneté de cette présence et le relatif mélange géographique des populations, pas de signares à la Sénégalaise ou d'Eurasiens à l'Indochinoise.

En fait il semble bien qu’il y en ait eu un certain nombre, mais du fait de la proximité physique des populations, ces métis étaient tenus de choisir un camp, dans lequel ils se hâtaient de disparaitre ou étaient sommés de le faire, comme l'explique ce texte

Le stigmate et le tabou des unions franco-maghrébines est d’ailleurs toujours d’actualité (les artistes Alain Bashung, Jacques Villeret et Daniel Prévost ont en commun d’avoir un père algérien méconnu), surtout de l’autre côté de la Méditerranée, notamment vis-à-vis de la loi.

Nous avons eu la même histoire cruelle avec ce qu'on a tristement appelé les enfants de boches, rejetons des histoires d'amour nées pendant l'Occupation nazie.

A la chute d'Hitler, tous les gouvernement d’Europe ont essayé de faire disparaitre ces malheureux enfants, qui furent l'objets de brimades constantes, de mises à l'écart voire de déportation, comme ces enfants que la Suède voulait envoyer en Australie.

En France, on essaya même d'empêcher les retrouvailles post 1945, la loi d'accouchement sous X initiée par Vichy, permettant un blackout complet.

Avec le temps quelques-uns de ces parias l'assumèrent au grand jour et luttèrent pour retrouver la part manquante de leur généalogie.

Certains d'entre eux étaient célèbres, comme le chanteur Gérard Lenorman, qui est un de ces enfants de boche ou Anni-Frid Lyngstad, chanteuse du groupe ABBA issue d'un lebensborn scandinave, ces espèces de haras humains où les nazis voulaient produire des petits Aryens en masse.

Il y eut également le cas inverse, de petits Allemands nés de parents alliés suite au découpage de l'Allemagne après-guerre, mais ils n'eurent guère plus de chance que les enfants de boches (ICI ou ICI).

En Occident aujourd'hui la mode est officiellement au métissage, qui nous sauvera tous. En réalité, il n'est pas toujours si facile d'en être un, notamment dans le cas où l'un des parents est musulman ou issu d'une culture qui se vit ou qu'on voit comme opposée à celle des dominants.

Loin de la célébration neuneu, des artistes en parlent avec intelligence, comme Disiz la peste quand il souligne à quel point le fait qu'on lui demande de choisir un camp le fatigue, comme Sonia Rolland quand elle parle du Rwanda de sa mère ou encore comme Sarah Bouyain qui dans son livre Métisse façon ausculte sans pitié le statut d'écartelé que peut vivre un métis franco-Africain sur les deux continents.

Tous ces gens sont les témoins que l’espèce humaine est Une, que partout et toujours des hommes et des femmes s’attirent et font des enfants, enfants qui sont d’autres humains tout aussi respectables et légitimes que leurs parents, même s'ils n'entrent pas dans les cases prédéfinies
de la Sainte Identité.

Que leur naissance soit le fruit d’un amour, d’un viol ou d’un accident, ils ne devraient jamais avoir à se justifier d’être ce qu’ils sont, et choisir eux-mêmes ce qu’ils font de leur héritage.


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