dimanche 11 novembre 2018

Légitime défense

Une pharmacienne de mon entourage a vu son établissement braqué pour la deuxième fois. Courageusement, elle a réussi à enfermer le voleur dans l'entrée avant d'appeler la police...

...qui l'a rappelée à l'ordre: elle n'avait pas à faire cela, et le voleur aurait légitimement pu porter plainte et gagner.

Gagner, c'est d'ailleurs ce qui est arrivé à ces voleurs surpris par un agriculteur qui a vu rouge et a détruit leur fourgon avec son tractopelle. Les truands ont porté plainte et obtenu des dommages et intérêts (ICI un article rappelant les faits).

Je terminerai cette liste introductive en citant Stéphane Turk, bijoutier niçois qui a abattu la jeune racaille venue l'agresser et le braquer arme au poing. Condamné à 5 ans de prison il invoquait le précédent braquage qu'il avait subi et pour lequel justice n'avait jamais été rendue (articles ICI et ICI).

Nous avons là trois personnes qui ont subi un préjudice et qui ont décidé de se faire justice elles-mêmes et/ou d'intervenir.

Le degré est différent dans les trois cas (enfermer une personne en appelant la police n'est pas tuer son agresseur), mais l'idée est similaire, et l'issue est la même: la personne qui riposte est condamnée ou a minima blâmée.

Deux choses m'ont frappé dans ces histoires.

Le fait qu'il s'agissait de personnes ayant déjà subi la même agression précédemment, avec rien à la clé.

Et le fait que les agresseurs ou leurs proches ont fait preuve de suffisamment d'aplomb pour porter plainte, sachant qu'à la base c'est quand même eux qui ont déclenché le conflit (je me souviens notamment de la famille de l'agresseur de Turk ne trouvant "pas grave" ce qu'avait fait son frère, vu que le bijoutier serait indemnisé par l'assurance).

Cette espèce d'inversion des rôles est assez troublante.

Je suis d'accord pour souligner le danger des démarches type Un justicier dans la ville et pour constater que les tribunaux extraordinaires des lyncheurs et autres révolutionnaires sont généralement aux antipodes de la vraie justice, laquelle est souvent lente et incertaine et ne se rend que de façon méthodique et laborieuse.

Mais cette vraie justice, qui permet de se passer de la légitime défense, est-elle vraiment là? Peut-on justement compter sur elle?

Nous connaissons tous des agresseurs impunis, avons conscience des délais de jugement parfois délirants et du nombre de peines non appliquées, aux conséquences parfois tragiques comme ce djihadiste qui a tué deux jeunes femmes de Marseille alors qu'il était déjà condamné à l'expulsion (une application de sa peine aurait permis à ses victimes d'être toujours vivantes).

Nous avons tous acquis des réflexes comme fermer les portes à clé et intégré le fait que posséder un vélo en ville est impossible sans local verrouillé et antivols (tout en sachant qu'en plus ça ne garantit rien).

Si l'on creuse, on voit aussi que les budgets de la police et de la justice sont chroniquement rognés, que le sous-effectif est patent, et que la politisation est reine dans les prétoires, biaisant les jugements et la bonne analyse des faits.

Et tout cela au moment où la chute du mur de Berlin, l'espace Schengen et la déferlante migratoire entraînent une mutation profonde de nos sociétés et l'apparition de méfaits jusque-là inconnus ou d'un autre temps (récoltes cueillies sur pied pendant la nuit, équipements communs intégralement dépouillés de leurs câbles électriques, attaque de touristes par des bandes de pickpockets mineurs...).

Au final, beaucoup de gens sont convaincus qu'il n'y a pas de justice dans notre pays et que les criminels y sont trop souvent impunis.

Ce sentiment est d'ailleurs renforcé par la culture de l'excuse et le côté "glamour" de la délinquance, encore assimilée à de la rébellion par beaucoup de nos médias, pour qui le voyou et la transgression sont romantiques et le respect des règles et des lois ringard.

Dans ce contexte, la tentation de se faire soi-même justice vient assez naturellement, c'est presque dans l'ordre des choses.

Et cela va dans le sens général de la défiance croissante que nous avons envers nos dirigeants et institutions.

C'est un autre aspect inquiétant des tendances de notre société contre lequel on serait bien avisé de réagir vite.

jeudi 28 juin 2018

Cinema (19): Dingo

A tort ou à raison, le jazz m'a toujours semblé être une musique suscitant tout particulièrement la passion, une passion plus exigeante et violente que la pop, le rock ou autre.

