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vendredi 11 octobre 2013

(Petit) aperçu de la littérature roumaine (3): quelques auteurs

Dans un post de 2009, j'avais exposé plusieurs auteurs roumains que j'avais eu le loisir de lire.

Depuis cette époque, j'ai continué à lire, ce qui m'a permis de découvrir d'autres écrivains de ce pays, cette découverte s'accélérant grâce au salon du livre de cette année, où il était à l'honneur.

J'ai donc décidé de compléter ma liste en citant les auteurs que j'ai depuis rencontrés:

- Ioana Andreescu

Écrivain roumain tôt exilée à Paris (où, comme le voulait la tradition, le "u" de son nom se transformera en "o"), elle y publiera la majorité de son oeuvre et y sera plus connue que chez elle.

J'ai lu "Soleil Aride", ou la vie d'un petit village de Roumanie à la fin de la seconde guerre mondiale, vue par les yeux d'un enfant. Très beau et mélancolique.

- Radu Anton Roman

Cet auteur épicurien est connu dans son pays pour avoir écrit et fait des émissions de télé sur la cuisine roumaine.

Passionné de pêche, il était aussi un grand amoureux du Delta du Danube, région exceptionnelle de Roumanie sur laquelle il a aidé le Commandant Cousteau à faire un reportage et qui lui a inspiré le roman "Des poissons sur le sable".

Ce livre, paru en 1985 et pour lequel l’auteur a eu quelques ennuis avec le régime de Ceausescu, décrit la vie de personnes liées de près ou de loin au petit village de Leteorman, perdu dans le delta, en proie à la pauvreté et à l'absurdité criminelle du communisme. 

Restrictions absurdes, quotas imposés malgré un abandon cynique de la région à elle-même, dénuement, pollution industrielle à grande échelle, persécutions idéologiques, répression du braconnage, manipulations médicales sur les sportifs, corruption institutionnalisée, rien n’échappe à la plume acerbe de Radu Anton Roman.

L’autre face du roman, peut-être la plus importante, est cependant la description de la richesse de ce milieu, de sa faune et sa flore uniques, ainsi que de l’identité des gens qui s’y sont installés au cours du temps et vivent en symbiose avec le Delta.

Dans ce livre, on croise des lipovènes, descendants des dissidents orthodoxes russes fuyant la réforme de leur église, des haholis, héritiers des cosaques ukrainiens réfugiés ici après la chute de leurs territoires, des descendants de paysans roumains ayant fui le servage.

On rencontre aussi un retraité qui préfère la vie dure et froide du Delta à sa vie misérable en ville, un ouvrier tsigane vivant de la charité des habitants une fois que le chantier l’a abandonné, des voleurs de poisson jouant au chat et à la souris avec la police, une femme docteur indomptable qui a fini par s’attacher à la région, une prostituée turque, un commerçant macédonien, un pope inspiré venu en mission dans ce bout du monde, une championne d’aviron au corps déformé par le dopage…

Et surtout, Anton Roman montre l’interdépendance et la solidarité de ce monde difficile et parfois tragique (il décrit notamment un naufrage qui fait plusieurs victimes), où les spectaculaires beuveries sont autant de soupapes et de liens entre ces pêcheurs qui travaillent au coude à coude dans le froid, le brouillard et des éléments hostiles avec des moyens dérisoires.

Bref un beau portrait d’une région fascinante.
 
- Catalin Dorian Florescu

Cet auteur a grandi à Timisoara dans les années 70 avant que sa famille ne fuit le régime communiste pour s'installer à Zurich alors qu'il était encore adolescent. Devenu parfaitement bilingue, c'est en langue allemande qu'il écrit ses romans, obtenant même un prix littéraire suisse.

De lui, j'ai lu "Le turbulent destin de Jacob Obertin", livre picaresque qui raconte la vie d'un souabe balloté par l'histoire mouvementée du XXième siècle.

