lundi 22 septembre 2025

L'arabité de la France

Il y quelques temps, j'avais vu une interview de la journaliste Florence Aubenas où elle proclamait que la France devait reconnaitre son arabité, tout comme les Américains sont censés reconnaitre leur hispanité.

Elle ajoutait que l’arabe était la deuxième langue du pays, qu'on devrait la reconnaitre et la promouvoir, et proposait pour cela que l'on mette entre autres le paquet sur son enseignement, et elle se désolait du peu de cours et d'élèves dans cet idiome.

Ça me semble un raccourci facile et teinté d'idéologie. Je vais expliquer pourquoi.

1- Des liens anciens et réels entre la France et le monde arabe

Dire que la France et le monde arabe ont des liens forts depuis très longtemps, c'est vrai.

Il y eut d'abord la grande invasion arabe, avec des conquérants qui montèrent jusqu'à Poitiers, comme le dit la tradition, et occupèrent durant un siècle une partie de notre sud.

Pendant l'apogée de cette civilisation qui fut un trait d'union entre Afrique, Europe et Asie, la langue arabe devint un vecteur de science et de culture qui rayonna sur notre continent et notre pays, de nombreux termes étant introduits à ce moment-là dans le français.

Ensuite il y eut les croisades, longue période au cours de laquelle les chevaliers européens envahirent la Palestine et le Liban après que les pouvoirs musulmans en place y aient interdit les pèlerinages chrétiens. La France fut très présente dans ce mouvement.

Après cela, il y eut la campagne napoléonienne d'Égypte, durant laquelle les troupes françaises renversèrent les Mamelouks et firent de ce pays un ami/obligé de l'Hexagone.

A partir de cette date naquit une passion française jamais démentie pour le pays des Pyramides, les ingénieurs hexagonaux y dirigeant la mise en place du canal de Suez et tentant de s'y implanter avant de se faire devancer par le Royaume-Uni.

Il y a également les liens séculaires tissés avec les chrétiens d'Orient, clients traditionnels de la France du temps de l'empire ottoman, suivi, lorsque ce dernier fut démantelé, par les mandats sur la Syrie et le Liban.

Il y eut enfin la constitution d'un Maghreb français, commencé en 1830 par la conquête de l'Algérie et terminé en 1962 par l'indépendance de ce même pays.

Porté par cette histoire, il y eut enfin et surtout les flux migratoires associés, qui sont aussi anciens que conséquents et qui continuent encore aujourd'hui.

Pieds-noirs s'installant en Algérie puis expulsés 130 ans après, migrants maghrébins coloniaux, puis de travail, puis de regroupement familial venus en France, Libanais venus faire du business ou fuir la guerre civile, depuis peu retraités s'installant au Maroc ou stars y achetant un pied-à-terre, etc...

Les liens sont donc indéniables, les échanges anciens et profonds, et d'un point de vue linguistique, les termes arabes passés dans le français sont légion (le contraire est aussi vrai), sans qu'on en soit forcément conscients, et le Maghreb reste notre premier fournisseur de migrants, avec des diasporas présentes sur tout le territoire.

2- Quelle langue arabe?

Pour autant, la langue arabe est-elle la deuxième langue de France? Il serait intéressant de savoir tout d'abord de quel arabe on parle.

En effet l'arabe est plus un groupe de langues qu'une langue, et dans la plupart des pays de cette aire linguistique, il y a au minimum deux arabes, celui qu'on écrit et celui que l'on parle.

Le second est en général compris et parlé par la majorité mais ni codifié ni écrit, et le premier est la langue savante unifiée, dont la maitrise est le fait d'un nombre plus ou moins grand d'habitants, sachant que chaque pays le prononce par ailleurs à sa façon.

Si l'on ajoute que dans beaucoup de ces pays il existe d'autres langues, comme les langues berbères maghrébines (on sait que la part des kabyles dans l'immigration algérienne en  France est majeure), antérieures à l'arabe, ou le français que le départ des colons n'a pas éradiqué, on voit que le tableau est loin d'être simple. 

D'ailleurs aujourd'hui encore et surtout au Maghreb, qui est quand même la zone d'origine de 90% de ceux que Madame Aubenas désigne, on se débat dans des questions identitaires où la langue n'est pas le moindre souci.

Pour donner une idée de la complexité du problème, un ami marocain me disait que la distance entre le marocain de la rue et l'arabe littéraire unifié est la même que celle qu'il y a entre le latin et le français, et un collègue tunisien vivant en France qu'il était impossible d'apprendre sa langue à sa fille de manière formelle, d'autant moins que sa femme étant marocaine, l'arabe des deux parents n'était donc pas le même.

En fait, ces arabes dialectaux ne sont ni codifiés ni appris dans aucun des pays où on les parle.

Actuellement, la plupart des pays dits arabes tentent d'imposer l'arabe littéraire à l'ensemble de leur population, parfois à côté d'autres langues, coloniales, autochtones ou de business, parfois de manière unique mais dans l'idée, issue du panarabisme jadis flamboyant, d'arriver à recréer par la langue l'unité fantasmée des premiers califats.

