samedi 23 avril 2022

FN/RN

Pour la troisième fois, nous voici dans une élection présidentielle avec un Le Pen au second tour.

La première fois, en 2002, s'opposaient Jean-Marie, le fondateur du Front National, et Jacques Chirac.

Cette arrivée au second tour avait constitué un séisme sans précédent, avec une mobilisation jamais vue pour une élection et un score soviétique pour le président sortant.

La deuxième fois eut lieu 15 ans après et cette fois c'est Marine qui réédita l'exploit de son père en amenant son parti au second tour.

Elle s'opposait à un outsider, Emmanuel Macron, et si la mobilisation avait repris, le vrai séisme de ce second tour était l'absence des deux partis traditionnels de droite et de gauche qui se partageaient le pouvoir depuis la fondation de la cinquième république en 1958.

Nous vivons actuellement la troisième édition.

C'est toujours Marine Le Pen, qui a rebaptisé le parti familial en Rassemblement National, et en face d'elle c'est toujours Emmanuel Macron.

Ce "match retour", devant lequel la mobilisation est relativement faible, confirme la fin des deux grands partis de gouvernement, puisqu'ils se sont fait également doubler pour la troisième et la quatrième place et semblent désormais devoir jouer les figurants.

Dans un précédent post, je m'étais intéressé à l'omniprésence de la référence au fascisme dans notre société comme repoussoir absolu.

Aujourd'hui je vais m'attaquer au FN devenu RN, qui personnalisa longtemps ce fascisme tout en devenant un mouvement incontournable en France.

Depuis que je suis en âge de comprendre, j'entends parler de ce parti pas comme les autres, de ce rejeton des "heures les plus sombres de notre histoire", contre lequel on doit faire front (républicain), qui est un danger -LE danger- pour la démocratie, dont les idées sont intolérables, etc. etc.

A chacune des élections présidentielles auxquelles je me souviens avoir assisté, 1988, 1995, 2002, 2007, 2012, 2017 (je suis trop jeune pour me rappeler de 1981) on ressort ces mêmes discours le concernant.

Et à chacune d'elles ce parti est toujours présent, plus enraciné et plus central à chaque fois. On dirait même qu'au fur et à mesure du temps, il devient même indispensable à des partis en mal d'idées, lui faire barrage finissant par constituer leur seul programme.

A mon échelle, je peux dire que les sympathisants FN/RN que je connais veulent:

- une police qui arrête et une justice qui condamne. Rien de plus désastreux que cette impression d'une racaille jamais punie.

- une aide sociale au mérite. Ils haïssent les RSAistes de profession, et les étrangers qui bénéficient sans jamais avoir cotisé ou exprimé le moindre souci apparent de s'intégrer. La mère à foulard de la CAF ou les villages d'insertion rom financés par l’impôt leur font voir rouge.

- la primauté affirmée des Français. Que ce soit la langue, la culture, les habitudes ou la religion, ils veulent que les "indigènes" soient prioritaires et qu'on exige des autres qu’ils s'assimilent, dans le sens jouent le jeu. Ou alors qu'on les vire et/ou qu'on n'en importe plus.

- la priorité au made in France et dans ce sens des emplois en France.

- un service public présent sur tout le territoire et des élites moins endogames.

Quoi que l'on pense de ces idées, on est finalement assez loin cette caricature du fasciste militant dont Mein Kampf serait le livre de chevet.

Ce décalage entre le sympathisant et l'image qu'on en trace est encore plus frappant si l'on regarde le parti lui-même, aux racines bien plus complexes et radicales que le portrait-robot que je viens de tracer grossièrement.

Au départ le FN est en effet un parti qui a réussi à fédérer autour de Jean-Marie Le Pen les différents courants de l'extrême-droite française.

Vieux maurrassiens, collabos, pro-Algérie françaises, cathos intégristes, philonazis, chouans, poujadistes...on retrouvait dans le FN un peu tout ce que la droite de la droite a pu créer en France depuis l’avènement de la république.

Ses fondateurs sentaient le souffre, que ce soit Le Pen lui-même, dont la vie aventureuse comporte des zones d'ombre (ainsi l'héritage qui l'a rendu riche ou cet oeil perdu dans une bagarre) ou encore François Duprat, brillant idéologue mort dans des conditions douteuses.

En tout état de cause, ce regroupement, improbable vu les divisions et oppositions de tous ces courants, réunit à peine quelques pourcents de la population. Comme l'extrême gauche, l’extrême droite est en effet un petit noyau très divisé, qui sera toujours là mais qui représente finalement peu de monde à l'échelle du pays.

