vendredi 18 octobre 2013

Humour (3): Fausses news

On trouve de tout sur internet.

Il existe notamment des faux sites de news, dont la mise en page, l'écriture, le soin apporté au design sont dignes des sites qu'ils pastichent.

J'en ai découvert deux grâce à la même personne (elle se reconnaitra) sur lesquels je vais avec délice.

Le premier, The Onion, est un site américain. Le second, Le Gorafi (sans commentaire), est français.

Leurs articles ont toute l'apparence d'études sérieuses, argumentées et solides. Elles reprennent les tics de langage du moment, les expressions convenues et le ton faussement neutre des reportages qu'on trouve partout, et recyclent joyeusement clichés et légendes urbaines. Un délice.

Florilège:
- Le bénévolat dans nos rues.
- Le bon sens en action.
- Les chanteurs québécois dans l'Hexagone.
- Des coming out.
- Le complot juif international.
- Le doublage des titres des films en France.
- Fait divers dans les transports en commun parisiens. Un autre.
- La guerre en Afghanistan et le terrorisme. Un autre.
- L'influence de wikipédia sur le sommeil.
- Soirée Thaïlande.
- Le travail et la sexualité.

A suivre...

Post scriptum : deux ans après avoir écrit ce post, je découvre El Manchar, un cousin algérien tout aussi déjanté (sa devise est "Avec des scies, on refait le monde") capable d'articles saignants sur l'indéboulonnable Bouteflika ou les PTT algériens (qui semblent aussi sympathiques que les nôtres).

Post post scriptum : après l'Algérie, c'est en Belgique que j'ai trouvé un autre cousin: Nord Presse, qui manie aussi la satyre à la hache (exemples: L'état d'urgence et les présidentielles françaises, et un énorme hoax sur de prétendus porcs halal).

Le bonheur.

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jeudi 17 octobre 2013

Auteurs(3): Jeffrey Lent

Jeffrey Lent est américain. Originaire du Vermont, il a écrit de nombreux romans dont quelques-uns (trop peu!) ont été traduits en français. Il est salué par ses pairs, notamment Jim Harrison, comme étant un écrivain de la trempe d'un Faulkner.

J'ai eu l'occasion de lire deux de ses œuvres, qui m'ont profondément marqué.

Le premier livre s'intitule La rivière des Indiens. Ce titre vient de l'éphémère République d'Indian Stream, territoire auto administré situé sur la frontière américano-canadienne avant que celle-ci ne soit définitivement fixée.

Le récit commence par le voyage vers cet improbable endroit, sauvage et difficilement accessible, d'un homme d'allure farouche et déterminée, qui est accompagné d'un énorme chien et traine une jeune femme les pieds nus et les mains attachées à une corde.

Cette image forte et marquante met immédiatement dans l'ambiance. L'histoire sera âpre et dure.

Une fois qu'il a rejoint sa destination, l'homme y ouvre une auberge, dans l'arrière-salle de laquelle il prostitue la fille.

Dur, constamment sur ses gardes, ne laissant rien au hasard (son installation est minutieuse et parfaitement planifiée) il est haï de ses concitoyens, auxquels il devient néanmoins indispensable (son établissement devenant le point de ralliement des colons du coin).

A son contact, la fille, dont on apprend qu'il l'a achetée à une prostituée urbaine, découvre la nature, le foyer, elle est dégrossie et entre eux finit par s'établir une relation plus équilibrée, avec une certaine confiance, voire une forme d'affection.

Au fur et à mesure de l'avancement du roman, on devine que l'homme a un passé compliqué et qu'il n'est pas le rustre qu'il a l'air. Ce passé finit par lui revenir en plein visage et le livre s'achève tragiquement.

J'ai lu Retour à Sweetboro plus récemment, bien qu'il soit plus ancien que La rivière des Indiens.

Cette saga familiale commence par le retour de la guerre de Sécession d'un paysan du Vermont qui a combattu pour le compte de l'Union.

Toute la guerre il n'a tenu que grâce à l'idée du retour sur sa terre, où il a laissé père, mort pendant son absence, mère et sœur. Ceux-ci ont passé également leur temps à l'attendre, mais ils ont la surprise de le voir arriver avec une femme. Noire.

Le couple s'installe, difficilement accepté dans cette région uniformément blanche. Ils ont trois enfants, deux filles et un garçon, et leur ferme prospère, même si cette famille atypique reste à l'écart de la communauté.

Un jour, à la suite du passage d'un forain noir à la ville, la mère sent l'appel de ses racines et décide de retourner à Sweetboro, l'endroit de Caroline d'où elle est originaire, pour y rechercher des traces des siens.

Elle en revient rapidement, mais complètement transformée, brisée. Elle ne s'en remet jamais et ne donne aucune explication à personne.

L'histoire se poursuit par la vie de leur fils, qui fuit la ferme pour tenter sa chance loin de cet univers étouffant où ses origines lui ont valu une enfance faite de violence et de révolte.

Après quelques mésaventures, parfois dangereuses, il rencontre une chanteuse canadienne française avec qui il vit une passion violente, et il fait son trou comme responsable d'hôtel, s'enrichissant en parallèle avec une affaire de bootlegger.

Il a deux enfants, un garçon et une fille, perdant cette dernière en même temps que sa femme pendant l'épidémie de grippe espagnole de 1918. Rattrapé par une erreur de jeunesse, il connait une fin violente.

La dernière partie de l'histoire raconte la vie du fils survivant, qui redécouvre ses racines en débarquant à la ferme d'origine dont son père ne lui avait jamais parlé.

