vendredi 1 juin 2018

J'voulais juste brillé

Un de ces week-ends, mon fils et un de ses copains se bidonnant devant une vidéo qu'ils passaient en boucle, je suis allé la voir par curiosité.

J’ai alors découvert Alex du 76, un improbable rappeur amateur normand dont le titre s'appelle J’voulais juste brillé.

Mal filmé, mal enregistré et sonorisé, très cheap, avec d’étranges danseuses en surpoids et un interprète au charisme approximatif (mais qui semblait se prendre très au sérieux), ce truc était assez pénible à regarder, impression renforcée par le festival de fautes d’orthographe de l'incrustation finale.

En résumé, on avait l'impression d'une mauvaise copie de ce que le rap produit au kilomètre, une sorte de série Z mal ficelée et au manque frappant de moyens.

Pour moi qui ne goûte guère l'imagerie rap, je trouvais ça naze, mais finalement guère plus que le tombereau de nanars produits par des dizaines d’amateurs sur le net chaque mois, ou même que les œuvres de certains rappeurs connus.

Pourtant il s’avère que ce clip, mis en ligne en 2012, avait été consacré à l’époque comme pire titre de rap de l’année, au point que son auteur avait fini par le retirer.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais quelqu’un a eu la bonne idée, six ans plus tard, de le remettre en ligne, et c’est reparti.

En cherchant à en savoir plus sur cet Alex, j'ai ensuite découvert Amandine du 38 (dont parle curieusement le Wikipedia anglais mais pas le français), malheureuse "rappeuse" qu'un clip, à côté duquel celui d'Alex du 76 fait presque figure de chef d’œuvre, a transformé en phénomène.

La publication de ce morceau a en effet fait basculer sa vie. Elle a été pistée, harcelée, emmerdée et moquée sans fin, à la fois par ses proches, par des internautes au sens large, et même par des rappeurs établis comme Booba (les Inrocks racontent sa malheureuse saga ICI).

Devenue un mème malgré elle, objet de toutes sortes de rumeurs, elle a tenté plusieurs fois de renverser la vapeur, mais ses excuses n'ont eu aucun effet, pas plus que les coups de gueule d'Alex du 76 qui tenta les "clashs" comme réponse aux moqueurs.

On peut se demander pourquoi cet acharnement et pourquoi eux.

Pour Alex, le rural en moi soupçonne le bon vieux mépris du plouc, un des rares qui soit encore dépénalisé puisque même Télérama continue à s'y adonner (cf. l'hallucinante chronique sur les Vendéens venus affronter le PSG), cet Alex venant de la région de Fécamp.

Amandine vient elle aussi d'une petite ville, mais peut-être qu'à l'heure de l'hystérie antiraciste c'est le fait d'être une blanche qui parle du Sénégal (son "titre" est basé sur ses expériences dans ce pays où elle vécut quelques années) qui l'a aidée à devenir une cible. Des fake news l'ont d'ailleurs fait passer pour une raciste.

Mais au fond, peu importent les raisons.

Dans les deux cas nous avons des jeunes pas forcément très malins, en tout cas dépourvus de recul, qui produisent une chanson mauvaise et mal ficelée et qui suite à ça subissent une sorte de lynchage.

Il s'agit là d'une nouvelle version du vieux phénomène de la tête de turc, auquel la caisse de résonance infinie du web donne une ampleur inédite

Taper sur quelqu'un de plus faible semble toujours être un plaisir pour beaucoup de monde, mais aujourd'hui Internet permet de le faire plus confortablement et de loin.

Sans doute les harceleurs se sentent-ils supérieurs, plus malins que le pauvre type qu'ils humilient? Je n'ai jamais vraiment compris ce vice.

En attendant, ces tristes histoires illustrent un aspect méprisable et bien réel de la nature humaine, et aussi et peut-être surtout les dangers du net. 

En effet, rien n'y disparaît jamais vraiment, comme l'ont constaté Alex du 76 et Amandine du 38, qui, aussi mauvais soient-ils, ne méritent pas de subir ça aussi longtemps. 

Personne ne le mérite en fait.

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