Ce livre tragi-comique est l'occasion de présenter la saga des saxons de Roumanie, descendants de colons  germaniques (dans le cas du livre ils sont lorrains) recrutés par les empereurs austro-hongrois pour peupler le Banat.

Cette région multiculturelle, aujourd'hui à cheval sur la Roumanie et la Serbie et où cohabitent des villages qui sont autant de communautés (tziganes, roumains, serbes, saxons...) est décrite avec finesse.

Mais ce qui marque le plus ce sont les personnages aux caractères fouillés et réalistes, que l'auteur se garde bien de juger et auxquels on s'attache parce qu'ils sonnent vrai.

Tout comme sonnent vrais les portraits des communautés, l'histoire de la colonisation allemande et la description des malheurs qui se sont abattus sur le pays: échos de la propagande nazie chez les allemands de Roumanie, collaboration puis guerre contre l'Allemagne hitlérienne, déportations des juifs et des tziganes; abominations du régime communiste enfin, sur lesquelles se termine un livre marquant.

- Herta Müller

Les livres de cet écrivain d'origine saxonne s'inspirent de sa propre expérience de l'oppression communiste (elle fut en effet persécutée par le régime de Ceausescu avant de s'enfuir). J'ai lu "la convocation", livre qui lui a valu le prix Nobel de littérature.

Le personnage d'Herta Muller parle de sa vie ordinaire dans la Roumanie de Ceausescu, de son étouffement et des pressions auxquelles elle est soumise suite à une dénonciation.

Toutefois, j'ai pris cette lecture plus comme le portrait intime d'une femme que comme une description de la Roumanie ou de la dictature, qui sont plutôt une toile de fond. Ce livre était difficile et je n'ai pas particulièrement accroché.

- Liviu Rebreanu

Auteur classique roumain, Liviu Rebreanu est née dans la Transylvanie austro-hongroise, où sa communauté était travaillée par l'idée de réunification avec les deux provinces libres.

C'est cette idée, ainsi que sa propre expérience de soldat, qui est le sujet principal de "La forêt des pendus", seul livre de lui que j'ai lu à ce jour.

On y suit le parcours d'un officier austro-hongrois d'origine roumaine, d'abord rigide et fidèle aux Habsbourg, et qui peu à peu est gagné par le doute lorsqu'il doit se battre conte l'armée roumaine.

Ce doute devient un déchirement insoluble entre ses deux allégeances, avant qu'il ne soit finalement condamné à mort pour s'être rangé du côté de son peuple plutôt que de son état.

La forêt des pendus n'est pourtant pas un livre manichéen ou patriote au sens étroit du terme. Au contraire, il insiste sur l'importance et la complexité de ce qui fait un être humain, qui ne saurait être réduit à une caractéristique unique, qu'elle soit ethnique, religieuse ou nationale.

Avec l'histoire de ce soldat velléitaire qui semble se chercher en passant d'une allégeance à une autre, qui subit des influences contraires, qui revient aussi à Dieu après un long détour (on le voit passer par une crise mystique), Rebreanu nous trouble, nous interroge et nous touche.

L'oeuvre la plus célèbre de Rebreanu est le roman "Ion", que je n'ai pas lu à ce jour.

- Bogdan Teodorescu

Bogdan Teodorescu est né au début des des années 60.

Journaliste et professeur en études politiques, il a participé à la campagne et au gouvernement d'Emil Constantinescu, second président de la Roumanie post-Ceausescu et premier non communiste à diriger le pays (il fut précédé et suivi à ce poste par Ion Iliescu, personnage ambigu issu de la nomenklatura communiste).

A ce titre, Teodorescu connut à la fois en tant qu'acteur et spectateur le chaos, l'anarchie et les changements brutaux qui caractérisèrent la période dite "de transition" de son pays, lorsque dans les années 90 la Roumanie sortit de son long repli et s'ouvrit brutalement sur l'extérieur après l'exécution des époux Ceausescu.

Le livre que j'ai lu, "Des mecs bien...ou presque", se passe précisément à cette période.

