mardi 29 avril 2014

Non désir d'enfant

Dans un précédent post, j'ai parlé du désir d'enfant, m'interrogeant sur ce qui le suscitait.

Aujourd'hui, je vais évoquer son contraire, à savoir le non désir d'enfant.

Dans le monde actuel, il n'y a finalement aucune raison logique de faire des enfants. Et pourtant, le souhait de procréer reste la norme et touche un jour ou l’autre la majorité des gens.

Les démographes nous indiquent néanmoins qu’on assiste de par le monde à une baisse régulière et générale de la fécondité.

Moins visible dans des pays pauvres encore très féconds tels le Niger ou l’Afghanistan, elle n’en est pas moins avérée sur tout le globe.

Et bien sûr cette baisse culmine dans les pays les plus évolués, où un nombre de personnes croissant n'a pas de descendance (l'article suivant indique par exemple qu'aujourd'hui en France un homme quinquagénaire sur cinq n'a pas d'enfant).

C’est de cette partie du monde que je vais parler.

J'exclus de cette réflexion la grande partie des sans enfant qui n'a pas choisi cet état, qu'il soit du à la stérilité, dont il semble qu'elle augmente sérieusement sous nos latitudes, à l'absence de partenaire (ces cas-là sont légion et j’en connais un paquet) ou à toute autre contrainte subie.

Je vais au contraire me concentrer sur ceux qui ont choisi de ne pas faire d'enfant alors qu'ils l'auraient pu.Et je précise dès maintenant qu’il n’y a pas de jugement moral dans ce que je vais écrire.

Motivations concrètes pour ne pas avoir d'enfant

Une des premières raisons auxquelles je pense c'est la peur.

La première crainte, qui ne concerne que les femmes, c’est le côté "technique" de la chose.

L’idée de la grossesse, avec ses changements pénibles, la modification de son corps dont on craint toujours l’irréversibilité (l’image d’une mama dégradée aux chairs avachies rôde encore dans les inconscients), les douleurs de l’accouchement, le côté organique de la chose, l'impression que votre corps ne vous appartient plus mais devient celui de la famille ou de la société, tout cela terrorise -et ça se comprend- plus d’une femme.

La deuxième crainte porte sur l'éducation de l'enfant: dès l'accouchement passé, on a souvent l'impression de débarquer sur un champ de bataille guère plus rassurant.

Avec le temps, notre vision sur la façon d'élever un enfant est en effet devenue extrêmement anxiogène. Pour ne pas le "rater", les règles sont aussi nombreuses que contradictoires.

Il faut qu’il mange bien dès le début sinon il deviendra obèse ou carencé.

Il faut le faire s’ouvrir au monde pour qu’il soit à l’aise et sociable.

Il faut commencer telle ou telle activité (musique, langues) très tôt parce qu’après ce sera trop tard.

Il faut être présent pour qu’il ne souffre pas de manque affectif.

Il ne faut pas être trop envahissant pour qu'il devienne autonome.

Il ne faut pas être violent verbalement ou physiquement pour ne pas en faire un soumis.

Il faut être ferme pour ne pas en faire un gâté.

Etc.

Cette liste interminable de "Il faut" tous affirmés avec aplomb et conviction, peut être terriblement angoissante, et cette angoisse pousse certaines personnes à renoncer à l’idée d’avoir un enfant, par peur de rater quelque chose d’essentiel au développement de leur progéniture, de ne pas être à la hauteur de la tâche.

Tout cela s’inscrit bien dans le côté compétitif de notre société actuelle, où on doit réussir sa vie familiale comme sa vie professionnelle, sexuelle, maitriser son corps, etc. L'enfant lui aussi doit correspondre à l'image d'Épinal du bambin parfait, coûte que coûte.

D'autant que l'accès libre à la contraception a créé une responsabilité de plus. L'enfant n'est plus une fatalité comme avant la pilule, désormais il est souhaité et planifié, et donc le rater est de plus en plus vu comme une faute puisque être parent est un choix.

Enfin la troisième crainte porte sur la "logistique" de la parentalité, et là encore c’est plutôt la femme qui est concernée.

L’arrivée de l’enfant va en effet commencer pour elle par un trou de carrière parfois redoutable. 

Et ensuite c’est encore trop souvent sur elle que va reposer la lourde tâche de gérer les modes de garde (le premier grand stress post naissance), les maladies, les réunions scolaires des enfants, etc.

Tous ces différents points donnent une image de la parentalité particulièrement flippante, et contribuent à en repousser au maximum le moment, voire à y renoncer.

