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lundi 17 février 2025

Cinéma (27) : R.M.N. et le côté sombre de la mondialisation

Le film dont je vais parler aujourd’hui est roumain. Il s’agit de R.M.N. de Cristian Mungiu, et je trouve qu’il illustre très bien la face sombre de la mondialisation telle que nous la vivons aujourd’hui.

L’action se passe dans un village de Transylvanie, cette région multi ethnique qui a beaucoup changé de mains avant de devenir roumaine, une première fois en 1917, puis définitivement en 1945 (la moitié de la province était redevenue hongroise pendant la seconde guerre mondiale).

Dans ce village, on trouve donc des Roumains, bien sûr, mais également une communauté hongroise assez importante, et quelques résidus de la communauté saxonne, ces descendants de colons allemands dont la majorité a quitté la région pour l’Allemagne après la chute du communisme.

Un des personnages principaux, Mathias, est issu de cette communauté par son père.

L’histoire commence d'ailleurs en Allemagne, où on le voit casser le nez d’un collègue d'usine allemand après que celui-ci l'ait traité de gitan, comme ça se produit si souvent sous nos cieux où les deux sont hypocritement assimilés (désigner l'un pour l'autre chez nous permet d'être subtilement raciste sans l'être).

Suite à cette altercation il s’enfuit précipitamment et débarque dans son village, où vit sa femme, avec qui il n’a guère d’atomes crochus (son retour l'agace), un fils qui ne parle plus depuis une rencontre dans la forêt qui semble l’avoir traumatisé, et une ex-maitresse qui l’attire encore et avec qui il va reprendre sa relation.

Cette dernière, Csilla, est l’autre personnage principal du film. Dynamique et libre (carrière, sexualité, autonomie, etc) , elle a un poste important dans une usine de pain et brioches.

On apprend que son employeur, qui est également le plus important du coin, a des soucis assez classiques de recrutement de main d’œuvre.

Il cherche des ouvriers, mais ne veut les payer qu’au salaire minimum, ce qui fait que les autochtones ne se bousculent guère.

Comme Mathias, ceux-ci préfèrent généralement aller travailler à l’étranger, où eux-mêmes sont mal payés mais suffisamment, grâce au différentiel de niveau de vie, pour faire vivre la famille au pays.

L’entreprise a d’autant plus besoin de bras qu’elle doit atteindre un certain nombre d'employés pour avoir droit à une subvention européenne. Elle va donc faire comme font toutes les entreprises et recruter à l’étranger.

Après quelques discussions avec un placeur spécialisé dans le domaine (et qui précise bien ne pas faire dans l’Africain), la venue de trois Sri Lankais est décidée.

Ceux-ci, comme la plupart des immigrés économiques, sont sérieux, travailleurs et désireux que tout se passe au mieux.

Ils n’ont pas non plus de prétentions religieuses ou culturelles, s’accommodent très bien de leur logement et semblent très arrangeants et contents de leur sort.

Ce n’est pas le cas des autres habitants du village, dont les communautés, d’habitude hostiles entre elles, se regroupent pour exiger le départ des nouveaux venus.

Un prêtre est envoyé en délégation à l'usine, qui refuse de renoncer à ses embauches, puis la situation s’envenime vite, allant jusqu’au boycott du pain et à l’attaque du logement des ouvriers.

Devant la situation les employeurs et le maire du village décident d’organiser un débat pour voir quoi faire.

Cette scène est pour moi le moment culminant du film, les discours des gens constituant un parfait résumé de ce qu’est la mondialisation d'aujourd'hui.

On entend bien sûr des délires racistes dignes d’un autre siècle, notamment sur les maladies spécifiques apportées par les migrants ou le manque d’hygiène qu'on attribue à ces gens vus comme primitifs, polygames et musulmans.

Mais on entend surtout différents points de vue qui ne sont pas si caricaturaux.

On voit les employeurs qui défendent leurs recrues, mais essentiellement parce que leur intérêt est que celles-ci ne coûtent pas cher et leur permettent d’accéder à la subvention.

Un ex-ouvrier souligne d'ailleurs ce point en rappelant qu’ils ont délibérément choisi le salaire minimal et n’ont jamais payé ses heures sup.

Ce à quoi la patronne réplique qu’ils sont le seul employeur de la région et qu’il vaut mieux cela que rien.