Idéologiquement, je dirais que les seuls dénominateurs communs et constants dans ce parti sont le nationalisme et la haine de l’élite dirigeante.

En ce qui concerne l'économique et le social, ils ont à peu près tout dit, passant d'ultra libéraux dans les années 70 à ultra protectionnistes aujourd'hui, de pro-catholiques à leurs débuts (notamment la dérégulation totale de l'éducation) à défenseurs de la laïcité et des droits de la femme aujourd'hui, d'antisémites à pro-Israël, etc.

En fait pour eux l'essentiel n'est pas là. L'essentiel c'est le peuple français, dans le sens maurrassien justement, à l'ancienne, les valeurs, nos morts, etc.

Jusqu'à 1981, cela ne suffit pas pour se démarquer.

En effet la droite, héritière du général De Gaulle, brandit encore le drapeau, la geste de la France, etc. Même les communistes sont viscéralement patriotes voire chauvins (il n'y a qu'à voir ce que disait Marchais sur la concurrence des travailleurs immigrés), et la majorité morale veille.

Mais la victoire de la gauche change tout. Les soixante-huitards accèdent enfin au pouvoir après avoir attendu 15 ans, la France respire et les lois rattrapent les mœurs.

A ce moment-là "l'ancien régime" est ringardisé : l’heure n’est plus au chauvinisme et aux valeurs.

Surfant sur cette tendance, François Mitterrand et ses "sabras" ont l'idée de génie de jouer la carte Le Pen pour rendre suspect tout le corpus idéologique gaulliste, déjà bien abîmé par Giscard (je précise que c'est un constat et que je ne fais pas ici la promotion du gaullisme: De Gaulle est mort depuis 1969 et la France a évidemment changé).

Cette tactique marche, et marche très bien même. Le FN s'incruste dans le paysage, le charismatique Le Pen fait un carton, il devient le Diable, celui auquel il ne faut surtout pas ressembler/ Et côté gouvernement, agiter ce croquemitaine permet de créer une nouvelle lutte pour contrebalancer la reddition du communisme.

Le souci en revanche, c'est que cette tactique finit par faire du FN le parti qui récupère le patriotisme, la Marseillaise, le drapeau, tous ces symboles nationaux forts et rassembleurs.

J'ai toujours été frappé à l'étranger (Suède, Angleterre, Italie) de voir comment les gens portent leur drapeau jusque dans les campings alors que chez nous faire cela est suspect, voire "nauséabond" pour reprendre le terme consacré.

De ce fait, le FN commence à agréger un certain nombre de gens qui ne sont pas forcément ceux du noyau facho d'origine, mais plutôt des patriotes un peu orphelins.

Parallèlement tous les politiques finissent par admettre que la crise économique initiée en 74 s'est installée pour durer et qu'ils sont impuissants face à elle: le fameux "On a tout essayé" de Mitterrand en est l'exemple le plus connu.

Le consensus se fait aussi chez eux sur la nécessité d'aller vers toujours plus d'Europe pour compenser.

En revanche, à la base, les gens les plus fragiles retiennent de l'ouverture européenne que le made in France est concurrencé par le made in Spain puis le made in Romania, en attendant le made in China.

Les jobs quittent le pays, les produits étrangers les remplacent.

Et en même temps que ces jobs s’en vont, l'immigration continue, une immigration de plus en plus familiale, de moins en moins prête à s'assimiler et de plus en plus musulmane.

En effet, sous l'impulsion d'un réveil religieux global de l’Oumma commencé en Iran en 1979, l'immigration déjà la plus détestée depuis longtemps se transforme d'arabe en musulmane.

Les rodéos des Minguettes sont désormais remplacés par les revendications autour du voile, qui commencent à Creil et déchirent la gauche.

Sans compter qu'avec la radicalisation des dernières années, beaucoup de gens ont aujourd’hui l'impression que les prophéties de Jean-Marie sont en train de se réaliser, entre les massacres de Charlie Hebdo et du Bataclan, les égorgements d'enseignants, de prêtres ou de policiers et les sanglantes épopées de Kelkal, Merah, Nemmouche, Kouachi, Coulibaly et autres Fofana.

Cette combinaison de phénomènes amène beaucoup de gens vers le RN, qui au final, dans sa version mariniste, est vraiment une réaction à la mondialisation et à cette ouverture à tout crin devenue la norme depuis les années 90.