L'aspect "civilisationnel" de l'absence de désir d'enfant

L'absence du désir d’enfanter peut aussi être vue comme l'aboutissement du détachement de l'homme de la Nature, la conclusion logique de l'individualisme, le choix personnel ultime.

En effet, aujourd’hui chacun a (ou est censé avoir) des projets, des envies, une carrière, des passions, des hobbies, toutes activités chronophages que la présence d’un enfant va contrarier, bousculer.

Il est donc parfaitement logique que quelqu’un qui veut se consacrer pleinement à ses désirs décide de ne pas "s’encombrer" d’un enfant, sachant toutes les difficultés qu’il y a à conjuguer toutes ses vies dans seulement 24h par jour.

En fait, on a l'impression que le conflit entre l'injonction d'enfanter, partie essentielle d'un mode de vie standard, et l'exigence de réalisation personnelle tourne peu à peu à l'avantage de la seconde.

Pour illustrer ce constat, il est intéressant de voir le lien très net entre le taux de fécondité et le niveau de développement en terme d'éducation des femmes et de résultats de l'économie: plus le second est élevé, plus le premier est bas.

Et cette relation prime sur la religiosité ou l'aire culturelle. On voit par exemple que l'Iran, qui est à la fois la première théocratie musulmane de la planète et un pays qui a plus d'étudiantes que d'étudiants, fait face à une chute très importante de son taux de fécondité, au même titre que d'autres pays comme Singapour ou la Norvège.

On peut même aller plus loin: les deux pays qui font le moins d'enfants sur cette planète sont le Japon et l'Allemagne, qui sont aussi dans le peloton de tête des puissances économiques.

Ce lien va dans le sens de l'argument que le développement entraine une distanciation de la maternité.

Conséquences

Mon dernier paragraphe évoquera ce que peut entrainer ce changement. Quelles conséquence peut avoir la baisse du désir d'enfanter et de la fécondité ? Est-ce un point positif ou négatif ? Je laisserai à leurs empoignades les partisans de l'une ou l'autre de ces appréciations pour me concentrer sur les conséquences concrètes et pratiques de cette baisse, en donnant la France comme exemple.

La première conséquence est un vieillissement global de la société, déjà en cours. Ce vieillissement a des effets sur l'ensemble du pays.

Il engendre une pression sans cesse accrue sur le financement des retraites (pour rappel, ce financement correspond chez nous à la moitié de la protection sociale) mais aussi sur la demande médicale, les personnes âgées étant plus consommatrices de soins et médicaments.

Il a également des effets sur les choix politiques: la classe d'âge la plus importante, dans notre cas les seniors, est naturellement privilégiée pour des raisons de poids électoral. L'offre publique va donc plutôt aller vers la création de maisons de retraite, la stabilité de l'inflation, la sécurité, toutes valeurs des classes les plus âgées.

La deuxième conséquence se fera sentir à plus long terme, mais risque d'être brutale. Notre pays va connaitre un véritable "crash" démographique, qui commencera lorsque les personnes nées durant le baby boom vont mourir, entrainant une explosion de la mortalité.

A ce moment-là la natalité, même si elle augmente, ne pourra pas compenser cette perte, du fait d'un phénomène de "classes creuses" de grande ampleur, dont la population n'est pas consciente mais qui équivaudra à celui produit par une guerre.

En effet, les enfants "non nés" des parents de la génération précédente, ne peuvent eux-mêmes avoir d'enfants, et donc l'effort de fécondité des enfants "nés" devra être démesuré pour compenser les décès.

J'illustre le fait par un exemple sur trois générations:

Génération 1 : 100 personnes
Génération 2 : ces 100 personnes font 50 enfants => la population totale est de 150 personnes
Génération 3 : les 50 personnes font 25 enfants => la population totale est de 175 personnes

Lorsque la génération 1 va mourir, la population totale passera de 175 personnes à 75 personnes. Elle sera donc plus que divisée par 2.

Pour rattraper le niveau précédent, il faudra que la Génération 3 fasse 100 enfants. Ce qui, sachant que cette génération se compose de 25 personnes, impliquera au moins 4 enfants par personne.

Quelles conclusions?

En soi, la baisse de population n'est pas forcément un mal (j'ai même tendance à penser que c'est un bien), mais il faut revoir le système en profondeur, qu'il s'agisse du marché du travail ou du financement de la protection sociale.

La solution trouvée par nos dirigeants pour compenser ces pertes sans changer le fond est un appel à l'immigration de plus en plus massif.

