lundi 22 septembre 2025

Réflexions: le peuple et le dictateur

Comme tous les Français nés dans les années 70 j'ai été éduqué dans le culte de la république et dans le rejet des dictateurs.

Cet enseignement était bien hémiplégique, impitoyable avec les versions brunes et plein d'indulgence avec les rouges, mais j'ai néanmoins appris les valeurs démocratiques, l'importance des droits de l'homme, de la séparation des pouvoirs, des libertés individuelles, etc, et intégré l'idée que ces principes allaient de soi et que leurs opposés étaient condamnables.

Aussi j'ai été surpris lorsque j'ai rencontré des gens ayant vécu sous des dictatures et constaté que leurs opinions étaient souvent beaucoup plus nuancées.

Je crois que la première d'entre eux était la mère espagnole d'une amie, qui disait notamment que sous Franco les Espagnols pouvaient circuler comme ils voulaient à l'étranger, relativisant l'image d'une société bloquée et terrorisée.

A la même époque j'ai également discuté avec une collègue haïtienne issue de la bourgeoisie de l'île.

Un peu plus jeune que moi, elle exprimait une certaine nostalgie pour l'ère des Duvallier, dont les Tontons macoutes faisaient les grandes heures des JT de mon enfance par leurs sanglantes exactions.

Cette fille disait entre autres qu'à l'époque de Bébé doc, l'ordre régnait et les gens mangeaient à leur faim.

Après cela lors d'un voyage en Sicile je réalisai que beaucoup de gens y considéraient l'époque fasciste comme un temps où "l'on pouvait dormir la porte ouverte" (citations de grands-parents de l'Italienne qui m'y avait invité), ce qui expliquait que les bustes du Duce se vendent comme souvenirs sans que cela choque personne.

Voir l'homme qui avait fondé le mouvement dont le nom est devenu une insulte diabolisante en France devenir un objet marketing m'avait stupéfait.

Après cela il y eut plusieurs Algériennes qui voyaient positivement les années Boumediene, un personnage dont le sens démocratique n'était pas exactement hypertrophié...

Et enfin, en causant avec quantité de Roumains un peu âgés je constatai que beaucoup regrettaient le temps de Ceausescu pour son ordre, son patriotisme ombrageux et ses certitudes.

A mon dernier voyage outre Carpates j'ai même noté qu'on commençait à vendre des coussins à son effigie.

Et puis il y eut aussi ces sondages déroutants, d'où il sortit que la majorité des Portugais considéraient Salazar comme le plus grand homme de leur pays au 20e siècle, et que pour les Russes c'était Staline.

Tout ceci est troublant.

C'est comme si les dictateurs savent créer un lien avec le peuple qu'ils dominent, qu'en quelque sorte celui-ci sinon les élisent, du moins les adoubent.

On s'aperçoit en effet que nombre d'entre eux ont une sorte de charisme, une connivence avec les masses, souvent inintelligible pour l'extérieur.

Ceausescu a ainsi su conquérir les Roumains par delà le communisme.

Ceux-ci ont réellement et massivement communié derrière lui lorsqu'il feignit de s'opposer au printemps de Prague, flattant leur patriotisme ombrageux (même si l'on sait aujourd'hui que ce n'était pas du tout une opposition frontale).

L'ogre Staline eut aussi recours à cette ficelle en ressortant les épaulettes tsaristes pendant la Seconde guerre mondiale et en chassant le Juif après celle-ci.

Salazar ne jouait pas le jeu du culte de la personnalité, mais son charisme inversé venait de son mode de vie religieux et quasi spartiate, dédié au sérieux de sa tâche.

L'actuel président à vie de la Tunisie, Kaïs Saïed, semble avoir lui aussi séduit par ce côté universitaire pieux et ascétique.

Une autre source de légitimité peut être d'avoir renversé un prédécesseur honni.

Castro obtint l'adhésion des Cubains en mettant fin au régime colonial installé par les Etats-Unis après leur conquête de l'île sur l'Espagne.

La dictature militaire qui n'en finit pas de diriger l'Algérie s'est enracinée lorsque le FLN, auréolé de sa victoire sur la France, était au sommet de sa popularité.