Il boucle la boucle en allant à Sweetboro chercher une explication au drame vécu par cette grand-mère noire qu'il n'a jamais connue, y découvrant bien plus que ce qu'il attendait.

Ces deux livres m'ont captivé.

Tous les deux ont trait à l'histoire, plus ou moins récente, des États-Unis. On y croise la conquête des territoires indiens, la société esclavagiste, la guerre civile, la prohibition, l'immigration et les rapports avec le Canada tout proche.

Les références historiques sont fouillées, mais jamais scolaires ou pesantes. Lent construit son décor avec une foule de détails dont elles font partie.

La lenteur est d'ailleurs une des caractéristiques majeures de son écriture. Il prend le temps de bien nous camper les lieux, les saisons, les sensations.

Par exemple, il n'hésite pas à décrire le processus de récupération du sirop d'érable, la façon de cuisiner, la construction d'un bâtiment, la gestion d'un poulailler. Il nous explique aussi le rythme des saisons, les effets du temps, les paysages.

Pour autant, ça ne rend pas ses livres pesants, mais plus denses, plus forts, on est enveloppés dans un univers qui a de la chair, de la consistance.

Pour les personnages, c'est la même chose. Lent les construit patiemment, longuement, nous en montre le cheminement, les failles, les obsessions et les faiblesses.

Ils apparaissent tous dominés par des forces qui les dépassent, il y a un côté tragique, une espèce de fatalité qui est là, qui guette.

Ses personnages féminins sont peut-être les plus intéressants. Ils représentent la force de la vie malgré tout, une rage de dépasser leur dure condition de femme, de vivre coute que coute.

Les deux livres sont enracinés dans le Vermont, ses gens, son histoire, sa mentalité. Lent insiste sur les relations entre les communautés, construites ou en voie de construction.

Dans la rivière des indiens, sa description des trappeurs et surtout des indiens et de leurs relations avec les colons mal dégrossis est aussi loin des films de John Wayne que de la vision angélique qui l'a remplacée depuis.

Ses indiens sont autres, inquiétants, difficiles à comprendre. On sent qu'un rapport de force sous-tend toutes les interactions que les colons ont avec eux.

Une scène marquante voit le héros trouvant un indien en train de gober ses œufs et de manger les petits pois qu'il a eu tant de mal à faire pousser dans son jardin, de manière très ostensible, provocante.

Il répondra à sa provocation en faisant montre lui aussi de sa force, notamment par le biais de son chien et en parlant plusieurs langues. Cet affrontement tout en non dits fait passer une tension presque palpable.

Dans retour à Sweetboro, c'est le monde afro-américain, d'où est issue l'héroïne de la première partie, qui est convoqué.

Lent montre l'ignorance totale que son paysan du Vermont a de la vie des esclaves, leurs habitudes, leurs idées. Pour lui, sa femme est sa femme, et il se trouve qu'elle est noire, point.

Avec obstination et sans faiblir, il l'impose à tous comme une évidence, mais pour lui, cette singularité ne compte pas vraiment, et elle intègre la place qu'il attendait d'une épouse dans sa ferme, c'est tout.

De son côté, elle n'évoquera son passé qu'une fois, dévoilant les routes de la fuite vers le nord mises en place par les noirs du sud, l'apprentissage en cachette de l'écriture, les mille et une façons de tenter de rompre l'isolement de l'esclave, de vivre malgré tout dans les miettes de liberté laissées par les blancs.

Mais la description la plus magistrale de ce monde sudiste sera faite par son petit-fils, lorsqu'il ira à Sweetboro sur ses traces.

L'homme du Vermont est complètement perdu dans cet univers post-esclavage où anciens maitres et anciens esclaves cohabitent encore, la ligne raciale se perpétuant dans la tête.

Il sera initié par une très lointaine cousine et par un grand-oncle blancs à la face cachée de cette société.

Il découvrira alors qu'un lien génétique lie inextricablement noirs et blancs, que chaque famille blanche a une lignée métisse, cachée mais connue de tous et rarement assumée, et que les relations incestueuses entre blancs et noirs sont également une réalité, sordide mais ancrée dans la société.

La pesanteur de ces non dits, l'organisation spatiale des territoires, la complexité des liens qui existent entre dominants et dominés est très bien rendue.

Une autre communauté est très présente dans les livres de Lent, ce sont les Canadiens français. C'est évidemment du à l'omniprésence du Vermont, état frontière avec le Québec dont l'histoire est liée à l'épopée française en Amérique du nord.

Son nom, ainsi que celui de sa capitale, Montpelier, viennent en effet de notre langue, et un quart des habitants de l'état auraient des origines et noms français.

Cette population est issue pour la plupart de la méconnue mais importante immigration québécoise aux USA qui eut lieu pendant le XIXième siècle (l'écrivain Jack Kérouac en est sans doute l'exemple le plus connu).

L'image qu'ont les Américains de ces gens semble très négative.

Catholiques / païens, miséreux prolifiques, superstitieux voire sorciers, pensant plus à danser qu'à travailler, on retrouve dans leur regard un mélange des clichés qu'ont les Anglais sur les Français et de ceux qu'on peut avoir sur les indiens, dont la proximité culturelle avec les trappeurs francophones est soulignée.

Il est vrai que les coureurs des bois étaient très souvent d'ascendance française et que leur métissage, initialement du à l'absence de femmes dans les colonies françaises sous-peuplées, était suffisamment fréquent pour avoir donné le jour au peuple Métis.

Dans la rivière des indiens, les colons francophones de la petite république sont acceptés, mais avec méfiance, et quand la discorde s'empare de la communauté, l'ostracisme devient violence.