Elle est soutenue par un autre employé de l'usine, mais on comprend que celui-ci le fait pour son poste, et aussi pour s'opposer à un contradicteur hongrois, car lui-même est un nationaliste roumain.

On voit un prêtre, qui a refusé l’accueil des Sri Lankais dans son église, y compris celui qui est chrétien, se laver lâchement les mains, révélant ce qu’est la religion pour la plupart des gens : un marqueur identitaire, la bonne conscience à peu de frais et un groupe meilleur que les autres.

A Csilla qui lui fait remarquer qu’on est loin du message chrétien, il réplique en clôturant le débat qu'il n'a pas de leçons à recevoir de quelqu’un qui ne va jamais à l’église.

On voit ensuite le maire appeler à la concorde, demandant à ses administrés de songer à l’image de la région, essentielle pour que les investisseurs et les fonds européens s’y intéressent et permettent le développement du tourisme générateur d’emploi.

Il y a également un Français qui tente d’intervenir en faveur des Sri Lankais.

C’est un jeune homme naïf et plein de bonnes intentions, venu compter la population d’ours pour le compte d’une ONG.

La mention de sa mission lui vaut immédiatement des moqueries.

Les gens soulignent qu’après avoir tué les leurs, les Occidentaux veulent protéger les ours de Roumanie et faire de ce pays leur zoo plutôt que de le laisser construire les autoroutes  et les usines qui aideraient leur développement, soulignant qu’on les prend ainsi pour des sauvages.

Puis lorsque le Français parle des gitans roumains de Paris, c’est l’explosion : les gens lui disent clairement que ce ne sont pas des Roumains, et lui rappellent que la France devrait commencer par intégrer ses Noirs et ses Arabes avant de donner des leçons.

Ils renchérissent en disant que s’ils laissent un ou deux immigrés s’installer, demain ils seront dix, puis amèneront leurs familles, feront des enfants et qu’en dix ou vingt ans, les Roumains ne seront plus chez eux, se basant sur leurs expériences d’immigrés pauvres dans les villes d’Occident.

J’ai souvent constaté cette fonction de repoussoir qu’a notre pays à l’Est, sans trop savoir quoi dire.

En effet, n’en déplaise aux hypocrites et aux idéologues, les attentats, les émeutes et les tensions raciales et culturelles sont bien une réalité, et leur situation socio-économique fait que les migrants roumains sont plus quotidiennement au contact de ces populations que ces derniers.

De plus, par l'espèce de solidarité qui se tisse souvent entre immigrés pauvres dans un même pays, ils entendent souvent l’opinion qu’ont beaucoup de migrants sur les BBR, qui n’est généralement pas très flatteuse (là encore je parle d’expérience).

En somme l’expérience migratoire, très largement partagée par les villageois du film, ne les amène pas à plus d’empathie envers leurs propres immigrés, mais à la réaction contraire et au pas-de-ça-chez-nous.

Cela va a rebours de la doxa qui dit qu’en mélangeant les gens on les rend moins racistes et plus ouverts, et qui est malheureusement complètement fausse. Ce constat est d'ailleurs universel.

Regardons l’Italie, pourvoyeuse de migrants par millions pendant au moins deux siècles, mais où les partis anti migrants caracolent.

Regardons le Maghreb, dont la population émigre en masse depuis des décennies, mais où l'on trouve un ministre algérien, Ahmed Ouyahia, pour accuser les Subsahariens d’apporter crimes et maladies et où le président tunisien Kaïs Saïed reprend à son compte et pour son pays la théorie du Grand remplacement.

Regardons la Turquie, qui envoie elle aussi des millions de migrants dans toute l’Europe, mais où le sentiment anti-syrien est aussi répandu que violent.

Regardons les pays d’Amérique, dont les habitants, majoritairement descendants de migrants et qui ont marginalisé voire effacé leurs prédécesseurs, sont néanmoins régulièrement enclins au rejet de nouveaux arrivants.

Le président étasunien actuel en est une parfaite illustration.

On pourrait continuer ad libitum et sur tous les continents.

C'est pour ça et aussi parce qu’il expose les faits sans prendre parti et sans manichéisme facile, que R.M.N. est un film universel.

Chacun sur cette planète veut une vie meilleure, quitte à émigrer pour cela.

