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vendredi 11 octobre 2013

(Petit) aperçu de la littérature roumaine (3): quelques auteurs

Dans un post de 2009, j'avais exposé plusieurs auteurs roumains que j'avais eu le loisir de lire.

Depuis cette époque, j'ai continué à lire, ce qui m'a permis de découvrir d'autres écrivains de ce pays, cette découverte s'accélérant grâce au salon du livre de cette année, où il était à l'honneur.

J'ai donc décidé de compléter ma liste en citant les auteurs que j'ai depuis rencontrés:

- Ioana Andreescu

Écrivain roumain tôt exilée à Paris (où, comme le voulait la tradition, le "u" de son nom se transformera en "o"), elle y publiera la majorité de son oeuvre et y sera plus connue que chez elle.

J'ai lu "Soleil Aride", ou la vie d'un petit village de Roumanie à la fin de la seconde guerre mondiale, vue par les yeux d'un enfant. Très beau et mélancolique.

- Radu Anton Roman

Cet auteur épicurien est connu dans son pays pour avoir écrit et fait des émissions de télé sur la cuisine roumaine.

Passionné de pêche, il était aussi un grand amoureux du Delta du Danube, région exceptionnelle de Roumanie sur laquelle il a aidé le Commandant Cousteau à faire un reportage et qui lui a inspiré le roman "Des poissons sur le sable".

Ce livre, paru en 1985 et pour lequel l’auteur a eu quelques ennuis avec le régime de Ceausescu, décrit la vie de personnes liées de près ou de loin au petit village de Leteorman, perdu dans le delta, en proie à la pauvreté et à l'absurdité criminelle du communisme. 

Restrictions absurdes, quotas imposés malgré un abandon cynique de la région à elle-même, dénuement, pollution industrielle à grande échelle, persécutions idéologiques, répression du braconnage, manipulations médicales sur les sportifs, corruption institutionnalisée, rien n’échappe à la plume acerbe de Radu Anton Roman.

L’autre face du roman, peut-être la plus importante, est cependant la description de la richesse de ce milieu, de sa faune et sa flore uniques, ainsi que de l’identité des gens qui s’y sont installés au cours du temps et vivent en symbiose avec le Delta.

Dans ce livre, on croise des lipovènes, descendants des dissidents orthodoxes russes fuyant la réforme de leur église, des haholis, héritiers des cosaques ukrainiens réfugiés ici après la chute de leurs territoires, des descendants de paysans roumains ayant fui le servage.

On rencontre aussi un retraité qui préfère la vie dure et froide du Delta à sa vie misérable en ville, un ouvrier tsigane vivant de la charité des habitants une fois que le chantier l’a abandonné, des voleurs de poisson jouant au chat et à la souris avec la police, une femme docteur indomptable qui a fini par s’attacher à la région, une prostituée turque, un commerçant macédonien, un pope inspiré venu en mission dans ce bout du monde, une championne d’aviron au corps déformé par le dopage…

Et surtout, Anton Roman montre l’interdépendance et la solidarité de ce monde difficile et parfois tragique (il décrit notamment un naufrage qui fait plusieurs victimes), où les spectaculaires beuveries sont autant de soupapes et de liens entre ces pêcheurs qui travaillent au coude à coude dans le froid, le brouillard et des éléments hostiles avec des moyens dérisoires.

Bref un beau portrait d’une région fascinante.
 
- Catalin Dorian Florescu

Cet auteur a grandi à Timisoara dans les années 70 avant que sa famille ne fuit le régime communiste pour s'installer à Zurich alors qu'il était encore adolescent. Devenu parfaitement bilingue, c'est en langue allemande qu'il écrit ses romans, obtenant même un prix littéraire suisse.

De lui, j'ai lu "Le turbulent destin de Jacob Obertin", livre picaresque qui raconte la vie d'un souabe balloté par l'histoire mouvementée du XXième siècle.

Ce livre tragi-comique est l'occasion de présenter la saga des saxons de Roumanie, descendants de colons  germaniques (dans le cas du livre ils sont lorrains) recrutés par les empereurs austro-hongrois pour peupler le Banat.

Cette région multiculturelle, aujourd'hui à cheval sur la Roumanie et la Serbie et où cohabitent des villages qui sont autant de communautés (tziganes, roumains, serbes, saxons...) est décrite avec finesse.