On voit également que c'est l'un d'entre eux qui ouvre le bal lorsqu'un violoniste ambulant passe dans le bar du héros.

Dans retour à Sweetboro, c'est une femme trappeur francophone, une espèce de sorcière qui vit avec son mari et quantité d'enfants dans une cabane à l'écart du village, qui va faire accoucher l'héroïne noire.

Celle-ci l'a choisie contre l'avis de son mari, l'accusant d'avoir les mêmes préjugés sur les Canadiens français que ses anciens maitres sur les noirs.

Et son fils épousera à son tour une fille Lebaron, dont la famille a émigré du Québec aux USA pour fuir la misère et qui cache ses origines en anglicisant son nom.

Dans ces deux livres, Jeffrey Lent construit des univers complets, dont il est difficile de ressortir une fois tournée la dernière page.

vendredi 11 octobre 2013

Orthodoxes et schismatiques (7) - Les autres christianismes

Outre les trois principaux rameaux que j'ai évoqués dans mes précédents posts, le christianisme comporte un très grand nombre de branches plus modestes et moins connues.

Ce post va en évoquer quelques-unes, avant de finir sur des mouvements dits restaurationnistes, c'est-à-dire qui se veulent restaurer la vraie église.

1. Les chrétiens d'orient

Sous ce vocable un peu générique, on regroupe un grand nombre d'églises, souvent très anciennes et issues de la partie byzantine de l'empire romain.

Très nombreuses et divisées, elles se distinguent de leurs homologues occidentales par différents aspects.

Je n'entrerais pas dans les détails théologiques (très souvent incompréhensibles pour le néophyte) mais on peut noter que ces différences portent sur la conception de la Trinité (certains nient la nature humaine du Christ, d'autres sa nature divine, certains hiérarchisent les natures, etc.) les rites, les langues, le rapport avec la papauté et parfois la traduction de la bible utilisée.

De plus les traditions de monachisme et d'érémitisme sont très présentes chez les chrétiens d'orient, qui furent les premiers chrétiens à les pratiquer, parfois dans des versions extrêmes qui peuvent rappeler les saddhus indiens.

Quelques exemples de chrétiens d'orient:

Les chrétiens arméniens

On dit que l'Arménie est le plus ancien état chrétien du monde. L'église arménienne a été rejetée par les catholiques et les orthodoxes pour un point de doctrine. Sa langue liturgique est le grabar, une forme ancienne de la langue arménienne.

Du fait de l'importante diaspora arménienne, cette confession est présente dans de nombreux pays.

Les coptes

C'est sans doute la communauté la plus nombreuse. Elle est présente essentiellement dans deux pays.

Premièrement en Égypte, où elle est la minorité religieuse la plus importante (de 7 à 10%) et où on la trouve aux deux extrémités de la société, chez les plus riches et les plus pauvres. Sa langue liturgique est le copte, langue héritée de l’Égypte pharaonique.

S'ils sont globalement tolérés, les différentes constitutions égyptiennes les discriminent en leur interdisant les postes de pouvoir et ils sont régulièrement l'objet de vexations allant jusqu'au pogrome.

Deuxièmement en Éthiopie, où elle représente un peu plus de 40% de la population. L'église orthodoxe éthiopienne s'est détachée de l'église copte proprement dite depuis les années 60, mais on continue à lui donner ce nom.

C'est la confession des classes dirigeantes, celle des ex-empereurs. Sa langue liturgique est le guèze, langue morte d'où est issue la langue principale du pays, l'amharique, et elle s'appuie sur une version particulière de la bible, qui comprend de nombreux livres considérés comme apocryphes par la plupart des autres confessions chrétiennes.

L’Éthiopie est considérée comme le deuxième pays le plus anciennement christianisé au monde.

Les maronites

Venus de Syrie en fuyant les invasions musulmanes, les maronites représentent la plus importante communauté chrétienne du Liban. Leur nom vient de Saint Maron, leur premier patriarche, celui qui élabora leur liturgie avant leur exil.

Leur langue liturgique est majoritairement l'arabe, mais le syriaque, langue ancienne apparentée à l'araméen, est également utilisé.

Les maronites, qui se sont rattachés à la papauté, ont joué et jouent un rôle moteur dans le pays, qu'ils ont très longtemps dominé et où ils ont servi de pont avec l'occident.

Mais l'augmentation de la population musulmane, notamment due à l'afflux de réfugiés palestiniens, ainsi que la guerre civile, l'invasion syrienne et l'instrumentalisation des chiites pilotée par le Hezbollah et l'Iran ont fait perdre aux maronites leur position de force.

A l'instar des autres communautés du pays, ils vivent désormais dans une sorte de "paix armée", gardant jalousement leurs positions et territoires.

Leur diaspora dans le monde est très importante.

Les chaldéens et les assyriens

Ces deux communautés, très anciennes (les assyriens sont les héritiers de l'antique église nestorienne), vivent essentiellement en Irak et en Syrie.

Elles utilisent le syriaque comme langue liturgique et les villages où vivent leurs membres ont parfois l'araméen comme langue maternelle.

Ces églises sont dans une situation tragique aujourd'hui, minorités coincées dans des pays livrés à la guerre civile et proie des fondamentalismes islamiques qui les persécutent.

Le nombre de leurs fidèles ne cesse de baisser, une partie sans cesse plus importante émigre (depuis la seconde guerre du Golfe, le nombre des chrétiens d'Irak a été divisé par deux), et leur langue, qu'on dit par abus être celle du Christ, n'aura probablement plus de locuteurs d'ici une ou deux générations.