Et en même temps chacun veut conserver son identité, ses repères et ses valeurs, qu’il considère évidemment comme les meilleures. 

Ces deux facettes et désirs sont respectables, même si elles sont souvent incompatibles selon qu'on est celui qui arrive ou celui qui accueille.

Avec la mondialisation économique et technologique qui caractérise notre époque, il n,'y a plus guère de frontières pour les capitaux et les gens qui les détiennent.

Ceux-ci se déplacent sans entraves, allant là où c’est rentable tant que c’est rentable et en repartant tout aussi vite quand ça ne l’est plus.

De ces capitaux dépendent le travail de millions de gens, et la rentabilité est surtout basée sur le coût de la main d’œuvre, sans véritable souci des conditions de vie ou de la façon dont les locaux gouvernent.

Cette liberté de mouvement des capitaux ne s’est pas accompagnée de la suppression de frontières pour les gens, mais ceux-ci essayent bien entendu de suivre le mouvement pour s’en sortir.

Cela entraine un nomadisme économique généralisé, des migrations et des frictions associées.

Le migrant tirant les salaires vers le bas et fait concurrence à l’autochtone, le Roumain en Allemagne comme le Sri Lankais en Roumanie et peut-être un migrant encore plus pauvre au Sri Lanka.

Sans compter que les successives délocalisations qui suivent les investissements entrainent le déclassement dans des délais de plus en plus courts, empêchant un vrai rééquilibrage.

J’ai en tête l’exemple de l'industrie textile, quittant la France pour le Maghreb dans les années 80 puis pour la Chine 20 ans plus tard, laissant dans le nord de la France puis en Afrique du nord des tas de gens sur le carreau.

Et l'on signale aujourd'hui que la Chine se met elle-même à délocaliser au Vietnam ou au Cambodge...

La conséquence c'est que comme les Roumains du village de R.M.N. ces gens n’auront guère d’autre choix que de partir eux aussi, alimentant le cycle sans fin.

Ce film, malgré quelques longueurs et une fin bizarre, vaut donc le coup d’être vu pour ce rappel essentiel.

Et aussi pour espérer que ces problématiques se traduisent un jour par une autre mondialisation, moins financière, plus humaine et redistributrice, qui fasse que chacun puisse vivre décemment et en sécurité chez lui.

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dimanche 7 avril 2024

Aya or not Aya?

J'ai entendu parler d'Aya Nakamura il y a plusieurs années, quand elle commençait à triompher hors de l'Hexagone et que plusieurs journaux le rapportaient.

Je me souviens avoir été intrigué par le décalage entre son nom japonais et son faciès africain, mais bon, je suis vite passé à un autre sujet: de toute façon je suis définitivement largué depuis des années en ce qui concerne la musique, et puis j'ai dû me dire que c'était un truc à la Air ou Daft punk et que soit elle faisait de la musique sans textes, soit elle chantait en anglais.

Plus récemment j'ai reçu des blagues sur sa façon d'utiliser le français. J'appris par là que finalement elle chantait dans notre langue, ce qui rendait son succès international plus impressionnant.

En effet, à l'heure où même à l'Eurovision la plupart des candidats ont abandonné leur propre langue pour chanter en anglais (y compris les Espagnols, malgré leur nombre de locuteurs) ce n'est en effet pas banal de choisir une autre direction, et encore moins que ça marche.

Intrigué, j'ai donc écouté son tube Djadja...et je dois dire que je n'ai pas compris grand-chose à ce qu'elle chantait (!)

La base a l'air française, mais c'est truffé de mots anglais et d'autres d'origines que je n'identifie pas, les tournures me sont étrangères, c'est plein de l'argot des années 2010, etc.

J'aurais pu dire que j'ai été choqué, mais en fait les rappeurs qu'écoutent mes enfants m'ont produit le même effet, et puis chaque génération a son argot à elle. Je ne sais pas si celui de Nakamura est plus loin du français que les précédents, mais en tout cas ce n'est pas le mien.

En clair, petit coup de vieux: cette jeunette est le fruit de son époque et sa langue va avec.

A part ça, je n'ai guère d'avis. Ca semble être de la musique populaire dansable aux mélodies accrocheuses. Je serais bien emmerdé de devoir classer ça dans un genre (pop?), je n'aime ni ne déteste, si ça marche tant mieux pour elle.