Paradoxalement, c'est devenu le parti le plus pro-unité du pays, le plus assimilateur, le plus jacobin, protectionniste, pro-frontières, celui qui recycle tous les référents nationaux jetés à la poubelle par les partis traditionnels tous acquis à l'UE et au multiculturalisme, deux concepts sexy pour un urbain CSP++ diplômé et connecté, mais beaucoup moins pour l'ouvrier d'une petite ville dont la boite part en Roumanie et qui voit tous les services publics fermer en même temps que s'installent dans son quartier des Roms et des Africains aux mœurs différentes et encore plus fauchés que lui.

Certains s'étonnent que ledit ouvrier ait du mal à dire OK à ça, et qu'au contraire il devienne gilet jaune ou vote Le Pen, mais en fait c'est plutôt logique: il choisit le seul parti qui semble s'occuper de ses désirs et craintes. 

C'est d'autant plus logique que malgré des signaux forts, comme le référendum refusé par la France et les Pays-bas, le processus d'approfondissement/élargissement continue sans interruption, soutenu par une droite et une gauche qui ont marginalisé leurs souverainistes (Chevénement ou Séguin notamment).

Au final, le RN est devenu le parti des indigènes niqués ou qui s'estiment niqués par la version actuelle de la mondialisation, faute d'une autre alternative crédible à cette mondialisation.

Preuve de ce recentrage, sur sa droite sont apparus d'autres mouvements franchement extrémistes et tribaux, comme les identitaires. 

Ces nouveaux courants reprennent le noyau dur des fondateurs et s'inspirent également de l'extrême droite issue de l'immigration, cet enfant dégénéré de l'idéologie multiculturaliste qui excuse tout et de sociétés traditionnelles plus ou moins fantasmées et reconstituées (PIR, Tribu Ka, UDMF, salafistes de tout poil, etc).

Pour le moment ces nouvelles tendances collent mal avec le modèle français assimilateur et basé sur le mérite, modèle que recherche toujours la majeure partie des sympathisants RN, mais peut-être qu'elles représentent l’étape d’après, celle qui pourrait prendre l'ascendant chez des jeunes qui grandissent dans un milieu tribalisé.

Donc si l'on se base sur le profil de ses sympathisants, le RN n'est plus vraiment un parti d'extrême droite, même si son héritage, son fonctionnement, la présence de vrais extrémistes dans ses dirigeants et l'absence d'aggiornamento vis-à-vis de son histoire lui gardent un côté ambigu. 

Personnellement, je crois que l'extrême droite répugne et répugnera toujours à la grande majorité des Français.

Ceux qui ont connu les nazis ou ceux dont la famille les a connus, ceux qui ont grandi avant la grande crise et avant le réveil religieux, ceux qui se souviennent des skins et des éructations antisémites de Le Pen père, ceux pour qui la République va de soi ont encore des réflexes moraux et psychologiques qui constituent une barrière infranchissable.

Le jour où ces générations auront passé la main, le jour où les jeunes seront massivement déconnectés de cette mémoire collective et/ou issus en nombre d'autres traditions opposées, ce sera peut-être différent, mais on n'y est pas encore.

En attendant, on en est réduits à espérer le retour d'un parti démocratique qui prenne en compte les préoccupations exprimées par la partie de la population qui vote RN, parce qu'elles sont légitimes et que la démocratie doit s'occuper de tous, à commencer par les plus faibles.

Je terminerai en disant que ce n'est pas une histoire française parce que le RN a des cousins dans tous les pays: Blocher en Suisse, le FPO en Autriche, le BNP au Royaume-Uni, l'AfD en Allemagne, Jobik en Hongrie, Aube dorée en Grèce et tant d'autres un peu partout, chacun avec leurs spécificités, leur degré de radicalisation et leur histoire, mais tous avec la même problématique.

mercredi 13 avril 2022

Talking about my generation

Longtemps je me suis vu comme solitaire et déconnecté des gens de mon âge.

Pour de nombreuses raisons, je me sentais à l'écart du lot, unique et différent de mes pairs, dont la vie ressemblait rarement à la mienne.

Et puis le temps est passé et je me suis finalement rendu compte que malgré tout j'appartenais bel et bien moi-même à une génération, à leur génération.

Il y eut plusieurs étapes dans ma prise de conscience.

Le plus lointain souvenir est ma perplexité en me rendant compte que Tino Rossi était un sex symbol pour ma grand-mère et que ma mère trouvait Johnny Hallyday très séduisant (les deux étaient pour moi le summum du ringard).

D'emblée, cela me situait par rapport à mes prédécesseurs, forcément démodés et dépassés par rapport à la nouveauté -meilleure par définition- à laquelle j'appartenais.