L'épouvantail du Shah a permis aux mollahs de justifier leur prise de pouvoir en Iran.

L'arrivée de Poutine à la tête de la Russie était vue comme le moyen de restaurer une puissance injustement renversée et de lui redonner son rang.

Etc.

Ainsi tout se passe comme si nombre de dictatures commencent par une lune de miel qui permet au régime de s'installer, une vague d'enthousiasme pour un changement vu comme juste ou libérateur.

Le processus qui suit est pourtant toujours le même: réduction des libertés et des voix dissidentes, adhésion obligatoire, fermeture et confiscation de tous les pouvoirs par le(s) dirigeant(s).

Le régime finit le plus souvent par être honni et par tomber, parfois aidé par l'extérieur.

Mais on sait aussi que quelques temps après la chute, devant un nouveau régime qui sera forcément limité et inégal car le régime parfait n'existe pas, viendra la nostalgie, l'idéalisation fatale d'un bon vieux temps où l'ordre régnait, etc.

Lorsque le bloc de l'Est fut dissous, les attentes de ses citoyens étaient immenses.

Le choc du retour dans le monde dit libre a été tout aussi énorme et violent, et beaucoup n'en ont pas profité, ignorant les nouvelles règles, pas toujours aidés et sans doute un peu trop idéalistes.

Devant ce constat, beaucoup en sont venus à se demander si le choix était le bon. Les livres de Svetlana Alexievitch sont sur ce point très éclairants.

Je pense que sur toute la planète une partie des humains, et peut-être une partie de chacun d'entre nous, souhaite suivre un chef qui serve ses intérêts et ceux de son groupe, qui soit admiré et craint, à qui l'on puisse s'identifier et dont on soit fier.

Un homme qui sait répondre à ces aspirations dans un pays pourra emporter celui-ci. C'est vrai s'il est élu, et c'est vrai s'il prend le pouvoir par la force.

Est-ce à dire que les dictatures sont fatales, voire souhaitables, et pas si différentes d'une élection?

Je ne le pense pas pour plusieurs raisons.

D'abord parce qu'un pouvoir absolu est toujours nocif. Sans contre pouvoir il y aura toujours des abus, des profiteurs et de l'injustice. Toutes les dictatures ont écrasé des gens dont la seule faute était de ne pas penser comme c'était imposé.

La deuxième raison, et peut-être la plus essentielle, c'est qu'une dictature finit toujours par se bloquer, par être en décalage avec les générations suivantes, un frein à l'évolution, et donc par être à côté de la plaque.

C'est pour cela qu'une alternance doit être pensée et organisée, pour que tout règne ait une fin programmée, non violente et légitimée, de manière à permettre qu'une autre page de l'histoire commence à s'écrire légalement.

Il est difficile de créer un régime qui fasse cela correctement.

A l'échelle de la France, il nous a fallu plusieurs brouillons pour que la république s'enracine.

La première était empirique et menacée et a vite débouché sur l'Empire, où l'archétype du dictateur moderne, Napoléon Ier, est apparu.

Malgré son bilan humain, son aura était telle que 33 ans plus tard, quand la deuxième république choisit d'élire son président au suffrage universel c'est son neveu, Louis-Napoléon, qui emporta l'élection haut la main, simplement grâce au prestige de son nom.

Trois ans plus tard, il commettait le putsch qui fit de lui Napoléon III, créant un précédent qui fit que les troisième et quatrième républiques se méfièrent du suffrage universel pour le président.

C'est le général De Gaulle qui rétablit ce système, créant la république dans laquelle nous vivons, qui fut un système assez efficace avant de se déliter pour arriver à la sorte d'impasse où nous nous trouvons actuellement.

Celle-ci fait que de plus en plus de Français rêvent à nouveau d'un homme fort, qui les fasse vibrer et qu'ils aient envie de suivre.

Si celui-ci se présente, espérons qu'il sera plus un De Gaulle qu'un Pétain, et qu'on ait la sagesse de ne pas jeter aux orties la démocratie, le pire des régimes à l'exclusion de tous les autres, comme le disait Winston Churchill.

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