Mais ce qui marque le plus ce sont les personnages aux caractères fouillés et réalistes, que l'auteur se garde bien de juger et auxquels on s'attache parce qu'ils sonnent vrai.

Tout comme sonnent vrais les portraits des communautés, l'histoire de la colonisation allemande et la description des malheurs qui se sont abattus sur le pays: échos de la propagande nazie chez les allemands de Roumanie, collaboration puis guerre contre l'Allemagne hitlérienne, déportations des juifs et des tziganes; abominations du régime communiste enfin, sur lesquelles se termine un livre marquant.

- Herta Müller

Les livres de cet écrivain d'origine saxonne s'inspirent de sa propre expérience de l'oppression communiste (elle fut en effet persécutée par le régime de Ceausescu avant de s'enfuir). J'ai lu "la convocation", livre qui lui a valu le prix Nobel de littérature.

Le personnage d'Herta Muller parle de sa vie ordinaire dans la Roumanie de Ceausescu, de son étouffement et des pressions auxquelles elle est soumise suite à une dénonciation.

Toutefois, j'ai pris cette lecture plus comme le portrait intime d'une femme que comme une description de la Roumanie ou de la dictature, qui sont plutôt une toile de fond. Ce livre était difficile et je n'ai pas particulièrement accroché.

- Liviu Rebreanu

Auteur classique roumain, Liviu Rebreanu est née dans la Transylvanie austro-hongroise, où sa communauté était travaillée par l'idée de réunification avec les deux provinces libres.

C'est cette idée, ainsi que sa propre expérience de soldat, qui est le sujet principal de "La forêt des pendus", seul livre de lui que j'ai lu à ce jour.

On y suit le parcours d'un officier austro-hongrois d'origine roumaine, d'abord rigide et fidèle aux Habsbourg, et qui peu à peu est gagné par le doute lorsqu'il doit se battre conte l'armée roumaine.

Ce doute devient un déchirement insoluble entre ses deux allégeances, avant qu'il ne soit finalement condamné à mort pour s'être rangé du côté de son peuple plutôt que de son état.

La forêt des pendus n'est pourtant pas un livre manichéen ou patriote au sens étroit du terme. Au contraire, il insiste sur l'importance et la complexité de ce qui fait un être humain, qui ne saurait être réduit à une caractéristique unique, qu'elle soit ethnique, religieuse ou nationale.

Avec l'histoire de ce soldat velléitaire qui semble se chercher en passant d'une allégeance à une autre, qui subit des influences contraires, qui revient aussi à Dieu après un long détour (on le voit passer par une crise mystique), Rebreanu nous trouble, nous interroge et nous touche.

L'oeuvre la plus célèbre de Rebreanu est le roman "Ion", que je n'ai pas lu à ce jour.

- Bogdan Teodorescu

Bogdan Teodorescu est né au début des des années 60.

Journaliste et professeur en études politiques, il a participé à la campagne et au gouvernement d'Emil Constantinescu, second président de la Roumanie post-Ceausescu et premier non communiste à diriger le pays (il fut précédé et suivi à ce poste par Ion Iliescu, personnage ambigu issu de la nomenklatura communiste).

A ce titre, Teodorescu connut à la fois en tant qu'acteur et spectateur le chaos, l'anarchie et les changements brutaux qui caractérisèrent la période dite "de transition" de son pays, lorsque dans les années 90 la Roumanie sortit de son long repli et s'ouvrit brutalement sur l'extérieur après l'exécution des époux Ceausescu.

Le livre que j'ai lu, "Des mecs bien...ou presque", se passe précisément à cette période.

Il s'ouvre sur le meurtre accidentel d'une journaliste d'investigation en vue, meurtre très commenté dans le pays. L'enquête qui suit est un prétexte à montrer ce qui se passait à l'époque en Roumanie.

Privatisations sauvages, corruption omniprésente, faux semblants, vécus complexes, arrivée d'étrangers qui ne comprennent rien aux habitants mais ne se gênent pas pour profiter de nouveaux clients fabuleusement riches, règne des médias, et bien sur toutes les ambiguïtés des Roumains par rapport au règne communiste, au pouvoir ou à l'argent...tout cela est évoqué par Teodorescu.