Il s'ouvre sur le meurtre accidentel d'une journaliste d'investigation en vue, meurtre très commenté dans le pays. L'enquête qui suit est un prétexte à montrer ce qui se passait à l'époque en Roumanie.

Privatisations sauvages, corruption omniprésente, faux semblants, vécus complexes, arrivée d'étrangers qui ne comprennent rien aux habitants mais ne se gênent pas pour profiter de nouveaux clients fabuleusement riches, règne des médias, et bien sur toutes les ambiguïtés des Roumains par rapport au règne communiste, au pouvoir ou à l'argent...tout cela est évoqué par Teodorescu.

Au fil des chapitres, il fait monter le suspense, crée une ambiance pesante, inquiétante. En même temps, on sent qu'il comprend les mobiles de tous ses personnages autant que l'incompréhension de ceux qui peuvent les voir de l'extérieur, et qu'il ne les juge pas forcément, qu'il réussit à avoir ce double regard sur son pays.

 
Le livre se termine sur un constat glaçant, dévoilé au fur et à mesure des chapitre via les confidences d'un vieux membre de la Securitate: en fait, après quelques exécutions publiques et la dégradation spectaculaire de quelques boucs émissaires, les services secrets mis en œuvre du temps de la république populaire sont toujours présents.

Et pire, ce sont précisément ces réseaux qui détiennent le vrai pouvoir en Roumanie.


Ils ont simplement troqué leurs oripeaux de policiers politiques pour d'autres plus conformes à la mise en scène de la démocratie et se sont réfugiés en arrière-plan, d'où ils tirent les ficelles. On pense à la Russie toute proche, à l'Algérie aussi.

"Des mecs bien...ou presque" est un très bon polar, très instructif pour décrypter une période confuse et compliquée, mais décisive pour la Roumanie. Il m'a donné envie de continuer  avec cet auteur.

lundi 7 décembre 2009

(Petit) aperçu de la littérature roumaine (2): quelques auteurs

Du fait de l'histoire complexe précédemment exposée, les écrivains roumains sont donc d'origines très variées.

Parfois leur langue d'écriture n'est d'ailleurs pas le roumain, mais l'allemand ou le français, le premier parce que c'était leur langue maternelle, le second choisi par commodité ou intérêt, parce que c'était la langue internationale, et aussi par francophilie.

Il existe aussi des roumains de langue magyare, mais je n'ai pas eu l'occasion d'en lire.

Voici donc ceux que j'ai pu rencontrer:

- Emil Cioran: On ne présente plus cet écrivain, essentiellement d'expression française, qui chante l'absurdité du monde avec un désespoir classieux...je n'ai lu que "Syllogismes de l'amertume", et je n'en suis toujours pas remis (!).

- Ion Creanga: Cet écrivain, que je n'ai pas encore lu, est un classique de la Roumanie. Il a écrit "Souvenirs de mon enfance", dont j'ignore s'il est traduit en français, où il raconte sa jeunesse de petit moldave. Il est aussi l'auteur de contes, je crois, très populaires.

- Mircea Eliade: Érudit, historien des religions, philosophe, polyglotte (il parlait huit langues, dont l'hébreu et le sanscrit) Eliade est un monstre de la littérature roumaine. Il a écrit en roumain, en français et en anglais, de magnifiques romans.

De lui j'ai lu "Le serpent", un conte fantastique, et "La nuit bengali", un livre splendide qui serait une autobiographie déguisée et qui parle de l'amour impossible d'un Européen et d'une Indienne dans l'Inde coloniale.

- Virgil Gheorghiu: Ce pope et fils de pope (la religion orthodoxe roumaine autorise les popes à avoir des enfants) a vécu la majeure partie de sa vie en France, ayant fui les dérives de son pays, où il est assez peu connu. Proche des idées de Soljenitsyne, il a écrit le magnifique "La vingt-cinquième heure".

Ce livre dénonce avec violence les perverses idéologies nazie et communiste, ainsi que la bureaucratisation et la déshumanisation d'un monde moderne qui classe les gens selon des catégories abstraites et que la technologie éloigne de l'humain.