Mais en parallèle il y a certains militants qui déclarent vouloir faire connaitre à l'arabe le destin des langues latines, à savoir l'abandon de la langue mère pour la remplacer par les langues parlées au quotidien.

En gros, comme le latin a généré notamment le français, le portugais, l'espagnol, l'italien et le roumain, ils voudraient que de l'arabe sortent une langue algérienne, marocaine, tunisienne, égyptienne, etc.

Ce mouvement est aujourd'hui anecdotique, mais qui sait dans quel sens soufflera le vent demain? Il semblerait qu’on constate par ailleurs un désintérêt relatif de l’arabe unifié au profit des dialectaux, mais aussi…de l’anglais comme partout ailleurs.

Du coup l'idée de faire apprendre l'arabe en France est techniquement compliquée, puisqu’à l'inverse des enfants de Chinois, d'Iraniens ou de Polonais, la langue enseignée aux Français issus du monde arabe ne sera pas celle de leurs parents, mais une langue construite, surtout utilisée à l'écrit et que généralement ils ne parleront pas.

L'histoire prouve qu'il est très difficile de faire adopter une langue recrée ou oubliée: je ne connais que le cas de l'hébreu israélien qui ait réussi (le gaélique n'a jamais vraiment repris en Irlande, par exemple).

Cette petite digression sur la langue est le premier point, à savoir comment mettre techniquement en oeuvre l'enseignement d'une langue diglossique et savante qui ne parlera à pas grand-monde.

3- L'arabité de la France

Quant à l'arabité de la France, de quoi parle-t-on exactement?

Doit-on également parler de la part ibérique de la France, puisqu'on a reçu des immigrations portugaise et espagnole? Ou de sa part slave, puisqu'on a reçu également beaucoup de Polonais et de Russes?

Et à quoi rattacher sa part italienne, si importante dans le temps?

Et où met-on la vague subsaharienne actuellement en expansion? 

Les "Arabes" de France sont-ils des Français distincts des autres, différents et voués à le rester ou bien une souche parmi toutes celles qui ont fait et font notre pays?

Les promoteurs du multiculturalisme sont d’avis de figer chaque communauté pour l’éternité, eux qui semblent considérer que tout un chacun doit rester dans sa case d'origine à tout jamais (oubliant au passage que cette case est elle-même le résultats de mouvements historiques et de mélanges).

Mais outre que cette idée est à l'opposé de toute l'histoire de notre pays, l’appliquer risquerait de compliquer encore plus le fonctionnement de nos sociétés déjà bien fragmentées. 

D'ailleurs si l'on valorise et reconnaît l'arabité, quid des autres identités autochtones et de leurs langues associées ? Doit-on relancer l’enseignement du breton, de l'occitan, des créoles, du corse, de l'alsacien, du chti, j'en passe et des meilleurs?

4- Conclusion 

Je pense comprendre ce qu'a voulu dire Florence Aubenas.

Les origines arabes sont globalement mal vues en France, pour différentes raisons.

Il y a d'abord tout un refoulé colonial qui touche les deux côtés des Français et dont on n'arrive pas à se dépêtrer.

Il y a la sur représentation du Maghreb parmi nos criminels et délinquants, comme jadis ont pu l'être les Italiens, ce qui amène à des raccourcis faciles et fait oublier tous ceux qui font tourner le pays dans la discrétion à côté des autres Français.

Il y a le jeu pervers joué par nos ex-colonies, Algérie en tête, qui utilisent sans vergogne la culpabilité occidentale pour mener leur barque et mobiliser leurs populations.

Il y a la confiscation de cette aire culturelle par des mouvements islamistes et identitaires qui veulent plaquer leur vision monolithique, fermée et rigoriste sur cette culture, pourtant aussi riche et diverse que toutes les autres.

Mais en réalité, les cultures francarabes existent depuis des lustres.

Elles sont nées des échanges, des confrontations et des influences mutuelles.

Elles ont créé des lieux de vie, des musiques, des modes, des plats, des habitudes.

Elles ont donné des films, des magazines, des labels de musique, des cafés.

Des artistes comme Lili Bonniche, Khaled, Enrico Macias, Zebda, Rachi Taha et tous ceux que je ne connais pas ont un pied plus ou moins important dans cette culture, et leurs successeurs plus jeunes sont encore plus nombreux.

Que cette part de France ait droit de cité, qu'on en valorise la richesse et les côtés positifs, qu'on en montre les nuances pour sortir du cliché arabe = racaille/trafiquant/terroriste me semble en effet important.

Mais pour toutes les raisons citées plus haut que pour cela on mette le paquet sur la langue arabe me semble une mauvaise idée.

Sans compter deux derniers arguments plus pragmatiques.

Le premier c'est de savoir comment on financera cette nouvelle option, qui concernera malgré tout une minorité d’élèves: à l’heure des vaches maigres cela pose question.

Le deuxième c'est l’effondrement du niveau en français, qui devrait être la priorité de ce pays.

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