mardi 24 août 2021

Cinéma (23) : L'horloger de Saint-Paul


Plus jeune, à l'époque où je testais tout ce qui bougeait en termes de films (j'en remercie les recoins cinéphiles de notre télé et le magnétoscope, alors mon plus fidèle ami), j'ai vu une première fois L'horloger de Saint-Paul, de Bertrand Tavernier.


Il s'agit de l'histoire d'un modeste horloger, un Lyonnais épicurien à la vie sans histoires interprété par Philippe Noiret, à qui la police vient annoncer un jour que son fils a tué quelqu'un et qu'il est parti en cavale.

Cet homme, qui a élevé son garçon seul après s'être séparé de sa femme, tombe des nues. Et au fur et à mesure de l’enquête, menée par un commissaire lettré, ironique et compatissant joué par Jean Rochefort (qui est définitivement un de mes acteurs préférés), il va de surprise en surprise et réalise qu’il ne connait pas son rejeton.

J'en avais gardé le souvenir d'un film un peu verbeux et chiant où il ne se passait pas grand-chose, et également celui d'un message de révolte.

Les années ont passé, j'ai vu d'autres Tavernier que j'ai beaucoup aimés (L627, Coup de torchon, Capitaine Conan, La guerre sans nom...) et en tombant sur le DVD (oui, je regarde encore des DVDs) à la médiathèque (oui, je vais encore à la médiathèque), je me suis décidé à lui donner une seconde chance.

Je l'ai donc revu un soir, avec un regard et des conclusions différentes.

Comme dans mon souvenir c'est bien un film lent, surtout par rapport aux critères d'aujourd'hui où le nombre d'actions à la minute a autant augmenté que la durée moyenne des films (curieusement d'ailleurs: on se serait attendu au contraire).

Mais entre ces deux visionnages j'ai vieilli et je suis devenu père d'un fils désormais adolescent, avec tout ce que ça implique, et du coup cette fois je peux comprendre les deux personnages, et m'identifier au personnage de Noiret.

Mes rapports avec mon propre père n'ont jamais été simples.

Dans mon enfance il était assez proche du pater familias à l'ancienne, lointain et ne descendant de sa tour que pour nous punir ou nous emmener l'aider dans son travail.

C'est du moins l'image que j'en ai
longtemps eue, plus nuancée quand avec le temps et l'expérience j'ai pu le voir différemment.

Nous vivions dans la maison de mes grands-parents, et jusqu'à la fin, mon père était lui-même "hiérarchiquement" (si l'on peut dire) en dessous de son propre père, qui était aussi son collègue de boulot, un homme plutôt dur qui avait commencé à travailler à l'âge de 12 ans.

C'était un peu le modèle de La horse, paysan, hiérarchisé, où les hommes se taisent, détiennent l'autorité et sont censés avoir de la pudeur pour certaines choses.

Intervenaient aussi dans les relations le poids de la religion et du voisinage, les relations avec l'autre partie de notre famille...et bien sûr le caractère.

J'ai longtemps rêvé de plus d'intimité avec lui, de pouvoir lui parler, lui poser des questions, partager nos expériences.

Çà ne s'est pas fait et nous avons un autre type de relation.

Dans celle-ci, quelle part est liée à nos caractères respectifs et quelle part au contexte et à nos histoires?

Qu'ai-je réellement en commun avec cet homme que j'aime et qui m'aime aussi pudiquement que puissamment?

En tout cas, lorsque j'ai eu mon fils j'ai quelque part voulu être d'un modèle opposé.

J'ai toujours essayé de dialoguer au maximum, de partager des choses, de communiquer. Lors de sa petite enfance nous étions très très proches, je jouais avec, rigolais, écoutais ses histoires, lui faisais découvrir mille et une choses.

Et puis avec l'âge notre relation a changé.

Son caractère se construit, bien différent du mien, ses intérêts et goûts s'affirment, ses opinions aussi.

Il suit parfois également une évolution inverse de la mienne à son âge (il devient religieux et attaché aux traditions quand moi je voulais m'en éloigner) et a développé une part de secret.

Tout ceci est normal. Il grandit, dans le vrai sens du terme, et sa mue vers l'âge adulte reste pour moi un spectacle aussi passionnant que déroutant.

Il me parle encore assez spontanément et nous ne nous affrontons pas (pour le moment?).

Cependant, à ma grande stupeur, s'est un peu installée entre lui et moi la distance, voire la gêne que j'avais avec mon propre père, et j'ai le sentiment que c'est de mon fait.

Cela m'a fait revoir avec un autre œil ma jeunesse et mon lien avec l'auteur de mes jours, et interroger différemment les responsabilités du contexte et de chacun.

Pour en revenir au film, j'essaie de m'imaginer comment je réagirais si la police venait me faire un jour la même annonce qu'à Philippe Noiret, si mon fils avait tué et fui pour des idées et causes qui me sont éloignées.

Le portrait de cet horloger et de son cheminement pour comprendre son fils malgré ses différences, pour s'en rapprocher coûte que coûte par-delà les épreuves est très touchant, et le final, s'il est triste, est aussi une réflexion sur la paternité qui m'a beaucoup parlé.

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