Au fil des chapitres, il fait monter le suspense, crée une ambiance pesante, inquiétante. En même temps, on sent qu'il comprend les mobiles de tous ses personnages autant que l'incompréhension de ceux qui peuvent les voir de l'extérieur, et qu'il ne les juge pas forcément, qu'il réussit à avoir ce double regard sur son pays.

 
Le livre se termine sur un constat glaçant, dévoilé au fur et à mesure des chapitre via les confidences d'un vieux membre de la Securitate: en fait, après quelques exécutions publiques et la dégradation spectaculaire de quelques boucs émissaires, les services secrets mis en œuvre du temps de la république populaire sont toujours présents.

Et pire, ce sont précisément ces réseaux qui détiennent le vrai pouvoir en Roumanie.


Ils ont simplement troqué leurs oripeaux de policiers politiques pour d'autres plus conformes à la mise en scène de la démocratie et se sont réfugiés en arrière-plan, d'où ils tirent les ficelles. On pense à la Russie toute proche, à l'Algérie aussi.

"Des mecs bien...ou presque" est un très bon polar, très instructif pour décrypter une période confuse et compliquée, mais décisive pour la Roumanie. Il m'a donné envie de continuer  avec cet auteur.

lundi 7 décembre 2009

(Petit) aperçu de la littérature roumaine (2): quelques auteurs

Du fait de l'histoire complexe précédemment exposée, les écrivains roumains sont donc d'origines très variées.

Parfois leur langue d'écriture n'est d'ailleurs pas le roumain, mais l'allemand ou le français, le premier parce que c'était leur langue maternelle, le second choisi par commodité ou intérêt, parce que c'était la langue internationale, et aussi par francophilie.

Il existe aussi des roumains de langue magyare, mais je n'ai pas eu l'occasion d'en lire.

Voici donc ceux que j'ai pu rencontrer:

- Emil Cioran: On ne présente plus cet écrivain, essentiellement d'expression française, qui chante l'absurdité du monde avec un désespoir classieux...je n'ai lu que "Syllogismes de l'amertume", et je n'en suis toujours pas remis (!).

- Ion Creanga: Cet écrivain, que je n'ai pas encore lu, est un classique de la Roumanie. Il a écrit "Souvenirs de mon enfance", dont j'ignore s'il est traduit en français, où il raconte sa jeunesse de petit moldave. Il est aussi l'auteur de contes, je crois, très populaires.

- Mircea Eliade: Érudit, historien des religions, philosophe, polyglotte (il parlait huit langues, dont l'hébreu et le sanscrit) Eliade est un monstre de la littérature roumaine. Il a écrit en roumain, en français et en anglais, de magnifiques romans.

De lui j'ai lu "Le serpent", un conte fantastique, et "La nuit bengali", un livre splendide qui serait une autobiographie déguisée et qui parle de l'amour impossible d'un Européen et d'une Indienne dans l'Inde coloniale.

- Virgil Gheorghiu: Ce pope et fils de pope (la religion orthodoxe roumaine autorise les popes à avoir des enfants) a vécu la majeure partie de sa vie en France, ayant fui les dérives de son pays, où il est assez peu connu. Proche des idées de Soljenitsyne, il a écrit le magnifique "La vingt-cinquième heure".

Ce livre dénonce avec violence les perverses idéologies nazie et communiste, ainsi que la bureaucratisation et la déshumanisation d'un monde moderne qui classe les gens selon des catégories abstraites et que la technologie éloigne de l'humain.

- Panait Istrati: Encore un étonnant personnage. Né dans la petite ville cosmopolite de Braila d'un père grec et d'une mère roumaine, Istrati a passé une grande partie de sa vie à assouvir ses deux passions: la lecture et le voyage.

Ayant atterri en France, il y a commencé, dans notre langue, une œuvre passionnante dont la pièce majeure est le cycle des mémoires d'Adrian Zograffi, qui est en quelque sorte son autobiographie ainsi que sa profession de foi politique.

Toujours du côté des pauvres gens et épris de justice sociale, il a été communiste jusqu'à un voyage en URSS où, après avoir échappé aux circuits officiels, il s'est baladé quelques temps pour en revenir horrifié et sortir des livres dénonciateurs qui lui ont valu d'être excommunié par l'intelligentsia française.