- Panait Istrati: Encore un étonnant personnage. Né dans la petite ville cosmopolite de Braila d'un père grec et d'une mère roumaine, Istrati a passé une grande partie de sa vie à assouvir ses deux passions: la lecture et le voyage.

Ayant atterri en France, il y a commencé, dans notre langue, une œuvre passionnante dont la pièce majeure est le cycle des mémoires d'Adrian Zograffi, qui est en quelque sorte son autobiographie ainsi que sa profession de foi politique.

Toujours du côté des pauvres gens et épris de justice sociale, il a été communiste jusqu'à un voyage en URSS où, après avoir échappé aux circuits officiels, il s'est baladé quelques temps pour en revenir horrifié et sortir des livres dénonciateurs qui lui ont valu d'être excommunié par l'intelligentsia française.

Rejeté par notre pays et déjà ostracisé dans le sien, dont le régime était alors très à droite, il est mort oublié et dans la misère.

Ses livres ont l'aspect de contes, un côté très oriental et dépaysant, et sont aussi profondément humains. Je conseille la lecture de "Kyra Kyralina" et "Codine".

- Florin Lazarescu: C'est un jeune écrivain roumain dont j'ai acheté le roman "Notre envoyé spécial" sur son simple nom.

Je ne peux pas dire que j'ai vraiment aimé le style, mais c'est un livre très malin, dans le sens où des chapitres qui semblent n'avoir rien à voir les uns avec les autres finissent par s'emboiter.

Ça montre le Bucarest déjanté d'aujourd'hui, avec sa société speedée et les fantômes omniprésents de l'ère Ceausescu.

- Dan Lungu: Encore un écrivain contemporain, que j'aime vraiment beaucoup. Ses deux livres "Le paradis des poules", et "Je suis une vieille coco" se suivent vaguement, mais on peut les lire indépendamment.

Ils racontent tous les deux l'histoire de gens qui ont du mal à se situer dans l'époque actuelle, très dure, et soulignent toute l’ambiguïté des relations que les Roumains entretiennent avec leur passé communiste.

Accessoirement, c'est très drôle et très bien vu, surtout le second ("Je suis une vieille coco").

- Norman Manea: Juif moldave, Norman Manea a connu les déportations en Transnistrie, puis le régime communiste et toutes ses pesanteurs.

Émigré de Roumanie à la fin du communisme, il est apparemment le Roumain le plus traduit au monde, bien que peu connu en Roumanie et en France.

J'ai lu "L'heure exacte" de lui, que j'ai eu un mal fou à avaler, tant le style me rebutait. Son roman le plus encensé est "Le retour du hooligan", que je pense lire un jour. Il a dit que la langue roumaine était sa patrie.

- Gib I. Mihaescu: Cet écrivain de l'entre-deux-guerres, période qui fascine les Roumains d'aujourd'hui, a connu un long purgatoire pendant le régime communiste avant d'être réhabilité.

De lui j'ai lu "La femme russe", histoire des déboires sentimentaux et psychologiques d'un lieutenant roumain affecté au contrôle de la frontière russe dans la région qui a donné l'actuelle république moldave.
 
Le personnage attend avec impatience et fascination l'arrivée de la femme russe, fantasme absolu, tout en gérant l'afflux quotidien de réfugiés quittant l'URSS et en vivant des amours plus prosaïques avec la femme d'un contrebandier.

Ce livre vaut surtout pour l'ambiance et l'introspection du héros, mais il parait que ce n'est pas son meilleur.

- Camil Petrescu: Encore un auteur classique de la Roumanie. J'ai lu son livre le plus connu, "Dernière nuit d'amour, première nuit de guerre", un excellent roman, qui s'articule en deux parties.

La première raconte la naissance, l'apogée puis le naufrage d'un amour, la seconde parle de l'entrée de la Roumanie dans la première guerre mondiale, quand les armées roumaines ont envahi la Transylvanie autrichienne.