2. Les anglicans

L'anglicanisme est le nom de la religion officielle du Royaume-Uni. Cette religion est née d'un conflit entre le roi Henri VIII et le pape qui refusait l'annulation de son mariage. Le roi décida alors la rupture avec Rome et devint le chef de l'église d'Angleterre.

(On peut noter que des conflits de ce type entre les pouvoirs temporels et papauté ont eu lieu un peu partout eu Europe: gallicanisme en France, querelle des guelfes et des gibelins dans le saint empire romain germanique et en Italie, etc.).

Suite à cette rupture, qui s'accompagna d'une violente répression des catholiques, une nouvelle église se structura, à mi-chemin entre le protestantisme, auquel elle emprunta nombre de points de doctrine et le catholicisme, dont elle conserva notamment la hiérarchie.

Son primat est l'archevêque de Canterburry, et son chef le souverain anglais, donc actuellement la reine d'Angleterre.

Aujourd'hui cette église, qui a essaimé dans le monde entier en suivant l'expansion britannique, fonctionne de manière très largement décentralisée: on parle d'églises anglicanes au pluriel.

Pour terminer, je citerai deux rameaux particuliers du christianisme, deux églises qui se revendiquent seules chrétiennes mais ne sont pas forcément reconnues comme telles par les autres confessions, ce qui ne les empêche pas d'avoir de nombreux fidèles de par le monde et une assise territoriale confortables.

- Les mormons

Cette religion, dont le nom officiel est "Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours", a été fondée au XIXième aux États-Unis par Joseph Smith.

Celui-ci aurait reçu la visite de Dieu et de Jésus qui lui auraient indiqué que l'église de son temps s'étant éloignée de la vraie doctrine chrétienne, il serait celui qui la rétablirait dans la vérité.

Quelques temps après, c'est un prophète, Moroni, qui lui serait apparu et l'aurait guidé vers un ouvrage caché sur une colline, le livre de Mormon.

Ce livre raconte l'histoire de juifs installés dans l'Amérique précolombienne, et celle de leur chef, le prophète et guerrier Mormon.

Ce manuscrit vient compléter la Bible et constitue l'une des bases de la théologie des mormons (on trouvera aussi ultérieurement des écrits d'autres prophètes).

En raison de leurs croyances et de leurs mœurs (jusqu'en 1889 ils furent notamment polygames) les mormons furent dans un premier temps persécutés par les autorités américaines, parfois massacrés.

Ils s'installèrent alors en Utah, près du Lac Salé qui a donné son nom à la capitale de l'état (Salt Lake City), dans une région désolée au climat extrême où ils réussirent à s'acclimater au prix d'efforts très importants et d'une solidarité sans faille.

L'église mormone a depuis prospéré et s'est insérée dans la société américaine au point d'avoir fourni le candidat républicain à la dernière élection présidentielle. Leurs chefs ont abandonné la polygamie (à part une petite minorité hors-la-loi) et la discrimination raciale des débuts.

Pour les mormons l'alcool, le thé, le café et le tabac sont strictement prohibés. Il faut œuvrer à la diffusion de la bonne parole (d'où un réseau de missionnaires particulièrement zélés), et donner 10% de ses revenus à l'église.

Un aspect insolite de leur doctrine est l'accomplissement des sacrements pour leurs ancêtres morts, ce qui pousse les mormons à baptiser post mortem tous leurs ascendants identifiés.

Cette tâche énorme a conduit la communauté à devenir l'un des spécialistes mondiaux les plus performants en généalogie.

En effet, une partie importante des ressources de l'église est consacrée à remonter dans le temps pour rendre mormone les familles défuntes de leurs membres.

Les mormons sont ainsi à l'origine d'une norme XML pour les fichiers informatiques de généalogie (la norme GEDCOM) et de FamilySearch, l'un des sites les plus populaires de généalogie.

Un peu comme les protestants évangéliques, les mormons sont une communauté très soudée, très impliquée dans le monde, très moderne dans ses moyens et prosélyte.

- Les témoins de Jéhovah

Le mouvement des Témoins de Jéhovah est lui aussi né aux États-Unis, dans la deuxième moitié du XIXième siècle (1870).

Fondé par un protestant influencé par l'adventisme sous le nom d’Étudiants de la Bible, le mouvement se veut une restauration de la vraie doctrine chrétienne.

Les témoins de Jéhovah ont pour caractéristique une fermeture extrême au reste du monde, considéré globalement comme l’œuvre de Satan. D'où une tendance à vivre en vase clos qui les fait régulièrement accuser de sectarisme.

La discipline au sein du mouvement est très stricte, la vie privée n'existe pour ainsi dire pas, toute contestation ou remise en cause est combattue, et toute sortie du mouvement s'accompagne d'un rejet total de la personne, de l'interdiction de garder des liens avec elle, y compris familiaux.

Neutres politiquement, ils refusent tout ce qui a trait à l'état, comme le service militaire, le vote ou l'hymne national, ce qui leur a longtemps valu des ennuis, ainsi que les transfusions sanguines.

Ils rejettent également les fêtes chrétiennes traditionnelles (Noël par exemple), les anniversaires, et d'une manière générale sont complètement opposés à tout œcuménisme ou rapprochement avec quelque autre religion ou idée que ce soit.

Convaincus de l'imminence du retour du Christ, ils ont annoncé plusieurs dates pour la fin du monde (la dernière fois c'était en 1975), le dépassement de cette date entrainant généralement une crise au sein du mouvement, mais jamais sa disparition.

Malgré leur rejet du monde, ils considèrent de leur devoir de transmettre leur message à leurs contemporains.