Enfin sont arrivés les JO, et la rumeur que notre président lui aurait demandé de chanter pour l'ouverture, en reprenant du Piaf (à son choix il me semble).

Cette info a déclenché une de ces polémiques dont on a le secret et qui souligne les fractures de notre pays.

L'extrême droite et une partie de la population rejette catégoriquement l'idée que Nakamura représente la France.

Parfois c'est à cause de son usage de la langue, parfois c'est pour son style, parfois c'est par calcul politique et parfois c'est plus simplement par racisme, comme ceux qui ont lamentablement parodié sa chanson en rappelant qu'elle est née à Bamako comme si c'était une tare.

En face d'eux, il y a les nombreux antiracistes professionnels, qui ne la défendent et la soutiennent que parce qu'elle est noire, de manière tellement caricaturale et outrancière que c'est en fait une attitude tout aussi raciste que les racistes qu'ils dénoncent.

Je pense notamment à Anne Roumanoff, qui avait précédemment "défendu" Black M lorsqu'on l'avait déprogrammé aux commémorations de Verdun.

Dans les deux cas, peu lui importait la situation, ce qui comptait c'est que la personne était noire: toute critique est donc du racisme, point.

Le fait que Black M ait chanté que la France est un pays de kouffars mais qu'on le choisisse pour animer le souvenir de gens morts pour ledit pays ne la dérangeait pas: il est noir, donc c'est du racisme.

De même, le fait que les danses suggestives d'Aya Nakamura aient pu choquer Nicoletta c'est aussi forcément du racisme.

Etc.

Il est significatif de voir que ces deux camps ont eu un positionnement inverse pour la cérémonie d'ouverture de la coupe du monde de rugby.

Le fait qu'elle reconstitue une scénette de village de carte postale à la Amélie Poulain avec Jean Dujardin a effectivement été applaudi par les détracteurs de Nakamura, tandis que ses soutiens inconditionnels ont crié au chauvinisme rance, passéiste et raciste.

Autre guerre récente: la critique du hit de Michel Sardou Les lacs du Connemara par l'artiste de gauche Juliette Armanet, qui clamait son dégoût de ce titre "de droite".

A mon sens, la vérité c'est qu'aujourd'hui la France est double.

La France "éternelle", celle du village de Dujardin, celle que décrit Sellig dans ses sketches, celle des Tuche et du 14 juillet, celle des petites villes de province, celle qui prolonge et continue un long substrat sédimenté par les siècles existe toujours.

Cette France dite profonde sur laquelle crachait Diams n'est ni pire ni meilleure que son équivalent dans les autres pays.

Elle n'a pas à se justifier d'exister, elle est légitime et pas plus rance ou méprisable que tout autre peuple ou communauté, et elle a bien raison d'envoyer mourir les autoproclamés progressistes méprisants qui la voient comme des Deschiens, des gens suspects ou des déplorables pour paraphraser Hillary Clinton.

Pour autant, ça ne veut pas dire qu'elle est la France à elle seule.

La France c'est aussi les 100% urbains depuis des générations, les gens issus de mélanges/métissages improbables, les migrants venus d'ailleurs que l'Europe, descendants des peuples colonisés ou non, ceux à qui l'histoire a donné des pieds dans plusieurs endroits et qui sont réellement mondialisés, tous ces gens qui sur notre sol inventent autre chose, une autre version du pays.

Les tendances démographiques indiquent que cette France-là, qui est la France d'où est issue Aya Nakamura, pèse de plus en plus, déjà un quart des naissances depuis quasiment une décennie.

En ce sens, le choix de cette chanteuse n'est pas plus illégitime qu'un autre.

Prendre quelqu'un dont les titres, a ma connaissance, ne parlent ni de politique ni de religion, qui connait un grand succès et s'exporte peut être le symbole d'une France qui se regarde en entier, connectée au monde, moderne et métissée sans se renier.

On peut se dire que choisir cette image pour les JO, événement international et opération de marketing par excellence, n'est donc pas si débile.

Evidemment il y a aussi de bonnes raisons de ne pas la choisir.

Si elle chante en français, ce n'est guère dans la langue officielle de notre pays. On peut aussi effectivement la trouver vulgaire et trop sexualisée, penser que sa musique est faible, qu'elle n'a pas les épaules, etc.