Cette solution ne tient pas la route à long terme.

En effet, la population baisse aussi dans les pays pourvoyeurs de migrants, donc la source finira par se tarir à son tour. Sans compter qu'au fur et à mesure que la problématique s'étendra à d'autres pays, la demande en immigrés ne pourra que croître, selon la classique loi de l'offre et de la demande.

Par ailleurs, cet appel n'est pas sans conséquence sur la société même des pays d'accueil. La culture se transmettant pour une très grande partie par la filiation, on peut craindre une rupture intergénérationnelle plus forte que ce qu'on avait connu jusque-là.

Pour conclure, je dirais que la raréfaction du désir d'enfant, avec son corollaire la baisse de la fécondité, est une réalité qui touche de plus en plus les pays les plus développés du globe et qui semble inexorable pour le reste de la planète.

C'est donc une donnée essentielle à prendre en compte pour anticiper notre futur et s'y préparer, loin des discours natalistes, du malthusianisme et des procès d'égoïsme.

samedi 26 avril 2014

Protestantisme français (2) : intégration à la nation, mémoire et état des lieux

Dans un précédent post, j'évoquais l'histoire des protestants français, depuis leur apparition jusqu'à leur reconnaissance par l’État en passant par les conflits et persécutions qu’ils subirent au cours du temps.

L’article d’aujourd’hui va tenter de décrire la façon dont cette communauté s’est organisée et intégrée au pays, et où elle en est actuellement.

Organisation

A partir de la Révolution française donc, les membres des minorités religieuses sont reconnus comme citoyens français à part entière, pourvu qu’ils renoncent à leurs droits collectifs. Les protestants sont au premier rang de ce changement historique.

Au début, les temps sont toutefois incertains, les régimes instables, une partie de l’église principale est en guerre contre le nouvel état...les choses ne se mettent pas aisément en place et il faut attendre Napoléon Ier pour que la situation se stabilise.

Ce dernier définit la religion catholique comme la religion de la majorité des Français, reconnaissant par cette formule subtile sa prééminence historique, sans revenir pour autant à l’intolérance passée.

En revanche, il oblige juifs et protestants à s’organiser de façon à ce qu’ils puissent, à l'image de l'église catholique, donner à l’État des interlocuteurs identifiés.

Les communautés protestantes doivent donc s’adapter, élisant des représentants locaux. En échange les pasteurs deviennent, à l’instar des curés, des fonctionnaires salariés par l’état.

Un siècle plus tard, la fameuse loi de 1905 qui sépare les églises de l’État, touche les protestants au même titre que les autres religions, qui doivent désormais gérer elles-mêmes leurs financement et fonctionnement.

Seule l’Alsace Moselle, alors sous domination allemande, y échappe, la réintégration de ces départements à l’issue de la Première Guerre Mondiale ne remettant pas en cause ce fonctionnement. C'est pourquoi les prêtres de ces confessions y sont fonctionnaires encore aujourd’hui.

Enracinement

Peu à peu, les protestants enfin reconnus comme citoyens s’enracinent dans le paysage et deviennent une composante à part entière de la société française.

On les voit apparaitre à tous les niveaux de la société : aumôneries, catéchisme, émissions religieuses télévisées (ils ont notamment un créneau dans l’émission religieuse du dimanche matin sur France 2), etc.

Beaucoup entrent également en politique, où, comme les juifs, ils sont surreprésentés par rapport à leur nombre dans la société, le plus souvent à gauche.

Pendant la guerre, une grande partie de la communauté s’implique dans l’aide aux juifs persécutés, comme dans la commune du Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire, qui cache de nombreux enfants juifs. En 1990, Israël distinguera même le village dans son ensemble comme juste parmi les nations.

On trouve également des protestants dans les proches du maréchal Pétain, cette division de la communauté étant en quelque sorte une preuve de leur intégration à la société française.

Les protestants français cultivent une mémoire historique forte, avec des lieux marquants, tels que la tour de Constance ou le musée du désert, tous deux situés dans la région emblématique des Cévennes.

Tous les ans a lieu là-bas la cérémonie de l'assemblée du désert, où des descendants de huguenots se retrouvent pour commémorer la longue période où ils furent persécutés. Cette cérémonie est un moment important et y participent parfois des descendants de la diaspora venus des quatre coins du monde.

De même, à l'instar d'autre minorités régionales ou religieuses, il existe en France ce qu'on pourrait appeler des "réseaux protestants", et une haute bourgeoisie désignée péjorativement par HSP (Haute Société Protestante).