Rejeté par notre pays et déjà ostracisé dans le sien, dont le régime était alors très à droite, il est mort oublié et dans la misère.

Ses livres ont l'aspect de contes, un côté très oriental et dépaysant, et sont aussi profondément humains. Je conseille la lecture de "Kyra Kyralina" et "Codine".

- Florin Lazarescu: C'est un jeune écrivain roumain dont j'ai acheté le roman "Notre envoyé spécial" sur son simple nom.

Je ne peux pas dire que j'ai vraiment aimé le style, mais c'est un livre très malin, dans le sens où des chapitres qui semblent n'avoir rien à voir les uns avec les autres finissent par s'emboiter.

Ça montre le Bucarest déjanté d'aujourd'hui, avec sa société speedée et les fantômes omniprésents de l'ère Ceausescu.

- Dan Lungu: Encore un écrivain contemporain, que j'aime vraiment beaucoup. Ses deux livres "Le paradis des poules", et "Je suis une vieille coco" se suivent vaguement, mais on peut les lire indépendamment.

Ils racontent tous les deux l'histoire de gens qui ont du mal à se situer dans l'époque actuelle, très dure, et soulignent toute l’ambiguïté des relations que les Roumains entretiennent avec leur passé communiste.

Accessoirement, c'est très drôle et très bien vu, surtout le second ("Je suis une vieille coco").

- Norman Manea: Juif moldave, Norman Manea a connu les déportations en Transnistrie, puis le régime communiste et toutes ses pesanteurs.

Émigré de Roumanie à la fin du communisme, il est apparemment le Roumain le plus traduit au monde, bien que peu connu en Roumanie et en France.

J'ai lu "L'heure exacte" de lui, que j'ai eu un mal fou à avaler, tant le style me rebutait. Son roman le plus encensé est "Le retour du hooligan", que je pense lire un jour. Il a dit que la langue roumaine était sa patrie.

- Gib I. Mihaescu: Cet écrivain de l'entre-deux-guerres, période qui fascine les Roumains d'aujourd'hui, a connu un long purgatoire pendant le régime communiste avant d'être réhabilité.

De lui j'ai lu "La femme russe", histoire des déboires sentimentaux et psychologiques d'un lieutenant roumain affecté au contrôle de la frontière russe dans la région qui a donné l'actuelle république moldave.
 
Le personnage attend avec impatience et fascination l'arrivée de la femme russe, fantasme absolu, tout en gérant l'afflux quotidien de réfugiés quittant l'URSS et en vivant des amours plus prosaïques avec la femme d'un contrebandier.

Ce livre vaut surtout pour l'ambiance et l'introspection du héros, mais il parait que ce n'est pas son meilleur.

- Camil Petrescu: Encore un auteur classique de la Roumanie. J'ai lu son livre le plus connu, "Dernière nuit d'amour, première nuit de guerre", un excellent roman, qui s'articule en deux parties.

La première raconte la naissance, l'apogée puis le naufrage d'un amour, la seconde parle de l'entrée de la Roumanie dans la première guerre mondiale, quand les armées roumaines ont envahi la Transylvanie autrichienne.

Le regard de Petrescu est très lucide, voire cynique, aussi bien sur le sentiment amoureux que sur la guerre, décrite de façon réaliste et à des kilomètres du discours héroïque et ronflant qu'on peut entendre ailleurs.

- Eginald Schlattner: C'est un écrivain roumain issu de la communauté des allemands de Transylvanie. Je n'ai rien lu de lui, mais j'ai vu le film "Le coq décapité", adapté de son livre du même nom.

Ce livre raconte l'histoire de quatre jeunes Allemands de Roumanie nés avant la seconde guerre mondiale, et montre à travers leur parcours les déchirements de cette communauté qui va disparaitre après des siècles d'histoire.

- Rina Frank: Ça, c'est le bonus. En effet, cette femme est un écrivain israélien, mais de parents roumains. Son livre "Chaque maison a besoin d'un balcon", raconte sa jeunesse dans un quartier pauvre d'Haïfa, et sa famille et son caractère sont vraiment très roumains, c'est pourquoi je rajoute ce livre dans la liste.

Voilà, c'était mon partage d'aujourd'hui. La Roumanie a beaucoup à offrir, c'est un trésor méconnu et c'est bien dommage.


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