Le regard de Petrescu est très lucide, voire cynique, aussi bien sur le sentiment amoureux que sur la guerre, décrite de façon réaliste et à des kilomètres du discours héroïque et ronflant qu'on peut entendre ailleurs.

- Eginald Schlattner: C'est un écrivain roumain issu de la communauté des allemands de Transylvanie. Je n'ai rien lu de lui, mais j'ai vu le film "Le coq décapité", adapté de son livre du même nom.

Ce livre raconte l'histoire de quatre jeunes Allemands de Roumanie nés avant la seconde guerre mondiale, et montre à travers leur parcours les déchirements de cette communauté qui va disparaitre après des siècles d'histoire.

- Rina Frank: Ça, c'est le bonus. En effet, cette femme est un écrivain israélien, mais de parents roumains. Son livre "Chaque maison a besoin d'un balcon", raconte sa jeunesse dans un quartier pauvre d'Haïfa, et sa famille et son caractère sont vraiment très roumains, c'est pourquoi je rajoute ce livre dans la liste.

Voilà, c'était mon partage d'aujourd'hui. La Roumanie a beaucoup à offrir, c'est un trésor méconnu et c'est bien dommage.


Suivant:  (Petit) aperçu de la littérature roumaine (3): quelques auteurs

lundi 14 septembre 2009

(Petit) aperçu de la littérature roumaine (1): Introduction

Je vais dans ces deux posts, offrir un petit panorama de mes modestes connaissances sur la littérature d'un pays auquel je suis très attaché pour des raisons personnelles: la Roumanie.

En guise d'introduction, je ferais un petit rappel historique que je crois important, notamment parce qu'en dehors des clichés sur Ceausescu, Dracula et les gitans, en France on connait très peu ce pays. Ce qui est franchement dommage car la Roumanie, sœur latine éloignée, a longtemps regardé la France comme un modèle dont s'inspirer.

Cette introduction a pour but de permettre de mieux situer les auteurs dans leurs communautés respectives et dans leur contexte historique.

Peuples de Roumanie

Tout d'abord, il faut savoir que si les Roumains sont un peuple ancien, la Roumanie est un pays jeune.

On fait traditionnellement naitre le peuple roumain de la conquête romaine de la Dacie, en roumain Dacia (nom qui a d'ailleurs donné la marque de voiture rachetée par Renault), la Dacie étant un peu leur Gaule à eux.

Une fois les Romains partis (ils sont restés un petit siècle), le pays a vu déferler successivement des dizaines de conquérants: Goths, Huns, Slaves, Hongrois, Bulgares, Turcs, Russes, Autrichiens, j'en passe et des meilleurs.

Si ces conquérants n'ont pas effacé l'héritage linguistique (le roumain reste une langue à base latine) ils ont néanmoins tous laissé des traces, qu'elles soient génétiques, architecturales, culturelles (par exemple la religion orthodoxe ou les voyelles slaves), ou bien qu'elles se manifestent carrément sous la forme de communautés installées en Roumanie.

Un grand nombre de ces communautés est toujours là aujourd'hui, chacune d'entre elles étant reconnue par l'Etat et bénéficiant d'un tas de droits, souvent plus que ce que recommande l'Union Européenne, d'ailleurs.

J'insiste sur ce point car c'est une des caractéristiques marquantes de la Roumanie, qui conditionne forcément sa littérature et sa contribution à la culture mondiale. J'y reviendrai.

Construction de l'état roumain

L'état roumain dans ses frontières actuelles est né après la seconde guerre mondiale, après bien des soubresauts. Historiquement, il est divisé en trois régions: la Moldavie au nord-est, la Valachie au sud, et, coincée entre les deux, la Transylvanie, chacune de ces régions ayant connu des destins assez différents.

La Moldavie et la Valachie ont été des régions un peu archaïques, avec un système féodal figé, quelque chose dans le style de la Russie profonde telle qu'on l'imagine.