Peut-être est-ce moi qui lui donne un côté monument sacré, comme la musique classique (peut-être même plus que la musique classique) parce que j'ai toujours eu du mal à rentrer dedans? Ou alors est-ce le côté virtuose, censément plus prononcé dans le jazz? Le côté instrumental?

En fait je ne sais pas, mais j'ai toujours ressenti une sorte de complexe d'infériorité de ne pas savoir apprécier la blue note.

Le jazz est en tout cas la passion de Dingo, le héros du film éponyme dont je vais parler aujourd'hui, sorti en 1992 et réalisé par le cinéaste australien Rolf de Heer, et une grand partie de son sujet.

Dingo est le surnom d'un habitant d’un village perdu dans le bush australien, dont la vie banale, entre familles et amis, va être littéralement bouleversée par un événement extraordinaire.

Alors qu’il n'est qu'un enfant, un avion doit en effet se poser en catastrophe sur la route de son village, du fait d’une quelconque avarie.

Or cet avion transporte un trompettiste de génie, Billy Cross (interprété par Miles Davis) qui profite de la halte pour improviser avec son groupe un petit concert pour les habitants du village.

Ce show est une véritable révélation pour le petit garçon, à qui le trompettiste, voyant sa fascination, suggère de venir le voir à Paris dans quelques années, "quand il saura jouer".

A partir de là, la vie de Dingo est toute entière tendue vers l’idée de ce voyage à Paris et vers l'apprentissage de la trompette.

Littéralement dévoré par sa passion, il lui sacrifie tout, composant chez lui, jouant inlassablement et ne parlant que de son but à tout le monde, se faisant charrier sans cesse sur le sujet...

Une scène frappante illustre bien le décalage. Alors qu'il anime un bal avec des musiciens du coin, il se lance tout à coup dans un solo aérien, complexe et onirique, larguant ses collègues et cassant complètement l’ambiance festive.

Reprenant conscience à la fin, il se rend compte du silence et l'on voit les regards mi-énervés mi-sidérés d’un public qui ne le comprend absolument pas.

Après des années passées à mettre de l’argent de côté (dans le dos de sa famille) et à envoyer ses compositions au maître, il finit par se faire inviter de nouveau par celui-ci à Paris.

Cassant la tirelire et armé de son seul enthousiasme, il va alors quitter le bush et prendre l’avion pour les antipodes.

La rencontre tant attendue a lieu, et comme dans ses rêves, il se retrouve à faire le bœuf dans une boîte à jazz parisienne avec Billy Cross lui-même, que sa visite a convaincu de sortir de la retraite où il s'était retiré, blasé.

Mis en avant par les musiciens, il réussit, dans un solo mémorable, à véritablement sortir son âme de sa trompette, renvoyant vers l'assistance l'image des longues soirées au milieu des immensités de l’outback australien qui ont façonné sa musique.

Un outback où il va en fait revenir, enfin apaisé et convaincu que là y est sa place, dans son univers, près de sa famille et de la source de ses rêves et de son inspiration.

Film sans prétention, Dingo m’a néanmoins beaucoup touché, à la fois pour les portraits de gens simples et attachants, pour cette description de la transcendance que peut constituer la musique et pour l’espèce de sagesse malicieuse dont fait preuve le réalisateur.

Une peu comme La visite de la fanfare dont j’espère parler un jour, ce film fait du bien, montrant que l’humanité se niche finalement partout, que les rencontres sont toujours possibles et souvent bénéfiques, et que les rêves trop grands peuvent quand même parfois se réaliser.

vendredi 1 juin 2018

J'voulais juste brillé

Un de ces week-ends, mon fils et un de ses copains se bidonnant devant une vidéo qu'ils passaient en boucle, je suis allé la voir par curiosité.

J’ai alors découvert Alex du 76, un improbable rappeur amateur normand dont le titre s'appelle J’voulais juste brillé.

Mal filmé, mal enregistré et sonorisé, très cheap, avec d’étranges danseuses en surpoids et un interprète au charisme approximatif (mais qui semblait se prendre très au sérieux), ce truc était assez pénible à regarder, impression renforcée par le festival de fautes d’orthographe de l'incrustation finale.

En résumé, on avait l'impression d'une mauvaise copie de ce que le rap produit au kilomètre, une sorte de série Z mal ficelée et au manque frappant de moyens.

Pour moi qui ne goûte guère l'imagerie rap, je trouvais ça naze, mais finalement guère plus que le tombereau de nanars produits par des dizaines d’amateurs sur le net chaque mois, ou même que les œuvres de certains rappeurs connus.