L'accent est donc mis sur un prosélytisme zélé, que chacun a pu constater en croisant un jour un ou plusieurs témoins de Jéhovah tentant de le convaincre ou de lui fournir un exemplaire de la revue "La Tour de Garde".

Le mouvement a sa propre traduction de la Bible, parfois contestée par les autres chrétiens, avec lesquels ils ne sont pas d'accord sur plusieurs points de doctrine (ils récusent notamment le dogme de la Trinité). Ils pratiquent le baptême biblique par immersion à l'âge adulte.

Du fait de leur intransigeance, de leur fermeture et de leur désintérêt vis-à-vis de "La grande Babylone" que représente le monde extérieur (ils n'ont jamais cherché à être reconnus comme une église par exemple), les témoins de Jéhovah sont la plupart du temps en butte à la méfiance ou à l'hostilité, voire à la persécution du reste de la population.

Après ce petit tour d'horizon des différentes façons d'être chrétien, je vais m'attaquer à la troisième grande religion abrahamique, l'islam.

(Petit) aperçu de la littérature roumaine (3): quelques auteurs

Dans un post de 2009, j'avais exposé plusieurs auteurs roumains que j'avais eu le loisir de lire.

Depuis cette époque, j'ai continué à lire, ce qui m'a permis de découvrir d'autres écrivains de ce pays, cette découverte s'accélérant grâce au salon du livre de cette année, où il était à l'honneur.

J'ai donc décidé de compléter ma liste en citant les auteurs que j'ai depuis rencontrés:

- Ioana Andreescu

Écrivain roumain tôt exilée à Paris (où, comme le voulait la tradition, le "u" de son nom se transformera en "o"), elle y publiera la majorité de son oeuvre et y sera plus connue que chez elle.

J'ai lu "Soleil Aride", ou la vie d'un petit village de Roumanie à la fin de la seconde guerre mondiale, vue par les yeux d'un enfant. Très beau et mélancolique.

- Radu Anton Roman

Cet auteur épicurien est connu dans son pays pour avoir écrit et fait des émissions de télé sur la cuisine roumaine.

Passionné de pêche, il était aussi un grand amoureux du Delta du Danube, région exceptionnelle de Roumanie sur laquelle il a aidé le Commandant Cousteau à faire un reportage et qui lui a inspiré le roman "Des poissons sur le sable".

Ce livre, paru en 1985 et pour lequel l’auteur a eu quelques ennuis avec le régime de Ceausescu, décrit la vie de personnes liées de près ou de loin au petit village de Leteorman, perdu dans le delta, en proie à la pauvreté et à l'absurdité criminelle du communisme. 

Restrictions absurdes, quotas imposés malgré un abandon cynique de la région à elle-même, dénuement, pollution industrielle à grande échelle, persécutions idéologiques, répression du braconnage, manipulations médicales sur les sportifs, corruption institutionnalisée, rien n’échappe à la plume acerbe de Radu Anton Roman.

L’autre face du roman, peut-être la plus importante, est cependant la description de la richesse de ce milieu, de sa faune et sa flore uniques, ainsi que de l’identité des gens qui s’y sont installés au cours du temps et vivent en symbiose avec le Delta.

Dans ce livre, on croise des lipovènes, descendants des dissidents orthodoxes russes fuyant la réforme de leur église, des haholis, héritiers des cosaques ukrainiens réfugiés ici après la chute de leurs territoires, des descendants de paysans roumains ayant fui le servage.

On rencontre aussi un retraité qui préfère la vie dure et froide du Delta à sa vie misérable en ville, un ouvrier tsigane vivant de la charité des habitants une fois que le chantier l’a abandonné, des voleurs de poisson jouant au chat et à la souris avec la police, une femme docteur indomptable qui a fini par s’attacher à la région, une prostituée turque, un commerçant macédonien, un pope inspiré venu en mission dans ce bout du monde, une championne d’aviron au corps déformé par le dopage…

Et surtout, Anton Roman montre l’interdépendance et la solidarité de ce monde difficile et parfois tragique (il décrit notamment un naufrage qui fait plusieurs victimes), où les spectaculaires beuveries sont autant de soupapes et de liens entre ces pêcheurs qui travaillent au coude à coude dans le froid, le brouillard et des éléments hostiles avec des moyens dérisoires.

Bref un beau portrait d’une région fascinante.
 
- Catalin Dorian Florescu

Cet auteur a grandi à Timisoara dans les années 70 avant que sa famille ne fuit le régime communiste pour s'installer à Zurich alors qu'il était encore adolescent. Devenu parfaitement bilingue, c'est en langue allemande qu'il écrit ses romans, obtenant même un prix littéraire suisse.

De lui, j'ai lu "Le turbulent destin de Jacob Obertin", livre picaresque qui raconte la vie d'un souabe balloté par l'histoire mouvementée du XXième siècle.

Ce livre tragi-comique est l'occasion de présenter la saga des saxons de Roumanie, descendants de colons  germaniques (dans le cas du livre ils sont lorrains) recrutés par les empereurs austro-hongrois pour peupler le Banat.

Cette région multiculturelle, aujourd'hui à cheval sur la Roumanie et la Serbie et où cohabitent des villages qui sont autant de communautés (tziganes, roumains, serbes, saxons...) est décrite avec finesse.

Mais ce qui marque le plus ce sont les personnages aux caractères fouillés et réalistes, que l'auteur se garde bien de juger et auxquels on s'attache parce qu'ils sonnent vrai.

Tout comme sonnent vrais les portraits des communautés, l'histoire de la colonisation allemande et la description des malheurs qui se sont abattus sur le pays: échos de la propagande nazie chez les allemands de Roumanie, collaboration puis guerre contre l'Allemagne hitlérienne, déportations des juifs et des tziganes; abominations du régime communiste enfin, sur lesquelles se termine un livre marquant.

