mercredi 13 avril 2022

Talking about my generation

Longtemps je me suis vu comme solitaire et déconnecté des gens de mon âge.

Pour de nombreuses raisons, je me sentais à l'écart du lot, unique et différent de mes pairs, dont la vie ressemblait rarement à la mienne.

Et puis le temps est passé et je me suis finalement rendu compte que malgré tout j'appartenais bel et bien moi-même à une génération, à leur génération.

Il y eut plusieurs étapes dans ma prise de conscience.

Le plus lointain souvenir est ma perplexité en me rendant compte que Tino Rossi était un sex symbol pour ma grand-mère et que ma mère trouvait Johnny Hallyday très séduisant (les deux étaient pour moi le summum du ringard).

D'emblée, cela me situait par rapport à mes prédécesseurs, forcément démodés et dépassés par rapport à la nouveauté -meilleure par définition- à laquelle j'appartenais.

Puis insensiblement tout d’abord et très franchement ensuite il y a eu des gens après moi, de plus en plus de gens dont à mon tour j'étais le prédécesseur.

Au début il s'agissait d'enfants, puis d'adolescents, et enfin d'adultes, des adultes d'un autre modèle que moi, puis de plusieurs modèles autres que moi.

Au fur et à mesure du temps, en interagissant avec ces nouveaux arrivants, en découvrant leur mentalité, leurs expériences, leurs "valeurs" pour utiliser un mot tellement à la mode, leurs références, leurs modes de vie et façons d’envisager le monde, je me suis senti de plus en plus autre.

Leur société n’est pas la mienne, ses fractures et ses oppositions, ses idées sont différentes. Ou plutôt je n'y suis plus à la même place.

Et ma nouvelle place, de plus en plus éloignée des jeunes, m'a mécaniquement rapproché de ces gens que le hasard avait fait naître en même temps que moi.

Quand j'étais moi-même jeune je m’opposais violemment à certains d'entre eux, sur leurs courants de pensée, nos différences de classe et d’origine sociale, j’identifiais certains quasiment comme des ennemis, des opposés irréductibles à ce que j'étais.

Aujourd’hui ces même ennemis me sont devenus familiers, presque précieux parce qu'eux aussi ils "y étaient".

De même, être rebelle ou à la mode ne signifie plus la même chose aujourd'hui, tout comme dans ma jeunesse c'était déjà autre chose que du temps des yéyés ou que dans les années 30.

Et c’est ainsi que petit à petit j’ai compris et ressenti que j’appartenais bel et bien à une génération.

Même marginal, même isolé, même avec un parcours hors normes pour mon époque, j’ai absorbé ladite époque et j’ai grandi et me suis construit avec.

Je suis imprégné d’une ambiance, d’une atmosphère, d’un ordre du monde qui ont aujourd’hui autant disparu que l’ancien régime ou la 4e république mais qui furent les miens, que je le veuille ou non.

Et bien sûr, comme tous ceux qui passèrent avant moi et tous ceux qui me succèderont, je n’en ai pris conscience que maintenant que cette époque est révolue, que ces pages de l’Histoire sont tournées et devenues du passé.

A mon corps défendant, tous ces bourgeois urbains qui m’ignoraient, tous ces immigrés que je ne croisais jamais, tous ces acolytes campagnards qui me bousculaient, tous ces autres minoritaires dont le monde était aux antipodes du mien, tous ces gens me sont finalement devenus proches dès lors qu’ils sont nés autour de 1975.

François Mitterrand et Touche pas à mon pote, Belmondo ou de Funès, l’URSS et la révolution roumaine, Stéphane Collaro et Coluche, les TUC et le bac G, le top 50 et Jean-Jacques Goldman, le SIDA et les filles nues plein les medias, Récré A2/Le club Dorothée, le Minitel et les VHS, le règne du son synthétique et des claviers, MTV et Fun radio, les guerres du Golfe et de Yougoslavie, Batskin et les antifas, j’en passe et des meilleures (ou pires)...


Tout cela et tant d’autres choses ont planté le décor dans lequel les gens de mon âge ont évolué, ont constitué notre premier référentiel, celui qui marque le plus, celui qui reste.

Mes parents et grands-parents ont bien sûr vécu ce moment, mais différemment, comme une nouvelle couche posée sur d’autres vécues avant, comme le sont les années 2000 et les suivantes pour moi.

Leurs générations
, celles de l'entre-deux-guerres et des trente glorieuses, avaient elle aussi leurs moments, leurs codes et leurs vécus dont ils parlaient parfois avec une nostalgie aussi faussée que logique.

Je me souviens d'avoir jadis lu une interview croisée de Daniel Cohn-Bendit et d'Alain Madelin, deux farouches opposants de mai 1968, interview faite lors d'une énième commémoration de cet événement.

A l'époque ça m'avait écoeuré, mais je crois que finalement je peux comprendre ces "vieux" qui rejouent un combat qui nous semble complètement dépassé, le danger à éviter étant de s'arrêter sur ces combats sans s'occuper des actuels.

Quoi qu'il en soit, le quinquagénaire en devenir que je suis appartient bien à une génération, surprise vaguement désagréable à laquelle je ne m'attendais pas mais qui est une réalité.

Compléments:
- The who: My generation
- Vincent Delerm: Les filles de 76
- Calogero: 1987
- Bref, j'ai eu trente ans

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