jeudi 25 avril 2024

Réflexions sur le voyage (2)

Il y a une dizaine d’années j'écrivais des réflexions que m'avaient inspirées la mode du voyage et ses contradictions, ainsi que ce que représentait le voyage pour moi.
 
Je suis récemment parti seul sur un coup de tête à Ljubljana, et cette visite m’a inspiré une nouvelle série de réflexions sur cette thématique.
 
Lorsqu’en 2013 je parlais de mes motivations pour partir, j’écrivais "Ce que j'aime c'est premièrement le changement de référentiel", et force est de constater que ce n’est pas/plus quelque chose qui va de soi pour les voyages, du moins à l’échelle de l’Occident, puisque c’est essentiellement là que j’ai voyagé.
 
En effet, dans cette aire de la planète, la mondialisation n’est pas un vain mot, et il est devenu flagrant que les modes de vie ont énormément convergé.
 
Le premier exemple est la langue.
 
Lorsqu’en 2000 je suis allé à Lisbonne, le portugais y était roi. Je me souviens d’intéressants musées où les notices étaient seulement dans la langue du coin (comme aux US ou au RU), et d’avoir dû m’exprimer par gestes ou en espagnol pour me faire comprendre, encore que pas mal de monde parlait français à l’époque.
 
A contrario, quand en 2024 je suis retourné au Portugal, dans l’Algarve et que j’y ai attrapé une conjonctivite, j’ai vite pu trouver une pharmacie dont l’employé parlait un anglais fluent et m’a dégotté un remède en deux temps et trois mouvements.
 
Même chose pour l’Europe de l’Est.
 
Lors d’un voyage dans les pays baltes que j’ai fait avec un ami voici une quinzaine d’années, je me rappelle avoir pris un bus à Vilnius sans être sûr que le chauffeur ait vraiment compris où nous souhaitions aller.
 
Ensuite à Riga la personne chez qui nous avons logé ne parlait aucune langue que nous connaissions.
 
Et enfin, nous avons dû baragouiner le peu d’allemand que nous connaissions pour nous débrouiller avec nos hôtes estoniens.
 
A contrario, à Ljubljana 99% de mes contacts parlaient anglais, qu’il s’agisse des commerçants, des employés des hôtels ou des musées, etc…
 
J’ai presque été soulagé lorsque le dernier jour je suis tombé sur une boulangerie tenue par une vieille grand-mère à qui j’ai dû faire ma commande par gestes.
 
Je me souviens également de menus exclusivement en allemand dans un restaurant viennois, alors que les restaurants aux cartes monolingues deviennent une rareté à peu près partout. Etc...
 
En clair l’anglais s’est indéniablement imposé comme langue internationale unique et "must have" (comme me le disait un boss insupportable il y a vingt ans) aux quatre coins de l’Europe, et toute personne travaillant dans le tourisme se doit de la connaitre, et la connait (et plus seulement les Scandinaves).
 
L’obsession de son apprentissage dépasse même ce cadre puisque les établissements d’enseignement supérieurs qui se vantent de l’utiliser se multiplient également mais ce n’est pas mon sujet.
 
C’est évidemment très pratique et fort logique, mais cela fait que l’étranger l’est beaucoup moins.
 
Le deuxième aspect qui a changé concerne les commerces eux-mêmes.
 
Lors de mes premières errances européennes, chaque pays avait sinon ses propres chaines, du moins ses propres magasins et restaurants.
 
Je me souviens qu’à Newcastle dans les années 90 j’avais été frappé par les boutiques du coin, qui proposaient toutes un bric-à-brac portant à confusion sur le type même de la boutique : un magasin qui vend des plantes, des guitares et des boites de conserve, c’est quoi ? Et si le magasin voisin fait la même chose, qu’est-ce que ça signifie ?
 
De même à chaque coin de Roumanie il y avait des kiosques, minuscules boutiques de 2 ou 3 m² où le vendeur/la vendeuse proposait toutes sortes de choses, des tickets de loto aux chewing-gums en passant par chips, clopes et journaux.
 
Ils ont à peu près disparu aujourd’hui.
 
A noter que leurs équivalents parisiens, les boites de métal vert, semblent devoir les suivre de près.
 
En fait, d’une manière générale, dans notre pays et dans le monde, beaucoup de magasins indigènes disparaissent.
 
Nombre de villes ont longtemps des commerces emblématiques, connu dans leur secteur géographique et qu’on désignait par le nom de leur propriétaire plutôt que par leur spécialité : à Orléans on allait chez Loddé du nom de la célèbre librairie par exemple.
 
Mais de plus en plus, on assiste à leur remplacement par de grandes chaines, nationales et/ou internationales.
 
Toujours en Roumanie, j’ai vu l’implantation accélérée de toutes les enseignes mondiales, à commencer par la grande distribution, un secteur dans laquelle la France tire son épingle du jeu, mettant un terme à toute enseigne nationale (bon, il faut dire que le régime communiste ne leur avait pas vraiment donné l'habitude de la concurrence). 
 
Chaque pays, voire chaque ville de chaque pays, a désormais son McDonald’s, son Starbuck, chaque ville française a sa FNAC, etc.
 
Cette standardisation est telle que le prix du Big Mac a généré un très sérieux indice, devenu un instrument pour comparer les monnaies et les pouvoirs d’achat entre les pays.
 
Enfin, le dernier point, qui est un peu lié au premier, est la concentration de tous les services sur le web et sur son téléphone.
 
Où qu’on aille on peut désormais comparer hôtels, restaurants, loueurs de voiture, bars et autres en consultant Internet, réserver et laisser son avis/noter les établissements.

Quand on se déplace dans une ville, plus besoin non plus de se procurer une carte ou de demander son chemin, tout peut se faire via le téléphone (c’est comme ça que j’ai trouvé ma pharmacie portugaise).

Et tous ces services sont en anglais. Grâce à mon téléphone, j’ai pu utiliser un équivalent ljubljanais du Velib en suivant une procédure d’une simplicité biblique et sans connaitre un mot de slovène.

En somme, voyager n’a jamais été aussi simple ni aussi prévisible.
 
Il est désormais possible d’enchainer les destinations sans lâcher son téléphone, sans apprendre aucun mot local, sans parler à personne sur place, en allant exclusivement dans les lieux choisis sans galère, en supprimant finalement tout imprévu et toute difficulté.

Bien sûr, on peut se dire que rien ne nous oblige à rentrer dans ce schéma et qu’on peut toujours se laisser porter, mais ce schéma est aussi notre mode de vie, d’où que l’on vienne, et la question d’en sortir ou non dépasse finalement le voyage.

Bref, si l’on est pressé et/ou que l’on a un but précis, le monde d’aujourd’hui est incomparablement plus efficace et maitrisé, y compris pour le voyage.

Mais est-ce encore un voyage ?

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