Puis insensiblement tout d’abord et très franchement ensuite il y a eu des gens après moi, de plus en plus de gens dont à mon tour j'étais le prédécesseur.

Au début il s'agissait d'enfants, puis d'adolescents, et enfin d'adultes, des adultes d'un autre modèle que moi, puis de plusieurs modèles autres que moi.

Au fur et à mesure du temps, en interagissant avec ces nouveaux arrivants, en découvrant leur mentalité, leurs expériences, leurs "valeurs" pour utiliser un mot tellement à la mode, leurs références, leurs modes de vie et façons d’envisager le monde, je me suis senti de plus en plus autre.

Leur société n’est pas la mienne, ses fractures et ses oppositions, ses idées sont différentes. Ou plutôt je n'y suis plus à la même place.

Et ma nouvelle place, de plus en plus éloignée des jeunes, m'a mécaniquement rapproché de ces gens que le hasard avait fait naître en même temps que moi.

Quand j'étais moi-même jeune je m’opposais violemment à certains d'entre eux, sur leurs courants de pensée, nos différences de classe et d’origine sociale, j’identifiais certains quasiment comme des ennemis, des opposés irréductibles à ce que j'étais.

Aujourd’hui ces même ennemis me sont devenus familiers, presque précieux parce qu'eux aussi ils "y étaient".

De même, être rebelle ou à la mode ne signifie plus la même chose aujourd'hui, tout comme dans ma jeunesse c'était déjà autre chose que du temps des yéyés ou que dans les années 30.

Et c’est ainsi que petit à petit j’ai compris et ressenti que j’appartenais bel et bien à une génération.

Même marginal, même isolé, même avec un parcours hors normes pour mon époque, j’ai absorbé ladite époque et j’ai grandi et me suis construit avec.

Je suis imprégné d’une ambiance, d’une atmosphère, d’un ordre du monde qui ont aujourd’hui autant disparu que l’ancien régime ou la 4e république mais qui furent les miens, que je le veuille ou non.

Et bien sûr, comme tous ceux qui passèrent avant moi et tous ceux qui me succèderont, je n’en ai pris conscience que maintenant que cette époque est révolue, que ces pages de l’Histoire sont tournées et devenues du passé.

A mon corps défendant, tous ces bourgeois urbains qui m’ignoraient, tous ces immigrés que je ne croisais jamais, tous ces acolytes campagnards qui me bousculaient, tous ces autres minoritaires dont le monde était aux antipodes du mien, tous ces gens me sont finalement devenus proches dès lors qu’ils sont nés autour de 1975.

François Mitterrand et Touche pas à mon pote, Belmondo ou de Funès, l’URSS et la révolution roumaine, Stéphane Collaro et Coluche, les TUC et le bac G, le top 50 et Jean-Jacques Goldman, le SIDA et les filles nues plein les medias, Récré A2/Le club Dorothée, le Minitel et les VHS, le règne du son synthétique et des claviers, MTV et Fun radio, les guerres du Golfe et de Yougoslavie, Batskin et les antifas, j’en passe et des meilleures (ou pires)...


Tout cela et tant d’autres choses ont planté le décor dans lequel les gens de mon âge ont évolué, ont constitué notre premier référentiel, celui qui marque le plus, celui qui reste.

Mes parents et grands-parents ont bien sûr vécu ce moment, mais différemment, comme une nouvelle couche posée sur d’autres vécues avant, comme le sont les années 2000 et les suivantes pour moi.

Leurs générations
, celles de l'entre-deux-guerres et des trente glorieuses, avaient elle aussi leurs moments, leurs codes et leurs vécus dont ils parlaient parfois avec une nostalgie aussi faussée que logique.

Je me souviens d'avoir jadis lu une interview croisée de Daniel Cohn-Bendit et d'Alain Madelin, deux farouches opposants de mai 1968, interview faite lors d'une énième commémoration de cet événement.

A l'époque ça m'avait écoeuré, mais je crois que finalement je peux comprendre ces "vieux" qui rejouent un combat qui nous semble complètement dépassé, le danger à éviter étant de s'arrêter sur ces combats sans s'occuper des actuels.

Quoi qu'il en soit, le quinquagénaire en devenir que je suis appartient bien à une génération, surprise vaguement désagréable à laquelle je ne m'attendais pas mais qui est une réalité.

Compléments:
- The who: My generation
- Vincent Delerm: Les filles de 76
- Calogero: 1987
- Bref, j'ai eu trente ans