Ces deux régions ont longtemps été des protectorats ottomans, dirigés par des gouverneurs grecs, les Phanariotes, du nom du quartier grec d'Istanbul, le Phanar, qui étaient réputés pour leur rapacité et leur corruption (certains ont toutefois laissé un bon souvenir).

Avec la montée en puissance de la Russie, le destin des deux provinces a cependant divergé.

- La Moldavie

La Moldavie a en effet quitté le giron ottoman pour être longtemps disputée entre Roumains et Slaves, principalement les Russes, cette lutte aboutissant après un tas de conquêtes-reconquêtes (c'est un peu leur Alsace Lorraine), à la situation actuelle: aujourd'hui la moitié sud-ouest de la province est restée roumaine et l'autre est passée du statut de République Socialiste Soviétique intégrée à l'URSS à celui d'état indépendant.

Une des spécificités de la Moldavie était la présence d'une très importante communauté juive. Les juifs étaient nombreux en Roumanie, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d'abord il faut savoir que les empires qui ont dominé la Roumanie (austro-hongrois et turc) ont longtemps été religieusement bien plus tolérants et accueillants que les pays d'Europe de l'ouest. Ainsi les Turcs ont-ils recueilli une grande part des juifs expulsés d'Espagne.

Ensuite, la Moldavie a accueilli de très grandes communautés quand elle était russe. Elle faisait partie de la "zone de résidence autorisée pour les juifs", c'est-à-dire de la partie de l'empire russe où les Juifs ont été refoulés quand les tsars ont commencé à prendre des mesures antisémites très dures (ils n'avaient pas le droit de s'établir ailleurs).

Du coup, cette région de Roumanie était très juive (on parle de 10% de la population), et dans des villes comme Chisinau/Kisinev, ou Cernauti/Czernowicz/Tchernivtsi, cette communauté pouvait même être majoritaire.

Leur nombre a bien évidemment décru pendant la seconde guerre mondiale (la Roumanie était alliée des nazis jusqu'en 44), mais la grande saignée a surtout eu lieu après la fin du régime communiste.

En effet, si après guerre il en restait finalement pas mal (les Roumains nés dans les années 40 que j'ai rencontrés ont connu beaucoup de Juifs, qui étaient même majoritaires dans certains villages) ils sont ensuite partis en masse pour la Terre Promise.

Ils ont d'abord été littéralement "achetés" au régime communiste par Israël (le gouvernement roumain faisait payer ses visas par Israël), puis quand celui-ci s'est écroulé en 1989, ils sont partis de leur plein gré.

En Israël, les descendants de Roumains sont très nombreux, d'autant que de nombreux pionniers du sionisme étaient originaires de Roumanie.

- La Valachie

La Valachie, quant à elle, a pour première spécificité d'avoir Bucarest pour capitale, ville qui est devenue capitale de la Roumanie et qui est énorme par rapport au reste du pays.

Elle a également pour caractéristique son ouverture sur la mer noire, ce qui lui a valu la présence de communautés grecque, turque, tatare et "lipovène", qui sont des orthodoxes russes ayant refusé la réforme du patriarche Nikon et fui en Roumanie pour continuer à vivre à leur façon (ils sont un peu les équivalents des amish dans le monde orthodoxe).

Valachie et Moldavie se sont unifiées en 1859 (avec notamment le soutien de Napoléon III) pour former la première ébauche de la Roumanie moderne, royaume dirigé par une branche de la famille des Hohenzollern-Sigmaringen après l'abdication du roi de l'unification, Alexandru Ion Cuza.

- La Transylvanie

La Transylvanie, quant à elle, a eu une histoire tout à fait différente. Tout d'abord cette région est à la base multi-ethnique. Très tôt s'y sont en effet installés des conquérants hongrois et de très nombreux colons allemands.

Ces derniers y ont fondé des villes, dominé le commerce, les sciences et le pouvoir politique, et ils ont constitué une communauté florissante qui vivait en vase clos, avec mariages endogames et conservation de leurs langue et religion. Pour eux, la Transylvanie s'appelle Siebenbürgen et leurs traces s'y retrouvent partout.

