lundi 1 septembre 2025

Pays disparu

Il y a pas mal d'années je me suis retrouvé à dîner dans un restaurant libanais de la banlieue parisienne, et en discutant avec le patron, celui-ci me dit que son pays avait disparu.

Il faisait référence à la bascule de population qui avait transformé sa ville d'origine, la faisant passer selon ses dires d'une cité multi religieuse, jouisseuse et sécularisée à un bastion du chiisme aux femmes voilées.

Il devait avoir la cinquantaine, était très factuel et aussi simple que sans concession dans sa description. Ce dialogue m’avait marqué.

Aujourd'hui j'ai moi aussi la cinquantaine et cette conversation me revient insidieusement.

Nous ne sommes pas le Liban mais il faut être aveugle pour ne pas constater la communautarisation en cours.

A la séparation par l'argent, qui a toujours existé mais s'est amplifiée avec l'explosion des prix de l'immobilier des dernières décennies, s'est ajoutée une autre séparation, par l'origine et par la religion, et il est de plus en plus évident que celle-ci est un choix globalement assumé, et pas seulement par le côté qu'on croit.

J'ai ainsi été frappé de constater dans la maternelle de mon aîné la mise en place spontanée de deux groupes de parents pendant les événements type fêtes ou réunions: les mères voilées d'un côté, celles qui ne l'étaient pas de l'autre.

Parmi les familles de cette banlieue, maghrébines, chinoises, africaines, portugaises, moldaves, roumaines ou françaises "de souche", c'est là qu'était la frontière principale.

Je notais aussi parmi les mères voilées, surtout les jeunes, un évitement évident envers moi, avec des regards fuyants et une prise de distance automatique, probablement parce que je suis un homme.

Mon fils devenu grand m'a dit avoir constaté à l'IUT la poursuite de cette séparation, les filles voilées et les garçons ne se mélangeant pas dans les amphis.

Pas de franche hostilité ceci dit, plutôt une volonté affirmée de se préserver du mélange et une priorité accrue donnée aux lois et coutumes d'origine.

J'ai aussi remarqué cela dans les VVF, où des mères musulmanes, ignorant totalement les instructions affichées partout, venaient surveiller leurs enfants à la piscine complètement habillées, chaussées et voilées.

Le communautarisme est globalement la norme dans l'Europe du nord et dans le monde anglo-saxon, ce qui a sans doute encouragé notre gauche, toujours avide de contre-modèles, à l'adopter, et notre société jadis assimilatrice à y adhérer.

Les tendances de notre démographie, avec une hausse constante du poids de l'immigration dans les naissances (Nicolas Fourquet nous indique que 25% de nos bébés sont issus de deux parents étrangers et que 20% d'entre eux ont des prénoms musulmans) favorisent évidemment cette option.

On n'est pas dans le mythique grand remplacement, mais le changement est bien réel, profond et documenté, n'en déplaise aux démographes politisés qui transforment les Pieds-Noirs en Maghrébins (ces magouilles étant une preuve en soi du phénomène).

Je parle de l'islam et de son importance à cause du restaurateur qui m'a inspiré ce post et à cause de son poids dans notre immigration, mais ma réflexion va au-delà de ça.

Un exemple frappant de l'impact de ces mouvements de population pour le quinquagénaire que je suis est la prononciation de mon nom.

Il n'a posé de problème à personne pendant mes trente premières années d'existence mais aujourd'hui il est écorché dans 90% des cas.

Ce n'est ni intentionnel ni malveillant, c'est juste que mes interlocuteurs immigrés (car les immigrés restent surreprésentés dans les jobs d'accueil et/ou à faible valeur ajoutée) ne connaissent tout simplement pas la prononciation correcte parce qu'ils ont un autre bagage.

Je ne veux toutefois pas tomber pas dans le piège facile d'expliquer tous les changements de la société française par l'immigration de masse: il ne faut pas oublier que depuis toujours, chaque génération opère des ruptures avec les précédentes.

Par exemple un retour de Dieu et un souhait d'ordre après la vague soixante-huitarde n'ont rien de surprenant.

Il est aussi logique que l'avènement des smartphones, de l'hyper connectivité et des réseaux sociaux changent les modes de vie et les comportements: on le voit dans absolument tous les pays du globe, immigration ou pas.

L'accroissement du poids de l'UE est également puissamment structurant: la norme vient désormais autant sinon plus de Bruxelles que de Paris, et là-bas c'est le plus petit dénominateur commun entre membres qui prime, c'est-à-dire bien souvent l'influence étasunienne.

Enfin nos sociétés européennes et française n'ont jamais été aussi vieilles, et l'on sait que l'âge a un impact sur la perception des nouveautés, de la mentalité, du risque et des modes de vie.

A cinquante ans, on a déjà fait un bout de chemin et le monde de sa jeunesse n'existe plus. Du coup, peut-être bien que chaque génération finit par vivre dans un pays disparu, que c'est la norme, un sentiment naturel.

Et du coup pour en revenir à mon point de départ et à mon restaurateur libanais, qui sait si sans chiites il n'aurait pas fini par ressentir cette impression sous une forme ou une autre?

Bien évidemment, le changement qu'il décrivait est objectif, tout autant que celui qui se passe chez nous, mais je pense qu'il est toujours difficile de faire la part des choses et tentant de tout expliquer par une cause unique et de de penser que c'était mieux avant.

Ce piège m'est apparu très clairement en lisant L'identité malheureuse d'Alain Finkielkraut, où l'auteur décrivait des situations et des problèmes bien réels mais dont les phrases et les questions étaient aussi celles d'un vieil homme qui comprenait moins son époque.

Mon pays disparaît ou change plus vite que moi.

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