Mais réduire ce débat à ses origines et au choix entre deux versions étanches et opposées d'un même pays est désolant.

Les deux France sont condamnées à se connaitre, à cohabiter, à vivre ensemble pour reprendre cette antienne devenue ridicule, à moins que l'on ne veuille devenir un Liban et/ou tôt ou tard imploser.

On n'a pas à choisir l'une ou l'autre, l'une contre l'autre, chacun peut ne pas apprécier ou critiquer quelqu'un qui vient de l'une ou l'autre, mais pas sur ce critère, pas sur ce qu'il est, pas sur son origine, son genre ou son aspect.

Ce qui doit compter c'est ce qu'il fait ou dit, et après c'est question de choix et de goût et le débat peut commencer.

Nous verrons donc si Aya Nakamura chante aux JO, mais personne ne sortira grandi de ce combat stupide, de cette régression tribale devenue si commune.

mardi 31 août 2021

La tache à l'envers

Dans son livre La tache, sorti en 2000, Philip Roth décrit comment la vie d'un professeur universitaire américain bascule après qu’on l’ait accusé de racisme. Selon le processus désormais tristement banal, il est condamné avant même d'être jugé, traîné dans la boue, destitué, etc.

Sur ce point l'auteur avait bien pressenti la tendance actuelle (cf. les affaires Greg Patton, Verushka Lieutenant-Duval, Oumou Kanoute et tant d'autres).

Mais là où le livre est très intéressant, c'est que le héros de Roth avait en fait des racines afro-américaines, qu'il avait cachées toute son existence.

Pour atteindre le poste universitaire élevé dans lequel il officiait, il avait en effet soigneusement écarté toutes les personnes de son passé et méticuleusement réinventé sa vie.

Il était allé jusqu'à choisir sa femme en raison de critères génétiques, épousant une fille naturellement frisée et à la peau mate, priant pour que ses enfants ne soient pas trop sombres et prévoyant le cas échéant de mettre ça sur le compte de leur ascendance maternelle.

Cette fiction n'est d'ailleurs pas si éloignée de la triste réalité: le célèbre critique Anatole Broyard (d'aucuns disent qu'il est justement l'inspiration de La tache), désireux d'être considéré comme un écrivain et non un écrivain noir, a suivi le même parcours.

Et comme on peut le lire dans cet article, la dissimulation d’origines africaines était un phénomène quasiment banal à la sinistre époque où celles-ci vous valaient relégation et statut inférieur.

Le roman Queen d'Alex Haley, moins connu que son célébrissime Racines, raconte lui aussi une histoire similaire. L’héroïne du livre, apparemment inspirée d'une personne de la famille maternelle de Haley, est la fille d'une esclave et de son maître qui tentait de profiter du fait qu'elle était née blanche.

Mon post d'aujourd'hui va s'intéresser au changement de mentalité qui s'est récemment mis en place, où l’on a l’impression que les origines extra européennes sont autant valorisées et sacralisées qu’elles étaient jadis maudites.

A mon échelle, j'ai pu le constater dans la cour d'école de mes banlieusards d'enfants. 

Étonnamment, n'être "que" français est devenu banal, plat, voire suspect et méprisable dans le grand brassage (pas si brassé que ça) qu'est devenue l'école de notre continent, dont les berceaux ne se remplissent que grâce à l'immigration.

Dans ce contexte, l’origine de la mère de mes enfants, qui leur aurait sûrement valu des quolibets il y a deux générations, est parfois un gage d'intégration pour eux.

Dans le même ordre d’idée, une de mes supérieures me parlait d'un de ses fils qui cherchait désespérément une trace d'exotisme dans son ascendance.

Et dans son livre Les petits blancs, Aymeric Patricot racontait le cas d'un de ses élèves de banlieue, simple BBR noyé dans une masse de collègues d'ascendances variées se plaignant lui-même de ce que les Français étaient sans intérêt, sans coutumes, sans tribus ni origines, et qui vivait cela comme un manque. 

Tout cela est aussi triste que ridicule (sans même parler de la véracité de ces classements).

De l'autre côté de l'Atlantique, là d'où part le vent qui, bon ou mauvais, finit toujours par arriver chez nous, la "xénophilie", si l’on peut employer ce mot, est encore montée d'un cran, illustrées notamment par deux affaires retentissantes.