Pourtant il s’avère que ce clip, mis en ligne en 2012, avait été consacré à l’époque comme pire titre de rap de l’année, au point que son auteur avait fini par le retirer.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais quelqu’un a eu la bonne idée, six ans plus tard, de le remettre en ligne, et c’est reparti.

En cherchant à en savoir plus sur cet Alex, j'ai ensuite découvert Amandine du 38 (dont parle curieusement le Wikipedia anglais mais pas le français), malheureuse "rappeuse" qu'un clip, à côté duquel celui d'Alex du 76 fait presque figure de chef d’œuvre, a transformé en phénomène.

La publication de ce morceau a en effet fait basculer sa vie. Elle a été pistée, harcelée, emmerdée et moquée sans fin, à la fois par ses proches, par des internautes au sens large, et même par des rappeurs établis comme Booba (les Inrocks racontent sa malheureuse saga ICI).

Devenue un mème malgré elle, objet de toutes sortes de rumeurs, elle a tenté plusieurs fois de renverser la vapeur, mais ses excuses n'ont eu aucun effet, pas plus que les coups de gueule d'Alex du 76 qui tenta les "clashs" comme réponse aux moqueurs.

On peut se demander pourquoi cet acharnement et pourquoi eux.

Pour Alex, le rural en moi soupçonne le bon vieux mépris du plouc, un des rares qui soit encore dépénalisé puisque même Télérama continue à s'y adonner (cf. l'hallucinante chronique sur les Vendéens venus affronter le PSG), cet Alex venant de la région de Fécamp.

Amandine vient elle aussi d'une petite ville, mais peut-être qu'à l'heure de l'hystérie antiraciste c'est le fait d'être une blanche qui parle du Sénégal (son "titre" est basé sur ses expériences dans ce pays où elle vécut quelques années) qui l'a aidée à devenir une cible. Des fake news l'ont d'ailleurs fait passer pour une raciste.

Mais au fond, peu importent les raisons.

Dans les deux cas nous avons des jeunes pas forcément très malins, en tout cas dépourvus de recul, qui produisent une chanson mauvaise et mal ficelée et qui suite à ça subissent une sorte de lynchage.

Il s'agit là d'une nouvelle version du vieux phénomène de la tête de turc, auquel la caisse de résonance infinie du web donne une ampleur inédite

Taper sur quelqu'un de plus faible semble toujours être un plaisir pour beaucoup de monde, mais aujourd'hui Internet permet de le faire plus confortablement et de loin.

Sans doute les harceleurs se sentent-ils supérieurs, plus malins que le pauvre type qu'ils humilient? Je n'ai jamais vraiment compris ce vice.

En attendant, ces tristes histoires illustrent un aspect méprisable et bien réel de la nature humaine, et aussi et peut-être surtout les dangers du net. 

En effet, rien n'y disparaît jamais vraiment, comme l'ont constaté Alex du 76 et Amandine du 38, qui, aussi mauvais soient-ils, ne méritent pas de subir ça aussi longtemps. 

Personne ne le mérite en fait.

jeudi 3 mai 2018

Réflexion sur les tics de langage

Une des vendeuses de ma boulangerie favorite complète chaque commande par un "Il vous fallait autre chose?". Elle m'a inspiré le post d'aujourd'hui que je vais consacrer aux tics de langage.

J'entends par là ces petites phrases, expressions ou ponctuations verbales qui reviennent régulièrement, plus ou moins consciemment, lorsqu'on s'exprime.

On en trouve beaucoup dans le monde professionnel, entre les anglicismes (c'est un "must have") ou les termes méthodologiques ou techniques du moment (par exemple pour l'informatique big data, méthode agile, etc.).

Il ne s'agit évidemment pas de critiquer par principe -les termes techniques sont légitimes dans tout secteur d'activité- mais de noter ceux qui sont ressortis à toutes les sauces ou en dehors du contexte juste parce qu'ils sont tendance.

Les citer est bien souvent du simple suivisme ou snobisme, et ils sont parfois employés de façon si creuse ou caricaturale que cela en devient comique. Le célèbre bullshit bingo joue judicieusement avec ce travers.

Les tics de langages peuvent aussi être symptomatiques d'une époque, d'une génération et d'une mode, être un espèce de marqueur communautaire ou de groupe.

"C'est bath", "C'est clair", "Pile poil", "3615 j'existe", tous ces gimmicks ont marqué une période avant de sombrer dans le ringard et/ou l'oubli. Et c'est sans fin: il y en a plein d'autres que je ne connais pas et ne connaîtrai jamais, notamment dans les générations qui suivent la mienne.