- Herta Müller

Les livres de cet écrivain d'origine saxonne s'inspirent de sa propre expérience de l'oppression communiste (elle fut en effet persécutée par le régime de Ceausescu avant de s'enfuir). J'ai lu "la convocation", livre qui lui a valu le prix Nobel de littérature.

Le personnage d'Herta Muller parle de sa vie ordinaire dans la Roumanie de Ceausescu, de son étouffement et des pressions auxquelles elle est soumise suite à une dénonciation.

Toutefois, j'ai pris cette lecture plus comme le portrait intime d'une femme que comme une description de la Roumanie ou de la dictature, qui sont plutôt une toile de fond. Ce livre était difficile et je n'ai pas particulièrement accroché.

- Liviu Rebreanu

Auteur classique roumain, Liviu Rebreanu est née dans la Transylvanie austro-hongroise, où sa communauté était travaillée par l'idée de réunification avec les deux provinces libres.

C'est cette idée, ainsi que sa propre expérience de soldat, qui est le sujet principal de "La forêt des pendus", seul livre de lui que j'ai lu à ce jour.

On y suit le parcours d'un officier austro-hongrois d'origine roumaine, d'abord rigide et fidèle aux Habsbourg, et qui peu à peu est gagné par le doute lorsqu'il doit se battre conte l'armée roumaine.

Ce doute devient un déchirement insoluble entre ses deux allégeances, avant qu'il ne soit finalement condamné à mort pour s'être rangé du côté de son peuple plutôt que de son état.

La forêt des pendus n'est pourtant pas un livre manichéen ou patriote au sens étroit du terme. Au contraire, il insiste sur l'importance et la complexité de ce qui fait un être humain, qui ne saurait être réduit à une caractéristique unique, qu'elle soit ethnique, religieuse ou nationale.

Avec l'histoire de ce soldat velléitaire qui semble se chercher en passant d'une allégeance à une autre, qui subit des influences contraires, qui revient aussi à Dieu après un long détour (on le voit passer par une crise mystique), Rebreanu nous trouble, nous interroge et nous touche.

L'oeuvre la plus célèbre de Rebreanu est le roman "Ion", que je n'ai pas lu à ce jour.

- Bogdan Teodorescu

Bogdan Teodorescu est né au début des des années 60.

Journaliste et professeur en études politiques, il a participé à la campagne et au gouvernement d'Emil Constantinescu, second président de la Roumanie post-Ceausescu et premier non communiste à diriger le pays (il fut précédé et suivi à ce poste par Ion Iliescu, personnage ambigu issu de la nomenklatura communiste).

A ce titre, Teodorescu connut à la fois en tant qu'acteur et spectateur le chaos, l'anarchie et les changements brutaux qui caractérisèrent la période dite "de transition" de son pays, lorsque dans les années 90 la Roumanie sortit de son long repli et s'ouvrit brutalement sur l'extérieur après l'exécution des époux Ceausescu.

Le livre que j'ai lu, "Des mecs bien...ou presque", se passe précisément à cette période.

Il s'ouvre sur le meurtre accidentel d'une journaliste d'investigation en vue, meurtre très commenté dans le pays. L'enquête qui suit est un prétexte à montrer ce qui se passait à l'époque en Roumanie.

Privatisations sauvages, corruption omniprésente, faux semblants, vécus complexes, arrivée d'étrangers qui ne comprennent rien aux habitants mais ne se gênent pas pour profiter de nouveaux clients fabuleusement riches, règne des médias, et bien sur toutes les ambiguïtés des Roumains par rapport au règne communiste, au pouvoir ou à l'argent...tout cela est évoqué par Teodorescu.

Au fil des chapitres, il fait monter le suspense, crée une ambiance pesante, inquiétante. En même temps, on sent qu'il comprend les mobiles de tous ses personnages autant que l'incompréhension de ceux qui peuvent les voir de l'extérieur, et qu'il ne les juge pas forcément, qu'il réussit à avoir ce double regard sur son pays.

 
Le livre se termine sur un constat glaçant, dévoilé au fur et à mesure des chapitre via les confidences d'un vieux membre de la Securitate: en fait, après quelques exécutions publiques et la dégradation spectaculaire de quelques boucs émissaires, les services secrets mis en œuvre du temps de la république populaire sont toujours présents.

Et pire, ce sont précisément ces réseaux qui détiennent le vrai pouvoir en Roumanie.


Ils ont simplement troqué leurs oripeaux de policiers politiques pour d'autres plus conformes à la mise en scène de la démocratie et se sont réfugiés en arrière-plan, d'où ils tirent les ficelles. On pense à la Russie toute proche, à l'Algérie aussi.

"Des mecs bien...ou presque" est un très bon polar, très instructif pour décrypter une période confuse et compliquée, mais décisive pour la Roumanie. Il m'a donné envie de continuer  avec cet auteur.

Bisounours

On entend souvent le qualificatif "Bisounours" dans les insultes et reproches que s'envoient collègues, adversaires politiques ou simples quidams en train de discuter.

Ce mot fait référence aux héros d'un vieux dessin animé (que j'ai toujours détesté) lui-même inspiré par une ligne de jouets à succès. Dire de quelqu'un qu'il est un bisounours c'est le traiter de candide, de naïf, dire qu'il a une vision angélique et caricaturale du monde.

Par contraste, celui qui donne cet épithète à quelqu'un se revendique pragmatique, sérieux, en phase avec les (dures) réalités du moment, de l'existence.