Restes d'hostilité

Malgré tout, une forme d’hostilité à l’égard des protestants subsiste toujours chez une partie des Français.

Elle peut venir de contre-révolutionnaires qui prônent un retour à l’ancien régime ou d’une partie intransigeante des catholiques.

On la trouve aussi chez ceux qui assimilent le protestantisme au monde anglo-saxon, rival par excellence, et donc à l'étranger venu semer la discorde au sein du corps français, latin et catholique.

Charles Maurras notamment mettait ainsi les protestants dans la liste des quatre anti-France (avec Juifs, francs-maçons et métèques) qui participaient à la décomposition du pays réel.

Plus récemment on peut retrouver cette hostilité chez Alain Soral, même s’il distingue deux formes de protestantisme, l'un apatride et prédateur, l'autre enraciné.

Érosion puis renouveau

Dans les années qui suivirent la Seconde Guerre Mondiale, le protestantisme connut le même phénomène que le catholicisme, à savoir une raréfaction des fidèles et une désaffection de plus en plus grande des jeunes générations pour l’église.

Ce phénomène, ainsi que la généralisation des mariages mixtes, entraina une forte baisse du nombre de fidèles, un vieillissement de la communauté et parfois l’abandon de paroisses.

Mais depuis une vingtaine d’années le protestantisme français connait un très fort renouveau, Ce rajeunissement est essentiellement lié à l’immigration, suivant trois courants différents.

Le premier flux est en provenance d’Europe du nord. Un très grand nombre de Britanniques (on parle d’un million) mais aussi de Néerlandais, se sont en effet installés en France, soit définitivement, soit de façon intermittente (par exemple six mois par an).

Ces gens, souvent assez âgés, ont donné un coup de fouet aux paroisses désertées, et lors des offices du dimanche, il n’est pas rare de voir plusieurs Anglais dans les communes rurales du Limousin, du Périgord ou de la Normandie.

Le deuxième flux est antillais. Du fait de leur proximité avec les USA, grand pourvoyeur de missionnaires, les DOM français des Antilles et la Guyane ont en effet un plus fort taux de protestants que la métropole, et les milliers de personnes qui sont parties s'installer dans l'Hexagone y ont amené leur foi, revivifiant les églises des grandes agglomérations.

Le troisième flux, enfin, vient d’Afrique noire, où le protestantisme est assez largement répandu.

Dans ces deux derniers cas, il s’agit très souvent de protestantisme évangélique. Cette branche se caractérise par des pratiques très démonstratives, telles que l’imposition des mains, des cultes très longs, des prêtres starifiés, un fort prosélytisme, un côté magique, et une lecture littérale de la bible.

Les églises évangéliques sont très nombreuses, variées, décentralisées et très souvent organisées autour d'un prêtre star. Des dérives sectaires sont fréquemment signalées, la misère et le déracinement qui caractérisent souvent les fidèles en faisant des proies faciles pour les apprentis gourous.

Le dialogue entre les protestants historiques et ces nouveaux venus, qui les ont d’ores et déjà dépassés en nombre, n’est pas toujours simple, mais il a profondément changé le visage de cette religion dans notre pays.

De ce dialogue entre communautés historiques et nouveaux arrivants dépend l'avenir de cette religion dans notre pays, dont elle est une composante historique importante et méconnue.

vendredi 25 avril 2014

SNCF: A nous de vous faire préférer le train?

Il y a quelques temps, j'ai pris le train pour me rendre de Bourges à Paris, avec un changement à Vierzon.

Jusque-là mon expérience des trains en province (hormis le mois annuel de grève) était plutôt positive, mais cette fois-ci il m'est arrivé une mésaventure inédite.

En effet, au milieu du trajet le contrôleur a fait une annonce surréaliste, indiquant qu'à la gare suivante, il n'y aurait pas assez de place pour tout le monde dans le wagon, et demandant en conséquence aux voyageurs sans contrainte d'horaire de bien vouloir prendre un bus mis à leur disposition.

Bien que non concerné (je changeais de train avant la station incriminée), j'étais un peu scotché. Après renseignement j'ai compris que cet incident était du au nouveau fonctionnement de la SNCF, basé sur le surbooking.

Cette pratique, existant depuis longtemps pour l'avion et appliquée depuis quelques temps déjà au TGV, consiste à vendre plus de places qu'il n'y en a de disponibles dans le train, en pariant sur le fait qu'une partie des voyageurs ne viendra pas.

