mardi 31 août 2021

La tache à l'envers

Dans son livre La tache, sorti en 2000, Philip Roth décrit comment la vie d'un professeur universitaire américain bascule après qu’on l’ait accusé de racisme. Selon le processus désormais tristement banal, il est condamné avant même d'être jugé, traîné dans la boue, destitué, etc.

Sur ce point l'auteur avait bien pressenti la tendance actuelle (cf. les affaires Greg Patton, Verushka Lieutenant-Duval, Oumou Kanoute et tant d'autres).

Mais là où le livre est très intéressant, c'est que le héros de Roth avait en fait des racines afro-américaines, qu'il avait cachées toute son existence.

Pour atteindre le poste universitaire élevé dans lequel il officiait, il avait en effet soigneusement écarté toutes les personnes de son passé et méticuleusement réinventé sa vie.

Il était allé jusqu'à choisir sa femme en raison de critères génétiques, épousant une fille naturellement frisée et à la peau mate, priant pour que ses enfants ne soient pas trop sombres et prévoyant le cas échéant de mettre ça sur le compte de leur ascendance maternelle.

Cette fiction n'est d'ailleurs pas si éloignée de la triste réalité: le célèbre critique Anatole Broyard (d'aucuns disent qu'il est justement l'inspiration de La tache), désireux d'être considéré comme un écrivain et non un écrivain noir, a suivi le même parcours.

Et comme on peut le lire dans cet article, la dissimulation d’origines africaines était un phénomène quasiment banal à la sinistre époque où celles-ci vous valaient relégation et statut inférieur.

Le roman Queen d'Alex Haley, moins connu que son célébrissime Racines, raconte lui aussi une histoire similaire. L’héroïne du livre, apparemment inspirée d'une personne de la famille maternelle de Haley, est la fille d'une esclave et de son maître qui tentait de profiter du fait qu'elle était née blanche.

Mon post d'aujourd'hui va s'intéresser au changement de mentalité qui s'est récemment mis en place, où l’on a l’impression que les origines extra européennes sont autant valorisées et sacralisées qu’elles étaient jadis maudites.

A mon échelle, j'ai pu le constater dans la cour d'école de mes banlieusards d'enfants. 

Étonnamment, n'être "que" français est devenu banal, plat, voire suspect et méprisable dans le grand brassage (pas si brassé que ça) qu'est devenue l'école de notre continent, dont les berceaux ne se remplissent que grâce à l'immigration.

Dans ce contexte, l’origine de la mère de mes enfants, qui leur aurait sûrement valu des quolibets il y a deux générations, est parfois un gage d'intégration pour eux.

Dans le même ordre d’idée, une de mes supérieures me parlait d'un de ses fils qui cherchait désespérément une trace d'exotisme dans son ascendance.

Et dans son livre Les petits blancs, Aymeric Patricot racontait le cas d'un de ses élèves de banlieue, simple BBR noyé dans une masse de collègues d'ascendances variées se plaignant lui-même de ce que les Français étaient sans intérêt, sans coutumes, sans tribus ni origines, et qui vivait cela comme un manque. 

Tout cela est aussi triste que ridicule (sans même parler de la véracité de ces classements).

De l'autre côté de l'Atlantique, là d'où part le vent qui, bon ou mauvais, finit toujours par arriver chez nous, la "xénophilie", si l’on peut employer ce mot, est encore montée d'un cran, illustrées notamment par deux affaires retentissantes.

Rachel Dolezal et Jessica Krug ont en effet fait le chemin de Broyard à l'envers: alors que l'écrivain voulait cacher ses origines noires, elles s'en sont tout simplement inventées et ont bâti une carrière autour de ça.

La première travaillait à la vénérable NAACP, cette association au combat séculaire pour l'intégration des personnes de couleur, et portait ses origines en étendard jusqu'à ce qu'on découvre que ses deux parents étaient blancs et qu'elle ne doive démissionner.

La seconde, universitaire, se donnait également une généalogie fantaisiste (qui de plus changeait avec le temps) et elle a fini par se faire recaler sur ce point.

Que penser de ces supercheries? Pourquoi fantasmer une origine non européenne au point de mentir?

Dans un contexte de discrimination positive, il peut y avoir une recherche d'avantages relatifs.

En l'occurrence je pense au Brésil, où la discrimination positive a abouti à la mise en place de commissions dédiées à l’évaluation du degré de sang noir des candidats aux postes réservés aux Afro-descendants.

Ces commissions se basent sur des tests physiques troublants qui rappellent de sinistres précédents, comme les examens sud-africains du temps de l'apartheid (je me souviens du lamentable test du crayon).