Avec ironie, il indique que lui n'est pas dupe, qu'on ne la lui fait pas à lui. Cela sous-tend même un certain cynisme, une posture de défense un peu agressive qui le rend supérieur.

Ça m'a fait penser qu'aujourd'hui (et sans doute hier aussi) ce sont les attitude de ce genre qui sont considérées, souhaitées et vues comme les bonnes.

L'accès au bonheur, après lequel on n'a jamais autant couru, est vu comme un combat, une lutte dont l'issue est de notre ressort exclusif.

A la Une de chaque magazine, on lit ce qu'il faut faire pour "se prendre en main", "construire son bonheur", "revitaliser son couple", "se sculpter un corps", etc, etc. Et si ça ne marche pas, on est tenu pour responsable.

La gentillesse, la douceur, la bonté sont synonymes de faiblesse, et celui qui fait montre de ces qualités est souvent vu avec un mélange de gêne, de condescendance, de pitié et de mauvaise conscience.

Beaucoup pensent confusément que ce serait bien si on était tous comme cette personne, mais que le monde étant ce qu'il est, elle est du côté des perdants.

En même temps, il saute aux yeux que cette vision du monde dure et cynique ne nous fait pas que du bien.

Personnellement je considère -bisounoursement- que rencontrer ce type de qualités chez quelqu'un est vital, que ça nous repose de cette compétition permanente, de cette vanité, que ça nous rend un peu de notre humanité.

Et je trouve qu'assumer et montrer cela c'est faire preuve d'un certain courage.

Ce qui m'amène à introduire un site un peu étrange que j'ai découvert il y a quelques années et qui se veut une invitation au bonheur.

Son design est désuet, son propos semble naïf mais justement j'aime sa démarche, qui fait du bien. Et de temps à autre je vais y faire un tour pour lire ce qu'il propose.

Donc merci JM Bonheur, qui que vous soyez.

mardi 8 octobre 2013

Immigration subie ou choisie?

L'immigration est devenue dans le monde occidental un des sujets favoris pour les médias, les politiciens ou l'homme de la rue.

Pour la France, vieille terre d'accueil, il revient sur le tapis de manière cyclique. Pour ses voisins, c'est plutôt récent, mais le phénomène est le même.

Sur ce sujet, il y a plusieurs positions.

D'un côté il y a la vision angélico-droits-de-l'hommiste pour qui l'immigration est un droit, pour qui l'Occident a vocation à accueillir tout le monde sans condition ni exigence.

Leurs théories, qu'elles soient basées sur le christianisme, le communisme, l'expiation post-coloniale ou autre chose, postulent la suppression des frontières, voire même l'adaptation des autochtones aux immigrés.

Pour une partie d'entre eux l'immigration est plus qu'une richesse, elle est la solution à la dégénérescence d'un Occident par définition pourri.

A l'autre extrême, on trouve les théoriciens du zéro immigration, de l'incompatibilité absolue des cultures -qui sont figées de toute éternité- voire de l'incompatibilité des gènes (mais cette dernière idée étant pénalement  répréhensible, on l'entend moins).

Pour eux l'équation est immigration = chômage = délinquance = déliquescence, etc.

Enfin il y a ceux qui sont pro-immigration pour des raisons technico-économiques, utilitaristes je dirais.

Ceux-là affirment que l'économie ne fonctionne que grâce à l'immigration, que le vieillissement (et le système de retraite) ne peut être corrigé que par l'immigration, que quels que soient son origine et son vécu, un homme peut remplacer un autre homme de manière transparente et immédiate.

Pour eux "culture" ne veut rien dire, les hommes sont définis par leur fonctionnalité, ne sont que des chiffres.

A côté de ces extrêmes tout aussi débiles et idéologiques les uns que les autres, il y a des positions plus nuancées, notamment sur les deux points suivants.

Le premier point c'est le fait que l'arrivée en masse d'étrangers dans un pays pose des problèmes nouveaux, qu'il s'agisse de cohabitation, de concurrence économique ou de lutte contre les préjugés des uns et des autres. 

Face à cela il semble pertinent qu'il y ait un pacte plus ou moins formel entre les nouveaux arrivants et un pays d'accueil légitimement soucieux de préserver l'ensemble d'habitudes, de coutumes, de postures et de mémoires qui constituent sa culture.

Le deuxième point c'est la nécessité d'une adéquation entre les besoins économiques d'un pays et l'apport en nouveaux arrivants si l'on veut qu'une immigration ait une chance de fonctionner. Aucun pays n'a évidement intérêt à accueillir des chômeurs supplémentaires.

On en arrive donc aux gens qui souhaitent favoriser une "immigration choisie" au lieu d'une "immigration subie".

Au premier abord, ce calcul, bien qu'un peu cynique, semble tomber sous le sens: à l'époque où l'on manquait de mineurs on allait sillonner les campagnes du Maghreb et de l'Europe du sud à la recherche de travailleurs physiques, aujourd'hui il parait plus judicieux de récupérer des informaticiens plutôt que des malheureux sans autre qualification que leurs deux bras.

Sauf que l'immigration choisie et l'immigration subie sont en fait inextricablement liées.

Pour le démontrer, je vais commencer par détailler le cas, très actuel, du domaine médical.

A peu près tous les pays occidentaux manquent de personnel médical, de manière chronique et de plus en plus marquée.

Les raisons de ce manque sont multiples.

Il y a les changements démographiques, le vieillissement de la population entrainant à la fois le départ à la retraite de nombreux médecins et une augmentation de la demande en soins.