Rachel Dolezal et Jessica Krug ont en effet fait le chemin de Broyard à l'envers: alors que l'écrivain voulait cacher ses origines noires, elles s'en sont tout simplement inventées et ont bâti une carrière autour de ça.

La première travaillait à la vénérable NAACP, cette association au combat séculaire pour l'intégration des personnes de couleur, et portait ses origines en étendard jusqu'à ce qu'on découvre que ses deux parents étaient blancs et qu'elle ne doive démissionner.

La seconde, universitaire, se donnait également une généalogie fantaisiste (qui de plus changeait avec le temps) et elle a fini par se faire recaler sur ce point.

Que penser de ces supercheries? Pourquoi fantasmer une origine non européenne au point de mentir?

Dans un contexte de discrimination positive, il peut y avoir une recherche d'avantages relatifs.

En l'occurrence je pense au Brésil, où la discrimination positive a abouti à la mise en place de commissions dédiées à l’évaluation du degré de sang noir des candidats aux postes réservés aux Afro-descendants.

Ces commissions se basent sur des tests physiques troublants qui rappellent de sinistres précédents, comme les examens sud-africains du temps de l'apartheid (je me souviens du lamentable test du crayon).

Aux US il y a également le cas de ces réserves indiennes dont le statut s'est transformé avec le temps.

La position relative de certaines de ces enclaves qui, rattrapées par  l'urbanisation, se retrouvent au coeur de métropoles les rend attractives, de même que celles qui ont su profiter des lois y pour ouvrir de très rentables casinos qui ont enrichi ses habitants.

De ce fait de nombreux Américains se sont miraculeusement souvenus de leur ascendance indienne (ICI un vieux lien où le futur ex-président US apparait).

Et je ne parle même pas des escrocs qui utilisent les lois imparfaites sur les Premières Nations pour en faire un lucratif business au Canada ou ailleurs.

Mais au-delà de ces gains directs, plutôt limités pour le plus grand nombre, on a aussi l’impression que la conviction de la supériorité intrinsèque des Blancs des siècles passés a fini par s'inverser, et qu'un fétichisme des origines extra européennes l'a remplacé.

On dirait qu'avoir du sang noir ou amérindien vous donne automatiquement un supplément de moralité, un avantage dans les discussions: l'Origine avec un grand O redevient l'argument final, et de plus en plus on n'a le droit de parler d'une communauté que si l'on en fait partie (à part celle des blancs justement).

Plus que jamais tout cela me semble être un piège pourri, une supercherie qui n'amène que la fragmentation de nos pays, de plus en plus difficiles à définir et apaiser en ces temps d'immigration massive et de changement structurants.

C'est aussi et peut-être surtout un moyen de ne pas remettre en cause les inégalités financières, qui explosent sur le globe depuis 3 décennies.

Le mea culpa de l'odieuse Anna Wintour la tyrannique rédactrice en chef de Vogue qui a inspiré Le diable s'habille en Prada, me semblent une magnifique illustration de cet état d'esprit.

Elle s'excuse en effet de ne pas avoir fait assez de places aux créateurs noirs, mais pas d'avoir traité comme de la merde tout son staff, d'avoir des pratique de management à la limite du sadisme et d'être au sommet d'une de ces pyramides financières sur la légitimité de laquelle on devrait peut-être s'interroger.

De même, les défenseurs d'Oumou Kounate trouvent normal qu'elle ait lancé le lynchage en ligne de personnes qui faisaient leur métier en lui demandant pourquoi elle mangeait dans un endroit où elle n'avait pas le droit (ICI).

Elle est noire et eux blancs, et c'est suffisant pour qu'elle ait raison. Et le fait que les frais d'inscription de son école dépassent le revenu annuel des gens dont elle a détruit la vie n'intéresse personne.

La plupart de ces exemples viennent du petit milieu puant et privilégié du monde universitaire, une "élite" (certains diront aristocratie) coupée du reste de la société: dans la vie de tous les jours les Noirs et les Indiens continuent de truster les places les plus basses de la société américaine et la reproduction sociale se porte insolemment bien.

Mais l'idéologie de ce petit milieu a fini par imprégner le discours, les actions et les opinions sur tout le spectre politique et médiatique du pays.