Statistiquement, ça passe.

Mais il arrive que toutes les personnes prévues se présentent, et mon train était visiblement dans ce cas. La conséquence de ce surplus c'est que le service demandé ne peut pas être assuré et que le prestataire doit alors fournir une solution de contournement.

Pour certains vols surbookés, je connais des gens qui ont eu droit à la première classe. Dans mon cas c'était un bus, dont il était bien précisé qu'il n'y avait pas de garantie de respect de l'horaire...

Outre la gêne que ces aléas causent à ceux qui choisissent le train, le surbooking entraine un autre problème: l'individualisation des prix à chaque trajet.

En effet, comme dans le cas de l'avion, de savants calculs sont faits pour déterminer le prix idéal en fonction de la demande et des places disponibles.

Cela a pour conséquence que pour le même trajet un billet pris longtemps à l'avance n'aura pas le même prix qu'un billet pris une semaine avant, et que parfois en le prenant au dernier moment on pourra avoir un prix sacrifié. Cela permet par exemple de trouver des billets de première classe moins chers que leurs équivalents en seconde.

Ces mesures permettent -ou sont censées permettre- à la SNCF de rationaliser ses coûts et maximiser son rendement.

C'est sans doute vrai, mais il est également vrai que cela contribue au changement de la façon de prendre le train à laquelle on assiste depuis plusieurs années.

Avant, ce moyen de transport était abordable et sans surprise puisque les prix étaient fixés à l'année. On savait qu'un billet sur le train de 18h17 aurait tel prix un an, jusqu'à la prochaine hausse.

Aujourd'hui tout cela a disparu.

D'abord les prix ont globalement augmenté, ce qui fait du train un moyen de transport de plus en plus cher (un trajet en TGV est parfois plus onéreux que le même en avion), et de moins en moins rentable par rapport à la voiture, surtout pour qui ne le réserve pas des mois à l'avance ou dans le cas d'un voyage à plusieurs.

Ensuite, si l'on ajoute cette nouvelle incertitude sur les prix et maintenant ces problèmes liés au surbooking, on perd également la stabilité.

Dans ce contexte, on comprend que de plus en plus de gens se détournent du chemin de fer et qu'il existe une demande importante pour le covoiturage ou les voyages en car.

Mais là, la loi française intervient. En effet, la mise en place d'une ligne d'autocar inter-villes est soumise à plusieurs autorisations dont...celle de la SNCF!

Cette loi garantit donc à notre compagnie un monopole de fait, empêchant que le pays ne connaisse l'explosion de compagnies de cars qu'ont connu nos voisins, comme l'Espagne ou le Royaume-Uni.

En bref, si l'on résume:
- les billets de train bon marché sont disponibles si on les prend longtemps à l'avance.
- la grande variabilité des prix fait que prendre le train à l'improviste est très vite couteux et d'une manière générale, transforme la réservation d'un trajet en loterie.
- le surbooking entraine parfois des "surprises" qui font que le trajet peut se faire en mode dégradé, pour ne pas dire autre chose.
- l'alternative autocar est interdite par la loi.

Si l'on ajoute à ça les désagréments dont j'ai déjà parlés dans un précédent post, ce n'est pas demain la veille que la SNCF réussira comme elle le promet à nous faire préférer le train, et ce quel que soit l'impact écologique des autres moyens de transport...

samedi 19 avril 2014

Livres (5): Brut

Cet étrange livre m'a attiré dès que j'en ai lu l'idée principale, et sa lecture a tenu ses promesses.

L'auteur, un français dont je n'avais jamais entendu parler, imagine un monde où le prix du baril de pétrole a complètement explosé, traçant une différence encore plus énorme que celle qui existe aujourd'hui entre ceux qui n'en produisent pas et ceux qui en produisent. Parmi ces derniers, il y a la Norvège.

Et c'est en effet dans ce petit pays que se situe l'action. Enfin, l'action est beaucoup dire, puisqu'il s'agit plutôt de dépeindre l'impact de cette richesse brusque et soudaine sur un pays déjà développé.

Et de ce côté-là c'est très réussi. Dès le début une espèce de malaise s'installe, le sentiment que quelque chose est complètement faussé, que le jeu n'est pas juste, corrompu.

On sent que le pétrole est en arrière-plan de tout et que dans un monde où le mode de vie que nous connaissons s'est écroulé, la Norvège a tiré le gros lot.

