mardi 12 septembre 2023

Gimme the car

Lorsque j’étais étudiant, j’ai découvert le groupe Violent Femmes, dont le mélange punk-rock-folk original, l’énergie, les riches lignes de basse et la voix particulière m’ont rapidement séduit.

Et il y avait aussi les textes.

Mauvais anglophone, je ne comprenais pas tout, mais ce que j'en tirais était suffisant et certains titres m’allaient droit au cœur.

Ainsi Gimme the car

Cette chanson met en scène un ado qui exhorte son père à lui laisser la voiture une nuit, parce qu'il en a un besoin impératif.

Il a en effet prévu d'emmener une fille (« this girl ») en balade, puis de la faire boire, la faire rire, la faire pleurer et surtout de la baiser, plus ou moins de gré ou de force.

Il complète ce plan sordide et tristement banal en évoquant le fait qu’il a maintenant grandi, qu’il n’attend rien de sa vie et qu’étant donné qu’il la déteste la question de savoir ce qui est bien ou mal n’a pas d’importance.

Ni ma vie ni mon adolescence n'ont ressemblé à ça, je n'ai jamais demandé la voiture à mon père (qui d'ailleurs ne me l'aurait pas donnée), jamais fait boire de nana, jamais forcé qui que ce soit ni même imaginé faire quelque plan dans le genre de celui-ci.

Néanmoins j'ai immédiatement senti une connivence avec le personnage de cette histoire.

Je comprenais cette espèce de rage adolescente, cette frustration devant une vie qui n'est pas ce qu'elle aurait dû être, ces limites qui étouffent.

"What's wrong, what's right

I don't care when I hate my life."

Et à vrai dire, si mon adolescence, que je n'ai guère aimée, est de plus en plus lointaine, ce sentiment de frustration rageuse et désespérée ne m'a jamais réellement quitté, et la complainte de Violent Femmes résonne toujours en moi.

Elle résonne d'ailleurs peut-être encore plus qu'à l'époque puisque même si j'étais déjà pessimiste étant jeune, l'idée que je n'étais pas à l'abri d'un coup de chance me traversait parfois l'esprit, et il m'arrivait de me surprendre à rêver de meilleurs possibles dans les nombreuses années qui me restaient.

Tandis qu'aujourd'hui, alors que je sais que j'ai déjà fait la moitié du chemin et que je constate que mes capacités déclinent, la méchante voix qui me dit que pour moi les jeux sont faits est plus forte.

Objectivement, je n'ai pourtant pas à me plaindre.

D'une part ma vie, avec femme, enfants, logements, CDI et bons revenus ferait rêver bien des gens et j'en ai conscience.

D'autre part n'ayant jamais vraiment su ce que je voulais, je ne peux pas clairement identifier ce que je regrette.

Mais la vie et les sentiments ne sont pas objectifs et la rage qui perle des mots confus, révoltés et un peu minables de Gordon Gano reste quelque part la mienne, même si c'est secrètement et honteusement.

Si ça se trouve, ce sentiment est normal et ordinaire à ce moment de la vie et je ne devrais pas trop y faire attention.

Mais ça n'empêche, à bientôt cinquante ans il devient difficile de savoir qui je pourrais bien supplier  de "Gimme the car".

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