lundi 14 septembre 2009

(Petit) aperçu de la littérature roumaine (1): Introduction

Je vais dans ces deux posts, offrir un petit panorama de mes modestes connaissances sur la littérature d'un pays auquel je suis très attaché pour des raisons personnelles: la Roumanie.

En guise d'introduction, je ferais un petit rappel historique que je crois important, notamment parce qu'en dehors des clichés sur Ceausescu, Dracula et les gitans, en France on connait très peu ce pays. Ce qui est franchement dommage car la Roumanie, sœur latine éloignée, a longtemps regardé la France comme un modèle dont s'inspirer.

Cette introduction a pour but de permettre de mieux situer les auteurs dans leurs communautés respectives et dans leur contexte historique.

Peuples de Roumanie

Tout d'abord, il faut savoir que si les Roumains sont un peuple ancien, la Roumanie est un pays jeune.

On fait traditionnellement naitre le peuple roumain de la conquête romaine de la Dacie, en roumain Dacia (nom qui a d'ailleurs donné la marque de voiture rachetée par Renault), la Dacie étant un peu leur Gaule à eux.

Une fois les Romains partis (ils sont restés un petit siècle), le pays a vu déferler successivement des dizaines de conquérants: Goths, Huns, Slaves, Hongrois, Bulgares, Turcs, Russes, Autrichiens, j'en passe et des meilleurs.

Si ces conquérants n'ont pas effacé l'héritage linguistique (le roumain reste une langue à base latine) ils ont néanmoins tous laissé des traces, qu'elles soient génétiques, architecturales, culturelles (par exemple la religion orthodoxe ou les voyelles slaves), ou bien qu'elles se manifestent carrément sous la forme de communautés installées en Roumanie.

Un grand nombre de ces communautés est toujours là aujourd'hui, chacune d'entre elles étant reconnue par l'Etat et bénéficiant d'un tas de droits, souvent plus que ce que recommande l'Union Européenne, d'ailleurs.

J'insiste sur ce point car c'est une des caractéristiques marquantes de la Roumanie, qui conditionne forcément sa littérature et sa contribution à la culture mondiale. J'y reviendrai.

Construction de l'état roumain

L'état roumain dans ses frontières actuelles est né après la seconde guerre mondiale, après bien des soubresauts. Historiquement, il est divisé en trois régions: la Moldavie au nord-est, la Valachie au sud, et, coincée entre les deux, la Transylvanie, chacune de ces régions ayant connu des destins assez différents.

La Moldavie et la Valachie ont été des régions un peu archaïques, avec un système féodal figé, quelque chose dans le style de la Russie profonde telle qu'on l'imagine.

Ces deux régions ont longtemps été des protectorats ottomans, dirigés par des gouverneurs grecs, les Phanariotes, du nom du quartier grec d'Istanbul, le Phanar, qui étaient réputés pour leur rapacité et leur corruption (certains ont toutefois laissé un bon souvenir).

Avec la montée en puissance de la Russie, le destin des deux provinces a cependant divergé.

- La Moldavie

La Moldavie a en effet quitté le giron ottoman pour être longtemps disputée entre Roumains et Slaves, principalement les Russes, cette lutte aboutissant après un tas de conquêtes-reconquêtes (c'est un peu leur Alsace Lorraine), à la situation actuelle: aujourd'hui la moitié sud-ouest de la province est restée roumaine et l'autre est passée du statut de République Socialiste Soviétique intégrée à l'URSS à celui d'état indépendant.

Une des spécificités de la Moldavie était la présence d'une très importante communauté juive. Les juifs étaient nombreux en Roumanie, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d'abord il faut savoir que les empires qui ont dominé la Roumanie (austro-hongrois et turc) ont longtemps été religieusement bien plus tolérants et accueillants que les pays d'Europe de l'ouest. Ainsi les Turcs ont-ils recueilli une grande part des juifs expulsés d'Espagne.

Ensuite, la Moldavie a accueilli de très grandes communautés quand elle était russe. Elle faisait partie de la "zone de résidence autorisée pour les juifs", c'est-à-dire de la partie de l'empire russe où les Juifs ont été refoulés quand les tsars ont commencé à prendre des mesures antisémites très dures (ils n'avaient pas le droit de s'établir ailleurs).

Du coup, cette région de Roumanie était très juive (on parle de 10% de la population), et dans des villes comme Chisinau/Kisinev, ou Cernauti/Czernowicz/Tchernivtsi, cette communauté pouvait même être majoritaire.

Leur nombre a bien évidemment décru pendant la seconde guerre mondiale (la Roumanie était alliée des nazis jusqu'en 44), mais la grande saignée a surtout eu lieu après la fin du régime communiste.

En effet, si après guerre il en restait finalement pas mal (les Roumains nés dans les années 40 que j'ai rencontrés ont connu beaucoup de Juifs, qui étaient même majoritaires dans certains villages) ils sont ensuite partis en masse pour la Terre Promise.

Ils ont d'abord été littéralement "achetés" au régime communiste par Israël (le gouvernement roumain faisait payer ses visas par Israël), puis quand celui-ci s'est écroulé en 1989, ils sont partis de leur plein gré.

En Israël, les descendants de Roumains sont très nombreux, d'autant que de nombreux pionniers du sionisme étaient originaires de Roumanie.