Frioux montre de manière très réaliste l'impact de ce retournement sur le reste du monde, avec le développement des transports en commun devenu prioritaire pour tous les états, avec les gens qui redeviennent sédentaires par obligation et contre leur gré du fait du coût du kilomètre, se révoltant avant d'accepter la situation, avec l'avion qui redevient un luxe comme aux premiers temps...

Et à côté de cette remise en cause, il y a la Norvège, pays où l'état reste infiniment généreux avec sa population, investit dans son bien-être jusqu'à l’écœurement, tout en continuant à se vouloir exemplaire d'un point de vue "moral".

Pour ce faire, elle utilise son fonds d'investissement national de manière éthique, faisant pression sur les entreprises dans lesquelles elle met de l'argent, elle a également une politique de valorisation de ses minorités, elle crée à grands frais des enclaves économiques dans les pays pauvres, etc.

Passons à l'histoire.

En fait d'histoire, on croise différents personnage dont le parcours suit l'évolution de la situation économique mondiale.

Il y a une famille, bien sur richissime (la scène des préparatifs de Noël est édifiante). Dans cette famille, il y a la fille dévorée de culpabilité et s'investissant dans les mouvements écolo-humanitaires et il y a la mère bourgeoise, ex-mannequin international qui trompe son mari une fois par an sur les conseils de son psy.

On croise aussi le parrain de la fille, magnat du développement pétrolier, candidat au Nobel, un type brillant et roublard qu'on sent néanmoins étouffer dans la Norvège pétrolière moralisante, rêvant de baston, de conquête, d'un monde plus incisif, méchant et viril.

On croise un plongeur, ex-pionnier de l'exploitation ultra-offshore qui ne se remet pas des séquelles médicales de son job passé, et dont tout le monde essaye d'étouffer l'existence pour ne pas écorner l'image du pétrole propre et de la Norvège.

On croise un jeune représentant du fond éthique, véritable caricature de moraliste rigoureux mais qui n'en peut plus de son poste.

Tout ce petit monde est montré sur fond de lutte politique entre un parti souhaitant garder la ligne initiale d'investissement dans un fond pour les générations futures et une autre tendance réclamant de profiter plus de cet argent et de poursuivre l'exploitation de toutes les ressources, même les contestées.

Frioux excelle à nous brosser un portrait de cette étrange société-bulle. Quelques scènes m'ont marqué.

La description d'une prison quasi quatre étoiles où certaines personnes semblent aller de leur plein gré.

La construction d'un mur tout le long de la frontière nord du pays (sous le prétexte de la protéger d'une invasion de rats)

La délirante séance de brainstorming pour trouver le nom de baptême d'un nouveau champ pétrolier.

La cérémonie d'accueil des nouveaux stagiaires de la société des pétroles, choisis soigneusement selon des critères d'origine ethnique, religieuse et sociale.

Etc.

Au final, l'intrigue compte moins que l'ambiance dans Brut. Ce livre marque par le malaise qu'il provoque et semble souligner les effets délétères de ce qu'on appelle la malédiction des ressources naturelles et principalement du pétrole.

jeudi 17 avril 2014

Après les 30%

Dans le déferlement d'articles qui ont suivi la mort de Nelson Mandela est revenu celui-ci que j'avais déjà lu.

Je l'avais trouvé extrêmement intéressant car il va bien au-delà des incantations de rigueur en ce qui concerne la fin de l'apartheid et le vivre-ensemble.

L'histoire singulière qu'il raconte m'a inspiré ce post.

De la lutte contre la ségrégation à la ségrégation en réponse à la lutte

L’histoire est celle de la faculté afrikaner de Bloemfontein, emblématique de cette communauté et de son rapport avec l'apartheid.

Cette université avait commencé à voir s'inscrire des étudiants noirs dans les années 90.

Ceux-ci avaient été extrêmement bien accueillis par leurs homologues blancs, qui les avaient intégrés à leurs fraternités et coutumes, fait participer d’égal à égal à la vie étudiante, et leur avaient ouvert leurs résidences.

Bref, les témoignages des étudiants noirs de l'époque étaient unanimes: leurs souvenirs étaient excellents.

Quelques années plus tard, le rééquilibrage consécutif au changement de régime (rappelons que l'Afrique du sud est noire à 80%) a fait que de plus en plus d’étudiants noirs se sont inscrits dans la faculté.

Et là les choses ont commencé à changer.

