vendredi 3 octobre 2025

Ennui provincial

Je vis en Ile-de-France depuis désormais presque 20 ans, en petite couronne pour être plus précis, donc dans une zone connectée, très urbanisée et densément peuplée.

Le contraste avec le minuscule village de mon enfance pouvait difficilement être plus grand, même si avant d'arriver ici j'ai vécu dans deux autres villes provinciales de taille respectable.

Avec le temps cette première période de ma vie s'éloigne de plus en plus mais l'empreinte qu'elle a eu sur moi reste forte, et le sera sans doute toujours.

Mon village a beaucoup changé.

Les quelques commerces fixes qui survivaient dans ma jeunesse (maréchal ferrant, bar, épicerie, boulangerie...) ont fermé.

Les équivalents en camions qui les avaient ensuite remplacés ont disparu aussi.

Les fermes, assez nombreuses, sont devenues plus rares et les friches ont gagné du terrain.

L’État s'est largement retiré: plus de gare, d'école ni de bureau de poste.

Les représentants religieux ont disparu: il y avait un curé et un pasteur dans mon enfance, plus rien aujourd'hui.

Niveau population, la plupart des jeunes sont partis et beaucoup sont morts.

Des propriétaires de résidences secondaires en ont remplacé une partie, souvent des gens liés familialement à l'endroit, mais aussi un très grand nombre de Britanniques venus réaliser leur rêve de campagne ici, une énorme surprise pour tous.

Quand j'étais petit le village était bilingue, tout le monde parlant et comprenant le français et une majorité utilisant le patois local.

Aujourd'hui le bilinguisme est toujours d'actualité mais c'est désormais l'anglais qui a supplanté notre dialecte, que plus personne ou presque ne parle et que je n'ai sans doute plus entendu depuis trente ans.

Dernier point: la commune a été finalement fusionnée avec plusieurs autres.

Toujours est-il que j'ai grandi dans un tout petit monde, aux caractéristiques bien différentes de mon habitat actuel.

D'abord on y était membre d'une famille avant d'être autre chose: le fils machin, la fille untel, on était toujours situé quelque part, héritant même parfois d'une réputation ou du sobriquet attribué à un ancêtre.

Tout le monde connaissant tout le monde, on se surveillait aussi, plus ou moins gentiment.

Çà pouvait donner l'impression d'étouffement qu'on associe souvent aux petites villes, mais cela procurait aussi un sentiment de sécurité, parce que personne n'était indifférent à personne et qu'en cas de souci tout le monde intervenait.

Autre caractéristique: il y avait de l'espace à revendre. En deux minutes de vélo on était dans les champs, jamais de bouchons ou de blocages, toujours la possibilité d'être tranquille.

Et puis il y avait l'ennui, qui m'a inspiré ce post.

La province et la ruralité sont souvent vues à juste titre comme des espaces limités.

Les opportunités, qu'il s'agisse de se divertir, de trouver un conjoint ou un job, sont plus rares que dans les villes, et de plus en plus rares à mesure que la taille diminue.

Les choses et les gens changent moins, quel que soit le domaine concerné, tout dure plus longtemps.

Cela donne le sentiment très fort d'un temps plus lent, plus épais, plus répétitif.

Cela explique aussi pourquoi chaque nouveauté est un tel événement, et que chaque événement est commenté longtemps et abondamment, comme pour le faire durer avant de retourner à la monotonie du quotidien.

Quand on est jeune, curieux d'expériences et/ou ambitieux, c'est pénible, voire insupportable.

Mon adolescence est associée dans ma tête à cet ennui et ce temps arrêté, et je peux voir la même chose sur ma femme et mes enfants, pour qui l'endroit est angoissant à cause de de sentiment qui n'a plus droit de cité.

Avec l'âge pourtant, je suis régulièrement nostalgique de cet ennui provincial et j'ai besoin de me replonger régulièrement dans cette ambiance de mon passé...

Je terminerai avec deux des nombreuses chansons qui portent sur ce thème.

Tout d'abord le Rio Barril de Florent Marchet, qui fait le portrait d'un de ces innombrables petits bleds de l'arrière-pays. Notons la phrase "Ses adolescents / Qui ne reviendront pas".

Ensuite il y a l'une de mes chansons préférées d'Hubert Félix Thiéfaine, l'excellent et bien plus acide Villes natales et frenchitude, qui se conclut par le vers désespéré "Mais faut pas rêver d'une tornade / Ici les jours sont tous pareils". 
 
Enfin il y a le dantesque Demain c'est trop tard du rappeur Mc Circulaire, sorte de pendant rural trash au Demain c'est loin de IAM.

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