Et bien entendu, ce modèle arrive chez nous, porté par une gauche orpheline du marxisme et/ou s’adaptant de façon opportuniste aux changements démographiques.

Déconstruction, racisé, indigène, privilège blanc, non mixité…tout ce vocabulaire a remplacé les prolétariat et autres rapports de production dans leur vocabulaire.

Jusqu’à notre président qui emploie le terme de "mâle blanc" pour s’auto disqualifier sur l’analyse des quartiers populaires (ICI et ICI), comme si seuls les immigrés sauraient faire quelque chose parce qu’immigrés, comme s’il n’y avait pas de blancs dans ces quartiers ou qu’ils n’y comptaient pas. 

Avec son talent habituel, il semble faire un retour arrière, mais il n’en reste pas moins qu’il a donné un coup de pouce aux essentialistes et aux assignataires d’identité en validant leur vocabulaire.

En résumé, ce prétendu antiracisme où la valeur d'un homme est inversement proportionnelle à son pourcentage de sang blanc est l’exact pendant du racisme qui prévalait pendant la longue ère coloniale où c'était l'inverse.

Il est aussi infect, absurde, ne résout rien et nous éloigne encore plus d'un monde où la couleur et la communauté de naissance auraient la place qu'ils méritent: celle d'un hasard sans importance et sans conséquence, et on l’on jugerait les gens sur leurs actes et non sur leur pedigree.

Et plus triste et plus révoltant, il permet aussi de ne pas remettre en cause la re concentration économique en cours.

Bon retour au XIXième siècle.

vendredi 22 janvier 2016

Reductio ad arabum

Dans nos pays le camp progressiste, du moins celui qui s'affiche comme tel et donnait le la jusqu'à récemment, s'est affirmé selon deux axes.

Le premier c'est la lutte contre le capitalisme, mais elle s'est enlisée depuis la faillite du système communiste que rien n'est venu remplacer.

Le second c'est le domaine social et sociétal, avec notamment la lutte contre les discriminations de toutes les minorités. Mais ce combat est lui aussi en train de se disqualifier.

En effet, il repose sur un postulat manichéen complètement dépassé: l'idée qu'il n'y a qu'un seul ennemi, et qu'une seule victime.

Pour caricaturer, cet ennemi est le mâle blanc chrétien occidental et capitaliste, sans nuance et quel que soit le cas considéré.

Clémentine Autain est un bel exemple de ce genre d'attitude.

Outre son tweet comparant les viols de Cologne à ceux de l'armée rouge pendant la seconde guerre mondiale, elle s'est en effet associée à Tariq Ramadan, un héritier des frères musulmans, mouvement dont le moins qu'on puisse dire est que sa vision de la femme est un peu éloignée de celle de Mme Autain.

Seulement voilà, l'islam politique recrute chez les immigrés, victimes par principe, car prolongement des masses jadis colonisées par l'ennemi naturel.

Donc d'une part ce mouvement a des excuses historiques, et d'autre part vouloir imposer à ses adeptes notre héritage et notre façon de voir les choses serait recommencer à tenter de les asservir.

Dans ce schéma binaire, il est donc impossible qu'ils aient des torts, car cela impliquerait que l'adversaire commun puisse avoir raison sur certains points.

Et du coup, on pousse le raisonnement jusqu'à dire que les attitudes déplorées ont pour cause le traitement imposé par cet adversaire commun.

Au prix d'une petite contorsion idéologique, on retombe donc sur ses pattes et l'association des féministes et des défenseurs des droits des homosexuels avec des mouvements islamistes devient possible.

Si l'on réfléchit, cette attitude est en fait l'exact pendant de celle utilisée lors de la colonisation européenne pour justifier la domination des masses indigènes.

On disait elles n'étaient pas prêtes, qu'elles étaient trop éloignées, différentes, tenues par la superstition, etc. Ce qui permettait de ne pas les traiter sur un pied d'égalité.

En fait, à rebours du vivre ensemble dont se gargarisent tous ces militants, certains étant (dramatiquement) de bonne foi, il me semble que cette vision ne fait que mettre une distance entre les gens, les renvoyer à une seule facette de leur identité.

C'est le "Reduction ad arabum", l'assignation identitaire définitive et exclusive à un aspect de la personne.