Une opposition est en effet apparue entre blancs et noirs, qui a fini par dégénérer et aboutir à des affrontements armés rejouant les années de lutte, avec les noirs attaquant aux cris de l'anathème "Kill the boer" de Peter Mokaba et des blancs à celui de l’hymne sud africain du temps de l’apartheid.

Devant cette escalade, l'université a dû mettre en place une stricte ségrégation, avec séparation des communautés dans tous les secteurs.

La règle des 30%

Que s’est-il passé ? Comment est-ce qu’un élan vers la fraternisation décrit comme unanime par les personnes concernées a-t-il pu aboutir à un tel échec ?

Certaines hypothèses sont avancées, issues d’études sur le multiculturalisme, parmi lesquelles l'idée majeure est la suivante: à partir d'un certain pourcentage, le rapport majorité / minorité change.

Une fois ce seuil franchi, la communauté de référence, c'est-à-dire celle qui donne le la d'un point de vue culturel et mode de vie (dans notre exemple les Afrikaners), ne l'est plus. Elle se voit contestée par la minorité qui veut appliquer ses propres habitudes et valeurs.

Pour appuyer cette théorie du seuil, l'auteur ajoute que ce problème s'est généralisé à l'ensemble des universités sud africaines, y compris les anglophones (généralement bien plus libérales), et fait également un parallèle avec la situation de l'Amérique post-ségrégation.

Détaillons.

A l'instar d'autres peuples colons qui se construits en opposition à une majorité indigène, comme les Pieds-Noirs ou les Israéliens, les Afrikaners sont une communauté singulière, à l'identité très forte.

Mélange de colons hollandais et d'exilés huguenots atterris sur une terre lointaine et isolée, inventeurs d'une langue à racines hollandaises mais différente, soudés par une version rude du protestantisme calviniste et des mythes historiques forts, comme le grand trek ou la guerre des boers contre l'envahisseur britannique, les Afrikaners ont développé une solidarité très forte, un sentiment d'être un peuple à la foi élu et assiégé, et se considèrent comme les fondateurs de l'Afrique du sud.

Leur prise de pouvoir au niveau politique, effective dès l'après-guerre, les a mis dans la position de dominer le pays, d'en déterminer la destinée, d'en être la référence.

Avec le temps et l'amélioration de l'éducation comme du niveau de vie, une partie d'entre eux a évolué d'un strict racisme vers une version plus tolérante de la société, plus généreuse.

Ceux-là étaient ainsi prêts à accueillir des noirs, mais pourvu qu'ils soient en quelque sorte une version noire d'eux-mêmes, c'est-à-dire qu'ils embrassent leur langue, leur culture et leurs coutumes, qu'ils s'assimilent, ce prérequis extrêmement important n'étant ni expliqué, ni même conscientisé.

C'est ce qui se passa pour les premiers arrivants, de manière naturelle car leur petit nombre empêchait toute alternative.

Puis le nombre des noirs augmenta, et ceux-ci ne sentirent plus la nécessité de "s'intégrer", de souscrire aux rites étudiants, de s'intéresser aux mêmes choses que les blancs, bref, de s'agréger à la communauté boer.

Au contraire, ils revendiquèrent fièrement leurs propres appartenances ethno-culturelles, soulignant la légitimité de leurs propres identités, voire contestant et dénigrant celle de leurs collègues blancs.

Ceux-ci découvrirent alors qu'ils étaient en train de perdre leur leadership, que leur référentiel n'était plus LE référentiel, qu'ils devaient composer avec d'autres points de vue et idées, et quelque part renoncer au monde qui était le leur.

Le contexte post-apartheid fit dégénérer cette situation.

D'après les auteurs, ce cas de figure est un peu une règle, même sans une oppression si longue et violente en arrière-plan.

Ils estiment que lorsqu'une minorité atteint le seuil de 30%, il y a une sorte de bascule qui se produit. A ce moment-là, ce qui allait de soi n'y va plus, la vision de soi-même, de son groupe, de la norme subit un bouleversement majeur, une remise en cause.

Le cas européen

Toutes proportions gardées, cela m'a évidemment fait penser à nos sociétés européennes, qui sont elles-mêmes de plus en plus ouvertes et dont la part extra-européenne grossit de manière exponentielle.

Bien sûr, les différences sont essentielles puisque dans notre cas les Européens sont les "indigènes" et que les populations extra-européennes ne dominent pas et ne sont pas venues dans le cadre d'invasions.

Par ailleurs, je ne pense pas que nous soyons arrivés au fameux stade des 30%.

Mais il est cependant évident que des changements majeurs ont déjà eu lieu, qui me font penser que la règle peut malgré tout être transposée aux cas européen et français.

Le premier changement visible est dans la société d'accueil, (j'entends par là les "de souche").

Quand on étudie un peu la question, on note que le racisme quasi institutionnel de l'époque où nous étions puissance coloniale n'empêchait pas en métropole un regard différent sur l'indigène, le nouvel arrivant.

C'était un mélange de curiosité, parfois de sympathie, en tout cas le regard de celui qui se sait chez lui et ne se pose pas la question de la pérennité de son identité.

Dans cet ordre d'idée, j'ai jadis lu une biographie du musicien Manu Dibango, où il racontait avoir reçu un accueil excellent dans la France des années 50, puis vu l'image des noirs se dégrader au fur et à mesure de l'augmentation de leur présence dans l'Hexagone.

Il y a aussi le témoignage de l'écrivain afrikaner André Brink disant que c'est en France qu'il avait appris à discuter d'égal à égal avec des noirs, ou encore les nombreux artistes afro-américains plébiscitant Paris (Chester Himes, Richard Wright, Nina Simone, etc).

Attention, je ne brosse pas un portrait idyllique d'une France égalitaire. Les idées racistes étaient bien présentes, de même que les lois. Mais il y avait une sorte d'affirmation naturelle de la part de la majorité, qui ne se sentait pas en danger identitaire, qui était sûre de son droit et de son existence, ce qui enlevait l'idée de compétition, de méfiance.

Le deuxième changement que l'on peut noter concerne l'immigré.

Celui-ci n'est plus "couleur muraille", revendique sa différence, parfois sa supériorité, et refuse le moule assimilationniste traditionnel pour demander des droits.

Le cas musulman en France est exemplaire, mais il est loin d'être le seul: hindouistes, juifs et sikhs réclament également de pouvoir vivre selon leurs règles, quitte à parfois déroger à celles que leurs pays d'accueil considèrent comme une partie de leur identité.

Une partie des noirs commence également à s'organiser, à revendiquer une identité propre et distincte, quand ce ne sont pas des droits spéciaux.

Plusieurs pays ont d'ailleurs mis en place des politiques qui peuvent passer pour un encouragement de ce genre de pratiques, comme ce que les canadiens appellent les accommodements raisonnables. Là-bas, on voit par exemple des policiers femmes ne plus intervenir dans les quartiers juifs orthodoxes à la demande de ces derniers.

Cette nouvelle donne, augmentation du nombre d'étrangers et acceptation de modes de vie heurtant la sensibilité des "de souche" finit par provoquer des réactions.

Il y a une inquiétude qui monte, que beaucoup refusent de voir en face mais que d'autres, de plus en plus nombreux me semble-t-il, abordent dans des ouvrages controversés (Les petits blancs d'Aymeric Paricot par exemple).

Cette inquiétude peut être renforcée par l'attitude de certains minoritaires, au discours revanchard ou hostile allant parfois même jusqu'à un rejet violent des "Français".

Les noirs embrassant les codes culturels français sont dits "bounty" avec mépris (pour noir dehors, blanc dedans), l'Hexagone est décrit dans les chansons comme un pays kouffar, on peut entendre des slogans du type "non à l'intégration par le jambon".

On peut aussi entendre les Indigènes de la république exigeant que les "sous-chiens" que nous sommes (jeu de mot tordu sur le "de souche") s'adaptent à ce qui va devenir bientôt la majorité sous peine de devoir raser les murs à ce moment-là...

Ce genre de posture existe, et le constater sème encore plus le doute.

On peut résumer cette inquiétude par le sentiment dérangeant que son identité, celle dont on a héritée et sur laquelle on ne se posait jusque-là pas de question, ne devient plus qu'une option parmi d'autres dans son propre pays.

Il y a alors un sentiment de dépossession, de remise en cause, un peu l'impression de devenir soi-même un immigré sans avoir jamais bougé.

Ce sentiment me semble désormais un fait commun à toute l'Europe de l'Ouest.

Les discussions que j'ai pu avoir avec des Anglais me font ressentir ça, alors que dans des pays restés plus homogènes, comme la Roumanie, cette crainte de la dilution/disparition n'est pas encore vraiment présente.

Quoi qu'il en soit, selon la plupart des démographes, nous atteindrons bel et bien un jour ce seuil, certains donnent même une date.

Nul ne sait cependant si ça se passera comme à Bloemfontein, si le métissage deviendra la règle, si d'autres identités verront le jour, etc...seul l'avenir nous le dira.