Aux US il y a également le cas de ces réserves indiennes dont le statut s'est transformé avec le temps.

La position relative de certaines de ces enclaves qui, rattrapées par  l'urbanisation, se retrouvent au coeur de métropoles les rend attractives, de même que celles qui ont su profiter des lois y pour ouvrir de très rentables casinos qui ont enrichi ses habitants.

De ce fait de nombreux Américains se sont miraculeusement souvenus de leur ascendance indienne (ICI un vieux lien où le futur ex-président US apparait).

Et je ne parle même pas des escrocs qui utilisent les lois imparfaites sur les Premières Nations pour en faire un lucratif business au Canada ou ailleurs.

Mais au-delà de ces gains directs, plutôt limités pour le plus grand nombre, on a aussi l’impression que la conviction de la supériorité intrinsèque des Blancs des siècles passés a fini par s'inverser, et qu'un fétichisme des origines extra européennes l'a remplacé.

On dirait qu'avoir du sang noir ou amérindien vous donne automatiquement un supplément de moralité, un avantage dans les discussions: l'Origine avec un grand O redevient l'argument final, et de plus en plus on n'a le droit de parler d'une communauté que si l'on en fait partie (à part celle des blancs justement).

Plus que jamais tout cela me semble être un piège pourri, une supercherie qui n'amène que la fragmentation de nos pays, de plus en plus difficiles à définir et apaiser en ces temps d'immigration massive et de changement structurants.

C'est aussi et peut-être surtout un moyen de ne pas remettre en cause les inégalités financières, qui explosent sur le globe depuis 3 décennies.

Le mea culpa de l'odieuse Anna Wintour la tyrannique rédactrice en chef de Vogue qui a inspiré Le diable s'habille en Prada, me semblent une magnifique illustration de cet état d'esprit.

Elle s'excuse en effet de ne pas avoir fait assez de places aux créateurs noirs, mais pas d'avoir traité comme de la merde tout son staff, d'avoir des pratique de management à la limite du sadisme et d'être au sommet d'une de ces pyramides financières sur la légitimité de laquelle on devrait peut-être s'interroger.

De même, les défenseurs d'Oumou Kounate trouvent normal qu'elle ait lancé le lynchage en ligne de personnes qui faisaient leur métier en lui demandant pourquoi elle mangeait dans un endroit où elle n'avait pas le droit (ICI).

Elle est noire et eux blancs, et c'est suffisant pour qu'elle ait raison. Et le fait que les frais d'inscription de son école dépassent le revenu annuel des gens dont elle a détruit la vie n'intéresse personne.

La plupart de ces exemples viennent du petit milieu puant et privilégié du monde universitaire, une "élite" (certains diront aristocratie) coupée du reste de la société: dans la vie de tous les jours les Noirs et les Indiens continuent de truster les places les plus basses de la société américaine et la reproduction sociale se porte insolemment bien.

Mais l'idéologie de ce petit milieu a fini par imprégner le discours, les actions et les opinions sur tout le spectre politique et médiatique du pays.

Et bien entendu, ce modèle arrive chez nous, porté par une gauche orpheline du marxisme et/ou s’adaptant de façon opportuniste aux changements démographiques.

Déconstruction, racisé, indigène, privilège blanc, non mixité…tout ce vocabulaire a remplacé les prolétariat et autres rapports de production dans leur vocabulaire.

Jusqu’à notre président qui emploie le terme de "mâle blanc" pour s’auto disqualifier sur l’analyse des quartiers populaires (ICI et ICI), comme si seuls les immigrés sauraient faire quelque chose parce qu’immigrés, comme s’il n’y avait pas de blancs dans ces quartiers ou qu’ils n’y comptaient pas. 

Avec son talent habituel, il semble faire un retour arrière, mais il n’en reste pas moins qu’il a donné un coup de pouce aux essentialistes et aux assignataires d’identité en validant leur vocabulaire.

En résumé, ce prétendu antiracisme où la valeur d'un homme est inversement proportionnelle à son pourcentage de sang blanc est l’exact pendant du racisme qui prévalait pendant la longue ère coloniale où c'était l'inverse.

Il est aussi infect, absurde, ne résout rien et nous éloigne encore plus d'un monde où la couleur et la communauté de naissance auraient la place qu'ils méritent: celle d'un hasard sans importance et sans conséquence, et on l’on jugerait les gens sur leurs actes et non sur leur pedigree.

Et plus triste et plus révoltant, il permet aussi de ne pas remettre en cause la re concentration économique en cours.

Bon retour au XIXième siècle.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire