samedi 26 avril 2014

Protestantisme français (2) : intégration à la nation, mémoire et état des lieux

Dans un précédent post, j'évoquais l'histoire des protestants français, depuis leur apparition jusqu'à leur reconnaissance par l’État en passant par les conflits et persécutions qu’ils subirent au cours du temps.

L’article d’aujourd’hui va tenter de décrire la façon dont cette communauté s’est organisée et intégrée au pays, et où elle en est actuellement.

Organisation

A partir de la Révolution française donc, les membres des minorités religieuses sont reconnus comme citoyens français à part entière, pourvu qu’ils renoncent à leurs droits collectifs. Les protestants sont au premier rang de ce changement historique.

Au début, les temps sont toutefois incertains, les régimes instables, une partie de l’église principale est en guerre contre le nouvel état...les choses ne se mettent pas aisément en place et il faut attendre Napoléon Ier pour que la situation se stabilise.

Ce dernier définit la religion catholique comme la religion de la majorité des Français, reconnaissant par cette formule subtile sa prééminence historique, sans revenir pour autant à l’intolérance passée.

En revanche, il oblige juifs et protestants à s’organiser de façon à ce qu’ils puissent, à l'image de l'église catholique, donner à l’État des interlocuteurs identifiés.

Les communautés protestantes doivent donc s’adapter, élisant des représentants locaux. En échange les pasteurs deviennent, à l’instar des curés, des fonctionnaires salariés par l’état.

Un siècle plus tard, la fameuse loi de 1905 qui sépare les églises de l’État, touche les protestants au même titre que les autres religions, qui doivent désormais gérer elles-mêmes leurs financement et fonctionnement.

Seule l’Alsace Moselle, alors sous domination allemande, y échappe, la réintégration de ces départements à l’issue de la Première Guerre Mondiale ne remettant pas en cause ce fonctionnement. C'est pourquoi les prêtres de ces confessions y sont fonctionnaires encore aujourd’hui.

Enracinement

Peu à peu, les protestants enfin reconnus comme citoyens s’enracinent dans le paysage et deviennent une composante à part entière de la société française.

On les voit apparaitre à tous les niveaux de la société : aumôneries, catéchisme, émissions religieuses télévisées (ils ont notamment un créneau dans l’émission religieuse du dimanche matin sur France 2), etc.

Beaucoup entrent également en politique, où, comme les juifs, ils sont surreprésentés par rapport à leur nombre dans la société, le plus souvent à gauche.

Pendant la guerre, une grande partie de la communauté s’implique dans l’aide aux juifs persécutés, comme dans la commune du Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire, qui cache de nombreux enfants juifs. En 1990, Israël distinguera même le village dans son ensemble comme juste parmi les nations.

On trouve également des protestants dans les proches du maréchal Pétain, cette division de la communauté étant en quelque sorte une preuve de leur intégration à la société française.

Les protestants français cultivent une mémoire historique forte, avec des lieux marquants, tels que la tour de Constance ou le musée du désert, tous deux situés dans la région emblématique des Cévennes.

Tous les ans a lieu là-bas la cérémonie de l'assemblée du désert, où des descendants de huguenots se retrouvent pour commémorer la longue période où ils furent persécutés. Cette cérémonie est un moment important et y participent parfois des descendants de la diaspora venus des quatre coins du monde.

De même, à l'instar d'autre minorités régionales ou religieuses, il existe en France ce qu'on pourrait appeler des "réseaux protestants", et une haute bourgeoisie désignée péjorativement par HSP (Haute Société Protestante).

Restes d'hostilité

Malgré tout, une forme d’hostilité à l’égard des protestants subsiste toujours chez une partie des Français.

Elle peut venir de contre-révolutionnaires qui prônent un retour à l’ancien régime ou d’une partie intransigeante des catholiques.

On la trouve aussi chez ceux qui assimilent le protestantisme au monde anglo-saxon, rival par excellence, et donc à l'étranger venu semer la discorde au sein du corps français, latin et catholique.

Charles Maurras notamment mettait ainsi les protestants dans la liste des quatre anti-France (avec Juifs, francs-maçons et métèques) qui participaient à la décomposition du pays réel.

Plus récemment on peut retrouver cette hostilité chez Alain Soral, même s’il distingue deux formes de protestantisme, l'un apatride et prédateur, l'autre enraciné.

Érosion puis renouveau

Dans les années qui suivirent la Seconde Guerre Mondiale, le protestantisme connut le même phénomène que le catholicisme, à savoir une raréfaction des fidèles et une désaffection de plus en plus grande des jeunes générations pour l’église.

Ce phénomène, ainsi que la généralisation des mariages mixtes, entraina une forte baisse du nombre de fidèles, un vieillissement de la communauté et parfois l’abandon de paroisses.

Mais depuis une vingtaine d’années le protestantisme français connait un très fort renouveau, Ce rajeunissement est essentiellement lié à l’immigration, suivant trois courants différents.

Le premier flux est en provenance d’Europe du nord. Un très grand nombre de Britanniques (on parle d’un million) mais aussi de Néerlandais, se sont en effet installés en France, soit définitivement, soit de façon intermittente (par exemple six mois par an).

Ces gens, souvent assez âgés, ont donné un coup de fouet aux paroisses désertées, et lors des offices du dimanche, il n’est pas rare de voir plusieurs Anglais dans les communes rurales du Limousin, du Périgord ou de la Normandie.

Le deuxième flux est antillais. Du fait de leur proximité avec les USA, grand pourvoyeur de missionnaires, les DOM français des Antilles et la Guyane ont en effet un plus fort taux de protestants que la métropole, et les milliers de personnes qui sont parties s'installer dans l'Hexagone y ont amené leur foi, revivifiant les églises des grandes agglomérations.

Le troisième flux, enfin, vient d’Afrique noire, où le protestantisme est assez largement répandu.

Dans ces deux derniers cas, il s’agit très souvent de protestantisme évangélique. Cette branche se caractérise par des pratiques très démonstratives, telles que l’imposition des mains, des cultes très longs, des prêtres starifiés, un fort prosélytisme, un côté magique, et une lecture littérale de la bible.

Les églises évangéliques sont très nombreuses, variées, décentralisées et très souvent organisées autour d'un prêtre star. Des dérives sectaires sont fréquemment signalées, la misère et le déracinement qui caractérisent souvent les fidèles en faisant des proies faciles pour les apprentis gourous.

Le dialogue entre les protestants historiques et ces nouveaux venus, qui les ont d’ores et déjà dépassés en nombre, n’est pas toujours simple, mais il a profondément changé le visage de cette religion dans notre pays.

De ce dialogue entre communautés historiques et nouveaux arrivants dépend l'avenir de cette religion dans notre pays, dont elle est une composante historique importante et méconnue.

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