Cette assignation convient bien évidemment à tous ceux dont l'objectif politique est le repli communautaire, la constitution d'un monde fermé et parallèle au reste de la société, avec ses hommes forts, ses hiérarchies, son business aussi (et peut-être surtout).

Qu'il s'agisse de communautés religieuses, dont les musulmans est la plus médiatisée, d'identitaires européens ou de mouvements noirs à la tribu Ka, ils semblent avoir le vent en poupe.

En revanche, tous ceux, et ils ne sont pas si rares qu'on peut le penser, qui croient en notre modèle et ne réclament que d'être considérés comme individus à part entière et sans distinction, s'étouffent de rage devant ce qu'ils vivent comme une forme de condescendance, d'insupportable paternalisme.

Je me souviens d'un débat où Patrick Devidjian (de lointaine origine arménienne) expliquait que l'intégration était un processus lent et difficile et où Malek Boutih était intervenu avec colère, indiquant que la distinction lui était insupportable et que lui n'entendait pas qu'on le définisse ou qu'on le mette à distance contre son propre choix.

Quoi que l'on pense de ces personnalités politiques, je pense que c'est Boutih qui a raison sur ce point-là.

Quand je suis devenu blanc, j'ai sensiblement ressenti la même chose, cette impression d'être brutalement renvoyé à un seul aspect de ma personne, mon origine et ma couleur, alors que je suis évidemment beaucoup plus que ça.

Cette espèce de différentialisme infantilise ceux qu'elle est censée protéger, et au final ne les aide pas à prendre leur place légitime dans ce pays.

Et cette espèce d'excuse culturelle systématique peut même aller dramatiquement loin, comme lorsque l'on nie les problèmes de considération de la femme ou des autres communautés sous prétexte d'antiracisme.

L'affaire de Cologne a soulevé un peu le couvercle. A demi-mot, certains finissent par admettre que ce type de viols/attouchements collectifs n'est pas si rare en Europe et que leurs auteurs sont majoritairement de culture arabe.

Ils ajoutent bien sûr -et avec raison- que tout le monde n'est pas concerné et que le viol "indigène" existe évidemment aussi, mais selon d'autres modes opératoires.

Dans l'inexcusable, il y a aussi eu la sordide affaire de Rottherham (ICI et ICI), où des gangs pakistanais prostituèrent pendant plusieurs années de jeunes enfants anglais "de souche", bénéficiant du silence des média et de la complaisance de la police et des services sociaux, obnubilés par la crainte d'accusation de racisme.

Il me semble qu'il est grand temps d'arrêter les frais.

Ne faisons preuve d'aucune complaisance à l'égard des prétendues traditions immuables de nos immigrés, elles ne le sont pas plus que les nôtres.

Et si l'on a pu autoriser l'IVG et donner leur indépendance à nos femmes, si l'on a pu enlever à la religion catholique tout pouvoir de coercition sur nos croyants, si l'on a donné les pleins droits à nos homosexuels, c'est bien parce que c'était possible et ça reste souhaitable.

Les sociétés évoluent, les mentalités aussi, et penser que ce n'est vrai que chez les Européens c'est faire insulte au reste du monde, c'est être raciste, et c'est précipiter les victimes dans les bras d'autres partis qui ne s’embarrassent pas de tant de scrupules (cf. le score du FN chez les homosexuels).

Arrêtons de considérer les nouveaux arrivants comme des mineurs irresponsables. Ils sont nos égaux, on ne doit ni les discriminer ni les excuser.

A partir du moment où ils sont là, on doit leur donner toutes les chances possibles et enlever toutes les barrières racistes ou xénophobes à leur intégration, et l'on doit également réprimer individuellement tout ce qu'ils font de répréhensible.

Ne les dépouillons pas de leurs origines, de leurs croyances ou de leurs choix de vie privée. Laissons à chacun d'entre eux le droit d'en être maître, mais présentons-leur les règles de notre société ouverte, en leur expliquant qu'ils n'ont d'autre choix que de les respecter.

Ils doivent être convaincus que s'ils le font, la loi les protégera comme tout autre citoyen, et que s'ils ne le font pas ils devront en assumer les conséquences, comme tout autre citoyen.

C'est à ce prix que nous avons peut-être une chance d'arriver à une société plus juste et surtout moins fragmentée.

A lire, ce témoignage d'une féministe algérienne.