Ces tics peuvent aussi être un défaut se révélant lors des prises de parole en public. Par exemple, beaucoup (trop) d'orateurs ponctuent une phrase sur deux par un "euh" ou un "donc", qui enlaidissent et surchargent leur propos.

Enfin il y a les tics qui sont propres à une personne, et c'est ceux-là qui me marquent le plus et me mettent mal à l'aise.

L'imparfait employé par la boulangère du début m'irrite au plus haut point, et de ce fait je l'attends toujours, fébrilement et avec autant d'appréhension que de fureur.

Idem pour les innombrables "donc" semés par mon ex-N+2, qui finissaient par me faire ne plus entendre ce qu'elle voulait dire.

Plus personnel, il y avait ce collègue d'IUT qui commençait toutes ses phrases par une sorte de claquement de langue insupportable (une espèce de "Mttth")...

Mais pour moi le pire d'entre tous les tics c'est le petit rire systématique. J'ai le souvenir d'une consultante qui ponctuait chacune de ses phrases d'un "Hi hi hi" nerveux, quel qu'en ait été le sujet. Rien que d'y penser me met encore mal à l'aise.

Son rire me crispait tellement que j'avais fini par résumer la personne à ça, par attendre ce rire insupportable à chaque phrase, un peu comme un bouton pénible qu'on ne doit absolument pas gratter mais qu'on ne pense justement qu'à gratter.

Dès qu'elle ouvrait la bouche, je me raidissais et préparais à l'inévitable gloussement de ponctuation (dont elle n'était d'ailleurs sûrement pas consciente).

Je ne sais pas d'où vient cette réaction désagréable, mais comme la gestion de la bise, elle fait partie de ces obscures et illogiques complications dans ma façon d'interagir avec mes semblables...

samedi 20 janvier 2018

Musique (15) : Johnny Hallyday

Je commence ce post alors que l'hystérie est à son comble suite à la mort de Johnny Hallyday.

J'ai toujours eu un peu de mal avec cet artiste.

A l'instar par exemple de Michel Sardou que j'évoquais dans un autre post, Johnny faisait partie de ces monuments qu'on croise un jour ou l'autre et dont on aime généralement un titre ou deux. Mais il avait une place à part dans le panthéon musical national, que je n'ai jamais vraiment comprise.

Aussi je vais essayer de dire dans cet article ce que m’inspire cette éternelle « idole des jeunes ».

Tout d’abord, ce qui m'a frappé en premier chez lui, c'est son exceptionnelle longévité. Il a en effet réussi à rester toujours présent pendant sa très très longue carrière, la plupart du temps sur le devant de la scène.

Il a commencé à se faire connaitre au temps des yéyés, période finalement assez courte et où sa suprématie était loin d’être évidente (il me semble que Richard Anthony, par exemple, vendait autant sinon plus que lui).

Quand sa carrière a démarré, le rock était novateur. Johnny se positionna alors presque naturellement comme une sorte d'Elvis français, un clone très premier degré d'un chanteur qui l'était déjà.

Son aura sur la jeunesse française des années 60 était fantastique, et ses concerts des événements sulfureux et violents qui faisaient la Une des journaux

Ses titres n'étaient alors que des VF des hits anglo-saxons contemporains, sa gestuelle comme son style devaient tout à l'Amérique de carton-pâte qui faisait fureur à l'époque (à sa décharge, tous les pays européens de l’époque ont eu ce genre de versions locales), mais son animalité, son côté entier et son sens de la scène étaient authentiques et surent conquérir les enfants du baby boom.

Toutefois, en France comme ailleurs, la roue tourna, et ce qui l'avait rendu célèbre aurait pu (dû?) le vouer aux oubliettes quand la mode changea.

Et bien non.

Johnny s'installa dans le paysage, et continua à être cette caricature de rocker un peu ridicule et de plus en plus décalée, mais sans que ça lui nuise ou qu'on lui en veuille.

En réalité c’est un peu comme s'il avait conquis une sorte de pouvoir qui le mettait à l'abri du ridicule, l'empêchant de connaitre la destinée d'un Dick Rivers, autre artiste coincé dans les sixties, ou de virer vers le crooner et passer à autre chose, comme son complice Eddy Mitchell.

Certes, nul ne pouvait nier son talent.

C’était un véritable interprète et un showman de première, montant des spectacles grandioses comme plus personne ne le faisait en France (à part peut-être Mylène Farmer), avec de la pyrotechnie, des machines, des animations, et des passages originaux comme ce match de boxe sur scène qu'il faisait en 1969.