Il y a une crise des vocations, le côté contraignant de ces métiers dissuadant nombre de personnes de s'y engager.

Il y a parfois des raisons politiques comme le numerus clausus français qui bloque le nombre de médecins formés chaque année.

Il y a enfin des raisons techniques et financières, notamment le coût, très lourd pour un état, de la longue formation d'un médecin.

Un peu partout, on a donc recours à la solution de facilité, c'est-à-dire à l'immigration "choisie". Ainsi, les pays vont faire leur marché à l'étranger, principalement dans les pays pauvres.

Quelques chiffres et données sur l'ampleur du phénomène.

1. 80% des infirmières formées au Malawi exercent au Royaume-Uni.

2. L'Obamacare mis en place aux USA augmente de façon brutale un besoin de médecins déjà très important. Ces médecins sont recrutés principalement dans les pays pauvres, à commencer par ceux du continent africain.

A titre d'exemple, on sait qu'aujourd'hui il y a plus de médecins éthiopiens exerçant à Chicago que dans toute l’Éthiopie (pays de plus de 90.000.000 d'habitants quand même).

3. En France, pour pallier au manque de médecins, on a créé le statut de PAMC (Praticiens et Auxiliaires Médicaux Conventionnés).

Ce terme désigne des médecins venus de l'étranger (essentiellement du Maghreb et de l'Europe de l'est), mais qui n'ont pas le statut d'un praticien titulaire du diplôme français.

Les PAMC pallient à nombre de faiblesses de notre système de santé, représentant aujourd'hui pas loin de 10% des actes médicaux (il me semble qu'on était à 8% il y a quelques temps).

Et ça c'est sans compter avec les médecins passant une équivalence pour être titularisés.

Cette immigration présente nombre d'avantages pour le pays d'accueil. Elle pallie à un manque bien réel, elle draine de la matière grise donc fait augmenter le niveau intellectuel du pays, et en plus elle ne coûte rien à l'état puisque la formation est assurée par le pays d'origine du praticien.

J'ai pris l'exemple de la médecine, mais on peut le généraliser à un tas d'autres secteurs.

Que serait les innovations américaine et israélienne sans les armadas de scientifiques quittant leur pays pour s'installer chez eux? Linus Torvalds est finlandais, mais Linux a vraiment pris son envol quand il s'est installé aux USA.

Que serait l'expansion culturelle américaine sans ses immigrés? Shakira est colombienne, Céline Dion canadienne, Paul Verhoeven néerlandais, tous ont fait une carrière internationale depuis les USA.

Donc a priori il faut privilégier l'immigration choisie.

Sauf que cette immigration choisie aura pour conséquence une immigration subie.

En effet, tous ces immigrés dans nos pays sont d'abord des émigrés dans le leur, pour lequel leur départ représente une perte sèche.

D'abord parce qu'un médecin éthiopien exerçant à Chicago ne soignera pas les malades d'Éthiopie. Ensuite parce que le gouvernement éthiopien aura investi en pure perte dans la formation de ce médecin.

L'interpellation de Nicolas Sarkozy par Abdoulaye Wade, le président sénégalais, lorsqu'il vendait son concept d'immigration choisie, avait pour but de souligner ce fait: il s'agit bien quelque part d'un pillage des cerveaux.

Ce pillage, qu'il touche les médecins, les scientifiques ou les businessmen a donc pour conséquence un manque à gagner pour le pays d'émigration.

Le départ de ses médecins l'empêchera de mettre en place une couverture médicale performante, le départ de ses cadres l'empêchera d'améliorer ses infrastructures ou le fonctionnement de son état, le départ de ses chercheurs l'empêchera d'innover, etc.

J'ai un ami roumain né à la fin des années 70 dont toute la classe d'âge est partie à l'étranger: France, Canada, Allemagne, Australie... Tous étaient diplômés, bilingues ou trilingues, motivés, compétents, impressionnants d'ambition et de qualités.

Il me disait aussi que son père, ingénieur dans un laboratoire de recherche, était le seul à être resté au pays après la chute du régime de Ceausescu.

Ces départs massifs illustrent bien mon propos: ils ont représenté une perte pour la Roumanie, ont hypothéqué son développement futur et ont quelque part contribué à la faire stagner.

Et que se passe-t-il dans un pays dont la situation ne s'améliore pas ou trop lentement? Et bien les gens cherchent à en partir.

Et c'est donc là qu'on voit revenir l'immigration subie, que l'on avait prétendument troquée contre une immigration choisie.

C'est pourquoi dire qu'on a le choix entre les deux types d'immigration est un mensonge. L'immigration choisie entraine l'immigration subie.

Et ne vouloir que la première implique un dispositif légal et policier très couteux pour limiter la deuxième, sachant que toutes les mesures de surveillance seront de toute façon inefficaces.

Personne ne peut en effet empêcher des gens insatisfaits de leur situation de tenter leur chance à l'étranger. Le terrible spectacle de ces jeunes africains se lançant à l'assaut du Sahara ou plongeant dans la mer attachés à de simples bidons donne une idée de leur détermination.

Donc si l'on souhaite réellement arrêter ou freiner l'immigration, la seule solution est de faire en sorte que les pays d'émigration offrent à leurs ressortissants des conditions de vie satisfaisantes.

Il y a en effet un point commun chez la majorité des immigrés que j'ai rencontrés, c'est que s'ils en avaient eue la possibilité, ils seraient restés chez eux.

La conclusion c'est que pour espérer arrêter l'immigration subie, il faut arrêter l'immigration choisie. Et a contrario, mettre en place une politique d'immigration choisie implique de gérer une immigration subie. Les deux marchent forcément ensemble.