vendredi 11 septembre 2009

Banlieusard

Depuis quatre ans, j'habite dans ce qu'on appelle "la banlieue", dans un de ces entre-deux qui suscitent tant de fantasmes et de commentaires. La banlieue, quel concept étrange, qui définit un endroit qui n'existe jamais tout seul, mais par la ville à laquelle il se rattache.

La banlieue où je vis est populaire, comme on dit, et ancienne, avec une histoire, des vestiges, des racines, rien à voir donc avec les cités-dortoir uniformes et désolées de l'après-guerre.

N'en étant pas originaire, j'ai sur elle un regard un peu détaché, un peu "anthropologue".

Cet endroit est en fait une juxtaposition d'habitats d'âge et de type bâtards, avec des populations tout aussi diverses et bariolées. Comme j'aime me promener au hasard et regarder, j'ai noté une foule de détails.

Derrière chez moi, quand on s'enfonce loin des grands axes, on tombe sur un lacis de ruelles étroites, où les petits pavillons construits de bric et de broc (ciment, brique, trucs pas finis, courettes microscopiques) alternent avec des immeubles "boite à chaussure" vieillissants et des friches, anciennes usines ou entrepôts, voire avec des maisons à l'abandon, des ex-cinémas, des terrains vagues...

On trouve aussi quelques vieux rades, repaires de petits vieux arabes, portugais ou français, et autres commerces qui sentent bon les années 50 ou la France rurale, ainsi bien sûr que les supérettes tenues par les Arabes ou Indiens du coin.

On tombe également sur des trucs improbables.

Une baraque de parpaings (devant laquelle on voit une voiture polonaise) qui pousse par à-coups, sans doute en fonction de rentrées de pognon qu'on imagine aléatoires (dernièrement une cour lui a été ajoutée).

Des caravanes aux roues prises dans le ciment où des gens vivent à demeure.

Un grand immeuble isolé sur une route où tout le reste n'est que friche et entrepôts, qui sent la misère et le Marcel Carné, avec ses murs lépreux, ses fleurs et son linge aux fenêtres (on dirait qu'il est le seul rescapé d'une démolition).

Dans une maison à demie démolie, un antique camion publicitaire rouillé, avec son "nez" caractéristique qui me rappelle les type H Citroën.

Une église évangélique chinoise avec sa croix en néon fluo.

De ci de là des ruelles quasi-piétonnes avec des maisons de poupée pleines de fleurs qui sont comme une respiration et une enclave villageoise dans la ville.

Une série de maisonnettes à l'anglaise au pied d'un gros immeuble qui pue et à côté de l'entrée vers l'axe routier principal, perpétuellement congestionné.

Une gigantesque usine désaffectée qui borde le côté de l'avenue principale et coupe en deux le cimetière qu'on voit de chez moi (on a commencé à détruire cette usine il y a trois ans).

En face d'une laverie antédiluvienne, un immeuble en ciment, (entouré hier par des mini-décharges sauvages où fouillait une vieille à foulard), avec un balcon en fer forgé tout à fait incongru...

Sous la crasse des bâtiments fatigués de l'avenue principale, derrière les boucheries halal et les magasins de pâtisseries du Maghreb, derrière les vendeurs de bagages, de literie, de surplus de l'armée, entre les Tati et les clones locaux de KFC, But et Darty (dont les enseignes s'inspirent gaiement des modèles), à côté de la banque marocaine, des kebabs et des bazars on note des pavillons qui furent sans doute pimpants et des immeubles ouvragés qui ont du être jadis cossus, et laissent imaginer une période plus prospère.

Etc.

Et tout ça n'est pas figé, cette zone bouge énormément, est constamment entourée de travaux et pleine d'une grande vitalité.

Ainsi, au moins quatre ensembles ont été détruits depuis mon arrivée, et des bâtiments modernes ont poussé, souvent des résidences bien sûr, mais aussi des placettes, des centres commerciaux, voire de nouvelles rues.

Du coup, le contraste est encore plus grand avec les semi-décharges, le vieux bâti et/ou les maisons échappées du passé.

Hier en me baladant sur mon circuit habituel, j'ai emprunté une nouvelle ruelle apparue entre les résidences nouvellement construites sur l'emplacement d'une ancienne zone d’entrepôts. La rue se terminait en une venelle étroite.

Devant moi est apparu un tsigane avec un caddy à la main, que j'ai reconnu comme faisant partie de cette vague de Roumains qui est arrivée en France après la fin des visas obligatoires.

Il s'est gentiment écarté pour me laisser passer et a disparu derrière une barrière. Intrigué, j'ai jeté un œil, et en fait il y avait là un petit village de bungalows où apparemment on a relogé un camp entier de gitans qui zonaient avant je ne sais pas où! C'est marrant, j'étais passé tout près plein de fois, sans jamais rien voir...

En fait, ma banlieue est pauvre, moche, sale, parfois mal famée et aussi surpeuplée que le reste de la région, mais on y trouve une certaine poésie dans la déglingue qui peut me rappeler mon village d'origine ainsi que les villes des pays du sud (Malte, Chypre, Sicile...) où je suis passé.

Tout en étant souvent repoussant et pas un cadre idéal pour des gamins, car pauvreté rime avec délinquance, cet endroit a quand même plus d'identité que ces villes nouvelles, proprettes et tellement standard qu'on a l'impression de vivre chez Disney.

Je pense à tous ces lotissements qui poussent en marge de Paris et des grandes villes, et que je trouve finalement bien plus repoussants...

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