C'était aussi un musicien plus fin qu'on ne le croit généralement, qui composait certains de ses titres et sut toujours bien s'entourer, surfant sur les modes sans trop se renier et travaillant avec les gens du moment (Berger ou Goldman dans les années 80, Obispo dans les années 90, etc.).

Mais en même temps, il restait aussi toujours le "rocker", le biker à franges, appelé jusqu'à plus soif l'idole des jeunes, le rebelle, etc, même à l'époque où il était en âge d'être grand-père.

Cette place spéciale était consolidée par son omniprésence médiatique.

Présent dans moult émissions grand public, il était aussi un menu de choix pour la presse people. Johnny y avait en permanence une actualité, qu'il s'agisse de sa santé, de sa tumultueuse vie matrimoniale, de ses vacances, ses motos ou que sais-je encore.

Son absence d'engagement et ses tendances de droite aurait pu lui nuire (mai 68 le surprit à Saint-Tropez !), surtout aux grandes heures des chanteurs de gauche. Sa mise à l'abri du fisc en Belgique et en Suisse aurait également pu lui porter tort.

Mais en même temps, je me demande si ça ne lui a pas aussi conféré une authenticité particulière. En effet, chez lui pas de ce moralisme qu'on trouve chez tant de chanteurs engagés à gauche mais qui ont en même temps si souvent, comme on dit, le portefeuille à droite et agacent beaucoup de gens.

Il n'était ni Ferrat ni Sardou, et à ce titre ne clivait pas le pays. En somme il était Johnny, un gars qui s'était fait tout seul et qui jouissait tranquillement et sans complexe du fruit de son dur travail.

Car c'était un bosseur forcené qui a passé toute sa vie à tourner, à enregistrer, à faire des spectacles toujours renouvelés, et tous ceux qui l'ont vu disaient qu'il se donnait à fond, toujours.

Au fond la clé de son succès c'était peut-être ce mélange d’humilité, d’authenticité, de présence à tout prix et ce côté dur à la tâche qui imposait le respect.

Et moi dans tout ça?

J'ai toujours ressenti un peu de gêne lorsque mes amis étrangers le découvraient, un peu comme lorsque le cousin mal dégrossi débarque de sa campagne dans le salon des nouveaux amis Rive Gauche.

Chez les Anglo-Saxons il suscitait généralement un étonnement incrédule, comme s'ils tombaient sur un revenant, un musicien contemporain de leurs parents débarqué aujourd'hui en une sorte de retour vers le futur.

Chez les autres, c'était au minimum de l'incompréhension. Pour tous, bien vite venait l'ironie, voire la pitié.

Et lorsqu'ils apprenaient qu'il était le plus gros vendeur de disques de l'Hexagone et qu'il bougeait des foules énormes c'était toujours pour eux une surprise, pas forcément dans le sens flatteur du terme.

Mes parents, plutôt classiques, trouvaient qu'il avait une belle voix (et une belle gueule pour ma mère) mais se souvenaient de l'odeur de soufre de leur jeunesse et des excès de l'homme.

De mon côté pendant ma période top 50, j'ai eu l'album Gang dans mes K7, j'ai écouté quelques vieilleries plusieurs fois et enregistré quelques titres à la radio.

Plus tard, à l’époque où "commercial" et "rock FM" étaient des gros mots pour mes potes, je l’ai conchié comme tant d’autres avant moi (même si avec un soupçon de réserve).

Aujourd'hui j'ai toujours une copie du mythique live de 67 et j'apprécie quelques-uns de ses morceaux.

Mais au fond Johnny fait un peu partie de ce que j'appelle mes rendez-vous manqués. J’aurais aimé l’aimer, mais je n’ai jamais pu comprendre le culte autour de lui ni adhérer à 100%.

So long Johnny, tu resteras pour moi un mystère.

Peut-être bien que tu vas me manquer, comme manque un élément de décor auquel on s'était habitué de tout temps, car c'est aussi ce que tu étais.

Et ta mort sonne le glas des baby boomers, cette génération centrale de la France d'après-guerre qui commence à doucement passer la main.

Quelques titres sympa, connus et moins connus :
- Retiens la nuit (1961) - extrait du film Les parisiennes avec Catherine Deneuve
- Le pénitencier (1964)
- Confessions / Je suis seul enchaînés pendant ses concerts dans une de ses séquences les plus légendaires (1967)
- Les chevaliers du ciel, générique de la célèbre série inspirée de la non moins célèbre BD (1967)
- Que je t’aime (1969)
- Gabrielle (1976)
- L’envie (1986)
- Je te promets (1986)
- Laura (1986)
- Ton fils (1986)