Après une présence multiséculaire, ces allemands de Transylvanie, qu'on appelait "Saxons", sont eux aussi partis en masse à la fin du régime communiste, pour aller repeupler l'Allemagne (sous le communisme, eux aussi étaient vendus à la RFA) et trouver une vie meilleure. Les Roumains, qui les enviaient et les admiraient, les regrettent souvent.

Au niveau politique, la Transylvanie a également eu un destin à part: hongroise, puis royaume vassal des Turcs, puis austro-hongroise, puis de nouveau hongroise, elle n'a été rattachée à la Roumanie qu'en 1918, après la fin de l'empire des Habsbourg.

La Transylvanie a été la plus riche région de Roumanie, la plus cultivée et la plus intégrée au monde, d'un point de vue économique et culturel. Deux exemples modernes: Bela Lugosi, l'acteur qui a donné son visage à Dracula, est un Hongrois de Transylvanie, et Johnny Weissmuller, le Tarzan le plus célèbre, est un Allemand de Transylvanie...

Conclusion: un pays multi culturel

Une autre communauté est à signaler en Roumanie, où elle est incontournable: les Rroms. Aujourd'hui ils représentent officieusement dans les 10% de la population roumaine, pays où ils ont une histoire bien spécifique.

Arrivés de l'Inde par l'Iran puis l'Anatolie, certains se sont établis en Roumanie, où ils ont fini par être réduits en esclavage, propriété des nobles ou des monastères, et ce jusqu'au milieu du XIXième siècle.

Ils sont restés majoritairement nomades jusqu'à l'avant-guerre, travaillant le cuir, vendant des chevaux, faisant des bijoux, animant des fêtes (ils étaient souvent montreurs d'ours notamment), avant que les communistes ne les sédentarisent de force, les obligeant à avoir un emploi, à aller à l'école, etc. Tout cela s'est écroulé en 89, une grande partie d'entre eux retournant alors à un semi-nomadisme miséreux.

Leur place en Roumanie est ambigüe. Ils sont haïs, mais ultra présents dans la musique, dans le folklore, et si officiellement il n'y a pas mélange, beaucoup de visages roumains ont des traits sombres, et beaucoup de Tsiganes ne se reconnaissent qu'à leurs vêtements.

Par ailleurs, ils ont des représentants officiels au parlement, leur langue, d'origine sanscrit, est encore parlée et enseignée, etc. En tout cas, ils sont incontournables.

Bon, ce point (finalement pas si petit que ça !) me paraissait important pour introduire les écrivains que je vais lister dans le post suivant: (Petit) aperçu de la littérature roumaine (2): quelques auteurs.


Post scriptum :

Un ami roumain m’a fait remarquer que ce post faisait l’impasse sur quantité d’événements importants de l’histoire du pays et donnait l’impression qu’en Roumanie les Roumains était finalement une sorte de minorité.

C’est tout à fait vrai.

Quand j’ai écrit cet article, je voulais juste donner un aperçu de ce pays pour en introduire les auteurs, et expliquer pourquoi la Roumanie a produit tant d’écrivains s’exprimant dans d’autres langues que celle du pays.

Cette particularité est en effet très étonnante pour un pays jacobin comme la France, tout comme l’est l’existence de communautés reconnues par l’état et vivant dans leur langue et leurs espaces.

Et ce coup de projecteur n’enlève bien évidemment rien au fait que la Roumanie est d’abord l’état où vivent la majorité des Roumains, qui représentent presque 90% de la population totale, sont de langue roumaine et principalement de religion orthodoxe.

Je confirme donc que ce post est bien écrit sous l’angle particulier et réducteur du côté multiculturel de la Roumanie et qu’il ne faut pas le prendre pour autre chose, et surtout pas pour une histoire exhaustive du pays (pour laquelle il faudrait d’ailleurs bien plus d’un article !).