- La Valachie

La Valachie, quant à elle, a pour première spécificité d'avoir Bucarest pour capitale, ville qui est devenue capitale de la Roumanie et qui est énorme par rapport au reste du pays.

Elle a également pour caractéristique son ouverture sur la mer noire, ce qui lui a valu la présence de communautés grecque, turque, tatare et "lipovène", qui sont des orthodoxes russes ayant refusé la réforme du patriarche Nikon et fui en Roumanie pour continuer à vivre à leur façon (ils sont un peu les équivalents des amish dans le monde orthodoxe).

Valachie et Moldavie se sont unifiées en 1859 (avec notamment le soutien de Napoléon III) pour former la première ébauche de la Roumanie moderne, royaume dirigé par une branche de la famille des Hohenzollern-Sigmaringen après l'abdication du roi de l'unification, Alexandru Ion Cuza.

- La Transylvanie

La Transylvanie, quant à elle, a eu une histoire tout à fait différente. Tout d'abord cette région est à la base multi-ethnique. Très tôt s'y sont en effet installés des conquérants hongrois et de très nombreux colons allemands.

Ces derniers y ont fondé des villes, dominé le commerce, les sciences et le pouvoir politique, et ils ont constitué une communauté florissante qui vivait en vase clos, avec mariages endogames et conservation de leurs langue et religion. Pour eux, la Transylvanie s'appelle Siebenbürgen et leurs traces s'y retrouvent partout.

Après une présence multiséculaire, ces allemands de Transylvanie, qu'on appelait "Saxons", sont eux aussi partis en masse à la fin du régime communiste, pour aller repeupler l'Allemagne (sous le communisme, eux aussi étaient vendus à la RFA) et trouver une vie meilleure. Les Roumains, qui les enviaient et les admiraient, les regrettent souvent.

Au niveau politique, la Transylvanie a également eu un destin à part: hongroise, puis royaume vassal des Turcs, puis austro-hongroise, puis de nouveau hongroise, elle n'a été rattachée à la Roumanie qu'en 1918, après la fin de l'empire des Habsbourg.

La Transylvanie a été la plus riche région de Roumanie, la plus cultivée et la plus intégrée au monde, d'un point de vue économique et culturel. Deux exemples modernes: Bela Lugosi, l'acteur qui a donné son visage à Dracula, est un Hongrois de Transylvanie, et Johnny Weissmuller, le Tarzan le plus célèbre, est un Allemand de Transylvanie...

Conclusion: un pays multi culturel

Une autre communauté est à signaler en Roumanie, où elle est incontournable: les Rroms. Aujourd'hui ils représentent officieusement dans les 10% de la population roumaine, pays où ils ont une histoire bien spécifique.

Arrivés de l'Inde par l'Iran puis l'Anatolie, certains se sont établis en Roumanie, où ils ont fini par être réduits en esclavage, propriété des nobles ou des monastères, et ce jusqu'au milieu du XIXième siècle.

Ils sont restés majoritairement nomades jusqu'à l'avant-guerre, travaillant le cuir, vendant des chevaux, faisant des bijoux, animant des fêtes (ils étaient souvent montreurs d'ours notamment), avant que les communistes ne les sédentarisent de force, les obligeant à avoir un emploi, à aller à l'école, etc. Tout cela s'est écroulé en 89, une grande partie d'entre eux retournant alors à un semi-nomadisme miséreux.

Leur place en Roumanie est ambigüe. Ils sont haïs, mais ultra présents dans la musique, dans le folklore, et si officiellement il n'y a pas mélange, beaucoup de visages roumains ont des traits sombres, et beaucoup de Tsiganes ne se reconnaissent qu'à leurs vêtements.

Par ailleurs, ils ont des représentants officiels au parlement, leur langue, d'origine sanscrit, est encore parlée et enseignée, etc. En tout cas, ils sont incontournables.

Bon, ce point (finalement pas si petit que ça !) me paraissait important pour introduire les écrivains que je vais lister dans le post suivant: (Petit) aperçu de la littérature roumaine (2): quelques auteurs.


Post scriptum :

Un ami roumain m’a fait remarquer que ce post faisait l’impasse sur quantité d’événements importants de l’histoire du pays et donnait l’impression qu’en Roumanie les Roumains était finalement une sorte de minorité.

C’est tout à fait vrai.

Quand j’ai écrit cet article, je voulais juste donner un aperçu de ce pays pour en introduire les auteurs, et expliquer pourquoi la Roumanie a produit tant d’écrivains s’exprimant dans d’autres langues que celle du pays.

Cette particularité est en effet très étonnante pour un pays jacobin comme la France, tout comme l’est l’existence de communautés reconnues par l’état et vivant dans leur langue et leurs espaces.

Et ce coup de projecteur n’enlève bien évidemment rien au fait que la Roumanie est d’abord l’état où vivent la majorité des Roumains, qui représentent presque 90% de la population totale, sont de langue roumaine et principalement de religion orthodoxe.

Je confirme donc que ce post est bien écrit sous l’angle particulier et réducteur du côté multiculturel de la Roumanie et qu’il ne faut pas le prendre pour autre chose, et surtout pas pour une histoire exhaustive du pays (pour laquelle il faudrait d’ailleurs bien plus d’un article !).

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